samedi 30 janvier 2021

L'importance de la métacognition dans l'exercice de la pratique de récupération

Lorsqu’un élève s’engage dans une récupération de connaissances en mémoire précédemment étudiées, comment doit-il procéder pour favoriser un apprentissage à long terme et en profondeur ?

(Photographie : Liam Patrick)



Des connaissances à privilégier pour la pratique de récupération


Ce que nous appelons pratique de récupération en psychologie cognitive correspond à la situation où un élève va se tester et tâcher de restituer ce qu’il a préalablement étudié. Par cette entreprise, il favorise la consolidation de ses connaissances et contribue à générer un apprentissage durable et flexible. 

La pratique de récupération trouve de nombreuses déclinaisons dans les pratiques d’apprentissage et d’enseignement. Elle se révèle régulièrement plus efficace que ses alternatives que sont la relecture, le surlignage, la conception de synthèses ou de cartes conceptuelles. 

L’approche est susceptible de rencontrer certaines limites lorsqu’il s’agit de tâches complexes ou de la résolution de problèmes. Ces objectifs d’apprentissage particuliers présentent pour une part des formats uniques de résolution. Leur réalisation complète en autonomie est contraignante et ne représente pas toujours la manière la plus efficiente d’apprendre les contenus et stratégies associées. Étudier des problèmes résolus est alors parfois plus effectif. 

Cependant, la pratique de récupération semble toutefois être la voie évidente à suivre lorsqu’il s’agit de connaissances simples ou complexes. Il s’agit par exemple du vocabulaire dans un cours de langue ou des définitions des termes clés ou d’autres contenus présentant une terminologie spécifique et une grande interactivité des éléments.




Distinguer la récupération cachée et la récupération ouverte dans le format de la réponse


Une question reste posée dans la recherche de l’optimisation de la pratique de récupération, celle du format de la réponse donnée. Le format de la réponse est susceptible de modérer l’effet de la récupération sur la mémoire des contenus considérés.

Nous pouvons distinguer deux grands types de formats de réponse :

  • La récupération cachée : 
    • Lorsqu’une question lui est posée, l’élève réfléchit mentalement à la réponse sans l’exprimer ouvertement. 
    • Cette approche a l’avantage d’être plus rapide et de nécessiter peu d’investissement, car il n’y a pas de production physique d’une réponse.
    • La recherche de la réponse peut-être moins systématique. Elle est susceptible de n’être pas pleinement exhaustive ou absolument rigoureuse dans ses contenus. 
    • De plus, elle se prête moins à une vérification complète et pourrait laisser des zones d’ombres.
  • La récupération ouverte : 
    • L’élève répond de manière orale, manuscrite ou encode sa réponse sur un écran.
    • La recherche de la réponse par l’élève est sensiblement plus contraignante et coûteuse en matière de temps et d’énergie, car il y a une production physique.
    • La recherche de la réponse est explicite ce qui favorise une recherche exhaustive.
    • La récupération ouverte se prête mieux à une vérification rigoureuse de la réponse.



L’avantage de la récupération ouverte face à la complexité de la réponse


Les exigences de la récupération deviennent plus élevées lorsque les élèves doivent retrouver et relier plusieurs unités d’information afin de représenter précisément leur réponse. Il s’agit. Par exemple de définitions des termes clés ou des contenus plus longs et plus complexes.

L’augmentation de la complexité de la réponse peut rendre moins aisée la récupération cachée et le rendre moins utile que la récupération ouverte. 

Il devient moins aisé d’être exhaustif mentalement et de se vérifier. Les élèves peuvent se retrouver victimes d’un biais de confirmation lors d’une récupération cachée :

  • Si les élèves estiment être familiers avec le contenu à récupérer, cette familiarité peut court-circuiter l’engagement dans une tentative de récupération exhaustive. Ils peuvent se dire qu’ils connaissent déjà ce concept et qu’il n’est dès lors pas nécessaire de le récupérer jusqu’au bout et dans ses moindres détails. 
  • Si les élèves sont peu familiers avec le contenu à récupérer, ils peuvent être tentés de même ne pas essayer de retrouver la réponse et d’y renoncer. 

Dans les deux cas, les élèves n’essaient plus de récupérer les contenus visés de manière exhaustive lorsqu’ils s’entrainent mentalement à se les remémorer. De fait, comme la récupération complète n’est plus là, nous perdons les avantages liés à l’effet de test. 

À l’opposé, si les élèves optent pour une récupération ouverte, ils peuvent être plus enclins à retrouver complètement la définition. Ainsi, par rapport à la recherche cachée, la pratique de la recherche ouverte peut être potentiellement plus bénéfique, d’autant plus qu’il s’agit de contenus plus longs ou complexes. S’ils arrivent à récupérer l’information, l’effet de test agit sur la qualité ultérieure de la mémorisation. S’ils n’arrivent pas à la récupérer, leur inefficacité est clairement perçue et le besoin d’un réapprentissage est clairement établi. 

Sarah Tauber et ses collègues (2017) ont exploré l’hypothèse de supériorité de la récupération ouverte dans le cadre de leurs recherches. Plus précisément, ils ont cherché à voir si différents types de réponses influencent l’efficacité de la pratique de récupération dans le cadre de l’apprentissage des définitions de termes clés.




L’importance du jugement métacognitif dans la récupération ouverte


Dispositif


Un peu moins de cent étudiants ont été invités à apprendre les définitions de termes clés en psychologie. Le choix de l’étude de la définition des termes clés est pertinent. Les étudiants sont souvent obligés de les apprendre, en particulier dans les cours d’introduction qui reposent fortement sur l’apprentissage des termes fondamentaux d’une discipline. 

Par la suite, les étudiants se sont entrainés dans une des trois conditions suivantes :

  • Une récupération ouverte : 
    • Ils ont reçu les termes clés testés. 
    • Ils ont été invités à se rappeler et à taper leurs définitions sur un ordinateur. 
    • Ils ont reçu par la suite une rétroaction sur leurs réponses : les définitions correctes leur ont été présentées.
  • Une récupération cachée : 
    • Ils ont reçu les termes clés testés. 
    • Ils ont été invités à retrouver en silence la définition de chaque terme de manière aussi complète et précise que possible.
    • Ils ont reçu une rétroaction, les définitions correctes leur ont été présentées. 
  • Un nouveau temps d’étude : 
    • Ils ont reçu les termes clés et leurs définitions à nouveau.
    • Ils ont été invités à encoder la définition de chacun d’entre eux sur un écran d’ordinateur. 
    • Le terme clé et la définition étant présents à l’écran, il leur était demandé de taper une copie de la définition dans un champ de texte à l’écran.

Dans chacune des trois conditions, les étudiants ont également porté un jugement métacognitif sur la qualité supposée de leur mémorisation des contenus impliquée. Après la pratique de réétude ou de récupération, les étudiants de chacune des trois conditions ont porté des jugements point par point en évaluant leur niveau de connaissance des termes clés. 

Les étudiants de tous les groupes sont revenus deux jours plus tard pour effectuer un test sur leur connaissance des définitions. 


Résultats 


Sarah Tauber et ses collègues (2017) ont établi un avantage net pour la récupération ouverte. Le résultat au test final était significativement plus important lorsque les étudiants avaient pratiqué une récupération ouverte plutôt qu’après s’être rappelé mentalement les définitions ou après les avoir revues. Il n’y avait pas non plus de différence significative entre la récupération cachée et la réétude. 

Un autre point intéressant a été le jugement métacognitif :

  • Les étudiants engagés dans une récupération ouverte l’ont perçue comme difficile et pleine d’erreurs. Ils ont porté des jugements plus faibles que ceux du groupe de récupération cachée sur la qualité de leur mémorisation. Il se peut que les étudiants des deux autres groupes n’aient pas effectué de recherche exhaustive ou aient simplement supposé qu’ils connaissaient le concept en raison de sa familiarité. 
  • Les étudiants qui ont réétudié le contenu ont manifesté une illusion de maîtrise. Ils ont jugé qu’ils avaient la meilleure qualité de mémorisation. Cela s’est manifesté même si leur mémoire lors du dernier test s’est révélée inférieure à celle des étudiants qui avaient pratiqué ouvertement la récupération et n’était pas différente de celle des étudiants qui ont pratiqué mentalement. 



Seconde expérience


Les résultats de la première expérience ont suscité des questions. 

Il est possible qu’avec des documents complexes tels que les définitions de termes clés, les étudiants du groupe de récupération secrète n’aient pas procédé à une recherche complète. Le biais de confirmation pourrait être la cause de cette contre-performance. 

Un signe favorable est que le jugement métacognitif de ces étudiants était plus positif que ceux du groupe de récupération ouverte.  


Dispositif


Pour valider cette hypothèse, une nouvelle expérience a été réalisée. Dans celle-ci, un second groupe de récupération cachée a été ajouté.

Ces étudiants ont été informés spécifiquement sur la manière de procéder mentalement à une recherche cachée exhaustive :

  1. Ils ont été soumis à des essais pratiques de récupération cachée et de récupération ouverte avant de commencer l’expérience. Ce faisant, les étudiants ont pu comparer les deux types de recherche et ont été informés que leur recherche secrète devait être identique à la recherche ouverte (sauf qu’ils ne devaient pas taper les définitions récupérées). 
  2. Ils ont été informés qu’ils ne devaient pas se fier à leur niveau de familiarité avec chaque terme clé. Ils devaient plutôt essayer de retrouver la définition complète lors de chaque tentative de récupération mentale. 
  3. Ils ont porté un nouveau jugement métacognitif pour chaque terme clé en indiquant la part de chaque définition qui a été récupérée. Ces jugements ont été inclus à la fois pour évaluer l’exhaustivité de la recherche des étudiants et pour les encourager à s’engager dans une recherche exhaustive. 



Résultats


Le fait d’informer, de former et de poser des contraintes qui favorisent l’exhaustivité de la récupération cachée n’a eu aucun effet sur la mémorisation. Les résultats obtenus étaient conformes à la première expérience. Les résultats des deux groupes de recherche cachée, celui informé et celui non informé ne différaient pas.

Il apparait que l’apprentissage est renforcé davantage par une pratique de récupération ouverte que par une pratique de récupération cachée même lorsque les étudiants sont préparés à optimiser la pratique de récupération cachée.



Le risque d’illusion métacognitive dans la récupération cachée


Sarah Tauber et ses collègues (2017) le notent dans leur revue de la recherche. Pour des apprentissages simples, si la pratique de récupération l’emporte largement sur la réétude, il n’y a pas d’avantage strictement différent entre la récupération apparente et la récupération cachée. 

Par contre, comme le révèlent les résultats de Sarah Tauber et ses collègues (2017), le format de réponse devient important pour l’apprentissage des définitions des termes clés plus complexes. Il semble dès lors recommandé d’utiliser le format de récupération ouverte lors de l’utilisation de la pratique de récupération comme stratégie d’apprentissage de contenus complexes. 

La pratique de récupération ouverte implique une réponse explicite écrite, encodée ou orale. Elle encourage les étudiants à s’engager dans une récupération exhaustive de la réponse à une question donnée. 

Il semble exister une faiblesse inhérente à la pratique de recherche cachée pour des contenus complexes, car elle n’implique pas de réponse explicite. Il est dès lors recommandé d’éviter une tentative de récupération cachée pour des contenus complexes. 

Il ne semble pas possible de maîtriser le processus de récupération cachée avec des contenus complexes pour générer un effet de test. La récupération doit être ouverte pour que celui-ci se manifeste. La pratique de récupération cachée est une source d’illusion métacognitive dans le cas de contenus complexes. 

Cependant, lorsque les exigences de la récupération sont faibles, par exemple lorsque les étudiants n’ont besoin de récupérer qu’un seul élément de réponse, la présentation de l’indice déclenche probablement une recherche de la réponse. À ce moment-là, les pratiques cachées et ouvertes ont tendance à produire des tentatives de recherche exhaustives. 

En conclusion, l’apprentissage des élèves est généralement amélioré en pratiquant la récupération pendant l’étude par rapport à la réétude de l’information, mais la façon dont ceux-ci pratiquent la récupération peut avoir son importance. 

L’apprentissage des étudiants sur de grandes unités d’information est davantage amélioré par une pratique de récupération ouverte que par une pratique de récupération cachée. 

La pratique de la recherche ouverte est plus susceptible de favoriser les tentatives de recherche exhaustives et de décourager la dépendance à un niveau général de familiarité avec l’information à apprendre. 


Mis à jour le 17/06/2023


Bibliographie


Tauber, Sarah & Witherby, Amber & Dunlosky, John & Rawson, Katherine & Putnam, Adam & Roediger, Henry. (2017). Does Covert Retrieval Benefit Learning of Key-Term Definitions? Journal of Applied Research in Memory and Cognition. 7. 10.1016/j.jarmac.2016.10.004.

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