samedi 16 mai 2020

Influence de la coercition et du soutien de l’enseignant sur le climat de classe

C’est un sentiment unique, à la fois intimidant et excitant qu’éprouve un nouvel enseignant la première fois qu’il entre seul dans une classe, face à des élèves qu’il va accompagner durant toute une année scolaire. Si cette perception change au fil des années, grâce à l’expérience, cela reste un moment crucial.

(Photographie : Ethan Aaro Jones)




Enjeux relationnels du début de l’année scolaire


L’acquisition de techniques de gestion de classe efficaces même si elle aide l’enseignant, révèle l’importance de mettre en place de bonnes interactions dès le départ. L’établissement d’un environnement de travail positif est toujours un défi. Il demande que nous y prêtions une attention soutenue. L’enseignement et l’apprentissage peuvent alors se dérouler à travers des interactions chaleureuses et positives, entre l’enseignant et ses élèves, et entre élèves.

L’occurrence de relations positives entre un enseignant et ses élèves n’est jamais gagnée d’avance. Souvent, elles ne s’installent pas souvent naturellement sans qu’on y prête attention. Elles se construisent, elles demandent un comportement délibéré de la part de l’enseignant.

En tant qu’enseignants, référents adultes dans la classe, nous démarrons avec des attentes sur le type d’atmosphère de classe que nous souhaitons établir. Nos élèves partent également avec une idée de ce à quoi ils peuvent s’attendre ou espèrent. Les différentes attentes peuvent être similaires, se rejoindre, mais leur obtention va dépendre de la capacité de l’enseignant à travailler à leur établissement. Pour ce faire, il doit manifester une attitude ouverte, vigilante, proactive, préventive, anticipative face à la dynamique de la classe.



Promouvoir la dimension sociale positive des relations en classe


L’enseignant n’est pas qu’un enseignant et les élèves ne sont pas que des élèves. Nous sommes avant tout des êtres humains entiers. Le réseau relationnel dans lequel nous sommes impliqués en classe est donc forcément complexe. Il ne peut simplement s’inscrire pour les élèves dans une simple soumission à la position d’autorité de l’enseignant.

En tant qu’enseignants, nous agissons comme des agents de socialisation importants par notre fonction. Nous véhiculons et incarnons des valeurs, des aspirations et nous exprimons des comportements qui préparent peu à peu les élèves à leur vie adulte.

L’enseignant se doit d’être un agent médiateur du bien-être social. Il doit protéger les élèves vulnérables, promouvoir les idées d’égalité et de diversité, les éduquer et les instruire tous. Il vise à créer des conditions d’apprentissage optimales pour tous, ce qui est loin d’être simple.

À travers la variation de ses interactions, l’enseignant peut contribuer à la promotion d’un bon comportement qui se trouve au cœur d’un climat positif en classe. C’est la question qui est explorée dans cet article.

Les comportements que nous attendons de nous-mêmes et de nos élèves, ainsi que les comportements que les autres attendent de nous, créent un climat unique en classe.

La façon dont nous considérons, soutenons, ignorons ou réagissons face aux comportements de chacun au sein de la classe, façonne les diverses relations en classe. Il s’agit de celles entre nous et les élèves, entre les élèves et leurs pairs, et entre chaque élève et son propre apprentissage.

Nous œuvrons avec des dimensions bien plus fondamentales et larges que la simple idée réductrice qu’il suffit d’enseigner de manière intéressante et passionnante, en sélectionnant des activités stimulantes pour créer un climat de classe positif. Même si l’influence d’un enseignement inspirant y contribue.



L’influence de la perception des élèves sur les relations sociales dans la classe


La façon dont les élèves perçoivent le climat social de leur classe, et en particulier la façon dont les élèves perçoivent leur enseignant sur le plan interpersonnel, sera fortement liée :
  • À leurs résultats scolaires
  • À leur bien-être
  • À leur développement psychosocial

Plus un enseignant sera chaleureux, cadrant et compréhensif, plus ses élèves éprouveront un sentiment d’appartenance à la classe. Ils tendront à s’engager dans les activités qu’il leur propose.

Par contre, si un enseignant agit de manière offensive, contrôlante et coercitive, l’apprentissage s’en trouvera affecté et ses élèves se plaindront davantage de problèmes psychologiques et somatiques.

Le climat social correspond à l’aspect social de l’environnement de la classe :
  • Il fait référence à la qualité des relations sociales dans la classe.
  • Ces relations peuvent être conceptualisées en matière de perceptions interpersonnelles que les élèves et les enseignants ont les uns des autres.

Un niveau moyen d’influence et un niveau de proximité de l’enseignant relativement élevé ont un effet très positif sur le climat de coopération en classe. Leurs élèves vont atteindre des résultats cognitifs plus élevés et manifester des attitudes plus positives par rapport à la matière enseignée. Elles seront moindres lors de cours où l’enseignant est perçu comme ayant un faible niveau d’influence et de proximité.


Deux formes de comportement opposées de l’enseignant jouent un rôle essentiel sur le développement du climat social de la classe, il s’agit des comportements coercitifs ou des comportements de soutien que peut manifester un enseignant. Ces formes de comportement ont une influence sur sa variabilité par leur saillance, c’est-à-dire par la manière dont ils sont remarqués par les élèves. En effet, ils n’échappent pas à l’attention des élèves et à leur interprétation.



Comportements coercitifs des enseignants à éviter


Un comportement coercitif ou conflictuel de la part de l’enseignant peut modifier le climat social de la classe de façon temporaire ou permanente. On peut s’interroger sur l’impact qu’il a sur la perception par les élèves de l’influence et de la proximité de l’enseignant.

Un degré suffisant de discipline en classe est nécessaire pour maintenir une atmosphère propice à l’apprentissage des élèves. Un enseignant efficace va effectuer essentiellement des démarches préventives (80 % en moyenne de ses actions en gestion de classe). Le fait de réagir à des comportements perturbateurs (20 % en moyenne d’actions en gestion de classe d’un enseignant efficace) est également une composante qui permet d’assurer un bon climat social. De bonnes intentions et interactions de l’enseignant et des cours bien planifiés peuvent ne pas avoir l’impact souhaité si les élèves ne réagissent pas ou se comportent mal en classe.

Cependant, la manière dont un enseignant maintient un climat de classe constructif est cruciale. Des routines claires et enseignées, des attentes élevées, une vigilance et un soutien continu peuvent servir de cadre structurel aux élèves. Ils leur permettent de mieux autoréguler leurs activités de manière appropriée. Les conséquences des alternatives de comportement non attendues sont prévisibles.

À l’opposé, des actions visant à gagner le contrôle que les élèves perçoivent comme coercitives ont un effet négatif sur le climat social et l’apprentissage des élèves.

De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de comportements coercitifs chez l’enseignant ? La discipline coercitive comprend :
  • Le sarcasme
  • Les cris
  • La manifestation de colère ou d’insatisfaction
  • La mauvaise humeur, l’agressivité verbale ou l’agacement
  • Le manque de patience
  • Le manque d’attention aux difficultés des élèves
  • La propension à donner des punitions
  • Les menaces non suivies de conséquences

Ces comportements sont saillants dans la mesure où ils attirent l’attention des élèves et génèrent chez eux des émotions négatives. Les élèves sont distraits par de tels comportements disciplinaires chez l’enseignant, qu’ils perçoivent comme coercitifs. Ils sont en général affectés négativement dès qu’ils en sont spectateurs.

Ces enseignants sont perçus comme véhiculant chez certains élèves une forte valeur négative d’échec, ce qui tend à augmenter l’occurrence d’émotions telles que l’anxiété, l’injustice et la colère. Les élèves interprètent négativement la manifestation d’un comportement inadéquat chez l’enseignant. Celui-ci le fait paraître comme incompétent, indolent ou plus particulièrement offensant. Cela crée pour les élèves une interférence négative avec l’engagement dans les activités d’enseignement et leur apprentissage.

Au plus l’enseignant manifeste un comportement coercitif, au moins les élèves percevront de la proximité avec lui. Un comportement coercitif de l’enseignant serait associé négativement à la proximité interpersonnelle d’un enseignant en classe. Le recours à un comportement coercitif perturbe immédiatement la relation entre l’enseignant et la classe, et est associé à une moindre proximité même une semaine plus tard (Mainhard, 2011). L’effet délétère du comportement coercitif sur la proximité n’est pas temporaire et ne disparaît pas dans le courant continu du comportement des enseignants en classe.

Nous pourrions nous attendre à ce que les enseignants qui présentent ce type de comportement puissent gagner malgré tout en influence parce que les élèves se conforment à l’étalage du pouvoir de l’enseignant. Il n’en est rien et si elle se manifeste, elle sera factice et non durable.

Il semble que les stratégies coercitives ne soient pas associées au développement d’une plus grande influence. Au contraire, certaines études montrent que les stratégies coercitives sont associées à un plus grand nombre de mauvais comportements ultérieurs des élèves (Miller, Ferguson et Byrne, 2000 ; Lewis et coll., 2005).

Ces résultats mettent en évidence une conception erronée relativement commune parmi les enseignants. Il est intuitivement évident qu’un comportement coercitif va forcément nuire à la proximité. Cependant, certains enseignants peuvent plus ou moins délibérément sacrifier l’aspect de la proximité parce qu’ils pensent qu’ils vont rétablir ou consolider leur influence, leur autorité sur la classe. Ce n’est pas le cas ! Des mesures disciplinaires peuvent parfois être nécessaires, mais elles sont susceptibles également de ruiner l’atmosphère d’une classe lorsqu’elles sont perçues comme coercitives.

Cette relation doit nous pousser à privilégier des interventions correctives mineures, certaines et discrètes, plutôt qu’intenses, aléatoires et publiques, et à nous comporter de la manière la moins agressive possible. Des manifestations plus coercitives doivent être réservées à des situations de comportement perturbateur majeur des élèves, non resolvables autrement. Ce sont par exemple les cas qui incluent une situation de danger.



Comportements de soutien des enseignants à promouvoir


Des comportements de l’enseignant que les élèves perçoivent comme chaleureux et attentionné sont considérés comme essentiels pour créer un contexte d’apprentissage efficace.

En favorisant un climat social positif en classe, ces comportements constituent également un facteur de motivation pour les élèves. Il n’y a cependant à proprement parler, pas de solution miracle, pas de « silver bullet » qui marcherait à tous les coups, pour tous les enseignants, tous les élèves et tous les contextes de classe. Il y a pour autant de bonnes pratiques.

Le cadre dans lequel ils s’expriment est important également. L’influence ou la proximité de l’enseignant dépendent également de la manière dont il exploite les caractéristiques identifiées d’un enseignement et d’une gestion de classe efficaces. La manifestation d’attentes élevées couplées au soutien est à ce titre à la fois une cause et une conséquence de l’amélioration des facteurs d’influence et de proximité.

Voir article : Nourrir des attentes élevées en tant qu’enseignant

On retrouve également dans la question de l’authenticité de l’enseignant :

Voir article : Comment se construit l’authenticité chez l’enseignant ?
Voir article : Que signifie être authentique lorsque l’on est enseignant ? Les attentes des élèves.

Parmi les facteurs comportementaux occasionnels de soutien susceptibles d’avoir un effet, on retrouve :
  • Encourager un comportement positif des élèves (renforcement positif)
  • Fournir un soutien scolaire aux élèves et s’assurer de leur bonne compréhension
  • Être attentif et réceptif à l’état émotionnel des élèves
  • Utiliser un humour perçu par les élèves comme approprié et non offensant
  • Initier et entreprendre des activités que les élèves jugent adaptées, intéressantes, authentiques ou qui offrent des opportunités de réussite.

L’effet positif de l’humour est lié à la perception que vont en avoir les élèves. Il semble que l’humour approprié est positivement lié à l’immédiateté de l’enseignant. Il joue sur un effet de surprise. Il s’agit d’un facteur de proximité émotionnelle avec l’enseignant. Il est susceptible de réduire la tension ressentie par les élèves, alors que la discipline coercitive de la part de l’enseignant augmente leur anxiété. Mené avec doigté, l’humour peut participer à l’établissement d’un climat de classe positif et peut faire acte de prévention, parfois de solution face à des perturbations mineures en classe.

Le grand avantage de l’humour est son effet tampon et son pouvoir d’atténuation du stress et la promotion du bien-être psychologique. Manié très subtilement, l’humour chez l’enseignant, plus particulièrement le second degré sur soi-même peut favoriser l’affect positif chez les élèves et renforcer leur intérêt pour le cours et par conséquent, leur apprentissage.

Les comportements de soutien adoptés par un enseignant ont un effet bénéfique net sur l’amélioration à long terme de la perception de proximité que ses élèves ont de lui. Cependant, l’effet sur la perception de l’influence de l’enseignant est plus marginal. Le comportement de soutien ne s’accompagne pas d’une perte d’influence, mais son amélioration est marginale. Il n’y a pas de relations significatives entre l’occurrence de comportements de soutien et l’amélioration de l’influence qu’un enseignant exerce sur ses élèves.



Cultiver la proximité en classe


Un comportement coercitif des enseignants va dégrader progressivement la perception de proximité ressentie par les élèves. Il ne contribue pas non plus au développement de l’influence que l’enseignant exerce sur ses élèves. L’influence de celui-ci tend à régresser plutôt qu’à s’améliorer.

Un comportement de soutien de l’enseignant va contribuer à la proximité perçue par ses élèves. Les comportements de soutien sont efficaces et constituent également un investissement pour un avenir proche. Cependant, ils n’améliorent pas l’influence que l’enseignant exerce sur ses élèves.

La dimension de proximité est soumise à plus d’influences situationnelles (c’est-à-dire en classe) que la dimension de l’influence qui semble plus organisationnelle. Cette dernière dépend plus du cadre de la gestion de classe et de l’authenticité de l’enseignant (liée à son efficacité perçue).


Mise à jour le 25/08/2022



Bibliographie


Mainhard, M. T., Brekelmans, M. & Wubbels, T. (2011). Coercive and supportive teacher behaviour: Within- and across-lesson associations with the classroom social climate. Learning and Instruction, 21 (3), (pp. 345–354) (10 p.).

David Armstrong, Understanding Child & Adolescent Behaviour in the Classroom, pp 13–14, Cambridge, 2016

Miller, A., Ferguson, E., & Byrne, I. (2000) Pupils’ causal attributions for difficult classroom behaviour. British Journal of Educational Psychology, 70(1), 85–96.

Lewis, R., Romi, S., Qui, X., & Katz, Y. J. (2005). Teachers’ classroom discipline and student misbehavior in Australia, China and Israel. Teaching and Teacher Education, 21(6), 729–741.

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