dimanche 14 octobre 2018

Perception de compétence et auto-efficacité : deux concepts complémentaires

Si nous nous intéressons aux recherches portant sur la motivation ou l’orientation scolaire, nous nous retrouvons rapidement noyés dans une mer de concepts relativement similaires se recouvrant partiellement. Cela va de l’auto-efficacité au sentiment d’efficacité personnelle, de l’estime de soi, à l’identité, de la confiance en soi au concept de soi, de la perception de compétence, au sentiment de compétence, etc.

(Photographie : Jean Luc Mylayne)



Parfois, ceux-ci sont utilisés sans distinction, d’autant plus que nous nous retrouvons face à des documents vulgarisés à destination notamment des enseignants ou parents. Tout ceci tend à générer un sentiment de confusion, car nous gommons alors les différences entre des concepts pourtant différents dans leur construction. Le résultat de cette démarche peut finir par être préjudiciable pour les principaux intéressés que sont les élèves. En effet, en tant qu’enseignants face à ce genre de contradictions, nous finissons toujours par nous référer à nos intuitions et nos croyances, avec tous les biais attenants.

D’où l’idée de revenir dans le cadre de cet article sur deux concepts distincts et complémentaires même s’ils se recouvrent en partie. Tous deux méritent de devenir plus communs dans la profession d’enseignant.



Prendre en compte la motivation des élèves 


Si la rationalité l’emportait, le métier d’enseignant serait plus simple :
  • Pour une part importante des élèves, tout serait facile : 
    • Les élèves seraient pleinement conscients de leurs habiletés et de leur potentiel, et parfaitement capables d’autorégulation.
    • L’enjeu de fournir l’engagement et les efforts attendus et de faire face aux exigences serait évident et naturel pour eux. 
    • Ils réussiraient naturellement bien à l’école, en fournissant adéquatement le travail nécessaire.
    • Le travail de l’enseignant serait pleinement d’instruire.
  • Pour une autre part des élèves, des efforts supplémentaires seraient nécessaires :
    • Pleinement capables de métacognition, ils seraient conscients de leurs difficultés.
    • Ils fourniraient des efforts supplémentaires et les ajustements nécessaires. 
    • Ils utiliseraient à bon escient les dispositifs qui leur sont proposés. Ils tiendraient compte des recommandations des enseignants. 
    • Ils transformeraient leur engagement en une réussite en associant efforts et stratégies. 
    • Le travail de l’enseignant serait pleinement d’enseigner.
Dans le monde réel, en tant qu’enseignant, nous faisons face régulièrement à des élèves qui ont les capacités de réussir, peuvent sembler en avoir l’intention, mais ne concrétisent pas. Au delà d’instruire et d’enseigner, nous devons également éduquer.

Nous faisons également face à des élèves qui se sous-estiment ou qui ont développé des blocages, des craintes, des attributions négatives ou de l’anxiété. 

Dès lors, ils se découragent rapidement ou peuvent ne plus percevoir la nécessité ou l’utilité de s’engager. De plus, ces élèves, fuyant en partie les questions scolaires, parfois en décrochage scolaire, se retrouveront souvent à faire des choix d’orientation par défaut, moins ambitieux, et qui ne leur correspondent pas nécessairement.

Plus largement sont reliées derrière ces dimensions, des notions de motivation (extrinsèque ou intrinsèque) et d’intérêt (situationnel ou personnel) qui constituent les réels moteurs de l’orientation et de la réussite scolaire. Différentes théories de la motivation s’intéressent à ces questions dans un domaine éducatif.

L’auto-efficacité et la perception de compétence sont à ce titre des concepts utiles pour les enseignants qui se recouvrent pour une bonne part. Ils nous permettent de prendre en compte à la fois la personne de l’élève et son comportement dans une perspective dynamique et donc évolutive.

Derrière ces problématiques, se cachent également les missions profondes de l’éducation. Si nous prenons l’exemple de l’enseignement en Belgique francophone, il a pour missions (extraites du décret missions de la communauté française de Belgique) de :
1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun
des élèves ;
2° amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences
qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la
vie économique, sociale et culturelle ;
3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de
contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et
ouverte aux autres cultures ;
4° assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.
Nous concevons également que former l’élève pour qu’il prenne sa place dans la société, lui permettre de s’engager dans une orientation, et promouvoir son développement personnel sont des dimensions totalement indissociables. 

Une maitrise des concepts centraux des théories de la motivation, comme l’auto-efficacité ou la perception de compétence par les enseignants est souhaitable. Leur avantage est qu’ils sont plus fonctionnels et moins désuets que des notions plus vagues telles que la confiance en soi, l’estime de soi ou la maturité.



Spécificités de l’auto-efficacité


L’auto-efficacité (ou sentiment d'efficacité personnelle) s’inscrit dans le cadre de la théorie sociale cognitive formalisée par Albert Bandura. L’auto-efficacité est définie comme la confiance en soi spécifique à une situation. L’auto-efficacité est plus que la capacité de base pour adopter un comportement, c’est la confiance qu’une personne peut adopter ce comportement dans des circonstances difficiles.

L’auto-efficacité est liée à la confiance dans l’exécution du comportement. L’auto-efficacité fait référence à la croyance en ses capacités d’organiser et d’exécuter les plans d’action requis pour produire des résultats donnés.

L’auto-efficacité n’est pas censée se rapporter à la qualité de l’expérience ou des résultats comportementaux, mais seulement à la persistance comportementale, qu’elle est censée améliorer. Les attentes de résultats sont les conséquences probables de la performance comportementale.

L’auto-efficacité influence l’exécution réussie de comportements dans des circonstances sociales différentes. La perception de l’auto-efficacité ne motivera le comportement que lorsque les compétences et les incitations nécessaires seront déjà en place.

Aucune association n’est faite entre l’auto-efficacité et l’identité ou la confiance en soi. Ainsi, nous pouvons avoir le sentiment d’être efficaces (ou non) à propos de choses qui ne sont pas en accord avec notre identité sans qu’il y ait de conséquences.

En tant que telle, l’auto-efficacité est une dimension facilement accessible à l’enseignant et un levier de motivation intrinsèque. L’auto-efficacité est favorisée par diverses pratiques pédagogiques qui stimulent l’apprentissage social. Parmi celles-ci, nous pouvons trouver l’évaluation formative, l’enseignement explicite, la rétroaction, le droit à l’erreur, ou la précision de sous-objectifs atteignables qui se traduisent par des expériences de réussite, etc.



Spécificités de la perception de compétence


La perception de compétence ou sentiment de compétence ou compétence perçue est un concept issu de la théorie de l’autodétermination de Edward L. Deci et Richard M. Ryan.

La perception de compétence est liée au sentiment qu’a une personne de sa capacité de base à adopter un comportement. À la différence de l’auto-efficacité, l’identité est prise en compte.

La théorie de l’autodétermination postule que :
  • Les gens se choisissent des objectifs, des domaines comportementaux et des relations qui satisfont leurs besoins psychologiques. 
  • La motivation découle de la rencontre et de la satisfaction de ces besoins psychologiques de base. 
  • Trois besoins psychologiques sont proposés : 
    • La compétence : c'est le besoin de se sentir efficace et capable d’effectuer des tâches de différents niveaux de difficulté
    • L’autonomie : c'est le besoin de se sentir à l’origine de ses actions
    • L’appartenance sociale : c'est le besoin de se sentir en lien et supporté par d’autres personnes
  • Le besoin de compétence correspond à la nécessité de maîtriser des tâches personnellement exigeantes. Une caractéristique importante du besoin de compétence perçue est l’effet personnel ou le besoin d’apporter des changements à l’environnement et d’atteindre des résultats valorisés.
  • L’effet personnel distingue les tâches qui satisferont le besoin de compétence d’autres tâches mondaines, triviales ou sans signification personnelle, dont l’exécution et la maîtrise ne devraient pas satisfaire le besoin. La compétence est plus qu’une simple capacité à accomplir une tâche et comprend la considération de l’importance personnelle de la tâche.

Dans le cadre de la théorie de l’autodétermination, le sentiment de compétence est en lien avec la motivation intrinsèque :
  • Plus la compétence perçue est grande, plus elle favorise la motivation intrinsèque. 
  • À l’inverse, un sentiment très faible de compétence, associé à la contrainte entraine une forme de résignation apprise.

Le sentiment de compétence est comme l’auto-efficacité, un déterminant essentiel de l’intérêt. À la différence de l’auto-efficacité, le sentiment de compétence impose la nécessité d’une signification personnelle liée à la réalisation de la tâche.



Comparaison entre auto-efficacité et perception de compétence


Leur conceptualisation est différente :
  • L’auto-efficacité s’évalue au niveau du comportement.
  • La perception de compétence s’entend au niveau de la personne et prend en compte les résultats attendus.
La perception de compétence semble être un concept plus large. Cependant, elle ne recouvre pas complètement l’auto-efficacité. En effet, nous pouvons être efficaces pour des comportements qui ne satisfont pas notre besoin de compétence, de sorte que l’auto-efficacité et la compétence perçue ne sont pas redondantes l’une de l’autre.

Les deux constructions se distinguent sur l’aspect de l’orientation :
  • Le sentiment de compétence est un déterminant important en ce qui concerne les questions d’orientation scolaire puisqu’il se base sur la finalité. 
  • L’auto-efficacité n’est pas moins essentielle. Les matières scolaires dans l’enseignement primaire et secondaire sont diverses et il est probable qu’elles ne présentent pas toutes un intérêt équivalent pour chaque élève. Elles constituent néanmoins les éléments indissociables d’un tout.
  • Si la perception de compétence amène l’élève à prendre en considération ce qui compte vraiment pour lui, elle dépend d’une bonne auto-efficacité qui dans un sens la précède. Se sentir efficace contribue à l’intérêt qui est en lien direct avec le sentiment de compétence. 

Les deux constructions se distinguent sur l’aspect de la persistance du comportement :
  • La théorie de l’autodétermination postule que la satisfaction des besoins psychologiques mènera non seulement à la persistance comportementale, mais aussi à des conséquences psychologiques positives, si le besoin d’autonomie est lui aussi satisfait.
  • L’auto-efficacité, en revanche, n’est censée être liée qu’à la persistance du comportement. Selon la théorie sociale cognitive, nous sommes plus susceptibles d’adopter des comportements pour lesquels nous nous sentons efficaces que des comportements pour lesquels nous ne le sommes pas.

Nous pouvons postuler que nous sentir efficaces par rapport à un ensemble particulier de tâches et d’habilités pourrait augmenter la probabilité que la réussite de ceux-ci satisfasse également notre besoin de compétence.

De même, il est possible lorsque nous sommes efficaces par rapport à des comportements dénués de sens ou extrinsèquement motivés, nous pouvons persister à les exprimer, sans que le besoin de compétence soit satisfait.

Les deux concepts adressent différemment la motivation sous un angle intrinsèque ou extrinsèque :
  • L’auto-efficacité est utile scolairement parce qu’elle correspond également à une motivation extrinsèque à laquelle elle peut répondre. À l’opposé, si nous sommes efficaces pour adopter un comportement qui ne répond pas au besoin de compétence, nous pouvons imaginer que ce dernier en entrave la persistance. 
  • La compétence perçue est plus en lien avec la motivation intrinsèque qui est cruciale en matière d’orientation. En effet, un épanouissement personnel suppose que les besoins psychologiques soient remplis, ce à quoi contribue le sentiment de compétence en premier lieu.

Les deux notions ne sont pas interchangeables :
  • L’auto-efficacité pourrait être considérée comme un concept complémentaire aux besoins psychologiques que traduisent le sentiment de compétence et l’aspiration à l’autonomie. Elle joue le rôle d’un moyen pratique d’optimiser le bien-être global des élèves. L’auto-efficacité est probablement un concept suffisant pour optimiser la pédagogie en classe ou aider à identifier les déficiences en matière de stratégies cognitives ou de méthodes de travail.
  • Le sentiment de compétence devient signifiant lorsque nous interrogeons la trajectoire même de l’élève en difficulté dans le cadre de l’élaboration d’un projet d’orientation, de l’éducation au choix ou d’une approche orientante.   

L’auto-efficacité des élèves et leur sentiment de compétences sont des dimensions qui doivent être prises en compte dans les pratiques enseignantes. Même si elles ne sont pas l’objet premier de l’enseignement, elles ont un pouvoir de médiation utile pour faciliter celui-ci dans la concrétisation des missions de l’enseignement et dans son efficacité.




Mise à jour le 15/10/2022

Bibliographie


Laurent Cosnefroy, Le sentiment de compétence, un déterminant essentiel de l’intérêt pour les disciplines scolaires, L’orientation scolaire et professionnelle, 36/3 | 2007

Wendy M. Rodgers, David Markland, Anne-Marie Selzler, Terra C. Murray & Philip M. Wilson (2014) Distinguishing Perceived Competence and Self-Efficacy: An Example From Exercise, Research Quarterly for Exercise and Sport, 85:4, 527–539.

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