L’effacement progressif de la concrétude est une stratégie pédagogique qui consiste à introduire les concepts abstraits en commençant par des représentations concrètes, puis à les rendre progressivement plus abstraites, au fil de l’apprentissage.
Cette méthode vise à faciliter la compréhension et la généralisation des concepts abstraits, notamment en mathématiques et en sciences.
Principe de l’effacement progressif de la concrétude
L’approche repose sur le constat de départ que :
- Les représentations concrètes favorisent l’engagement et la compréhension initiale. Cependant, elles peuvent également limiter la capacité des apprenants à transférer les connaissances à des situations nouvelles.
- Les représentations abstraites sont plus générales et transférables. Cependant, elles sont plus difficiles d’accès au départ.
Une transition bien orchestrée permet de bénéficier des avantages des deux types de représentations : d’abord l’accessibilité du concret, ensuite la généralisabilité de l’abstrait.
Dès lors pour associer les avantages des deux formes de représentations et en éviter les désavantages, l’effacement progressif de la concrétude suit typiquement trois étapes :
- Étape physique/concrète :
- Introduction du concept avec des objets tangibles, des représentations perceptibles ou des exemples familiers.
- Étape iconique/graphique :
- Représentation visuelle ou schématique servant de pont entre le concret et l’abstrait.
- Étape abstraite/symbolique :
- Représentation symbolique ou formelle du concept (par exemple, une équation mathématique).
Cette séquence s’inspire indirectement des stades de représentation de Jerome Bruner (1966) : enactif → iconique → symbolique.
Ce processus repose sur l’idée que les apprenants comprennent mieux des concepts abstraits s’ils sont d’abord ancrés dans des expériences perceptibles, manipulables ou imagées.
Fondements théoriques de l’effacement progressif de la concrétude
Des recherches ont montré que l’effacement progressif de la concrétude est plus efficace que les approches où l’on utilise uniquement des matériaux concrets ou uniquement des symboles abstraits, ou encore des transitions abruptes (Fyfe et coll., 2014 ; McNeil & Fyfe, 2012).
Ce principe est appuyé par les théories de la charge cognitive (Sweller, 1988) et du dual coding (Paivio, 1986), qui suggèrent que des supports concrets peuvent renforcer la compréhension en sollicitant à la fois des canaux verbaux et visuels. De fait, les représentations concrètes activent davantage de modalités sensorielles et facilitent l’encodage en mémoire (Barsalou, 2008).
L’effacement progressif de la concrétude permet de réduire la charge cognitive extrinsèque lors de l’apprentissage initial tout en favorisant une représentation mentale plus flexible et indépendante du contexte.
Toutefois, des représentations trop riches en détails perceptifs peuvent également entraîner une surcharge cognitive ou une dépendance au contexte.
Applications en éducation de l’effacement progressif de la concrétude
L’effacement progressif de la concrétude est particulièrement utilisé dans l’enseignement des mathématiques (Goldstone & Son, 2005) ou de la physique (Schwartz et coll., 2009).
(Kokkonen et coll., 2021)
Par exemple, pour enseigner les fractions, on peut commencer par couper une pizza ou une tarte (étape concrète), puis passer à des diagrammes de fractions (étape intermédiaire), et finalement à des opérations symboliques avec des fractions (étape abstraite).
Avantages et limites de l’effacement progressif de la concrétude
Avantages
- Facilite la compréhension des concepts abstraits complexes. L’approche encourage les élèves à établir des liens entre les différentes formes de représentation (concrète, iconique, symbolique), renforçant ainsi leur compréhension conceptuelle.
- Soutient la mémoire à long terme en s’appuyant sur des images mentales concrètes liées à des expériences familières. Les représentations concrètes fournissent un sens immédiat et intuitif aux symboles abstraits, les rendant moins arbitraires et plus compréhensibles.
- Favorise le transfert des apprentissages à d’autres contextes. Le passage graduel de représentations spécifiques à des représentations plus générales aide les apprenants à dégager les caractéristiques essentielles des concepts, ce qui est crucial pour leur application dans de nouveaux contextes (Fyfe et coll., 2014).
Limites
Bien que cette méthode soit efficace, son succès dépend de plusieurs facteurs :
- L’implémentation : Une mise en œuvre réussie de l’effacement progressif de la concrétude nécessite une conception pédagogique soignée. Nous devons nous assurer que les liens entre les différentes représentations sont explicites et que l’effacement est effectué au bon moment et au bon rythme pour l’apprenant :
- Une représentation concrète trop riche ou distrayante peut entraver le transfert.
- Le passage à l’abstraction doit être progressif, mais explicite : il ne suffit pas de juxtaposer les formes sans les relier.
- Les apprenants doivent être guidés activement pour généraliser les concepts.
- Les novices peuvent bénéficier davantage des représentations concrètes, tandis que les experts préfèrent souvent les abstractions. Certaines recherches suggèrent que l’abstraction précoce peut être bénéfique dans certains contextes, notamment pour les apprenants ayant des connaissances préalables élevées, car elle encourage la généralisation (Koedinger & Aleven, 2007). Cependant, pour les apprenants novices, l'effacemenrt reste généralement supérieur.
- La spécificité du domaine : L’efficacité de l'effacement de la concrétude peut varier selon les concepts et les domaines d’apprentissage. Bien qu’il soit très efficace en mathématiques, son application dans d’autres domaines peut nécessiter des adaptations.
Mis à jour le 16/06/2025
Bibliographie
Goldstone, R. L., & Son, J. Y. (2005). The transfer of scientific principles using concrete and idealized simulations. The Journal of the Learning Sciences, 14(1), 69–110. https://doi.org/10.1207/s15327809jls1401_4
Fyfe, E. R., McNeil, N. M., Son, J. Y., & Goldstone, R. L. (2014). Concreteness fading in mathematics and science instruction: A review of the evidence. Review of Educational Research, 84(1), 120–169. https://doi.org/10.3102/0034654313499580
Paivio, A. (1986). Mental representations: A dual coding approach. Oxford University Press.
Sweller, J. (1988). Cognitive load during problem solving: Effects on learning. Cognitive Science, 12(2), 257–285.
Schwartz, D. L., Chase, C. C., Oppezzo, M. A., & Chin, D. B. (2009). Practicing versus inventing with contrasting cases: The effects of telling first on learning and transfer. Journal of Educational Psychology, 103(4), 759–775.
Barsalou, L. W. (2008). Grounded cognition. Annual Review of Psychology, 59, 617–645.
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McNeil, N. M., & Fyfe, E. R. (2012). “Concreteness Fading” in Mathematics Instruction: Effects on Transfer. Child Development Perspectives, 6(3), 209-212.
Kokkonen, Tommi & Schalk, Lennart. (2021). One Instructional Sequence Fits all? A Conceptual Analysis of the Applicability of Concreteness Fading in Mathematics, Physics, Chemistry, and Biology Education. Educational Psychology Review. 33. 1-25. 10.1007/s10648-020-09581-7.
Koedinger, K. R., & Aleven, V. (2007). Exploring the assistance dilemma in experiments with Cognitive Tutors. Educational Psychology Review, 19(3), 239–264. https://doi.org/10.1007/s10648-007-9049-0