Tout observateur d’une classe qui les suit le long d’une journée avec plusieurs enseignants peut rapidement remarquer que les élèves prennent des habitudes fort différentes de l’un à l’autre. C’est ce qu’a fait Allen (1986) dans le cadre de ses recherches.
Ces habitudes dépendent en partie des spécificités de la matière enseignée, mais sont également induites par les pratiques et attitudes des enseignants eux-mêmes.
(Photographie : Brad Moore)
L’hétérogénéité dans le comportements des élèves en classe
Dans un précédent article, nous avons décrit les objectifs poursuivis par les élèves en classe et les stratégies mises en œuvre pour les atteindre en classe.
Cependant, tous les élèves ne se comportent pas de la même manière. Le degré d’utilisation par les élèves de chacune des six stratégies décrites varie en fonction de l’importance relative qu’ils accordent à leurs objectifs de socialisation et de réussite du cours.
Cette variation dans l’utilisation des stratégies peut être considérée, du point de vue des élèves, comme distribuée le long d’un continuum entre le fait de travailler pour réussir et de s’amuser pour se socialiser.
Bien qu’il s’agisse d’un continuum, les élèves peuvent généralement être identifiés et regroupés en quatre groupes principaux en fonction de la proportion de temps passé à se socialiser ou à s’investir dans le cours :
- S’amuser
- S’amuser/travailler
- Travailler/s’amuser
- Travailler
Ce qui est important pour les élèves, c’est :
- La clarté avec laquelle leurs enseignants communiquent aux élèves leurs attentes scolaires et comportementales.
- Le degré de coopération qui existe entre les élèves et l’enseignant.
Le regroupement des élèves le long de ce continuum travailler/s’amuser se fait selon trois critères :
- Les élèves se considèrent eux-mêmes et leurs camarades de cette manière.
- Les enseignants décrivent leurs élèves de cette manière selon leur engagement et leurs attitudes face au cours.
- La recherche sur le thème du travail ou celui de l’amusement en tant que dimensions des contextes sociaux dans une classe permet de considérer l’appartenant à un groupe ou l’autre suivent les comportements manifestés et privilégiés.
S’amuser
Les élèves de ce groupe sont presque exclusivement préoccupés par la socialisation, et peu par la réussite du cours.
Ils consacrent la majeure partie de leur temps et de leurs efforts, pendant qu’ils sont en classe, à s’engager dans la stratégie « s’amuser » pour atteindre leurs objectifs de socialisation.
Les objectifs de réussite du cours, quels qu’ils soient, semblaient être le résultat indirect de la coopération avec d’autres étudiants pour « minimiser le travail » afin d’augmenter le temps consacré à la socialisation. La stratégie « réduire l’ennui » ne semblait pas être une préoccupation pour ces élèves, puisqu’ils déployaient déjà un effort maximal dans la socialisation et ne s’ennuyaient donc pas.
Ces élèves semblaient également incapables ou peu désireux de s’engager dans la stratégie « rester à l’écart des problèmes ». Ce sont les élèves qui ont constamment des problèmes de comportement et des problèmes scolaires.
S’amuser/travailler
Ces élèves sont principalement préoccupés par la socialisation, mais également préoccupés par la réussite, au moins minimale, du cours.
Leurs principaux efforts étaient axés sur la socialisation avec leurs amis, mais ils ont habilement incorporé suffisamment de stratégies nécessaires pour réussir tout de même le cours.
Souvent, ils utilisent exactement les mêmes tactiques de « s’amuser » que les élèves qui cherchent principalement à s’amuser. La principale différence est que ces élèves savent généralement quand cesser leur comportement « s’amuser » afin de « faire ce que l’enseignant veut » pour réussir le cours au moins de justesse.
Ces élèves font également un usage intensif des stratégies « minimiser le travail » et « réduire l’ennui » pour atteindre leurs objectifs de socialisation.
Travailler/s’amuser
Ces élèves ont mis leurs efforts pour réussir le cours avec un bon niveau. Ils ont également cherché à se socialiser, mais seulement lorsqu’ils étaient sûrs que cela ne nuirait pas à l’obtention d’une bonne note pour réussir le cours.
Ces élèves se préoccupaient principalement des stratégies « faire ce que veut l’enseignant » et « éviter les problèmes ». Cependant, ils ont aussi fréquemment utilisé la stratégie « minimiser le travail » pour atteindre une certaine socialisation tout en faisant le travail nécessaire pour obtenir une bonne note.
Travailler
Ces élèves sont presque exclusivement préoccupés par l’obtention de bonnes notes pour réussir le cours et ne se soucient guère de se socialiser avec les autres élèves.
Les relations sociales qu’ils entretiennent ont généralement pour but d’obtenir de l’aide ou des informations afin de mieux s’assurer d’obtenir une note élevée dans la classe.
Ils sont toujours en train de « faire ce que veut l’enseignant » comme stratégie pour obtenir une bonne note.
Paramètres de gestion de la classe du point de vue des élèves : la clarté et la coopération
Ces profils d’élèves ne sont pas fixes d’un cours à l’autre. Les élèves peuvent se comporter différemment en fonction du cours et de l’enseignant.
Du point de vue des élèves, deux paramètres majeurs d’interaction en classe semblent influencer les stratégies utilisées et donc leur type prédominant :
- Le premier paramètre est la clarté avec laquelle l’enseignant communique ses attentes scolaires et comportementales aux élèves. Moins ces attentes sont claires, plus les élèves ont tendance à privilégier la socialisation.
- Un deuxième paramètre est le degré de coopération existant entre les élèves et l’enseignant pour établir un environnement de classe confortable. Cette coopération est facilitée par la prise de conscience par l’enseignant de la dualité des objectifs des élèves. L’enseignant bénéficie alors plus de la coopération des élèves dans les activités de classe.
Un enseignant doit viser à être explicitement clair sur les normes scolaires et comportementales de sa classe. Il doit être également capable d’établir un environnement de classe coopératif et détendu. Cela permet aux élèves d’apprécier la vie sociale tout en remplissant les conditions requises pour réussir le cours.
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Prendre en compte les attentes de clarté et de coopération des élèves en classe
La majorité des élèves ont deux objectifs majeurs en classe : socialiser et réussir le cours
Une fois que les élèves ont fini de « comprendre le professeur », ils commencent à « s’amuser », « faire ce que l’enseignant veut » et « minimiser le travail » pour atteindre ces objectifs pendant les événements de routine de la classe.
Si la situation en classe devient critique, les élèves ont alors recours aux stratégies « réduire l’ennui » et « éviter les problèmes » pour atteindre leurs objectifs.
Les élèves apprécient la clarté des enseignants concernant les attentes de la classe et apprécient la coopération avec les enseignants lorsque ces derniers leur permettent de poursuivre leurs deux objectifs.
Les élèves cherchent à réussir le cours et à passer de bons agréables en classe, mais ces deux objectifs sont potentiellement en tension.
Les élèves s’engagent d’autant mieux dans les apprentissages ;
- Qu’ils y prennent plaisir dans un cadre clair et coopératif.
- Que les situations de classe sont cadrées par des limites qu’ils considèrent comme acceptables.
Les élèves veulent savoir ce que leurs enseignants attendent d’eux afin de remplir les conditions nécessaires à la réussite du cours. Cela reste vrai, quel que soit le niveau scolaire qu’ils souhaitent. Sachant cela, ils peuvent alors estimer et optimiser le temps dont ils disposeront pour se socialiser.
Dans un cours où les attentes exprimées par l’enseignant sont peu élevées, les élèves ont tendance à faire la part belle à la socialisation.
Le verre est à moitié vide ou à moitié plein :
- Se distraire peut empêcher de travailler.
- S’engager dans le travail empêche de se laisser distraire.
La dimension agréable peut être atteinte avec l’enseignant, sinon sans lui, voire contre lui.
Implications des attentes de socialisation et de réussite des élèves pour un bon climat de classe
Il existe une dimension interactive entre les stratégies d’élèves et celles des enseignants qui influe sur le climat de classe.
Les stratégies influentes des enseignants ne se limitent pas à la gestion des comportements, mais également à celle de la coopération. Nous allons consacrer la suite de cet article à ce second point.
Il existe un défi pour l’enseignant au niveau de l’établissement de la coopération :
- Les interactions entre élèves et entre élèves et enseignant s’appuient sur le désir des élèves de se socialiser. Les élèves disposent d’une motivation intrinsèque à se socialiser et à s’assurer une expérience de classe agréable.
- L’enjeu pour l’enseignant sera de cadrer la coopération autour des activités d’apprentissage, d’un dialogue formatif ou d’un tutorat entre élèves en classe. L’enseignant met en place des activités variées. Il sait être agréable, patient et respectueux dans ses échanges avec ses élèves. Il parvient à ce que ses élèves coopèrent : les élèves socialisent tout en travaillant, et ces deux buts ne divergent pas. Cet état est d’autant plus faisable que l’enseignant installe un cadre précis et cohérent, et qu’il met en œuvre des attentes élevées.
À défaut, les élèves peuvent se socialiser aux dépens de l’enseignant, en travaillant de façon minimale. Ils peuvent bavarder pour réduire l’ennui ressenti. Ils peuvent courir le risque d’avoir des problèmes avec l’enseignant.
Un autre souci est l’hétérogénéité des niveaux. Si l’enseignant n’en tient pas compte et n’inclut pas une forme de différenciation dans son enseignement, il court certains risques. Les élèves les plus à l’aise peuvent tenter de passer un moment socialement agréable tout en réussissant. Les élèves les moins à l’aise passent leur énergie à essayer de réussir scolairement et rencontrent des difficultés à centrer leur attention.
En conclusion, suivant l’attitude de l’enseignant, les buts « réussir le cours » et « se socialiser » peuvent être concurrents ou concourants. Lorsque les élèves apprécient le cours, ils passent un bon moment tout en répondant aux attentes de l’enseignant.
À l’opposé, si les pratiques de l’enseignant ne permettent pas aux élèves de vivre un moment agréable, il y a une opposition. Les élèves sont alors tentés de chercher par eux-mêmes à se distraire de diverses manières avec tous les risques que cela comporte.
La capacité à rendre les apprentissages agréables caractérise, selon les élèves, les bons enseignants. Les élèves s’engagent plus facilement dans des cours variés, des activités coopératives, participatives, ainsi qu’avec des professeurs qui montrent leur enthousiasme, font preuve d’humour et de créativité.
Tout cela implique une capacité des enseignants à mettre en œuvre un cadre, à favoriser l’engagement et la coopération des élèves et à apporter le soutien nécessaire à l’expression d’attentes élevées. Les apprentissages sont parfois ardus, demandent des efforts, de la persévérance, le plaisir peut provenir de la satisfaction d’avoir réalisé ou appris quelque chose qui semblait difficilement accessible. À ce titre, les pratiques d’enseignement efficaces sont essentielles.
Mis à jour le 31/08/2023
Bibliographie
Allen J. D. Classroom Management: Students’ Perspectives, Goals, and Strategies. American Educational Research Journal. 1986;23(3):437-459. doi:10.3102/00028312023003437
Audrey Murillo, Prendre un bon départ avec ses classes, ESF, 2021
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