dimanche 17 février 2019

Écarts de conduite en gestion de classe

Pour bien comprendre l’objet de la gestion de classe, il y a lieu de s’intéresser, de saisir la nature, les caractéristiques et la complexité de l’obstacle principal auquel elle fait potentiellement face. Il s’agit des perturbations en classe ou des écarts de conduite.




Identifier et classer les écarts de conduite en gestion du comportement


Les écarts de conduite peuvent être situés sur un continuum entre deux extrêmes :
  • Le comportement de l’élève interrompt fréquemment ou de manière nette le bon déroulement du cours, hypothéquant l’apprentissage des élèves d’une classe : 
    • Nous pouvons avoir un élève qui renverse sa table dans un mouvement de rage, se montre agressif ou intervient régulièrement et de façon impromptue de manière non pertinente. 
  • Le comportement de l’élève ne dérange que lui-même ou l’un ou l’autre élève autour de lui.
    • Nous pouvons avoir un élève qui regarde par la fenêtre ou se laisse distraire par ses pensées pour finalement ne déranger que lui-même, qui oublie ses affaires ou bavarde avec ses voisins pendant les explications de l’enseignant. 
Invariablement, en classe, il vient un temps où les dimensions préventives liées à la gestion du comportement ne suffisent plus. Des comportements indésirables apparaissent et si nous n’intervenons pas, ils vont menacer, en se reproduisant et en s’étendant, de dégrader sérieusement le fonctionnement harmonieux de la classe.

Ils mettent en danger durablement les apprentissages de tous les élèves et l’efficacité générale de l’enseignement. L’enseignant se doit d’agir, afin de faire cesser ces comportements inadéquats pour permettre à l’enseignement et à l’apprentissage de reprendre.

Pour ce faire, il est utile de classer les perturbations de manière précise et d’adopter un continuum d’interventions. Typiquement, les écarts de conduite sont classés en deux types : mineurs ou majeurs.

Il est toujours utile pour un enseignant de pouvoir distinguer aisément et avec cohérence ce qui constitue un écart de conduite en classe. De même, il doit pouvoir déterminer instantanément si un comportement peut être considéré comme mineur ou majeur. 

Dans le cadre de l’approche du soutien au comportement positif, lors de sa phase de préparation, l’équipe en charge de la conception du système en école, est amenée à établir une classification délimitant :
  • Les écarts de conduite mineurs, qui doivent être gérés directement par le personnel scolaire : 
    • Ceux qui nuisent personnellement à l’apprentissage de l’élève.
    • Ceux qui nuisent à l’apprentissage de l’élève et d’autres autour de lui.
  • Les écarts de conduite majeurs, nécessitant que l’élève soit retiré du milieu dans lequel il se trouve et que ce dernier soit pris en charge par la direction ou le personnel compétent :
    • Les écarts mineurs qui se maintiennent et répètent malgré l’intervention de l’enseignant.
    • Les comportements qui nuisent à l’ordre général.
    • Les comportements qui blessent ou sont illégaux.
En fonction de la population scolaire, de la culture de l’école, de son contexte et de ses caractéristiques, cette classification peut varier, c’est pourquoi ce travail doit être fait en interne.

(Exemple de classification — source : Steve Bissonnette, Vivre le primaire, hiver 2017)

L’avantage de réaliser cette classification de référence à l’échelle de l’école est qu’elle permet ensuite aux enseignants d’être cohérents entre eux dans leurs attentes. Au-delà, cela permet également de définir des interventions communes et des protocoles d’action pour la gestion des écarts de conduite mineurs et majeurs.

À terme, nous pouvons aboutir à la création d’un arbre décisionnel indiquant clairement à tout le personnel de l’école la responsabilité de chacun et la répartition des rôles en cas d’écart de conduite majeur ou mineur.



De l’importance et de la responsabilité d’intervenir 


Le principe est que, quelle que soit la nature de l’écart de conduite, dans le cadre de ses fonctions, l’enseignant doit faire cesser le comportement inapproprié. Il s’agit de restaurer rapidement l’ordre de la classe et d’assurer le suivi de la perturbation.

Menées efficacement, ces interventions ne sont pas inutiles. Les actions de l’enseignant pour faire cesser et rediriger les comportements inappropriés sont efficaces pour faire diminuer les moments de rupture dans la poursuite de l’enseignement et des activités d’apprentissage en classe.

Il est bien de faire usage des interventions positives qui visent à établir des limites, à communiquer les règles et leurs conséquences et à aider les élèves à prendre leurs responsabilités pour faire les bons choix de comportement

Toutefois, ces interventions ont des limites et l’enseignant doit parfois intervenir de manière corrective pour rétablir l’ordre dans la classe afin de maintenir un climat propice aux apprentissages.

Si l’enseignant se montre tolérant ou tarde à intervenir, les conséquences se feront ressentir sur l’apprentissage de la classe entière et l’enseignement perdra en efficacité.



Paramètres à prendre en compte lors d’une intervention


Les interventions durant le cours des activités pour stopper un comportement indésirable sont basées sur trois éléments :
  1. La nature du comportement : sa nature majeure ou mineure, ainsi que sa fréquence.
  2. Le ou les auteurs : connaissances des caractéristiques des élèves impliqués, historique et qualité générale de la relation établie précédemment avec eux et de leur sentiment d’appartenance.
  3. Les circonstances : heure de la journée, autres élèves présents, activités en cours ou évènements antérieurs.
Un comportement indésirable est un acte en contexte interprété tel quel par ceux qui en sont les témoins. Le jugement posé par l’enseignant n’est pas aisé, car il dépend des circonstances entourant l’acte, de sa subjectivité et de ses émotions propres.

Des actes similaires peuvent avoir des portées différentes selon celui qui les commet, celui qui les observe et le contexte entourant la faute. C’est pourquoi en gestion de classe, l’enseignant doit faire preuve de vigilance, tâcher de savoir ce qui se passe constamment (withitness) et intervenir avant que la situation ne se complexifie.



Prendre en compte la notion de préservation du vecteur d’action


La clé pour bien comprendre l’impact du comportement indésirable est pour l’enseignant de bien percevoir ce que les élèves ont à faire dans la classe, c’est-à-dire le vecteur d’action principal. Cela lui permet de saisir ce qui pourrait entraver ce vecteur principal d’activité.

Un comportement indésirable est tout comportement adopté par un ou plusieurs élèves qui, selon la perception de l’enseignant, crée un vecteur d’action secondaire contraire. Celui-ci nuit au vecteur d’action principal ou du moins entre en concurrence avec lui à un moment donné du cours.

Le comportement perturbateur est un autre vecteur d’activité qui est public ou deviendra visible pour une bonne partie de la classe. Il est susceptible d’être contagieux ou capable de s’étendre rapidement auprès des autres membres de la classe. De fait, il est susceptible d’entrer en compétition avec le vecteur d’action principal.

Le comportement indésirable crée des fractures dans le vecteur principal d’action ou affaiblit son efficacité.

Toute infraction à la règle ne brise pas le vecteur principal d’action mis peut en diminuer l’efficacité :
  • Par exemple, un élève intervient spontanément pour donner une réponse à une question, sans qu’il soit préalablement autorisé. 
  • Un autre exemple est le cas où un élève pose une question directement à l’enseignant sans lever le doigt. 
  • Autre cas, un élève travaille discrètement sur un autre cours pendant que l’enseignant explique.
Dans chacun de ces cas, le vecteur principal d’action n’est pas réellement interrompu, mais le travail de l’enseignant sera moins efficace au total.

Interroger au hasard, lever le doigt et attendre que l’enseignant donne la parole ou s’engager sur les tâches demandées sont des facteurs d’efficacité de l’enseignement. Si elles sont fréquemment enfreintes, elles représenteront un coût net pour l’apprentissage global de la classe et représentent des fissures dans la gestion de la classe qui risquent de s’amplifier.



Déterminer quand intervenir en fonction du vecteur d’action principal


En fonction des circonstances, pour des perturbations d’ordre mineur, l’enseignant peut choisir d’intervenir ou de ne pas intervenir de suite. Il peut postposer, si cela risque au contraire de faire se propager des vecteurs d’action secondaire. Il s’agit d’être stratégique pour promouvoir un ordre social propice aux apprentissages. Il pourrait ainsi prévoir un renforcement et un nouvel enseignement de quelques routines de classes improprement appliquées dès le cours suivant tout en laissant le vecteur principal d’action se poursuivre durant le cours considéré.

Le principe est donc de ne jamais briser le vecteur d’action principal d’action. Il s’agit d’intervenir le plus préventivement ou rapidement possible auprès d’élèves désengagés ou en écart de conduire, mais sans intervention publique. L’enseignant se rapproche de l’élève concerné, le regarde ou lui fait un signe ou une remarque la plus discrète possible. L’idée est que les élèves restent dans le fil du cours et ne soient pas distraits par l’intervention de l’enseignement. Interpeller un élève directement à haute voix en classe est donc à éviter autant que possible. 



Prendre en compte la possibilité de troubles du comportement


Comme l’écrit David Armstrong (et coll. 2016), catégoriser un élève comme perturbateur ou difficile en fonction des écarts de comportements qu’il manifeste en classe est pratique pour les enseignants qui ont beaucoup de facteurs à gérer en classe. Cependant, cela revêt aussi une dimension réductrice si nous nous arrêtons là.

Cela peut mener à exclure et cataloguer des élèves vulnérables qui peuvent souffrir de troubles du comportement et qui peuvent avoir des besoins émotionnels ou scolaires spécifiques non rencontrés.

En insistant sur le fait que la perturbation émane l’élève, les autres facteurs environnementaux sont mis entre parenthèses. Il convient au contraire de prendre en compte les différents paramètres du comportement en question. 

Nous pouvons estimer que 5 % des élèves sont statistiquement susceptibles de présenter un trouble du comportement et ne pas répondre aux interventions de niveau 1 et de niveau 2 dans le cadre de la réponse à l’intervention. 

Au sein d’une école, les enseignants doivent être capables de déceler s’il est nécessaire de faire appel à des professionnels capables par exemple d’effectuer une analyse appliquée du comportement :
  • Les enseignants ont-ils besoin d’un soutien supplémentaire pour répondre aux besoins de l’élève ?
  • Les élèves concernés ont-ils besoin d’un accompagnement externe à l’école ?



Être attentif à d’autres comportements préoccupants


La dichotomie habituelle entre comportements perturbateurs et les comportements difficiles est ordre pratique dans le cadre de l’organisation de la discipline d’un établissement. Elle permet de se définir une politique commune comme l’écrit David Armstrong (et coll., 2016).

Cependant, force est de reconnaître qu’il y a un recouvrement entre les deux domaines, une zone floue où il est parfois difficile de placer une valeur seuil entre les deux.

De plus, d’autres comportements relativement courants qui ne sont pas clairement dans l’une ou l’autre de ces catégories et sont parfois négligés. Leur tort est d’être discrets, d’être moins saillants, ce qui fait qu’il est plus facile de les ignorer tacitement ou de simplement ne pas les remarquer ou ne pas s’en émouvoir. Pour autant, les conséquences pour les élèves incriminés restent importantes.

Il s’agit par exemple de :
  • L’intimidation, le harcèlement, la discrimination (en particulier sous leurs formes les plus subtiles)
  • Le retrait social, lorsqu’un élève se met en retrait des autres et de ses groupes sociaux habituels et devient de plus en plus taciturne, en retrait et renfermé, fuit la communication
  • Une perte manifeste de la confiance d’un élève en ses propres capacités et en sa propre valeur.
  • Une chute soudaine et inexpliquée des résultats scolaires
  • Un comportement et des attitudes qui montrent un élève éteint, déprimé, dépressif, ou qui présente un changement marqué de l’estime de soi ou un état d’anxiété accru
  • Un état de colère et d’énervement accru et plus ou moins contenu, de l’agitation, le tout pour une raison inconnue, mais il ne l’exprime pas actuellement dans son comportement envers les autres
  • Des crises de larmes où l’élève semble chargé émotionnellement sans raison claire
  • Une incapacité à s’adapter : parfois, un élève ne peut manifestement pas fonctionner émotionnellement dans le cadre de certains contextes de classe. Cette réaction a souvent des répercussions négatives sur son bien-être et sa présence en classe.
  • Un manque d’empathie, lorsqu’un élève fait preuve d’un manque d’empathie inquiétant pour les autres, mais ne présente pas de comportement perturbateur ou difficile.
  • L’ennui et la démotivation : un élève réagit de cette façon parce que le niveau de travail qui leur est demandé est d’un niveau trop faible ou trop difficile, pour qu’un engagement signifiant soit possible.
  • Les signes de traumatisme, où un élève ne peut pas réguler ses émotions, régresse socialement ou intellectuellement, se retire, est triste, irritable ou anxieux, a une mauvaise concentration, est méfiant ou a des difficultés d’apprentissage en général.
Le bien-être et la santé mentale des élèves et du personnel scolaire sont un sujet d’importance. C’est une composante de la santé globale des individus.

La santé mentale à l’école prend appui sur le développement socioaffectif des élèves. Elle est fonction de divers facteurs. Une certitude existe. Les élèves qui ne reçoivent pas de soutien efficace en santé mentale sont plus susceptibles d’avoir de moins bons résultats scolaires. Ils vont témoigner d’une moins grande assiduité, de capacités de concentrations diminuées ainsi qu’un risque d’échec et d’abandon scolaires sans diplôme plus élevé.

L’école n’est certes pas le seul acteur quand de telles problématiques s’installent, mais elle peut jouer son rôle et chercher de l’aide à temps.



Pour poursuivre 


Voir l’article sur les écarts de conduite mineurs.
Voir celui sur les écarts de conduite majeurs.
Voir l’article sur la nature des interventions correctives. 



Mis à jour le 26/01/2023 

Bibliographie


Edmund T. Emmer, Carolyn M. Evertson, Classroom Management for middle and high school teachers, Pearson, 2017

Steve Bissonnette, l’enseignement explicite des comportements, Conférence à l’UMons, 2018, https://youtu.be/o_2G8cjPJqA

Steve Bissonnette, Clermont Gauthier & Mireille Castonguay, l’enseignement explicite des comportements, Chenelière, 2017

Steve Bissonnette, Pour assurer une école bienveillante : le Soutien au Comportement positif (SCP), CRIFPE, vivre le primaire p41-43, hiver 2017

Clermont Gauthier, Steve Bissonnette & Marie Bocquillon, l’enseignement explicite : une approche pédagogique efficace pour favoriser l’apprentissage des contenus et des comportements en classe et dans l’école, apprendre et enseigner aujourd’hui, vol 8, n° 2, printemps 2019

Robert Pondiscio, How the other half learns, Avery, 2019

David Armstrong, Understanding Child & Adolescent Behaviour in the Classroom, p 5, Cambridge, 2016

Missouri Schoolwide Positive Behavior Support, Tier 1, Team Workbook, 2018–2019

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