(photographie : Andrea Resner)
Les élèves doivent avoir l’occasion de les pratiquer, de préférence dans le contexte d’une activité normale en classe, dans le cadre des matières enseignées.
Enseigner aux élèves l'utilisation des stratégies d’esprit critique, indépendamment de la connaissance préalable de la matière sur laquelle elles s'exercent, ne servira pas à grand-chose. Enseigner l’esprit critique ne s’improvise pas.
Cet article a pour but de s’intéresser à l’intégration de l’esprit critique au sein de démarche d’enseignement explicite. Celle-ci est fonction des caractéristiques de l’esprit critique développées dans un précédent article : voir ici.
Nous partons du postulat que tous les élèves devraient avoir accès à un enseignement de l’esprit critique.
Le danger est que dans de nombreux systèmes scolaires, les élèves moins capables vont recevoir des cours moins stimulants. Dans ce cadre, leurs enseignants vont s’employer à renforcer essentiellement les savoirs et savoir-faire basiques. Ils laissent la résolution de problèmes et de tâches complexes, à une portion congrue lorsqu’elle n’est pas tout simplement mise entre parenthèses.
Ces démarches risquent également de toucher plus sélectivement des écoles qui concentrent des élèves de milieu socioéconomique plus défavorisé. À l’opposé, l’accès à des contenus stimulants et la poursuite d’études supérieures sont, dans presque tous les pays, associés à un statut socioéconomique plus élevé.
Ne pas offrir le même enseignement à tous les élèves en matière d’esprit critique accentue des inégalités déjà présentes. Les enfants issus de familles de statut socioéconomique privilégié ont également plus de possibilités d’être confrontés à ce genre de démarche à la maison.
L’école doit être un lieu où tous les élèves, peu importe leur statut socioéconomique d’origine, sont exposés à un vocabulaire avancé. Ils doivent être confrontés à de riches connaissances sur les contenus et à des activités qui stimulent une réflexion de haut niveau. Plutôt que de réduire la place réservée à l’esprit critique, nous devons plutôt chercher à l’améliorer et à mieux l’intégrer.
L’esprit critique ne s’adresse pas seulement aux élèves les plus talentueux et les plus avancés sans leur parcours scolaire.
Il y a la tentation de réserver plus de temps à ces approches pour les élèves qui avancent plus vite dans les activités plus basiques d’apprentissage, de les considérer comme un enrichissement ou un dépassement. Elles sont en réalité utiles et nécessaires à tous.
Les sciences cognitives montrent que pratiquement tout le monde est capable d’esprit critique et l’utilise très régulièrement, et ce depuis sa plus tendre enfance.
La difficulté liée à la mobilisation de l’esprit critique se trouve dans le fait qu’elle dépend de l’apprentissage préalable de connaissances pour être réalisée avec succès. Le transfert de compétences, dont l’esprit critique est une des dimensions, est une finalité pour tous les élèves.
La recherche a montré que les enfants sont plus capables que nous le pensions précédemment, à réfléchir de façon critique.
La théorie du développement de Jean Piaget a été remise en question et n’est plus d’actualité. Selon celle-ci, la cognition des enfants passerait par une série de quatre étapes, caractérisées par un esprit critique progressivement plus abstrait et par une meilleure capacité progressive à adopter des perspectives multiples.
Contrairement à la théorie de Piaget, la recherche a établi que :
L’évaluation de l’esprit critique exige des questions ouvertes.
À l’opposé de ce principe, les questions à choix multiples n’exigent pas nécessairement une réflexion critique, même lorsqu’elles sont soigneusement construites et vérifiées.
Mark D. Smith (2017) a testé des élèves américains en dernière année du secondaire avec un questionnaire à choix multiples, portant sur la matière de l’examen d’histoire. Il a été demandé aux élèves de réfléchir à haute voix lorsqu’ils choisissaient leurs réponses. Les chercheurs ont observé peu d’esprit critique, mais beaucoup de stratégies tactiques qui se rapprochaient plus du jeu et du pari, au niveau de l'établissement de leurs réponses.
Si l’évaluation de l’esprit critique exige que les élèves répondent à des questions ouvertes, leur correction ultérieure représente une charge de travail appréciable pour les enseignants. Les questions ouvertes sont en effet bien plus complexes à évaluer.
D’un autre côté, bon nombre de tâches complexes et de problèmes vont demander que l’élève applique des procédures et démarches standardisées qui offrent une certaine prévisibilité et favorisent la correction.
Cet article a pour but de s’intéresser à l’intégration de l’esprit critique au sein de démarche d’enseignement explicite. Celle-ci est fonction des caractéristiques de l’esprit critique développées dans un précédent article : voir ici.
Démocratiser l’enseignement de l’esprit critique
Nous partons du postulat que tous les élèves devraient avoir accès à un enseignement de l’esprit critique.
Le danger est que dans de nombreux systèmes scolaires, les élèves moins capables vont recevoir des cours moins stimulants. Dans ce cadre, leurs enseignants vont s’employer à renforcer essentiellement les savoirs et savoir-faire basiques. Ils laissent la résolution de problèmes et de tâches complexes, à une portion congrue lorsqu’elle n’est pas tout simplement mise entre parenthèses.
Ces démarches risquent également de toucher plus sélectivement des écoles qui concentrent des élèves de milieu socioéconomique plus défavorisé. À l’opposé, l’accès à des contenus stimulants et la poursuite d’études supérieures sont, dans presque tous les pays, associés à un statut socioéconomique plus élevé.
Ne pas offrir le même enseignement à tous les élèves en matière d’esprit critique accentue des inégalités déjà présentes. Les enfants issus de familles de statut socioéconomique privilégié ont également plus de possibilités d’être confrontés à ce genre de démarche à la maison.
L’école doit être un lieu où tous les élèves, peu importe leur statut socioéconomique d’origine, sont exposés à un vocabulaire avancé. Ils doivent être confrontés à de riches connaissances sur les contenus et à des activités qui stimulent une réflexion de haut niveau. Plutôt que de réduire la place réservée à l’esprit critique, nous devons plutôt chercher à l’améliorer et à mieux l’intégrer.
L’esprit critique ne s’adresse pas seulement aux élèves les plus talentueux et les plus avancés sans leur parcours scolaire.
Il y a la tentation de réserver plus de temps à ces approches pour les élèves qui avancent plus vite dans les activités plus basiques d’apprentissage, de les considérer comme un enrichissement ou un dépassement. Elles sont en réalité utiles et nécessaires à tous.
Les sciences cognitives montrent que pratiquement tout le monde est capable d’esprit critique et l’utilise très régulièrement, et ce depuis sa plus tendre enfance.
La difficulté liée à la mobilisation de l’esprit critique se trouve dans le fait qu’elle dépend de l’apprentissage préalable de connaissances pour être réalisée avec succès. Le transfert de compétences, dont l’esprit critique est une des dimensions, est une finalité pour tous les élèves.
Un esprit critique à tout âge
La théorie du développement de Jean Piaget a été remise en question et n’est plus d’actualité. Selon celle-ci, la cognition des enfants passerait par une série de quatre étapes, caractérisées par un esprit critique progressivement plus abstrait et par une meilleure capacité progressive à adopter des perspectives multiples.
Contrairement à la théorie de Piaget, la recherche a établi que :
- Le développement est progressif et ne change pas brusquement.
- Ce que les enfants peuvent et ne peuvent pas faire, varie en fonction du contenu considéré.
Évaluer l'esprit critique avec des QCM ou des questions ouvertes
L’évaluation de l’esprit critique exige des questions ouvertes.
À l’opposé de ce principe, les questions à choix multiples n’exigent pas nécessairement une réflexion critique, même lorsqu’elles sont soigneusement construites et vérifiées.
Mark D. Smith (2017) a testé des élèves américains en dernière année du secondaire avec un questionnaire à choix multiples, portant sur la matière de l’examen d’histoire. Il a été demandé aux élèves de réfléchir à haute voix lorsqu’ils choisissaient leurs réponses. Les chercheurs ont observé peu d’esprit critique, mais beaucoup de stratégies tactiques qui se rapprochaient plus du jeu et du pari, au niveau de l'établissement de leurs réponses.
Si l’évaluation de l’esprit critique exige que les élèves répondent à des questions ouvertes, leur correction ultérieure représente une charge de travail appréciable pour les enseignants. Les questions ouvertes sont en effet bien plus complexes à évaluer.
D’un autre côté, bon nombre de tâches complexes et de problèmes vont demander que l’élève applique des procédures et démarches standardisées qui offrent une certaine prévisibilité et favorisent la correction.
Planifier à long terme l’enseignement de l’esprit critique
Daniel Willingham (2019) propose quatre étapes pour planifier l’enseignement de l’esprit critique
1) Constituer la liste des aptitudes à l’esprit critique pour chaque matière
- Établir quelles tâches, démontrant un esprit critique, qu'un élève devrait être capable d’accomplir à terme dans la matière considérée.
- Déterminer les compétences qui y correspondent et que leurs élèves apprendront.
- Enseigner et mettre en pratique explicitement ces compétences. Une simple exposition à ce genre de travail sans instruction explicite sera bien moins efficace.
2) Déterminer le contenu propre à chaque matière
Quelles connaissances sont essentielles au type d’esprit critique que nous voulons que nos élèves soient capables d’adopter et de mobiliser ?
3) Planifier l’ordre dans lequel les connaissances et les compétences seront enseignées
Cela consiste à choisir la meilleure séquence d’activités pratiques pour l'enseignenent de ces compétences.
Les compétences et les connaissances se renforcent mutuellement dans des matières comme les mathématiques, les sciences ou l'histoire. Nous devons déterminer un ordre logique, pertinent et pratique qui permet de retrouver les principes de la théorie de la charge cognitive. Les élèves interprètent et intègrent mieux les nouvelles informations à la lumière de ce qu’ils savent déjà et en respectant les limites de leurs système cognitif.
4) Planifier les connaissances et les compétences qui devraient être revues au fil des ans.
Des études montrent que même si le contenu est assez bien appris au cours d’une demi-année scolaire, environ la moitié sera oubliée en trois ans (Pawl et coll., 2012). Cela ne veut pas dire qu’il ne sert à rien d’exposer les élèves au contenu une seule fois. La plupart des élèves en oublieront beaucoup, mais ils se souviendront de quelques éléments, et pour certains élèves, un intérêt peut être éveillé. Le fois suivantes où ils sont confrontés à ces mêmes connaissances, même si l'oubli a fait son effet, l'apprentissage sera plus rapide.
Lorsque nous considérons les compétences qui, nous l’espérons, resteront avec les élèves à long terme, il nous faut prévoir au moins trois à cinq ans de pratique espacée (Bahrick, 1984 ; Bahrick & Hall, 1991). La plupart du temps, cette pratique aura l’air différente — elle sera intégrée dans de nouvelles compétences et de nouveaux contenus. Ce réexamen doit être assuré et idéalement planifié.
Enseigner l’esprit critique dans la perspective du système 1/système 2
- Voir article : Système 2/système froid
La prise en compte de l'importance du système 1/système 2 dans l'enseignement de l'esprit critique est fondamentale :
1) Dans une moindre part dans le fait de leur montrer de nouvelles façons de penser
Les élèves peuvent apprendre certaines stratégies métacognitives qui les inciteront à penser de manière critique. Comme pour la résolution de problèmes, elles ne disent aux élèves que ce qu’ils doivent faire — elles ne fournissent pas les connaissances dont les élèves ont besoin pour le faire.
2) Dans une grande part dans le fait de leur permettre de déployer le bon type de pensée au bon moment
L'enjeu est que l'élève apprennent à mobiliser les bonnes stratégies de réflexion en fonction du contexte. Pour cela, elles doivent avoir été apprises et entrainées.
Les expériences et connaissances préalables des élèves offrent des portes d'entrée pour des concepts complexes. Elles fournissent un terreau où ancrer les nouvelles connaissances et où créer des liens solides avec celles plus anciennes. Un facteur important, peut-être le plus important, qui influence l’apprentissage est ce que l’élève connait déjà.
Les notions de corrélation, de limites ou de dérivées présentent des difficultés aux élèves, car ils n’ont généralement pas beaucoup de connaissances dans ces domaines.
S’inspirer de l’expérience des élèves, d’anecdotes, et faire des liens avec des connaissances vues dans d’autres chapitres et d’autres matières peut leur faciliter la compréhension et l’inférence sur ce type de concepts abstraits.
En retour, cet ancrage favorise le transfert de concepts abstrait tel, que nous l’attendons dans le cadre de la résolution de problèmes et la réalisation de tâches complexes.
Les stratégies liées à l’esprit critique sont des abstractions. Une approche plausible pour les enseigner est de les rendre explicites et de procéder par étapes.
La première fois que la stratégie est présentée :
Willingham, D. T. (2007). Critical Thinking: Why Is It So Hard to Teach? American Educator, 31, 8–19
Susan M. Barnett and Stephen J. Ceci (2002). When and where do we apply what we learn? A taxonomy for far transfer. Psychological Bulletin, Vol 128. N° 4. 612–637
Richard, Mario (2016). L’éducation aux médias à la lumière des données probantes. In Landry, Normand, & Letellier, Anne-Sophie (Ed.), L'éducation aux médias à l'ère numérique : entre fondations et renouvellement. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, coll. « Paramètres ».
Daniel T. Willingham, 2019, How to Teach Critical Thinking, A paper commissioned by the NSW Department of Education
Ancrage dans les connaissances préalables des élèves
Les notions de corrélation, de limites ou de dérivées présentent des difficultés aux élèves, car ils n’ont généralement pas beaucoup de connaissances dans ces domaines.
S’inspirer de l’expérience des élèves, d’anecdotes, et faire des liens avec des connaissances vues dans d’autres chapitres et d’autres matières peut leur faciliter la compréhension et l’inférence sur ce type de concepts abstraits.
En retour, cet ancrage favorise le transfert de concepts abstrait tel, que nous l’attendons dans le cadre de la résolution de problèmes et la réalisation de tâches complexes.
Concevoir un enseignement explicite de l’esprit critique
Les stratégies liées à l’esprit critique sont des abstractions. Une approche plausible pour les enseigner est de les rendre explicites et de procéder par étapes.
La première fois que la stratégie est présentée :
- Nous l'expliquons avec de multiples exemples qui en montrent toutes les nuances.
- Nous faisons pratiquer les élèves dans la foulée et nous vérifions leur compréhension
- Nous montrons comment elle s’applique directement au contenu du cours en question y trouve du sens.
- Nous identifions la stratégie comme étant applicable dans divers contextes. Ceci peut être favorisé par des questions comparatives qui favorisent l’induction et la justification d’un schéma général.
- Nous faisons pratiquer nos élèves :
- Nous favorisons les démarches d’élaboration des explications et de la justification, plus que de simplement s'engager dans la poursuite d’une résolution en vue de la solution.
- Nous incluons des analogies dans la pratique guidée et autonome. Celles-ci portent sur une diversité des contextes, spécifiquement éloignés les uns des autres, dans le cadre des exercices et de problèmes abordés. Cela encourage chez nos élèves une attention et un traitement plus profond. Nous mettons ainsi en évidence la structure profonde abstraite.
- Dans les cours et chapitres futurs, nous évoquons à nouveau la stratégie d’esprit critique pour voir si les élèves s’en souviennent clairement et s’ils peuvent appréhender comment elle s’applique dans un nouveau contexte. Ce type de comparaison entre situations de contextes différents favorise la mise en évidence des analogies. Celles-ci sont un critère précieux de discrimination et de détermination de la compétence à transférer. Cette démarche permet d’activer l’effet d’espacement.
- Avec encore plus de pratique distribuée et intercalée, les élèves peuvent voir quelle stratégie s’applique sans qu’il devienne nécessaire de donner trop d’indices. Le transfert se met en oeuvre très progressivement de cette manière.
Mis à jour le 25/09/21
Bibliographie
Willingham, D. T. (2007). Critical Thinking: Why Is It So Hard to Teach? American Educator, 31, 8–19
Susan M. Barnett and Stephen J. Ceci (2002). When and where do we apply what we learn? A taxonomy for far transfer. Psychological Bulletin, Vol 128. N° 4. 612–637
Richard, Mario (2016). L’éducation aux médias à la lumière des données probantes. In Landry, Normand, & Letellier, Anne-Sophie (Ed.), L'éducation aux médias à l'ère numérique : entre fondations et renouvellement. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, coll. « Paramètres ».
Daniel T. Willingham, 2019, How to Teach Critical Thinking, A paper commissioned by the NSW Department of Education
Smith MD. Cognitive Validity: Can Multiple-Choice Items Tap Historical Thinking Processes? American Educational Research Journal. 2017;54(6):1256-1287. doi:10.3102/0002831217717949
Pawl, Andrew & Mitchell, Rudolph. (2012). What do seniors remember from freshman physics?. Physical Review Special Topics - Physics Education Research. 8. 10.1103/PhysRevSTPER.8.020118.
Bahrick, H. P. (1984). Semantic memory content in permastore: Fifty years of memory for Spanish learned in school. Journal of Experimental Psychology: General, 113(1), 1–29. https://doi.org/10.1037/0096-3445.113.1.1
Bahrick, H. P., & Hall, L. K. (1991). Lifetime maintenance of high school mathematics content. Journal of Experimental Psychology: General, 120(1), 20–33. https://doi.org/10.1037/0096-3445.120.1.20
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