- Certains développent un désamour accompagné d’anxiété.
- À l’autre extrême, d’autres acquièrent une aisance associée à un intérêt grandissant.
(Photographie : Felix Zaglauer)
L’existence de divergences d’attribution envers les mathématiques
Dans la préface du livre d’Emma McCrea, Making Every Maths Lesson Count (2019, Crown House), Dylan Wiliam évoque un livre datant de 1981, « Do You Panic About Mathematics? Coping with maths anxiety » de Laurie Buxton.
Laurie Buxton avait interviewé un certain nombre d’adultes au sujet de leurs sentiments envers les mathématiques.
Cela lui a permis de mettre en évidence que les attributions faites à propos des mathématiques dépendent de manière nette, mais non surprenante, des résultats antérieurs en mathématiques à l’école.
Ceux qui n’avaient pas apprécié les mathématiques à l’école et avaient développé de l’anxiété à son sujet ont vu les mathématiques comme un sujet :
- Fixe, immuable, extérieur à eux-mêmes, insoluble dans leurs conceptions et non créatif
- Abstrait et sans rapport avec leur réalité
- Un domaine quasi mystique, seulement accessible à quelques initiés
- Un ensemble de règles et de connaissances à retenir par cœur
- Un pied de nez au bon sens dans certaines de ses conclusions
- La prédominance des tâches chronométrées, d’une course contre la montre, à la performance
- Un domaine où nous serons jugés non seulement sur nos capacités intellectuelles, mais aussi sur notre valeur personnelle
- Une préoccupation à se centrer sur le calcul
Voir article :
Pour quelqu’un d’un tant soit peu féru de mathématiques, ces assertions paraissent inexactes ou absconses. De plus, il est vraisemblable que de telles attributions sont susceptibles d’avoir des effets négatifs sur les apprentissages d’un élève qui y adhère.
La culture familiale est susceptible de les promouvoir. Un parent d’élève peut adhérer à de telles convictions. Il peut les avoir ancrées dans son vécu intime et les partager avec ses enfants. Il devient évident qu’il peut malgré lui semer les graines, poser les conditions propices, entretenir et renforcer un désamour pour les mathématiques.
Toutes ces conceptions sont en contraste flagrant avec le ressenti des mathématiciens de cœur. Ceux-ci parlent régulièrement de la beauté de leur sujet. Ils emploient des termes comme « élégance » pour décrire une solution particulièrement brillante et originale à un problème ou à une équation.
En contrepoids, Laurie Buxton présente également, une liste opposée, qui compile cette fois les vues d’adultes qui ont réussi et apprécié d’apprendre les mathématiques :
- Expérimental, exploratoire et créatif
- Parfois abstrait, mais souvent lié aux problèmes les plus pratiques
- Accessible à tous, mais qui comme pour tout domaine d’étude, peut être abordé plus profondément par certains que par d’autres en fonction de leurs aptitudes
- Un réseau de relations cohérentes, aisément mémorables lorsqu’elles sont comprises en profondeur
- Toujours réconciliable avec leur logique mentale interne
- Un sujet contemplatif qui exige parfois une attention soutenue et prolongée, mais qui n’a presque jamais besoin d’être effectué à la hâte
- Un domaine pour lequel les jugements sur nos capacités ne devraient pas avoir plus de poids que dans d’autres
- En lien avec les relations entre éléments en général
Nous pouvons nous demander, quelle est la vision exacte. Quel est le bon ressenti ? Probablement aucun des deux. En réalité, ces divergences traduisent l’existence de processus d’attribution.
L’essentiel, l’intérêt pour un enseignant est de prendre connaissance et conscience de ces conceptions. Dans un second temps, ils peuvent réfléchir à leur origine, à ce qui les installe et à leurs conséquences, dans le but d’imaginer une prévention pour certaines conséquences néfastes.
Un effet boule de neige dans un sens ou dans l’autre face à l’intérêt pour une matière donnée
Les rapports d’attraction ou de répulsion au cours de mathématiques sont à mettre en lien avec un phénomène d’effet Matthieu :
Voir article :
Les élèves qui réussissent en mathématiques développent leur motivation pour cette matière. Ils peuvent naturellement consacrer de plus en plus de temps à travailler cette matière. Ils engrangent des réussites, du renforcement positif, augmentent leur auto-efficacité et leur perception de compétence dans le domaine. Ce faisant, ils améliorent de plus en plus leurs connaissances et compétences dans ce domaine. Leur intérêt augmente.
Voir article :
Les élèves qui rencontrent des difficultés perdent en motivation. Ils ont une auto-efficacité et une perception de compétence qui diminuent. Ils ont moins enclin à y consacrer du temps. Ils ne s’améliorent que peu. Ils peuvent finir par croire que non, définitivement, les mathématiques ne sont pas faites pour eux. Leur intérêt s’éteint.
La motivation intrinsèque dans un domaine se nourrit d’opportunités de réussite
Une étude de Gabrielle Garon-Carrier (et coll., 2016) a examiné l’association entre le développement de la motivation intrinsèque et celui de la réussite en mathématiques à l’école primaire.
Selon la théorie de l’autodétermination, la motivation intrinsèque désigne le fait d’être engagé dans une activité en raison de l’intérêt et du plaisir que nous y portons. Cela se manifeste de façon inhérente plutôt qu’en raison de contingences externes. La motivation intrinsèque est conceptualisée comme un catalyseur naturel pour l’apprentissage et la réussite.
Voir article :
Dans l’étude réalisée par Garon-Carrier (et coll., 2016), les élèves ont déclaré eux-mêmes leur motivation intrinsèque (évaluée comme une combinaison d’intérêt et de plaisir) à l’égard des mathématiques. Leur rendement a été mesuré par l’évaluation directe des capacités en mathématiques.
Les chercheurs ont mis en évidence que la réussite en mathématiques permettait de prédire au fil du temps de façon systématique la motivation intrinsèque ultérieure en mathématiques.
Cependant, il n’y avait pas de preuve du contraire. La motivation intrinsèque pour les mathématiques ne permettait pas de prédire le rendement ultérieur (ou les changements dans le rendement) en mathématiques. Cette tendance était similaire pour les deux sexes.
Ces résultats ont remis en question les hypothèses selon lesquelles :
- La motivation intrinsèque conduirait naturellement à des résultats supérieurs en mathématiques
- La motivation et la réussite subissent des influences réciproques au fil du temps.
Comprendre le lien entre les opportunités de réussite et la motivation intrinsèque dans le cadre de la théorie de l’autodétermination
La conclusion selon laquelle un rendement supérieur en mathématiques entraîne une motivation intrinsèque plus élevée en mathématiques est cependant conforme à la théorie de l’autodétermination. Elle peut être interprétée de deux façons :
- La réussite en mathématiques se renforce d’elle-même et entraîne une augmentation de la motivation intrinsèque.
- Le concept de soi en mathématiques peut jouer un rôle médiateur, il tient une place importante puisqu’il joue un rôle décisif dans l’organisation et la mobilisation de nos capacités d’action.
- Selon Carl Rogers (1902 - 1987), l’ensemble des expériences d’un individu ainsi que sa perception de son vécu engendrent son concept de soi.
- Dans le cadre de la théorie de l’autodétermination, il est intégré sous la forme de la perception de compétence.
La perception de compétence se développe grâce à la rétroaction intégrée des évaluations scolaires passées et actuelles. Il s’agit d’un facteur sur lequel l’enseignant a un impact direct.
La perception de compétence est associée au rendement et à l’engagement dans les activités, ainsi qu’à la motivation intrinsèque en mathématiques.
La motivation intrinsèque comme une construction en développement face aux expériences personnelles rencontrées dans un domaine
Dans les résultats de la recherche de Gabrielle Garon-Carrier (et coll., 2016), il y a stabilité différentielle observée pour la motivation intrinsèque par rapport à la réussite en mathématiques au cours du primaire :
- Les différences individuelles de rendement en mathématiques étaient très stables malgré la variation des mesures.
- Les différences individuelles de motivation intrinsèque à l’égard des mathématiques étaient initialement modérées, mais sont devenues de plus en plus stables et marquées au cours de l’école primaire.
La motivation intrinsèque en mathématiques s’est comportée comme une construction en développement. Elle est plus susceptible de changer à l’entrée à l’école, mais se cristallise progressivement, plus tard chez les enfants, en partie en raison du rendement antérieur en mathématiques.
Une autre conclusion importante des résultats est que le niveau de rendement en mathématiques établi au début de l’école primaire permet par la suite de prédire la motivation intrinsèque envers les mathématiques. Il y a une tendance à la stabilité du rendement et à la constance de la motivation intrinsèque.
Il y a toutes les raisons de penser que c’est le cas également pour les premières années du secondaire. Le succès et la motivation rencontrés lors des premières années sont déterminants pour le rendement futur en mathématiques.
L’étude de Garon-Carrier (et coll., 2016) montre que la motivation intrinsèque ne conduit pas directement à un meilleur rendement en mathématiques, mais il est toutefois possible d’améliorer la motivation intrinsèque par des interventions.
Contribuer à améliorer la perception de compétence des élèves dans une matière scolaire
L’étude de Garon-Carrier (et coll., 2016) montre que la motivation intrinsèque ne conduit pas directement à un meilleur rendement en mathématiques, mais il est toutefois possible d’améliorer la motivation intrinsèque par des interventions.
En effet, la motivation intrinsèque est liée à l’intérêt porté par les élèves au domaine concerné.
Elle est en ce sens plus susceptible de prédire la qualité des réalisations : une tâche complexe exige plus de compétences et un investissement personnel plus important.
Elle est moins susceptible de prédire la quantité des réalisations : une tâche qui exige moins d’investissement cognitif personnel.
L’enseignant n’a pas d’accès direct à la motivation intrinsèque de ses élèves. Il peut juste contribuer à améliorer leur perception de compétence :
L’enseignant n’a pas d’accès direct à la motivation intrinsèque de ses élèves. Il peut juste contribuer à améliorer leur perception de compétence :
- En distribuant du renforcement positif
- En donnant une rétroaction formative axée sur l’amélioration
- En offrant de multiples occasions de réussite
- En adoptant un enseignement explicite.
Les mathématiques ne deviennent pas une option plus poussée et sélective que dans la seconde moitié de l’enseignement secondaire, en fonction du choix de filières et d’options.
En dehors de ces situations particulières, hors troubles de l’apprentissage détectés, le talent ou l’aptitude ne sont en réalité qu’une indication du temps que prend un individu pour apprendre quelque chose.
Pour éviter les échecs, un enseignant en mathématique doit raisonner en matière de coût d’opportunité :
Pour éviter les échecs, un enseignant en mathématique doit raisonner en matière de coût d’opportunité :
- Le coût d’opportunité d’une action ou d’une décision est la mesure de la valeur de chacune des autres actions ou décisions auxquelles nous renonçons.
- Quand nous devons arbitrer et faire des choix, la décision la plus rationnelle est celle dont le coût d’opportunité (évalué subjectivement) est le plus faible.
Par exemple, l’enseignant peut faire le choix d’inclure des activités et des contenus qui ne sont pas nécessaires pour rencontrer les objectifs d’apprentissage prévus. Ceux-ci n’auront probablement pas beaucoup d’impact sur le rendement des élèves qui trouvent l’apprentissage des mathématiques relativement aisé. Par contre pour ceux qui ont besoin de plus de temps, l’effet sera potentiellement désastreux.
Faire en sorte que chaque heure de cours est utilisée de manière optimale n’est pas seulement une bonne idée, mais un impératif moral. Si nous ne faisons pas en sorte que chaque leçon compte, nous creusons l’écart de rendement entre les élèves.
Pour briser le cercle vicieux (des échecs en mathématiques), pour motiver les élèves, nous devons nous assurer qu’ils réussissent. L’enseignement explicite, l’évaluation formative ou la réponse à l’intervention nous offrent de nombreuses pistes qui nous permettent d’œuvrer dans ce sens.
Dylan Wiliam, foreword of McCrea, Emma. Making Every Maths Lesson Counton (Making Every Lesson Count Series) (Kindle Locations 68–70). Crown House Publishing.
Gabrielle Garon-Carrier et al., Intrinsic Motivation and Achievement in Mathematics in Elementary School: A Longitudinal Investigation of Their Association, Child Development 87(1) (2016): pp 165–175
Laurie Buxton, Do You Panic About Maths? Coping with Maths Anxiety, pp 115–117, 1981, London: Heinemann Educational Books
Faire en sorte que chaque heure de cours est utilisée de manière optimale n’est pas seulement une bonne idée, mais un impératif moral. Si nous ne faisons pas en sorte que chaque leçon compte, nous creusons l’écart de rendement entre les élèves.
Pour briser le cercle vicieux (des échecs en mathématiques), pour motiver les élèves, nous devons nous assurer qu’ils réussissent. L’enseignement explicite, l’évaluation formative ou la réponse à l’intervention nous offrent de nombreuses pistes qui nous permettent d’œuvrer dans ce sens.
Mise à jour le 15/03/2024
Bibliographie
Dylan Wiliam, foreword of McCrea, Emma. Making Every Maths Lesson Counton (Making Every Lesson Count Series) (Kindle Locations 68–70). Crown House Publishing.
Gabrielle Garon-Carrier et al., Intrinsic Motivation and Achievement in Mathematics in Elementary School: A Longitudinal Investigation of Their Association, Child Development 87(1) (2016): pp 165–175
Laurie Buxton, Do You Panic About Maths? Coping with Maths Anxiety, pp 115–117, 1981, London: Heinemann Educational Books
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