mardi 2 février 2021

Rendre la vérification de la compréhension et la pratique de récupération plus efficaces en classe

La pratique de récupération favorise une mémorisation plus durable que d’autres stratégies d’apprentissage telles que le fait d’étudier à nouveau, de relire, de souligner, de réaliser une synthèse, une carte conceptuelle ou de développer des astuces mnémotechniques. Elle a des effets bénéfiques à la fois sur le rappel et la reconnaissance. Elle équivaut à l’effet de test en psychologie cognitive. Elle peut être mise en œuvre autant en situation classe que lors d’un travail en autonomie.

(Photographie : Masami Hoshino)


Cependant si son intérêt en classe dans le cadre de quiz ou d’évaluation formative est clair, c’est lorsqu’elle est mise en œuvre dans un cadre collectif de questionnement que son efficacité peut être interrogée.



Cas de la pratique de récupération en contexte collaboratif


La plupart des études sur l’effet de test ont examiné des individus s’engageant dans une pratique de récupération de manière isolée et autonome. 

Cependant, la pratique de récupération a lieu souvent dans des contextes sociaux :

  • Les élèves étudient régulièrement à plusieurs, ils se posent mutuellement des questions. 
  • En classe, les enseignants interrogent souvent leurs élèves sur la matière en cours. De même, ils encouragent les élèves à travailler en groupe, à coopérer pour la réalisation de tâches.

Comme nous l’avons vu précédemment, un contexte collaboratif pour une récupération en mémoire est susceptible de présenter des inconvénients comme des avantages et justifie un pilotage de l’enseignant. 

Par exemple, lors d’un modelage ou d’une pratique guidée en classe, un enseignant peut poser une question à laquelle un seul élève va répondre. L’enseignant espère que le reste de la classe va également s’investir dans la réflexion en écoutant. 

Une manière d’y parvenir est la technique de la vérification de la compréhension en enseignement explicite qui consiste à désigner au hasard l’élève qui va y répondre et qui amène tous les élèves à préparer une réponse.

L’espoir est ainsi que les autres élèves déterminent en parallèle la réponse préalablement et la comparent à celle donnée par l’élève, ou du moins qu’ils essaient de le faire. 

Mais le fait d’être exposé à la mémoire d’une autre personne offre-t-il réellement des avantages similaires aux auditeurs ? L’effet de test se retrouve-t-il chez de simples auditeurs ?

Il semble que cela puisse être le cas lorsque certaines conditions sont rencontrées. Nous allons les développer.



La pratique de récupération cachée


La pratique de récupération cachée (ou secrète) correspond à une situation où un individu répond à une question en puisant la réponse en mémoire, mais sans la communiquer oralement ou par écrit. 

Smith, Roediger et Karpicke (2013) ont montré que la pratique de récupération cachée est aussi bénéfique pour la mémorisation que la pratique de récupération ouverte (ou publique). Cette dernière correspond à la situation où un individu répond oralement ou par écrit.

Toutefois, il n’y a pas consensus sur la question et il semble au contraire que lorsque les contenus à récupérer deviennent plus complexes, la récupération ouverte l’emporte sur la récupération cachée.




L’effet du mode de récupération (ouverte ou cachée) en fonction de la complexité de la réponse


Il existe un risque que la vérification de la compréhension ne puisse pas complètement rencontrer l’effet de test et n’équivaut pas complètement à une pratique de récupération. 

Dans quelle mesure est-ce que les élèves peuvent apprendre autant d’une auto-explication cachée que d’une réponse publique ? Les élèves qui retrouvent la réponse, mais ne l’expriment pas vont-ils profiter du même effet que l’élève qui va la donner ? Est-ce que préparer la réponse pour la donner oralement, mais ne pas devoir la donner peut-il fournir un bénéfice supérieur au fait de seulement y penser ?

Dans le cadre d’une étude sur la pratique de récupération, Putnam et Roediger (2013) ont invité les sujets de leur expérience à donner leurs réponses dans différentes conditions. Il s’agissait de les donner soit à voix haute, soit de les écrire ou soit d’y réfléchir simplement. 

Ils ont montré que ces différentes formes de pratique de récupération ont été toutes aussi bénéfiques. L’implication pratique pour l’apprentissage est que la récupération cachée offre autant d’avantages pour la mémorisation ultérieure que la récupération écrite ou orale. Toutefois, il s’agissait de paires de mots et non d’informations complexes. 

Nous pouvons en conclure que le mode de réponse n’est pas un facteur pertinent lorsque les questions portent sur des contenus simples à récupérer et nécessitant peu d’élaboration. Par contre, il est susceptible de le devenir pour des contenus complexes et nécessitant de l’élaboration.




L’oubli induit par la récupération socialement partagée


Un effet secondaire néfaste de la pratique de récupération au-delà de ses avantages multiples est l’oubli induit par la récupération (Anderson, Bjork, & Bjork, 1994). Le rappel d’informations à partir de la mémoire à long terme peut nuire à la conservation à long terme de représentations liées, mais non récupérées.

 Ce phénomène ne serait pas causé par une concurrence accrue résultant du renforcement des éléments d’information pratiqués par rapport à ceux qui ne le sont pas. Elle le serait par des processus inhibiteurs spécifiques à la situation de rappel (Anderson, Bjork, & Bjork, 2000).

Cuc, Koppel et Hirst (2007) ont examiné la pratique de la récupération sélective dans un contexte social et se sont concentrés sur l’effet négatif qui en résulte pour les informations qui ne sont pas pratiquées. Ils ont testé des paires de sujets :

  • L’un des deux (le locuteur) devait récupérer à haute voix un sous-ensemble d’informations préalablement étudiées.
  • Le second sujet (le spectateur) devait surveiller la récupération du locuteur pour en vérifier l’exactitude ou la fluidité. 
  • Les chercheurs ont observé que l’oubli induit par la récupération pour les informations non pratiquées (par rapport à une condition de contrôle) se remarquait non seulement pour les locuteurs, mais aussi pour les auditeurs.

Il existe un oubli induit par la récupération socialement partagée. L’écoute d’un orateur qui se souvient de manière sélective peut induire l’oubli d’informations connexes chez l’auditeur.

Un autre point important mis en évidence par Cuc, Koppel et Hirst (2007), est que l’oubli induit par la récupération socialement partagée n’est présent que si les auditeurs contrôlent l’exactitude des réponses de l’orateur. Lorsqu’ils leur ont demandé de plutôt vérifier la fluidité du rappel, aucun oubli socialement partagé n’apparaissait. Les effets de la pratique de récupération sélective peuvent être socialement partagés entre les orateurs et les auditeurs que si ces derniers sont motivés pour s’engager dans une pratique de récupération cachée avec les orateurs. 

Coman et Hirst (2015) le relatent également. Lorsque les auditeurs assistent à la récupération sélective par les orateurs d’événements précédemment rencontrés, ils oublient plus d’informations non mentionnées, mais liées qu’ils n’oublient d’informations non liées et non mentionnées étudiées précédemment.

Dans une conversation, les orateurs et les auditeurs vont souvent influencer la mémoire de l’autre, et ce faisant, favoriser la formation d’une mémoire partagée, ou collective. En conséquence, l’orateur et les auditeurs en viennent à se souvenir — et à oublier — l’événement de la même manière. La condition est que les auditeurs récupèrent l’information en même temps que l’orateur. Il s’agit d’une pratique de récupération cachée. Des schémas similaires d’oubli sélectif sont plus susceptibles de se produire entre les locuteurs et les auditeurs s’ils appartiennent au même groupe social. Les mécanismes mnémoniques de base semblent être adaptés pour favoriser l’émergence de représentations mnémoniques partagées qui préservent l’appartenance et l’identité du groupe.




Bénéfices mitigés des élèves auditeurs dans la vérification de la compréhension


L’effet de test lié à une récupération cachée chez l’auditeur est dépendant de l’existence de celle-ci. Même si des effets de la pratique se sont produits chez les auditeurs, dans deux des trois expériences rapportées par Cuc, Koppel et Hirst (2007), les orateurs se souvenaient mieux des éléments pratiqués que les auditeurs. D’autres études utilisant le même paradigme locuteur-auditeur ont également fait état de résultats mitigés.

Abel et Roediger (2018) ont étudié l’impact que peuvent avoir les contextes sociaux sur l’effet de test. La question qu’ils se sont posée est de savoir si la pratique de récupération effectuée par un individu en compagnie d’autres personnes peut être bénéfique. L’est-elle uniquement pour cet individu ou également pour les autres personnes qui écoutent la question et la réponse ? Les effets sont-ils de la même ampleur pour les locuteurs et les auditeurs ?

Au contraire de Cuc, Koppel et Hirst (2007), Abel et Roediger (2018) n’ont pas constaté de différence lorsque l’auditeur se concentre sur la précision des réponses ou sur la fluidité de la réponse. Les deux déclenchaient une pratique de recherche cachée. De plus, ils ont constaté que la pratique manifeste par le locuteur était beaucoup plus efficace que la tâche de contrôle de la précision par l’auditeur, tant pour les tests immédiats que pour les tests différés. La surveillance de la pratique de récupération d’une autre personne n’a pas entraîné le même avantage mnémonique que la pratique de récupération ouverte. La pratique de récupération ouverte n’était pas seulement plus bénéfique pour la conservation à long terme que la réétude ; elle augmentait également le rappel par rapport aux tâches de surveillance (et donc, par rapport à la récupération cachée).

Des taux similaires d’oubli en fonction du temps sont constatés après la pratique de récupération et les tâches de surveillance. Cela indique que la surveillance peut avoir stimulé au moins un certain degré de pratique de récupération cachée chez les auditeurs. Il y a eu moins d’oubli dans ces deux conditions que dans la condition de reprise de l’étude. Cependant, le rappel était clairement supérieur après la pratique de récupération ouverte qu’après une telle pratique cachée. 

L’ampleur de l’effet de test produit par une récupération cachée dépend de la qualité de celle-ci. En effet, nous avons moins de certitude sur son exhaustivité et l’élaboration réellement engagée face à une récupération ouverte.

Cela pose question. Les avantages de la pratique de la récupération secrète dans un cadre social peuvent-ils être améliorés ou mieux garantis pour correspondre à ceux de la pratique de la récupération ouverte ou, du moins, s’en approcher ? 

Une raison possible pour laquelle la pratique de la récupération cachée peut être moins efficace dans les groupes sociaux pourrait résider dans la paresse sociale. Les sujets pourraient être moins motivés à s’engager dans une pratique de récupération difficile et cachée lorsque leur performance n’est pas directement évaluée et que des informations en retour (la réponse) sont données après chaque essai. 

Pour court-circuiter cette possibilité, Abel et Roediger (2018) ont demandé aux auditeurs de surveiller leurs propres performances (cachées) de récupération au lieu de celles de l’orateur afin de couper court au risque de paresse sociale :

  • Le fait de demander aux auditeurs de juger de leur propre réussite en matière de récupération peut renforcer la responsabilité personnelle. Cela réduit la différence de rappel entre la pratique de récupération ouverte par les orateurs et la pratique de récupération cachée par les auditeurs. 
  • Dans ce cas de figure, la surveillance secrète dans un cadre social peut être aussi efficace que la pratique de récupération ouverte. C’est le cas si l’on se concentre sur la surveillance de sa propre récupération plutôt que celle d’une autre personne.
  • Dans ces conditions, les pratiques de recherche ouverte et cachée peuvent être tout aussi utiles pour la mémorisation.

Il s’agit donc d’accroitre la responsabilité personnelle et de motiver les auditeurs à s’engager dans une récupération plus laborieuse, ce qui a également été suggéré pour augmenter les effets de test dans le rappel individuel.

Lors de l’expérience 3, il a été demandé aux auditeurs de surveiller leur propre écoute plutôt que celle de l’orateur. Ce faisant, l’expérience 3 a réussi à créer des conditions dans lesquelles les auditeurs peuvent bénéficier d’une récupération cachée. En même temps, ces instructions de tâches peuvent aussi limiter la mesure dans laquelle l’expérience saisit un cadre social représentatif. Pour l’essentiel, le contrôle de l’exactitude de sa propre récupération cachée pour la même tâche s’est révélé efficace dans le cadre du rappel individuel. Les données actuelles montrent qu’elle peut également être efficace lorsque nous sommes simultanément exposés à la récupération ouverte d’une autre personne. 

Un auditeur engagé pleinement dans une pratique de récupération cachée et exhaustive, et qui vérifie précisément l’exactitude et l’élaboration de sa réponse peut bénéficier du même bénéfice qu’un locuteur s’engageant dans la même récupération ouverte.



L’importance de rendre la récupération cachée plus efficace en classe par les techniques de vérification de la compréhension


Comment faire pour que les questions de pratique que les enseignants posent souvent à toute une classe puissent bénéficier à chaque élève, et pas à ceux qui vont répondre oralement ?

De quelle manière l’écoute, le contrôle et le suivi des réponses d’un autre élève peuvent entraîner des avantages similaires pour ceux qui écoutent ? 

  1. Il apparait que par défaut, l’écoute des réponses d’un autre élève n’est pas aussi bénéfique que le fait de pratiquer soi-même la récupération explicitement.
  2. Une première amélioration est que les élèves vérifient et contrôlent les réponses des élèves qui interviennent oralement. Surveiller la pratique de récupération d’autres élèves réduit l’oubli dans le temps autant que de s’engager soi-même. 
  3. Cependant, s’engager soi-même dans la pratique de récupération est toujours plus bénéfique pour la quantité de contenus mémorisés que la surveillance. L’impact est réduit sur l’apprentissage en cas de simple surveillance. La surveillance améliore bien moins les performances qu’une récupération personnelle.
  4. L’effet de la surveillance ne devient significatif que lorsque nous donnons explicitement comme consigne aux élèves qui écoutent de se concentrer sur leur propre performance de récupération cachée. Ils ne doivent pas focaliser leur attention sur les réponses données publiquement par les élèves interrogés. Ce n’est que dans le cadre de cette consigne que nous pouvons observer des avantages similaires dans les deux situations. D’un côté, nous avons la pratique de récupération ouverte chez les élèves qui sont interrogés et de l’autre la pratique de récupération cachée chez les élèves qui écoutent. 

Les élèves ne peuvent bénéficier de la pratique de récupération dans des situations sociales que s’ils sont activement engagés personnellement dans la tentative de récupération des connaissances. Surveiller la réponse d’autres élèves n’est pas suffisant. 

De fait, les effets bénéfiques de la pratique de récupération (l’effet de test) ne seront pas facilement partagés dans un contexte social. La mise en place de conditions qui entraînent plus d’efforts dans la condition de récupération cachée est nécessaire pour produire un effet positif. Elle n’est pas aisée à assurer. 

La forme cachée de pratique de récupération dans un contexte social peut s’accompagner de l’oubli induit par la récupération socialement partagée. Elle peut ne pas créer des effets de test socialement partagés de même ampleur chez les auditeurs. Des élèves qui écoutent d’autres élèves répondre à des questions sont même susceptibles de voir leurs performances se dégrader par la suite. De même, ces démarches peuvent contribuer à générer de la familiarité et des illusions de connaissance.

Lorsque la collaboration permet aux élèves qui écoutent de se concentrer sur leur propre apprentissage et augmente leurs efforts de récupération, cela permet d’améliorer leurs performances. Les élèves qui écoutent doivent être spécifiquement motivés pour s’engager dans un effort de récupération avec les élèves qui répondent.

La pratique de vérification en enseignement explicite qui consiste à poser une question avant de désigner plus tard une personne pour répondre a tout son sens dans cette perspective.

Imaginons, à l’opposé, une classe typique ou un groupe d’étude typique qui n’applique pas cette technique. Les élèves qui ne sont pas sollicités ou savent qu’ils ne le seront pas peuvent ne pas essayer de retrouver la réponse. Ils peuvent même ne pas prêter attention à la bonne réponse lorsqu’elle est donnée. De même, les élèves qui se contentent d’écouter et de surveiller l’exactitude ou la fluidité des réponses, n’en retireront aucun effet positif. Ce n’est que lorsque les conditions sont réunies pour encourager les élèves à retrouver secrètement leur propre réponse et à juger de son exactitude qu’un avantage est constaté.

De fait, la pratique consistant à poser des questions en classe et à demander ensuite à un élève d’y répondre n’est pas une technique efficace. Elle n’encourage pas les autres élèves à faire des efforts et ne permet pas de stimuler leur apprentissage. 

La pratique de récupération en contexte de classe apporte tout son soutien au processus de vérification en enseignement explicite. Non seulement quand il est bien mené il permet de vérifier la compréhension des élèves, mais peut augmenter l’apprentissage de toute une classe.


Mis à jour le 21/06/2023


Bibliographie


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Putnam, A. L., & Roediger, H. L., III. (2013). Does response mode affect amount recalled or the magnitude of the testing effect? Memory & Cognition, 41, 36–48. http://dx.doi.org/10.3758/s13421-012-0245-x 

Smith, M. A., Roediger, H. L. III, & Karpicke, J. D. (2013). Covert retrieval practice benefits retention as much as overt retrieval practice. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 39(6), 1712–1725. https://doi.org/10.1037/a003356

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Cuc A, Koppel J, Hirst W. Silence Is Not Golden: A Case for Socially Shared Retrieval-Induced Forgetting. Psychological Science. 2007; 18(8):727–733. doi:10.1111/j.1467-9280.2007.01967.x

Coman, A., & Hirst, W. (2015). Social identity and socially shared retrieval-induced forgetting: The effects of group membership. Journal of Experimental Psychology: General, 144, 717–722. http://dx.doi.org/ 10.1037/xge0000077 

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