vendredi 15 juin 2018

Effet Flynn et mesure du quotient intellectuel

Des lieux communs surgissent régulièrement dans les conversations en salle de profs ou en dehors, de manière informelle dans des réunions de famille ou sur les réseaux sociaux. Le niveau des élèves baisserait au fil du temps :
  • Ils ne lisent plus de livre spontanément. 
  • Leur vocabulaire serait appauvri. 
  • Ils ne maîtriseraient plus certaines règles de calcul basiques ou leurs tables de multiplication. 
  • Leur usage de l’orthographe et de la grammaire seraient déplorables.
  • Leurs capacités d’attention seraient réduites.
  • Etc.

(Photographie : Nanjo Toshiyuki)





Ces croyances ou intuitions peuvent pour une bonne part être subjectives, basées sur des anecdotes et dès lors être biaisées. Il est un lieu commun qu’une partie des membres d’une génération se plaigne des égarements attribués subjectivement à la suivante. 

Pourtant une étude publiée par deux chercheurs norvégiens, comme nous allons l’explorer, prétend montrer que ces constatations pourraient avoir une base de vérité.



Intelligence fluide ou cristallisée


Avant de poursuivre, nous allons distinguer deux formes d’intelligence : 
  • L’intelligence fluide est la capacité de résoudre de nouveaux problèmes, d’utiliser la logique dans de nouvelles situations et d’identifier des modèles. 
  • L’intelligence cristallisée représente les connaissances et les compétences acquises.



L’Effet Flynn 


L’effet Flynn tire son nom du chercheur James R. Flynn qui en fit l’observation initiale. Il rend compte d’une augmentation substantielle au fil du temps des scores aux tests calculant un quotient intellectuel.

Cette augmentation appelée Effet Flynn a été observée en comparant une population donnée sur plusieurs générations et mesurée dans de nombreuses régions du monde à partir de 1930. 

Toutefois, depuis 1975 (pris en compte en tant que date de naissance), il semblerait que certains signes montrent son ralentissement et peut-être un effet d’inversion dans certaines régions du monde.



Gains de QI


L’augmentation des résultats aux tests a été continue et à peu près linéaire depuis les premières années des tests d’intelligence jusqu’à aujourd’hui. Les changements ont été rapides. L’intelligence mesurée a augmenté généralement autour de trois points de QI par décennie.

Bien que l’effet soit le plus souvent associé à l’augmentation du QI, un effet similaire a été constaté avec l’augmentation de l’attention et de la mémoire sémantique et épisodique.

Les gains semblent se concentrer essentiellement sur la moitié inférieure des échantillons et de manière négligeable sur la moitié supérieure. Il existe une corrélation entre la proportion du gain et le QI de base, le gain étant quasi nul pour les hauts QI.

De fait, l’effet Flynn est principalement le résultat d’une réduction du nombre de scores faibles, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de scores modérément élevés et amélioré la moyenne générale.

L’effet Flynn a généré un débat sur son interprétation :
  • Est-ce que l’augmentation du QI correspond également à une augmentation de l’intelligence générale ?
  • À l’opposé s’agit-il seulement d’une augmentation des compétences spéciales liées aux tests de QI ?



Hypothèses sur les causes de l’effet Flynn


1) Une amélioration des soins de santé et de la nutrition


Les citoyens des pays industrialisés bénéficient d’un meilleur accès à des soins de santé de meilleure qualité et d’alimentation plus équilibrée et diversifiée que les générations précédentes. 

Cela diminue certains facteurs de stress auquel peuvent être soumis les individus, qui sont liés :
  • Aux agents pathogènes
  • Aux carences nutritives

L’amélioration du QI semble concentrée sur la moitié inférieure de la distribution. Cette frange de la population était la plus susceptible de rencontrer des carences au niveau de la nutrition et de soins de santé. Elle a par conséquent le plus bénéficié de l’amélioration de ces facteurs.

Les effets de l’alimentation semblent graduels. Ils affectent aussi bien la mère que l’enfant. Ils s’étalent sur plusieurs décennies plutôt que sur quelques mois.

Cela s’est traduit par une augmentation de la taille moyenne des individus et par répercussion sur le développement cérébral de l’enfant durant la grossesse et au cours de son développement.

Statistiquement, le gain en taille s’accompagne d’un gain en volume cérébral appréciable. De plus, il existe une certaine corrélation entre la taille du cerveau et l’intelligence.

Nous pourrions estimer que cet argument souffre de la constatation empirique que les populations humaines qui ont tendance à avoir une taille corporelle générale plus petite n’ont pas pour autant un QI moyen inférieur. 

C’est le cas par exemple des femmes ou des personnes d’origine asiatique. À ce sujet, Richard Lynn (dans Race differences in intelligence, 2006) avance des arguments scientifiques sur les personnes d’origine est-asiatique. D’après lui, elles auraient statistiquement un corps plus petit, mais comparativement elles ont tendance à avoir un cerveau plus gros et un QI plus élevé que la moyenne des Européens.

Nous rappellerons à ce sujet que le concept de race n’a pas de fondement biologique. En effet statistiquement, la variabilité génétique entre individus d’un même sous-groupe est plus importante que la variabilité génétique moyenne entre sous-groupes géographiques.

En outre, il existe une grande variance en ce qui concerne le rapport entre la taille du cerveau et l’intelligence et la corrélation entre les deux est statistiquement faible.

Si nous considérons une population humaine homogène et isolée, une amélioration de l’état général de santé qui se traduit par un développement physique plus optimal se manifestera également par un développement plus accentué du système nerveux. Il n’y a aucune raison de penser que le système nerveux ne puisse, à travers ce processus, également bénéficier d’une amélioration générale.



2) La diminution de la taille des familles au cours du temps


Nous partons de l’hypothèse que le premier né dans une famille va recevoir plus de temps d’attention et de stimulation que les enfants suivants. 

De même, de plus grandes fratries entraînent une diminution des moyens et du temps disponibles pour l’éducation de chaque enfant. 

La diminution du nombre d’enfants par famille augmente la proportion de premiers-nés à l’échelle globale d’une population.



3) Une meilleure éducation


Beaucoup d’études montrent que les enfants n’ayant pas une scolarité régulière ou pas de scolarité du tout obtiennent de moins bons résultats aux tests. Il y a un lien entre la progression du QI et la durée de la scolarité.

De même comme il y a eu un accroissement de la longueur de la scolarisation, des parents de mieux en mieux formés eux-mêmes peuvent accompagner et suivre plus efficacement leurs enfants lors de leur parcours scolaire.

La familiarité avec les tests de QI et la généralisation progressive des compétences en matière d’examen vont également favoriser, mais là de manière artificielle, l’augmentation des résultats mesurés. Il y a une plus grande susceptibilité d’avoir été entraîné à répondre à des questions du type de celles présentées dans les tests QI.



4) L’égalité homme/femme


L’évolution vers une meilleure égalité entre hommes et femmes a permis un meilleur accès à l’éducation pour tous.



5) Augmentation de la complexité et de la qualité du milieu de vie


Les environnements deviennent plus stimulants. Le travail devient plus exigeant sur le plan intellectuel. Il y a une plus grande utilisation de la technologie, un meilleur accès à la culture, plus de temps de loisirs.

Ces divers éléments ont fait en sorte qu’une proportion beaucoup plus grande de personnes sera habituée à manipuler des concepts abstraits, comme les hypothèses et les catégories, que quelques décennies plus tôt. 



Conclusions


L’augmentation du QI générée potentiellement par ces différents facteurs favorise à son tour les conditions environnementales (socioculturelles, éducatives et socio-économiques) qui favorisent l’augmentation du QI. En un sens, le QI crée le QI.

Comme nous pouvons le pressentir, de tels effets ne peuvent être illimités et nous pouvons entrevoir la possibilité d’un effet plafonnement de l’effet Flynn. Pour des raisons biologiques, le QI ne peut augmenter indéfiniment.



Une régression de l’effet Flynn


Durant les années 1990, l’effet Flynn a semblé régresser, voir s’inverser dans bon nombre de pays occidentaux. Il s’agit du Royaume-Uni, du Danemark, de la Norvège, de la Suisse, de la France, de Finlande, des Pays-Bas, de la Suède ou de l’Australie.

Les plus grandes baisses semblent se manifester dans le domaine du vocabulaire et de la compréhension.

Le déclin, qui équivaudrait à au moins sept points par génération, aurait commencé selon l’étude norvégienne avec ceux dont l’année de naissance est 1975 et qui ont atteint l’âge adulte au début des années 90.

Nous peut considérer toutefois d’un point de vue positif de cette évolution :
  • Si l’effet Flynn a pris fin dans les pays développés, cela peut permettre de réduire les différences nationales dans les scores de QI. L’important est que l’effet Flynn se poursuit dans les pays ayant un QI national moyen inférieur. 
  • En outre, si l’effet Flynn a pris fin pour la majorité d’une population dans ses pays développés, il peut continuer à se poursuivre pour leurs minorités. C’est vrai en particulier pour les groupes comme les immigrants où beaucoup d’entre eux peuvent avoir reçu une mauvaise alimentation pendant la petite enfance ou avoir eu d’autres désavantages comme une scolarité incomplète.

Toutefois, le phénomène peut également générer une certaine inquiétude. Est-ce que le niveau finirait par réellement baisser ? Différentes hypothèses ont été posées à ce sujet :



Premières hypothèses


Une première hypothèse a défendu l’idée qu’il y a une limite biologique, un effet de plafonnement, à l’impact des facteurs sociaux et environnementaux qui peuvent améliorer le QI.

L’effet Flynn sur l’évolution positive du QI ne régresserait pas, mais aurait en fait arrêté de progresser, car elle s’approche de son maximum. Sa stagnation ne masquerait plus d’autres effets qui auraient une influence négative sur le QI. Si certains facteurs jours en faveur de l’augmentation du QI, d’autres peuvent jouer parallèlement en sa défaveur.

Deux hypothèses ont alors été avancées pour expliquer le déclin du QI dans les pays occidentaux précités et tenter d’identifier les facteurs négatifs à l’œuvre :


1) Un déclin dysgénique du QI génotypique mondial


Certaines personnes avancent l’existence d’un effet dit dysgénique (par opposition à eugénique). Selon cet effet, les familles les moins intelligentes procréeraient davantage et feraient baisser statistiquement le niveau de QI.

Au cours du siècle dernier, il existerait dès lors une corrélation négative entre la fécondité et l’intelligence. Toutefois, il n’y a toutefois, à l’heure actuelle, pas la moindre preuve de l’association entre ces deux éléments.



2) Un effet migratoire


Arrivés de pays pauvres, moins éduqués, les migrants, puis leurs enfants auraient un impact sur les performances moyennes. Leur intégration complète va plutôt avoir lieu à la génération suivante. Une baisse temporaire du QI s’expliquerait par l’assimilation et l’intégration progressive de nouvelles populations.



Un point de vue alternatif


Dans leur article Flynn effect and its reversal are both environmentally caused, deux chercheurs norvégiens contestent ces hypothèses. Ole Rogeberg et Bernt Bratsberg, du Ragnar Frisch Centre for Economic Research à Oslo, ont analysé les résultats d’un test de QI standardisé de plus de 730 000 hommes. Ces individus s’étaient présentés au service national norvégien entre 1970 et 2009.

Leurs résultats montrent que les personnes nées en 1991 ont obtenu environ cinq points de moins que celles nées en 1975 et trois points de moins que celles nées en 1962.

À l’aide de leur méthodologie basée sur l’analyse de fratries, ils ont pu écarter tout effet dysgénique ou migratoire.

Leur étude les amène à attribuer au contraire cette baisse à des facteurs environnementaux, c’est-à-dire liés aux conditions de vie extérieures et non à la nature des personnes testées.

Leurs résultats montrent que les grandes tendances positives et négatives du QI s’observent aussi bien au sein des familles que d’une famille à l’autre.

Cela implique que les tendances ne sont pas dues à une composition changeante des familles, et qu’il y a tout au plus un rôle mineur pour les explications impliquant les gènes (p. ex. immigration et fertilité dysgénique).

De même et tout aussi intéressant, certains facteurs environnementaux sont largement fixés au sein des familles. Il s’agit par exemple du niveau d’éducation parentale, de la socialisation ou de la taille de la famille. Ils peuvent intervenir, mais n’ont qu’une influence négligeable par rapport à d’autres facteurs environnementaux extérieurs aux familles.



Hypothèses actuelles


Cela réduit fortement le champ de possibilités et leurs résultats restent cohérents avec un certain nombre d’hypothèses proposées sur le déclin du QI :
  1. Changements dans l’éducation 
  2. Changement de l’exposition aux médias : multiplication des écrans, médias sociaux 
  3. Changements dans les pratiques culturelles : jeux vidéo, diminution du temps consacré à la lecture, changement des modes de communication de plus en plus virtuels, etc.
  4. Détérioration de la nutrition ou de la santé : par exemple le sommeil, la pratique sportive ou la sédentarité
  5. Évolutions sociales résultant d’une immigration accrue ou d’autres tendances sociétales : familles recomposées, inégalités 

À l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus ni de preuves suffisantes pour mettre en avant l’une ou l’autre hypothèse, la réfuter ou en estimer l’influence.

L’exposition à l’écran suscite cependant la réflexion :
  • De multiples messages d’alertes lancés ces dernières années par certains chercheurs sur l’usage abusif des écrans (Michel Desmurget ou Jean-Philippe Lachaux, entre autres, du côté francophone) et les conséquences sur les capacités d’attention. 
  • D’autres comme Franck Ramus, Elena Pasquinelli ou Grégoire Borst adoptent une position nettement plus mesurée en se fondant sur une analyse rigoureuse de la recherche dans le domaine.

Selon un angle similaire, nous pouvons citer la problématique des pratiques multitâches https://par-temps-clair.blogspot.com/2017/06/faut-il-etre-multitache.html ou celle liée à l’abus de réseaux sociaux : https://par-temps-clair.blogspot.com/2017/06/quel-est-limpact-des-medias-sociaux-sur.html.

Un dernier point d’attention est celui sur l’évaluation des changements dans l’éducation :
  • Certains scientifiques avancent que la détérioration pourrait être due à des changements dans la façon dont les mathématiques ou les langues sont enseignées. 
  • Un autre argument est celui du passage de la lecture de livres à un usage massif de la vidéo et de l’informatique en guide de remplacement, ce qui diminuerait mécaniquement le temps consacré à la lecture. Nous pouvons considérer l’importance de la lecture pour le développement du vocabulaire dont découle inévitablement la compréhension.

La meilleure réponse à ce point d’attention est fournie par le mouvement en sciences de l’éducation lié à l’efficacité de l’enseignement et à l’utilisation de données probantes.

Un autre point de vue est celui des tenants des compétences du XXIe siècle qui interroge la nature même de l’intelligence à l’ère numérique et les objectifs de l’éducation qui en découlent :
  • Dans cette logique, nous considérerions le déclin de l’intelligence comme factice, par le fait que cette nouvelle forme d’intelligence des enfants du numérique ne pourrait être saisie au moyen des tests traditionnels de QI.
  • Les tests classiques de QI mettent l’accent sur l’arithmétique et le raisonnement verbal. Ils offrent une surreprésentation à l’intelligence cristallisée qui est favorisée par une éducation qui donnerait de l’importance aux connaissances au détriment des compétences du XXIe siècle.



Mise à jour le 14/04/2022

Bibliographie


Effet Flynn. Wikipédia, l’encyclopédie libre. 5 juin 2018, 05:42 UTC. 5 juin 2018, 05:42 http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Effet_Flynn&oldid=149241232

Flynn effect, https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Flynn_effect&oldid=845633814 [last visited June 13, 2018].

Flynn effect and its reversal are both environmentally caused, Bernt Bratsberg, Ole Rogeberg, Proceedings of the National Academy of Sciences Jun 2018, 201718793; DOI: 10.1073/pnas.1718793115

Chute de l’intelligence : la piste environnementale relancée, LE MONDE SCIENCE ET TECHNO, 11.06.2018, Nathaniel Herzberg

Oliver Moody “Dumb and dumber: why we’re getting less intelligent” June 12,2018, The Times, https://www.thetimes.co.uk/edition/news/dumb-and-dumber-why-we-re-getting-less-intelligent-80k3bl83v

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