lundi 11 mai 2020

L’évaluation formative comme passerelle entre enseignement et apprentissage

L’évaluation formative part d’un objectif simple pour l’enseignant, mais complexe dans sa réalisation. La conception des situations d’apprentissage doit intégrer l’imprévisibilité de l’acquisition des connaissances par les élèves et permettre d’établir un diagnostic cohérent sur là où en sont les élèves.

(Photographie : Beat Billson)





L’évaluation a donc un rôle clé à jouer en établissant un lien entre les activités scolaires programmées par l’enseignant et les gains de compétences qui en résultent chez les élèves. Elle doit permettre une prise en compte des différences dans les parcours individuels d’apprentissage dans le sens d’une réduction des écarts et d’une augmentation du niveau général.

En d’autres termes, l’évaluation sert de passerelle entre l’enseignement et l’apprentissage. Il s’agit d’un retour d’information bidirectionnel qui vise à adapter l’enseignement et guider l’apprentissage.



Rétroaction en ingénierie


La rétroaction est un concept qui a été développé dans le cadre de l’ingénierie des systèmes. Dans ce cadre, nous pouvons distinguer deux formes de rétroaction :
  • La rétroaction positive conforte un système dans la trajectoire qu’il a déjà empruntée.
    • Il s’agit par exemple :
      • De la croissance d’une population qui vit dans l’abondance de nourriture et sans prédateurs
      • D’une spirale inflationniste des prix et des salaires en économie
      • Dans le cadre de l’espèce humaine lors de l’accouchement, le déclenchement des contractions au-delà d’une certaine fréquence tend à augmenter peu à peu naturellement leur rythme et leur importance.
    • Cette forme de rétroaction est qualifiée de positive, car son effet et la tendance du système sont orientés dans le même sens.
  • La rétroaction négative s’oppose à la tendance du système
    • Il s’agit par exemple :
      • Du fait que la nature limitée des ressources naturelles d’un milieu écologique va restreindre la croissance d’une population animale donnée.
      • Un thermostat dans une habitation va conserver la température entre une valeur minimale et maximale. 
      • Un autre exemple, en situation normale, lorsque nous avons trop chaud, nous transpirons pour faire baisser notre température. Lorsque nous avons trop froid, nous frissonnons pour nous réchauffer.
    • Cette forme de rétroaction est qualifiée de négative, car son effet a pour conséquence de rétablir la stabilité du système et va à l’encontre de ses tendances. L’effet évolue dans le sens opposé à la tendance du système.
En ingénierie, la rétroaction positive est stérile, car elle est synonyme d’instabilité et donc de croissance exponentielle ou d’effondrement. En revanche, la rétroaction négative contribue à maintenir le système à l’équilibre dans des conditions optimales.



Rétroaction dans l’éducation


Le concept de rétroaction est employé très différemment dans l’enseignement comparé à l’ingénierie des systèmes.

Il y a rétroaction (négative) pour un ingénieur lorsque le système peut utiliser le retour d’information pour influer sur son fonctionnement. La rétroaction (négative) est une information sur l’écart entre le niveau atteint et le niveau de référence d’un paramètre du système, que nous utilisons pour réduire cet écart.

Les enseignants emploient souvent le terme de rétroaction pour décrire toute information fournie à un élève sur ses performances, que cette information permette ou non de réduire l’écart. 

Si nous prenons le terme au sens de l’ingénieur, la rétroaction n’est pas une simple information donnée à l’élève sur ses performances, mais doit orienter les actions de ce dernier de manière productive. Si elle ne se traduit pas par un effet, il ne s’agit pas d’une rétroaction selon sa définition en ingénierie. Par conséquent, si une rétroaction délivrée après une performance d’un élève ne se traduit pas par une adaptation de l’enseignement ou des démarches d’apprentissage, elle perd toute sa substance.

Deuxièmement, les qualificatifs positif et négatif sont employés dans le domaine de l’éducation. La différence est que ces termes tendent à être employés dans une perspective complètement différente. Il ne s’agit plus d’une question technique, mais d’un jugement de valeur sur les effets de la rétroaction :
  • La rétroaction a une teneur positive lorsqu’elle indique que l’élève est sur la bonne voie. Cela correspond bien à la définition de l’ingénieur. Elle vient ainsi renforcer l’apprentissage de l’apprenant et l’enseignement fourni par l’enseignant. Toutefois, il s’agit plus de maintenir les efforts que de les accentuer. Nous voulons que l’élève continue sur la bonne voie.
  • La rétroaction négative indique que l’apprenant n’est pas sur la bonne voie. Cela correspond bien à la définition de l’ingénieur. Elle vient ainsi questionner l’apprentissage de l’élève et l’enseignement fourni par l’enseignant sur leurs divergences. Elle implique qu’une réaction est nécessaire pour inverser l’évolution de la situation.



Rétroaction en contexte humain


Là où cela devient moins évident, c’est que dans le sens de l’ingénieur ou dans un contexte médical classique, la rétroaction influe sur le système dans un sens ou dans l’autre. Il s’agit d’un système contrôlable en fonction de paramètres techniques, qui peut comporter des dysfonctionnements, mais ceux-ci sont explicables. 

Par exemple, un chauffage tombe en panne et il faut le réparer, la glycémie est déréglée pour raison de diabète et il faut envisager un traitement médical adéquat.

L’interprétation et les effets sont d’une nature plus aléatoire dans le domaine de l’éducation. Le système est ici dans un certain sens l’élève lui-même. L’apprentissage est pour une grande part sous le contrôle de l’élève d’une manière pas toujours entièrement prévisible.

Prenons la situation d’un élève auprès duquel un enseignant vient de faire une rétroaction négative, car il ne remplit pas les attentes. L’enseignant souhaite lui envoyer comme message qu’il doit redoubler d’efforts, car il met en danger sa réussite. L’enseignant lui envoie donc une rétroaction négative.

Dans le sens de l’ingénieur, cette rétroaction négative est supposée entrainer un surcroit d’efforts.

Dans le cas de l’enseignant, tous les paramètres ne sont pas entre ses mains. Si l’élève peut réagir et augmenter ses efforts, il est également tout à fait envisageable qu’il relâche ses efforts et se démotive, cet effet est parfois en lien avec le contenu ou la forme de la rétroaction.

Dans ce cas, techniquement pour un enseignant, la rétroaction reste négative. Cependant, dans la définition de l’ingénieur, la rétroaction est alors positive, car elle entraine l’élève à poursuivre dans la même direction (qui ici n’est pas la bonne et correspond à une spirale de l’échec).

Dans le secteur éducatif, une rétroaction fournie par l’enseignant à un élève est susceptible de ne pas marcher ou d’être contreproductive, malgré de bonnes intentions.



Rétroaction et autonomie


Dans le domaine de l’ingénierie, la rétroaction est un paramètre de contrôle des systèmes et à ce titre, elle est nécessaire comme peut l’être un thermostat sur un système de chauffage central. Elle l’est aussi dans la physiologie de l’être humain si nous considérons l’homéostasie par exemple au niveau du maintien de la glycémie ou de la température interne du corps.

Le contexte n’est pas le même dans le cadre de l’enseignement, car nous souhaitons que les élèves développent des capacités d’autonomie face à leurs apprentissages.

Il est souhaitable que nos élèves puissent peu à peu développer leurs compétences d’autorégulation et aient au fur et à mesure moins besoin de rétroaction.

Un enjeu supplémentaire pour l’enseignant est d’éviter que ne se crée une dépendance de l’élève face à la rétroaction qu’il peut lui offrir. D’autant que la rétroaction dans sa dimension individualisée est couteuse en temps pour l’enseignant.



Difficultés de la rétroaction dans un contexte pédagogique


Fournir une rétroaction qui porte ses fruits auprès d’un apprenant est moins aisé qu’auprès d’une machine qui réagira toujours de manière plus prévisible au changement d’un paramètre. De même, c’est moins simple que dans un contexte médical, car le contexte psychologique va jouer un grand rôle dans le cas de l’apprentissage.

Chez l’élève, différentes influences entrent en compétition, le sentiment d’efficacité, l’intérêt, la motivation, le contexte relationnel, etc., toute une panoplie de composantes psychologiques, environnementales, familiales, culturelles, socio-économiques et physiologiques.

Il est dès lors nettement plus difficile et complexe d’élaborer de manière générale un système de rétroaction efficace dans l’absolu et entièrement fiable pour l’enseignement. Mais pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de pistes d’action.

Il s’agit d’un paramètre sur lequel existent des marges d’action certaines en matière d’amélioration et d’efficience.

Un autre écueil au développement d’une rétroaction efficace dans les établissements scolaires est le manque de compréhension, de mise en œuvre et d’intégration des processus de l’évaluation formative. En effet, trop souvent les enseignants la négligent pour préférer une évaluation sommative qui vise à attribuer des notes et à mesurer le volume des connaissances acquises.



Potentiel de la rétroaction dans un contexte pédagogique


Les études montrent que la rétroaction peut sensiblement améliorer les résultats scolaires. D’après Dylan William, pour les mesures normalisées du rendement scolaire, une taille d’effet voisine de 0,4 peut être observée grâce à la pratique de la rétroaction face à son absence.

Cela indique une augmentation d’au moins 50 % du rythme d’apprentissage. En d’autres termes, les élèves peuvent apprendre en huit mois ce que d’autres mettraient en moyenne un an à assimiler. Il s’agit donc d’une augmentation substantielle de la productivité éducative.





Mise à jour le 11/11/2024

Bibliographie


Wiliam, D. (2010), « Le rôle de l’évaluation formative dans les environnements d’apprentissage efficaces », dans Dumont, H., D. Istance et F. Benavides (dir. pub.), Comment apprend-on ? : La recherche au service de la pratique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264086944-8-fr.

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