samedi 16 juin 2018

Un continuum entre des stratégies centrées sur l'élève ou sur l'enseignant

Les stratégies d’enseignement ou démarches pédagogiques sont habituellement classées en deux grandes catégories, reposant sur des philosophies, des perspectives et des visions du monde différentes. Celles-ci peuvent être représentées sur un continuum :
  • L’une des extrémités correspond aux stratégies centrées sur l’enseignant.
  • L’autre extrémité correspond aux stratégies centrées sur l’élève.

(Photographie : Dayv Mattt)




Ces deux types de stratégies polarisent leurs partisans réciproques dans le monde éducatif d’une façon régulièrement caricaturale, avec d’un côté une vision qui serait traditionaliste et passéiste et de l’autre progressive et innovante à l’excès. La réalité, heureusement, est plus complexe, subtile et nuancée. Nous allons tâcher de l’explorer.


Les stratégies centrées sur l’élève


Les stratégies centrées sur l’élève correspondent aux méthodes :
  • De l’Éducation nouvelle, présentée d’emblée comme moderne, ouverte, innovante et progressiste
  • Sous influence constructiviste, comme :
    • La démarche d’investigation
    • L’apprentissage par la découverte, par la résolution de problèmes, par la recherche, par le projet ou par l’expérimentation.

Caractéristiques :


1. GUIDAGE : Les élèves apprennent mieux, plus profondément et plus durablement dans un environnement non guidé ou peu guidé.

2. CONTENUS : Les élèves ont le droit — en fonction de l’application radicale de ce principe — de contrôler à des degrés divers l’activité ou les contenus du programme d’études. L’objectif est d’encourager la créativité et la motivation à apprendre des élèves. 

3. STRUCTURATION : Les enseignants enseignent par l’entremise de situations d’apprentissage. Celles-ci se veulent contextualisées, signifiantes et authentiques. 

Les enseignants s’assurent de l’existence de :
  • Liens entre les contenus des programmes d’études et la vie en société.
  • Liens avec les expériences de vie :
    • Les sujets s’adressent aux questions que se posent les élèves ou que nous leur soumettons.
    • Nous tenons compte des caractéristiques des élèves et de leurs intérêts.
  • Liens avec les procédures propres à la discipline enseignée (l’épistémologie, par exemple un cours de langue s’apprend en communiquant dans la langue cible, un cours de sciences s’apprend grâce à l’expérimentation, etc.).

4. PLANIFICATION : Les apprentissages scolaires sont réalisés par le biais de projets, de recherches, d’enquêtes ou d’activités de résolution de problème. La complexité est directement abordée. La coopération et la dimension sociale des apprentissages est valorisée et travaillée pour elle-même.

5. ENSEIGNANTS : Les enseignants exercent un rôle de guide, de facilitateur ou d’accompagnateur des élèves dans la construction de leurs propres apprentissages.

6. ÉLÈVES : Plutôt que d’être présentés directement et explicitement avec des informations essentielles directement préparée (du simple vers le complexe), les élèves les découvrent ou les construisent par et pour eux-mêmes en abordant d’emblée le complexe.

7. COMPÉTENCES : L’accent est mis sur des compétences de haut niveau et vues comme générales. C’est pas exemple l’esprit critique, la créativité, la résolution de problèmes, la communication, la coopération, le transfert lointain, etc.  

8. FINALITÉ : Les élèves prennent d’emblée une responsabilité importante dans la construction de leurs apprentissages avec une participation active de la part des enseignants également. Ils travaillent souvent sur des projets ou en groupes. 

9. AUTONOMIE : L’apprentissage de l’autonomie se fait par l’expérience de l’autonomie.



Les stratégies centrées sur l’enseignant


Les stratégies centrées sur l’enseignant correspondent aux méthodes d’enseignement dites traditionnelles, instructionnistes, directives, directes, cognitivistes, structurées ou explicites.

Caractéristiques :


1. GUIDAGE : Les élèves apprennent mieux dans un environnement guidé avec un soutien important de l’enseignant.

2. CONTENUS : L’enseignant planifie et dirige les apprentissages en fonction du temps disponible et des caractéristiques du groupe d’élèves auquel il s’adresse, selon un programme précis. Les élèves apprennent des savoirs et savoir-faire spécifiques qui définissent des compétences spécifiques. Le choix des contenus se fait avec peu d’apport des élèves. C’est l’enseignant qui décide de ceux-ci dans les limites contraintes du programme. Les objectifs de la classe sont généralement basés sur des critères extérieurs.

3. STRUCTURATION : L’enseignant décide comment organiser le contenu pédagogique et choisit les moyens de communiquer celui-ci aux élèves. L’approche centrée sur l’enseignant prend généralement la forme d’un modèle de prise de notes/présentation des contenus et fait appel à une orientation didactique ou pédagogique directe. Elle fournit des informations qui expliquent pleinement les concepts et les procédures que les élèves sont tenus d’apprendre ainsi qu’un soutien à la stratégie d’apprentissage compatible avec l’architecture cognitive humaine.

4. PLANIFICATION : Pour être maitrisés, les savoirs scolaires doivent faire l’objet d’un enseignement systématique et d’une planification minutieuse orientée de la simplicité vers la complexité ou de l’élémentaire vers l’élaboré.

5. ENSEIGNANT : L’enseignant transmet de l’information aux élèves. Il met en place des stratégies d’enseignement favorisant leur apprentissage. Son rôle ne se limite pas à celui de facilitateur ou d’accompagnateur.

6. ÉLÈVES
 : Les élèves ne doivent pas être laissés à une découverte autonome ou coopérative des concepts et procédures. Les apprenants novices reçoivent une orientation pédagogique directe sur les concepts et les procédures requis par une discipline particulière.

7. COMPÉTENCES : L’accent est mis sur la maitrise à long terme des savoirs et savoir-faire, et sur le développement de compétences spécifiques dans une perspective raisonnable de transferts proches.  

8. FINALITÉ : L’apprentissage est jugé en fonction de la façon dont les élèves peuvent récupérer et mobiliser à terme ce que l’enseignant leur a transmis. L’apprentissage est défini comme un changement dans la mémoire à long terme. 

9. AUTONOMIE : L’apprentissage de l’autonomie se fait par l’enseignement de stratégies cognitives et métacognitives et par l’acquisition de bonnes habitudes de travail et de compétences sociales qui outillent l’autonomie.



Limites des appellations


Cette dichotomie des appellations entre approche centrée sur l’élève et approche centrée sur l’enseignant peut présenter un caractère réductionniste et biaisé.

Ni active ni passive  


Elle peut laisser supposer que la première place au centre de l’attention l’élève au détriment des contenus. L’autre placerait au centre les contenus à enseigner, laissant l’élève passif. Dans les deux cas, c’est inexact :
  • L’enseignement explicite s’emploie à rendre l’élève actif et engagé. L’enseignant dans l’enseignement explicite fournit un soutien approprié et une pratique guidée, qui rend visibles toutes les dimensions de la matière vue (l’image d’un « haut-parleur sur la pensée »). L’accompagnement est temporaire et l’élève est rapidement appelé à prendre la responsabilité des apprentissages. C’est le « I do, we do, you do ». 
  • Dans le cadre de l’approche constructiviste, l’enseignant fait apprendre les contenus par des moyens plus indirects que par ceux d’une transmission, mais ceux-ci restent une finalité. Les contextes sont moins structurés et plus informels pour encourager les élèves à s’investir activement et rechercher pour découvrir les contenus et construire leurs propres apprentissages.



Faire découvrir ou faire apprendre


Gauthier et ses collègues (2020) évoquent une tension entre faire découvrir à travers l’expérience et faire apprendre, qui consiste en l’idée d’une instruction :
  • Une vue extrême de l’approche centrée sur l’élève serait que l’expérience fait le pari que l’instruction suivra naturellement.
  • L’enseignement explicite privilégie le faire apprendre au faire découvrir. L’acte de découvrir arrive au terme des apprentissages, c’est l’idée de la découverte guidée.



Quand enseigner explicitement


L’enseignant n’est pas appelé à choisir radicalement l’une ou l’autre approche, ni d’opter pour une approche moyenne mi-figue mi-raisin, mais de plutôt voir celles-ci placées le long d’un continuum. Il n’y a pas de juste milieu.

Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard définissent dans leur livre « Enseignement explicite et réussite des élèves », trois éléments qui doivent guider l’enseignant dans le choix de la stratégie. Marie Bocquillon (et coll., 2019) en ajoute un quatrième. Clermont Gauthier et ses collègues (2020) en affinent ensuite les interprétations :

Voici une synthèse de ces quatre éléments :

1) Le niveau de compétence des élèves


Si nous considérons la situation à l’échelle de l’élève :
  • Plus l’enseignant a affaire à des novices, plus le guidage sera nécessaire et plus l’enseignement explicite sera approprié. Or dans l’enseignement primaire et secondaire, les élèves seront régulièrement dans cette position de novice.
  • Plus les élèves seront compétents, moins ils auront besoin d’un soutien. Plus il peut être intéressant de leur laisser de l’autonomie et de les confronter aux contraintes et procédures propres à la discipline enseignée, comme c’est le cas des stratégies centrées sur l’élève. Ces approches présupposent l’existence d’une certaine expertise dans le domaine considéré.

Si nous considérons la situation à l’échelle de la classe :
  • Le niveau de compétence des élèves est un facteur variable à l’échelle d’une classe. 
  • Lorsque l’enseignant a affaire à un groupe plus faible : 
    • Il sera discutable d’entrée de jeu de leur faire apprendre en les laissant découvrir par eux-mêmes. Il leur manquera très certainement nombre de connaissances préalables nécessaires pour y arriver.
    • Ce processus risquerait très certainement de les amener à une surcharge cognitive qui hypothèque tout apprentissage.
    • Au contraire, ces élèves vont avoir besoin d’activités fondées sur un enseignement explicite qui favorise leur progression pas à pas en respectant les limites de leur mémoire de travail.
  • Lorsque l’enseignant a affaire à un groupe de niveau de compétence plus élevé :
    • Leur niveau ne requiert pas de commencer une séquence d’apprentissage à partir de zéro.
    • Ces élèves possèdent alors les connaissances préalables pour réaliser avec succès des activités leur demandant de découvrir la matière par eux-mêmes.
    • Le risque d’une surcharge cognitive est amoindri.
    • Nous pouvons donc privilégier une approche de type découverte guidée.
  • Lorsqu’un enseignant a affaire à un groupe de niveau intermédiaire ou mixte :
    • Proposer un enseignement explicite permet d’avancer avec tous les élèves et de diminuer les écarts de performance entre ceux-ci.
    • Laisser les élèves découvrir par eux-mêmes en leur laissant plus d’autonomie ou en différenciant les apprentissages, risque d’accroitre les écarts entre les élèves.
      • Les meilleurs élèves progresseront à un rythme normal
      • Les élèves plus faibles progresseront moins qu’avec un enseignement explicite.



2) Le degré de nouveauté et de complexité de la tâche proposée


  • Une tâche peut être connue ou encore simple pour un groupe d’élèves, elle peut également être nouvelle ou complexe. Le choix des activités d’apprentissage dépendra de ces caractéristiques par rapport au groupe d’élèves concerné :
    • Une tâche considérée comme nouvelle ou complexe nécessitera un étayage plus soutenu comme le propose l’enseignement explicite.
    • Une tâche simple ou connue permettra de laisser plus d’autonomie aux élèves dans sa réalisation.



3) Le temps disponible


  • Le temps dont l’enseignant dispose influencera aussi le choix des activités qu’il proposera à ses élèves.
  • Lorsque le temps est le facteur limitant, un enseignement explicite permet d’établir un apprentissage plus durable plus rapidement chez un maximum d’élèves.
  • Si le temps n’est pas un facteur limitant, donner beaucoup d’autonomie aux élèves dans le cadre d’activités où nous allons leur laisser découvrir par eux-mêmes est possible. Les élèves les plus faibles travailleront cependant plus lentement que les autres, ce qui laissera de la place pour une différenciation sous forme de dépassement pour les élèves plus avancés.



4) Les idées maitresses du curriculum


La nature du contenu peut avoir une importance première ou moindre. Nous parlerons d’idées maitresses ou secondaires.

Les idées maitresses renvoient aux éléments centraux, aux principes, aux concepts clés, aux stratégies centrales et récurrentes. L’enseignement d’une multitude d’autres savoirs et savoir-faire en dépendent et leur sont rattachés en une structure d’ensemble formant des schémas cognitifs.

Nous entendons par là tout ce qui est de l’ordre de :
  • La grammaire ou la structuration des phrases dans un cours de langue
  • Les structures de texte (narrative, informative, nouvelle journalistique, etc.) dans un programme de français
  • La nomenclature ou des procédures de résolution de base en chimie (équilibrer une réaction chimique, résoudre un problème stœchiométrique, etc.) 
  • Les règles d’algèbre élémentaires et les procédures de résolution classique en mathématiques (premier, second degré, dérivation, primitivation, etc.)
  • L’ultrastructure cellulaire en biologie entre autres.
  • Etc. 

Étant donné l’importance et la complexité des idées maitresses, celles-ci doivent faire l’objet d’un enseignement explicite, car leur apprentissage va influer sur la réussite des élèves à long terme. La qualité de leur apprentissage étant primordiale, ces contenus nécessitent un niveau de guidage élevé pour les élèves. Il faut s’assurer que tous les élèves, et pas seulement les plus forts peuvent les acquérir.

Les idées secondaires sont plus susceptibles d’être enseignées par une approche par la découverte si les trois autres critères sont également rencontrés.



En conclusion


(source : Bocquillon et coll., 2019)



Si :
  1. Le niveau de compétence des élèves est faible.
  2. Plusieurs élèves éprouvent des difficultés.
  3. La tâche proposée est nouvelle ou complexe.
  4. Le temps disponible est limité.
Alors, l’apprentissage gagne à être fortement guidé et l’enseignement explicite est opportun, à travers la séquence d’étapes du modelage, de la pratique guidée puis autonome.

Si :
  1. Le niveau de compétence des élèves est élevé
  2. Aucun élève ne présente de difficultés particulières
  3. La tâche proposée est connue ou simple
  4. Le temps disponible est une contrainte souple.
L’apprentissage a moins besoin d’être guidé et l’approche par découverte qui place les élèves directement dans des situations d’apprentissage autonome peut alors être utilisée.

L’impact du guidage s’estompe lorsque les élèves possèdent suffisamment de connaissances dans le domaine considéré pour s’investir de manière autonome. Cependant, même si le guidage extérieur devient moins nécessaire dans cette situation, s’il est fourni, il reste aussi efficace qu’une approche moins structurée en situation de classe hétérogène.

Il importe pour l’enseignant d’ajuster le niveau de guidance des apprentissages en fonction de ces éléments et non pas en fonction de ses préférences ou de ses choix idéologiques.



Des ingrédients actifs pour les interactions en classe en enseignement explicite


Nous pouvons mettre en évidence diverses stratégies générales typiques lors de la mise en œuvre d’un enseignement explicite en classe. Leur contribution positive à l’apprentissage a été mise en évidence par diverses recherches sur l’enseignement efficace ou en psychologie cognitive. Ils jouent le rôle d’ingrédients actifs pour l’enseignement explicite  :
  • Ces stratégies gagnent à être utilisées quotidiennement lors des interactions entre l’enseignant et ses élèves.
  • Ne pas les mettre en place ou ne pas respecter leurs ingrédients essentiels peuvent mener à ce qu’on appelle des mutations létales. L’impact attendu par un enseignement explicite en matière d’efficacité risque alors de ne pas être au rendez-vous. 
  • Ces stratégies vont renforcer le rôle de l’enseignant et son impact sur l’attention des élèves et leur engagement dans un traitement cognitif signifiant qui renforcent leurs apprentissages.
  • Elles permettent à la conception pédagogique et aux phases du modelage, de la pratique guidée et de la pratique autonome de pleinement rencontrer leurs objectifs.
Sans être exhaustifs, nous pouvons citer :
  1. La vérification de la compréhension et de l’engagement des élèves tout au long du cours
  2. L’exercice d’une vigilance continue en classe et l’entretien de bonnes relations avec tous les élèves
  3. La mise en œuvre d’attentes élevées exprimées et concernant chaque élève
  4. Le partage et la référence fréquente aux objectifs d’apprentissage pour clarifier les attendus
  5. L’utilisation et la mobilisation d’organisateurs graphiques offrant régulièrement aux élèves une vue d’ensemble sur la matière en cours.
  6. L’usage temporaire d’exemples de résolution comme forme d’étayage temporaire sur la voie de l’autonomie.
  7. Des processus d’évaluation soutien d’apprentissage et de dialogue formatif incluant le traitement des erreurs en tant qu’opportunités d’apprentissage.
  8. Une rétroaction positive spécifique ou corrective régulière et ciblée.
  9. L’intégration régulière d’une pratique de récupération soutenant la consolidation des apprentissages.
  10. L’usage de routines en classe pour synchroniser l’attention des élèves, éliminer les temps morts et maximiser le temps d’apprentissage




Mis à jour le 17/04/2022

Bibliographie 


Bissonnette, S., Gauthier, C. & Péladeau, N. (2010) un objet qui manque à sa place : les données probantes dans l’enseignement et la formation. In Recherche et formation à l’enseignement — Spécificités et interdépendance, Actes de la recherche de la HEP-BEJUNE, sous la direction de Bernard WENTZEL et M’hammed MELLOUKI, Haute École Pédagogique — BEJUNE, n° 8, 2010

Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

Paul A. Kirschner (Inter) dependent learning—learning is interaction, Inaugural Address, March 16, 2006.

Marie Bocquillon, Steve Bissonnette & Clermont Gauthier, Faut-il utiliser l’enseignement explicite en tout temps ? Non… mais oui !, Apprendre et enseigner aujourd’hui, vol 8, n° 2, printemps 2019.

Gauthier, Clermont ; Bissonnette, Steve, & Bocquillon, Marie. 2020. Instruire ou étourdir les élèves ? Réflexion critique sur l’idée qu’« il faut varier son enseignement ». Educação & Formação.

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