jeudi 4 août 2022

Stratégies comportementales et objectifs personnels des élèves en classe

À quoi pense un élève lorsqu’il arrive en classe en début d’année scolaire et au cours de celle-ci ? Quel agenda personnel suit-il lors des cours et quelles stratégies explore-t-il ? Dans une recherche qualitative intéressante, James Allen (1986) s’est intéressé à ces questions en adoptant le point de vue de l’élève.

(Photographie : Eirik Johnson)






Comprendre la perspective des élèves dans une approche bidirectionnelle des interactions en classe



En 1983, James D. Allen a réalisé une étude qualitative sur la gestion de classe. Elle a impliqué 97 élèves de 14-15 ans qui ont été observés dans une école pendant 15 semaines au sein de cinq classes différentes. Les données ont été recueillies à partir d’observations directes, ainsi que d’entretiens avec les élèves et les enseignants. 

Caractère un tant soit peu exotique, en tant qu’observateur participant, le chercheur s’est également observé lui-même en participant activement en tant qu’élève dans chacune de ces classes. 

Cette expérience comprenait pour le chercheur des sentiments de peur et d’anxiété pour avoir des cours non préparées. Elle a croisé de la colère et du ressentiment envers l’enseignant pour des remarques et réprimandes dévalorisantes et sarcastiques. Elle a permis de ressentir du plaisir et de l’amusement en partageant le badinage humoristique entre les élèves et les enseignants, et de l’ennui face à un enseignement mal préparé ou redondant. 

Le caractère intéressant et original de l’étude vient du fait qu’elle adopte le point de vue des élèves. À l’opposé, l’essentiel du champ de recherche de l’approche écologique de la gestion de classe prend le point de vue de l’enseignant. La majorité des recherches sur la gestion de la classe portent sur l’établissement des comportements de l’enseignant qui permettent de mieux gérer le comportement de ses élèves.

Envisager la gestion de la classe du point de vue des élèves est l’autre moitié de la recherche sur la gestion de la classe d’un point de vue bidirectionnel.

Le point de vue de James D. Allen est que la gestion de la classe peut être considérée comme étant influencée de manière bidirectionnelle :
  • Les élèves influencent les comportements des enseignants en matière de gestion de classe.
  • Les enseignants influencent les comportements des élèves. 

James D. Allen (1986) a cherché à établir quels objectifs de classe les élèves recherchaient, quelles stratégies ils développaient pour atteindre ces objectifs, quand ils choisissaient d’utiliser ces stratégies, et quels types d’élèves utilisaient chaque stratégie. 



Le cadre théorique de l’interaction symbolique en gestion de classe


Le cadre théorique adopté est celui de la théorie de l’interaction symbolique. Ce point de vue théorique suppose que dans l’interaction entre deux groupes, en l’occurrence les élèves et les enseignants, les individus agissent dans une perspective de groupe basée sur la culture de leur groupe. 

Ainsi, les comportements des élèves en classe sont basés sur les normes de la culture des élèves/jeunes et les comportements des enseignants sont basés sur les normes de la culture des enseignants/adultes. 

Comprendre la manière dont la culture des élèves se manifeste en classe à travers les stratégies et les objectifs appartenant à leur propre programme est utile. Cela devrait permettre de mieux comprendre l’interaction entre élève et enseignant et la gestion de la classe.

Les enseignants adultes peuvent avoir un programme efficace ou inefficace pour gérer leur classe. Le programme des enseignants comprend certaines stratégies, dont certaines aident les enseignants à atteindre leurs objectifs de gestion de la classe, et d’autres les empêchent d’atteindre leurs objectifs.

Les élèves adolescents devraient également avoir un certain agenda à remplir qui influence la gestion de leur classe par l’enseignant en retour. Il y aurait certaines stratégies qu’adoptent les élèves pour les aider à atteindre les objectifs de leur programme. Il y aurait certaines stratégies qu’adoptent les élèves pour les aider à contourner ou à s’adapter aux objectifs propres aux enseignants. 

Les élèves ont des objectifs en classe et certaines stratégies qu’ils utilisent pour atteindre ces objectifs. Des stratégies particulières sont mobilisées par différents types d’élèves au cours de différents types d’événements en classe. Les enseignants sont influencés à divers degrés par les stratégies des élèves et que ces stratégies ont un effet sur la gestion de la classe.



Se socialiser et réussir le cours, les deux objectifs contradictoires des élèves en classe


D'après les résultats des recherches de James D. Allen (1986), les élèves (14-15 ans) avaient deux objectifs principaux à atteindre : 
  • Se socialiser
  • Réussir le cours
À quelques exceptions près (par exemple, dormir, se mettre en retrait psychologiquement, etc.), tous les comportements des élèves en classe peuvent être considérés comme visant à atteindre l’un de ces deux objectifs. 

Les élèves considèrent ces deux objectifs comme distincts l’un de l’autre, mais les deux semblaient, du point de vue des élèves, pouvoir être atteints simultanément.



Se socialiser


L’une des principales raisons pour lesquelles les élèves aiment l’école est que c’est l’endroit où ils peuvent se réunir et se socialiser, en présence, avec leurs amis. Cette socialisation, du point de vue des élèves, s’étend naturellement à l’espace et au contexte de la classe. Elle explique une grande partie de leur comportement en classe. 

La socialisation implique des interactions avec les autres élèves, ainsi qu’avec l’enseignant. Ces interactions tendent à concerner généralement des sujets non directement scolaires. Elles prennent la forme de discussions, de plaisanteries sur des sujets extérieurs et dans le cadre d’un comportement ludique général plutôt que scolaire. 

Ces comportements étaient intrinsèquement motivés et étaient liés aux normes des élèves. Ils visaient à créer une expérience agréable avec leurs amis dans la classe.

La socialisation est motivée intrinsèquement. De plus elle correspond à une compétence biologiquement primaire pour laquelle nous disposons de biais motivationnels qui nous incitent à nous y engager et qui ne nécessite pas d'efforts.



Réussir le cours


Réussir le cours implique de s’engager dans des activités, à la fois individuellement et en coopération avec des pairs, qui aident les élèves à satisfaire aux exigences de réussite d’un cours particulier. 

Ces activités sont considérées par les élèves comme du travail. Elles comprennent les activités en classe, les devoirs à la maison, les travaux en classe ou les évaluations.

La réussite du cours est généralement motivée extrinsèquement par l’enseignant. Elle correspond au développement de une compétence biologiquement primaire pour laquelle nous ne disposons pas de biais motivationnels qui nous incitent à nous y engager et qui demandent de fournir des efforts.



Les stratégies employées par les élèves en classe pour atteindre leurs objectifs de socialisation et de réussite


Les élèves ont utilisé six stratégies pour atteindre leurs objectifs de socialisation et de réussite : 
  • Stratégie préliminaire utilisée lors des événements initiaux en classe : 
    • Comprendre ce que veut l’enseignant
  • Stratégies proactives utilisées pendant les événements routiniers en classe : 
    • S’amuser
    • Faire ce que veut l’enseignant 
    • Minimiser le travail
  • Stratégies réactives utilisées pendant les événements critiques en classe : 
    • Réduire l’ennui
    • Éviter les problèmes

Les stratégies proactives sont initiées par les élèves, quelles que soient les attentes de l’enseignant en classe. Il s’agit des stratégies préférées des élèves pour atteindre activement leurs objectifs.

Les stratégies réactives sont utilisées pour réagir ou s’adapter au fonctionnement de l’enseignant lorsqu’il entre en opposition avec celui des élèves. Bien que les objectifs de ces stratégies réactives soient les mêmes que ceux des stratégies proactives, leur intention est différente pour les élèves. Elles sont utilisées lorsque la situation en classe prenait un caractère critique du point de vue des élèves.


Comprendre ce que veut l’enseignant


Comprendre l’enseignant est la stratégie préliminaire utilisée par les élèves au cours des premiers jours de l’année scolaire pour chaque cours (événements initiaux). 

Il s’agissait du point de départ fondamental pour les élèves de comprendre quelles étaient les limites de l’enseignant en matière de socialisation en classe et quelles étaient ses exigences pour la réussite du cours.

Cette stratégie permet aux élèves de déterminer quelles stratégies pouvaient être employées par la suite pour atteindre les objectifs de socialisation et de réussite du cours.

Parmi les principales tactiques utilisées dans le cadre de la stratégie de compréhension de l’enseignant, nous pouvons citer : 
  • Une période d’attente passive pour découvrir ce que l’enseignant dit des attentes de la classe.
  • Une période de clarification de la part de l’enseignant concernant ses exigences et ses attentes.
  • Une période de test pour établir les limites exactes jusqu’auxquelles l’enseignant peut être poussé dans ses exigences avant de prendre des mesures disciplinaires.

Pendant la période d’attente, par exemple, les élèves sont extrêmement (anormalement) calmes et aiment que l’enseignant soit explicite quant à ses attentes en matière de comportement des élèves.

Si les enseignants ne sont pas explicites quant aux règles, les élèves tendent à poser des questions pour clarifier les attentes de l’enseignant. 

Après quelques jours tranquilles passés à découvrir les attentes et les normes des enseignants en matière de comportement et de résultats scolaires, les élèves commencent à tester les limites. Il s’agit notamment de déterminer la personnalité générale de l’enseignant et le niveau d’impartialité et d’équité dont il fait preuve dans l’application de ses règles.

Après avoir compris l’enseignant, ce qui n’est généralement qu’une question de quelques jours, les élèves commencent à déployer leurs autres stratégies. Ces stratégies vont les aider à atteindre leurs objectifs de socialisation et de réussite du cours.



La stratégie de l’amusement


La stratégie « s’amuser » est une stratégie proactive utilisée par les élèves strictement axée sur la réalisation de la socialisation. 

Cette stratégie comprend des tactiques telles que :
  • La coopération entre pairs
  • L’humour
  • Les activités ludiques
  • Les conversations sociales. 

L’humour prend souvent la forme de plaisanteries avec l’enseignant ou de moqueries sur la matière enseignée. Pour les élèves, cela semble contribuer positivement à la gestion de la classe et favoriser un environnement plus détendu pour l’apprentissage, grâce au sens de l’humour de l’enseignant. 

D’autres tactiques pour s’amuser consistaient à jouer avec des accessoires. Il s’agit d’activités secrètes et la grande majorité d’entre elles n’ont pas été détectées par les enseignants.

Les conversations sociales comprennent les discussions générales avec les amis sur des activités non scolaires extérieures au cours.



La stratégie de faire ce que veut l’enseignant


Cette stratégie proactive, « Faire ce que veut l’enseignant », est utilisée par les élèves pour réussir le cours. 

Elle prend diverses formes. C’est notamment le fait de travailler de manière autonome sur les devoirs et les travaux en classe, de participer aux exercices oraux et aux discussions en classe. C’est aussi suivre les instructions de l’enseignant concernant les travaux en classe et le comportement. C’est également utiliser le temps libre en classe pour étudier pour les tests et travailler sur d’autres devoirs.

Le temps libre, par exemple, se produit le plus souvent au début du cours, lorsque la classe s’installe et que l’enseignant s’occupait de la liste de présence. Certains élèves utilisent ce temps pour revoir en vue des tests ou pour terminer leurs devoirs plutôt que pour se socialiser avec leurs amis.

La motivation est souvent extrinsèque et liée aux attentes élevées exprimées par l’enseignant. L’utilisation de cette stratégie semble liée au fait que les élèves ont compris très tôt que l’enseignant en question est strict et qu’il est primordial pour lui que les élèves expriment les comportements attendus.



La stratégie de minimiser le travail


La stratégie « Faire ce que veut l’enseignant » a été observée le plus souvent dans les classes où le professeur exprimait des attentes élevées. Une stratégie plus répandue dans les classes plus détendues est la stratégie proactive « minimiser le travail ». 

Cette stratégie est utilisée par les élèves pour compléter leur socialisation tout en réussissant le cours. Le but était de maximiser le temps de socialisation en minimisant le niveau de travail nécessaire pour réussir le cours. 

Les cours dans lesquels les élèves ont pu utiliser cette stratégie le plus librement sont ceux qu’ils ont le plus appréciés. Cette stratégie leur permet d’atteindre leurs deux objectifs tout en répondant aux exigences de l’enseignant. 

Les tactiques utilisées pour « minimiser le travail » étaient les suivantes : 
  • Coopération avec d’autres élèves pour les travaux.
  • Réalisation des travaux selon le principe de l’immédiateté (expédier vite et bien).
  • Remise en question et négociation du niveau de travail attendu par l’enseignant.

Le principe d’immédiateté implique que les élèves travaillent sur les devoirs qui sont dus le plus immédiatement, même si cela signifie qu’ils doivent les faire pendant un autre cours. 

Les élèves tentent de négocier parfois avec l’enseignant sur la quantité de travail en classe, sur les devoirs à la maison ou les tests. 



La stratégie de réduire l’ennui


Les événements en classe deviennent critiques du point de vue des élèves de deux manières lorsqu’ils considèrent que c’est la faute de l’enseignant :
  • Les élèves trouvent le cours ennuyeux, car l’enseignant manque de compétences en gestion de classe. 
  • Les élèves voudraient poursuivre leurs objectifs de réussite pour le cours, mais la manière ennuyeuse dont l’enseignant a établi les exigences du cours a amené les élèves à mettre en place leur stratégie de réduction de l’ennui.

Le déficit de l’enseignant est perçu en gestion de classe ou dans des pratiques d’enseignement.

Les tactiques les plus souvent utilisées pour réduire l’ennui sont : 
  • La coopération entre pairs
  • L’humour
  • Les activités ludiques. 

Les élèves considéraient le fait de s’amuser comme un moyen de répondre à leur désir naturel de se socialiser en classe. Leur démarche permettait de réduire l’ennui par la socialisation, en subvertissant le programme de travail de l’enseignant trouvé ennuyeux. 

Réduire l’ennui a souvent pris une nature agressive ou provocatrice envers l’enseignant et les activités de la classe :
  • Par exemple, l’humour utilisé pour réduire l’ennui est souvent sarcastique et dégradant. 
  • Il peut s’agir de faire des commentaires sarcastiques à l’enseignant sur son comportement ou son cours dans le but de l’embarrasser.

Les tactiques ludiques souvent dirigées contre les routines de la classe ou la méthode d’enseignement de l’enseignant que les élèves trouvaient ennuyeuse. Elles apparaissaient notamment dans les moments où l’enseignant expliquait une matière que les élèves croyaient déjà connaître, ou lorsqu’il y avait beaucoup de temps morts dans la classe.


La stratégie d’éviter les problèmes


Les élèves considèrent les événements de la classe comme critiques lorsqu’ils perçoivent qu’ils sont devenus trop ambitieux dans leur recherche de socialisation avec la stratégie « s’amuser ».

Ils ignorent les directives de l’enseignant concernant le travail en classe, ce qui amène souvent l’enseignant à prendre des mesures strictes pour contrôler la socialisation des élèves. 

Si la plupart des élèves se sont rendus responsables de ce type d’événement critique, d’autres ont rejeté la faute sur l’enseignant pour avoir laissé la classe devenir trop détendue. 

Quel que soit le responsable, les élèves ont adopté la stratégie consistant à éviter les problèmes. 

Cette stratégie est l’inverse de celle qui consiste à réduire l’ennui. 

Des élèves cherchaient précédemment à se socialiser en s’amusant. Ils se sont parfois retrouvés dans l’obligation de mettre en place la stratégie réactive « éviter les problèmes » afin d’obtenir au moins une note minimale pour réussir l’examen. 

Certaines des tactiques visant à éviter les problèmes peuvent ne pas aider les élèves à améliorer directement leurs notes, mais elles permettent également à l’élève de rester en classe. S’il est expulsé de la classe, il lui serait beaucoup plus difficile de réussir le cours.

Parmi les tactiques utilisées pour éviter les problèmes, nous pouvons citer :
  • Se calmer en mettant fin aux activités de bavardage et de jeu
  • Changer de place en classe pour s’éloigner de quelqu’un qui cause des problèmes ou distrait.
  • S’appliquer pour que l’enseignant ne les fasse pas échouer parce qu’ils n’ont pas fait le travail et commencer à tenter de récupérer la situation avant qu’il ne soit trop tard.
  • Protéger les amis qui risquent d’avoir des problèmes et rejeter la faute sur des personnes qui ne sont pas des amis, ce qui se manifeste par l’apparition de clivages en classe.

Mis à jour le 29/08/2023

Bibliographie


Allen J. D. Classroom Management: Students’ Perspectives, Goals, and Strategies. American Educational Research Journal. 1986;23(3):437-459. doi:10.3102/00028312023003437

Audrey Murillo, Prendre un bon départ avec ses classes, ESF, 2021

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