Les enseignants performants comprennent et connaissent le contenu qu’ils enseignent et la manière dont il est enseigné optimalement et appris dans de bonnes conditions par leurs élèves.
(Photographie : Michael Schreiner)
Les enseignants doivent avoir une connaissance approfondie et fluide et une compréhension flexible du contenu qu’ils enseignent et de la manière dont il est appris, dans le contexte des dépendances inhérentes au contexte de l’enseignement.
Ils doivent disposer d’un répertoire explicite d’explications, d’exemples et de tâches bien conçus pour chaque sujet qu’ils enseignent.
Priorités des enseignants performants selon le Great Teaching Toolkit
Dans le cadre du Great Teaching Toolkit, Rob Coe et ses collègues (2020) ont identifié quatre priorités pour les enseignants qui veulent aider leurs élèves à apprendre davantage :
- Comprendre le contenu qu’ils enseignent et la manière dont il est appris
- Créer un environnement favorable à l’apprentissage
- Gérer la classe pour maximiser les possibilités d’apprentissage
- Présenter des contenus, des activités et des interactions qui activent la pensée de leurs élèves.
Dans le cadre de cet article, nous allons explorer la première priorité.
La priorité de la connaissance de la matière enseignée
Le choix d’intégrer et de placer au premier plan la connaissance du contenu et sa didactique n’est pas anodin pour le Great Teaching Toolkit :
- D’un côté, il peut paraître inutile que les enseignants aient une bonne connaissance du contenu si leurs actions en classe ne le reflètent pas.
- D’un autre côté, il s’agit probablement d’un prérequis plutôt que d’un point central de l’apprentissage professionnel des enseignants.
Il y a suffisamment de preuves que les enseignants efficaces doivent avoir des types particuliers de connaissances et de compréhension de la matière qu’ils enseignent.
L’implication immédiate est que certains enseignants pourraient travailler cet aspect avec profit afin de progresser.
Avoir une connaissance approfondie et fluide et une compréhension flexible du contenu enseigné
Le premier élément de cette dimension est qu’il est nécessaire de posséder une connaissance du contenu disciplinaire à enseigner, de manière approfondie et interconnectée.
Les enseignants doivent savoir comment différentes idées dans leur sujet ou leur domaine sont liées, similaires, séquentielles, analogues ou distinctes :
- Ils ont réfléchi et ont de bonnes réponses à donner aux questions du type « Pourquoi ? » et « Que se passerait-il si… ? » que les élèves peuvent se poser. Ils les suscitent auprès de leurs élèves pour promouvoir une pensée connectée et de type supérieur.
- Ils sont capables de résoudre aisément tous les types de problèmes qu’ils doivent aider les élèves à résoudre.
- Ils proposent des réponses modèles qui présentent les compétences et les connaissances qu’ils attendent de leurs élèves, exemptes de toute erreur.
Les enseignants possèdent des connaissances théoriques pratiques dans le domaine de l’apprentissage de leur matière.
Il ne suffit pas d’être capable d’effectuer correctement toutes les tâches attendues, il faut aussi connaitre leur anatomie fondamentale et la traduire de manière explicite en connaissances déclaratives assimilables par les élèves.
Connaitre les exigences de l’enchainement et les dépendances du programme par rapport au contenu et aux idées enseignées
Lee Shulman (1986) a mis l’accent sur l’interaction de deux domaines souvent considérés comme des aspects exclusifs de l’enseignement :
- La connaissance des contenus
- La connaissance pédagogique.
Le deuxième élément de cette dimension est que si les enseignants veulent être efficaces, ils doivent associer simultanément les exigences du contenu et celles de la pédagogie.
Lee Shuman (1986) a introduit le concept de connaissance du contenu pédagogique qui représente le mélange du contenu et de la pédagogie. Elle est une compréhension de la façon dont des contenus, des problèmes ou des questionnements particuliers sont organisés, représentés et adaptés aux divers intérêts et capacités des apprenants, et présentés pour l’enseignement. Cet aspect implique de connaitre et d’être capable d’expliquer les dépendances et les liens entre les différents éléments constitutifs d’un programme scolaire donné.
Il inclut les exigences en matière de séquençage :
- Si nous voulons que les élèves apprennent un sujet spécifique, quelles connaissances et compétences préalables doivent-ils posséder pour permettre ce nouvel apprentissage ?
- Si un élève éprouve des difficultés avec un concept ou une procédure particulière, quels types de lacunes dans ses connaissances sous-jacentes pourraient en être l’explication ?
- Pour chaque nouvelle idée, quels liens les apprenants doivent-ils établir avec les connaissances existantes ?
Ce type de connaissance fine du programme par l’enseignant se manifeste dans sa planification, dans l’enchainement des tâches en classe et le déroulé des objectifs d’apprentissage. L’efficacité de l’enseignement prodigué dépend d’un enchainement adéquat et de la réactivation planifiée des connaissances antérieures.
Connaitre les tâches, les évaluations et les activités pertinentes du programme, leur potentiel diagnostique et didactique, et être capable de générer des explications variées et de multiples représentations, analogies et exemples pour les concepts enseignés
Le troisième élément de cette dimension est la connaissance :
- Des tâches et des activités liées au programme scolaire
- Des explications, modèles, des analogies, des représentations visuelles et des exemples standard pour expliquer et transmettre les idées difficiles.
L’expertise dans l’enseignement d’un sujet particulier nécessite de disposer d’un répertoire d’activités appropriées. Elle implique surtout de comprendre « le potentiel didactique et diagnostique des tâches, leurs exigences cognitives et les connaissances préalables qu’elles requièrent implicitement » (Baumert & Kunter, 2013).
Les enseignants experts sont facilement capables de générer ou de sélectionner des activités d’apprentissage qui :
- Sont appropriées au niveau de défi requis
- Suscitent des informations diagnostiques sur la pensée des apprenants.
Cette expertise est susceptible d’être très spécifique à un sujet délimité à l’intérieur d’une matière donnée. Un enseignant de biologie peut être facilement capable d’identifier d’excellentes ressources pour enseigner l’immunologie, mais disposer d’un répertoire beaucoup moins riche pour l’écologie, par exemple. Son collègue proche peut disposer d’une expertise inverse ce qui renforce l’utilité d’un travail collaboratif.
Pour chaque sujet qu’ils enseignent, les enseignants performants auront appris des façons efficaces de présenter les idées. Ce sont des explications que les élèves comprennent et à travers lesquelles ils apprennent.
Dans le modèle classique d’enseignement direct (Adams et Engelmann, 1996), par exemple, ces explications sont soigneusement affinées et scénarisées. Il est peu probable que l’explication spontanée d’un enseignant soit aussi bonne qu’une présentation scénarisée de haute qualité.
En présentant des idées abstraites, les enseignants performants mobilisent des analogies, des modèles et des représentations pour aider les apprenants à visualiser les concepts et à les relier à ce qu’ils connaissent déjà.
Par exemple, le modèle de la balle et du bâton en chimie représente les molécules d’une manière concrète et visuelle qui facilite la compréhension de la raison pour laquelle les atomes se lient de manière particulière. Il s’agit d’un moyen efficace d’introduire les idées, mais bien sûr, il n’est pas réellement vrai et doit être révisé à mesure que la compréhension des élèves progresse.
Même avec la meilleure explication, certains élèves peuvent ne pas comprendre. Les enseignants doivent avoir plus d’une façon d’expliquer ou de présenter l’idée, ainsi que plusieurs exemples et non-exemples (idéalement adaptés à l’idée fausse ou à la lacune de l’élève). Ils continuent jusqu’à ce que leurs élèves comprennent.
Le point essentiel concernant ces explications, modèles, analogies, représentations et exemples est qu’ils font partie de la connaissance du contenu pédagogique de l’enseignant.
Dans de nombreux systèmes, les enseignants sont censés les apprendre sur le tas, par essais et erreurs, expérience, intuition et partage ad hoc. Mais ces connaissances peuvent également être enseignées de manière explicite. Les bons enseignants ont également accès à d’excellents supports et exemples d’approches, plutôt que d’avoir à chercher ou à créer les leurs.
Le modèle de Frayer, un outil de modelage
Le modèle Frayer est un organisateur graphique conçu par Dorothy Frayer et ses collègues (1969) à l’Université du Wisconsin. Il s’agit d’un modèle simple, mais efficace pour aider les élèves à organiser leur compréhension d’un nouveau terme ou concept clé spécifique à une matière.
Le modèle Frayer ne peut à lui seul transformer et établir la compréhension des termes par les élèves. Néanmoins, c’est une stratégie rapide et pratique pour analyser explicitement, et de près, certains termes de vocabulaire importants.
Le modèle Frayer est flexible dans le sens où il peut être adapté à la discipline considérée. Il peut inclure des images ou s’intéresser à l’étymologie ou à l’orthographe par exemple. Le seul risque est la nature chronophage du processus.
L’objectif du modèle de Frayer (Frayer et coll., 1969) est d’identifier et de définir les concepts et le vocabulaire non familiers.
Les élèves guidés par l’enseignant :
- Définissent un concept, un mot ou un terme,
- Le décrivent dans ses caractéristiques essentielles
- Le précisent par des exemples
- En distinguent ses limites grâce à des contre-exemples.
Ces informations sont placées sur un tableau divisé en quatre sections afin de fournir une représentation visuelle aux élèves qui facilite leur apprentissage en guidant leur réflexion.
Le modèle incite les élèves à comprendre les mots dans un contexte plus large. Compléter le modèle de Frayer leur demande d’analyser le concept/mot (définition et caractéristiques), puis de synthétiser ou d’appliquer ces informations en pensant à des exemples et à des non-exemples.
La démarche permet également d’activer les connaissances préalables sur un sujet et de susciter la création de liens.
Utilisation du modèle de Frayer dans le cadre d’un enseignement explicite
Étape 1 – Le modelage
- Nous modélisons l’usage du modèle Frayer en classe en partant d’un mot ou concept courant connu des élèves. L’enjeu est un modelage de la nature, du type et de la qualité des réponses attendues. Des images ou des symboles peuvent également être utilisés.
- Nous en illustrons les différentes composantes : définition, caractéristiques, exemples et contre-exemples.
- Nous réfléchissons à voix haute lorsque nous le complétons et cherchons des exemples et des contre-exemples, etc.
Étape 2 – La pratique guidée
- Nous passons ensuite en revue avec la classe une liste présélectionnée de concepts clés.
- Nous leur demandons de lire sur le sujet dans leur manuel ou leurs notes de cours ou nous expliquons les contenus à la classe.
- Nous choisissons un concept clé dans le sujet qui vient d’être abondé.
- Nous demandons aux élèves de nous aider à remplir le modèle de Frayer.
- L’étape est répétée jusqu’à ce que les élèves comprennent bien la démarche.
Étape 3 – La pratique autonome
- Nous distribuons des copies vierges du modèle de Frayer.
- Nous demandons aux élèves de compléter un modèle au départ de concepts clés précédemment expliqué.
- Les élèves pratiquent ensuite la stratégie seuls, par deux ou en petits groupes avec les concepts clés et le vocabulaire clé du sujet.
- Nous pouvons éventuellement donner à chaque groupe des mots de concepts clés différents.
- Les groupes partagent entre eux leurs tableaux complétés. Les élèves peuvent ensuite ajouter d’autres mots/images/symboles au tableau Frayer jusqu’à ce que les quatre catégories soient largement représentées.
- L’étape est répétée jusqu’à ce que les élèves manifestent une bonne maîtrise de la tâche.
Connaissance des stratégies courantes des élèves, des idées fausses et des conceptions erronées en rapport avec le contenu enseigné
Le quatrième élément est que l’enseignant possède une connaissance de la pensée des élèves, et en particulier, des idées fausses, des erreurs typiques et des types de stratégies dont ils font preuve. Les idées fausses des élèves sur certaines idées sont prévisibles et inévitables.
Les enseignants performants conçoivent leurs présentations et leurs activités d’apprentissage de manière à anticiper et à traiter ces idées fausses et conceptions erronées directement et explicitement. Ils le font à la fois en les exposant et les remettant en question tout en présentant la conception correcte de manière claire et directe.
Tous ces aspects de la compréhension du contenu des programmes par les enseignants sont nécessaires, mais insuffisants pour une pratique efficace. Connaitre les idées fausses que peuvent avoir les élèves n’a aucun intérêt si les cours et l’enseignement ne sont pas structurés pour y répondre. Disposer d’un répertoire de bons exemples n’est utile que s’ils sont utilisés de manière appropriée.
Les connaissances en matière de contenu pédagogique doivent être apprises et déployées dans le contexte de la pratique en classe : les connaissances théoriques seules ne suffisent pas. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les évaluations de l’impact sur l’apprentissage des élèves des tentatives visant à améliorer les connaissances pédagogiques des enseignants ont parfois donné des résultats décevants.
Éléments probants en lien avec les connaissances de l’enseignant
La connaissance de la matière
Hill et al. (2005) ont constaté que la variation au bas de leur échelle de connaissance du contenu de l’enseignement était liée à l’efficacité. Cependant, pour la majorité des enseignants, dont la connaissance du contenu était au moins adéquate, il n’y avait aucun avantage à augmenter la connaissance du contenu.
Il existe également des preuves que les programmes de formation conçus pour améliorer la connaissance du contenu par les enseignants peuvent améliorer l’apprentissage des élèves, mais là encore, les résultats sont mitigés (Lynch et coll., 2019). En conclusion, nous pouvons retenir que former les enseignants à la connaissance du contenu n’est intéressant que s’ils montrent des lacunes évidentes dans les contenus enseignés aux élèves.
La connaissance pédagogique
Le rôle de la connaissance du contenu pédagogique des enseignants bénéficie d’un large soutien (Kaiser & König, 2019). Cependant, une grande partie de ces données proviennent des mathématiques et des sciences, et que différentes études opérationnalisent la connaissance du contenu pédagogique de différentes manières.
La connaissance du contenu pédagogique gagne à être directement liée au curriculum et à la planification des leçons, c’est-à-dire applicable concrètement.
Il existe des preuves de l’importance des connaissances des enseignants en matière de bonnes explications, de modèles, d’analogies, de représentations et d’exemples en rapport avec le contenu qu’ils enseignent (Baumert et coll., 2010).
Différentes habiletés ont été mises en évidence en lien avec l’efficacité des enseignants :
- Être capable d’anticiper, d’identifier et de corriger les idées fausses des élèves.
- Comprendre comment les apprenants novices voient le monde différemment des experts.
- Comprendre comment les concepts seuils, qui sont les idées clés dans une discipline, agissent comme un portail vers de nouvelles façons de penser et de comprendre. Les concepts seuils peuvent soit ouvrir de nouvelles perspectives, soit constituer des obstacles « gênants » (Meyer & Land, 2005). Cependant, le soutien empirique direct de la valeur de tout type spécifique de connaissances des enseignants sur les concepts seuils est moins clair. Les approches fondées sur des données probantes pour lutter contre les idées fausses consistent à les remettre en question ou à mettre simplement l’accent sur la conception scientifique (Braasch et coll., 2013).
- Voir article pour les concepts seuils : Le changement conceptuel n’est pas un long fleuve tranquille
Mis à jour le 09/08/2023
Bibliographie
Coe, R., Rauch, C. J., Kime, S., & Singleton, D. (2020). Great Teaching Toolkit: Evidence Review. Evidence Based Education.
Shulman, L. S. (1986). Those who understand: Knowledge growth in teaching. Educational Researcher, 15(2), 4–14. https://doi.org/10.3102/0013189X015002004
Baumert, J., Kunter, M., Blum, W., Brunner, M., Voss, T., Jordan, A., Klusmann, U., Krauss, S., Neubrand, M., & Tsai, Y. M. (2010). Teachers’ mathematical knowledge, cognitive activation in the classroom, and student progress. American Educational Research Journal, 47(1), 133–180. https://doi.org/10.3102/0002831209345157
Adams, G., & Engelmann, S. (1996). Research on direct instruction: 25 years beyond DISTAR. Educational Achievement Systems.
Frayer, D., Frederick, W. C., and Klausmeier, H. J. (1969). A Schema for Testing the Level of Cognitive Mastery. Madison, WI: Wisconsin Center for Education Research.
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Alex Quigley, Vocabulary Knowledge and the ‘Frayer Model’, 2018,
https://www.theconfidentteacher.com/2018/04/vocabulary-knowledge-and-the-frayer-model/
Meyer, J. H. F., & Land, R. (2005). Threshold concepts and troublesome knowledge (2): Epistemological considerations and a conceptual framework for teaching and learning. Higher Education, 49(3), 373–388. https://doi.org/10.1007/s10734-004-6779-5
Hill, H. C., Rowan, B., & Ball, D. L. (2005). Effects of teachers’ mathematical knowledge for teaching on student achievement. American Educational Research Journal, 42(2), 371–406. https://doi.org/10.3102/00028312042002371
Lynch, K., Hill, H. C., Gonzalez, K. E., & Pollard, C. (2019). Strengthening the research base that informs STEM instructional improvement efforts: A meta-analysis. Educational Evaluation and Policy Analysis, 41(3), 260–293. https://doi.org/10.3102/0162373719849044
Kaiser, G., & König, J. (2019). Competence measurement in (mathematics) teacher education and beyond: Implications for policy. Higher Education Policy, 32(4), 597–615. https://doi.org/10.1057/s41307-019-00139-z
Braasch, J. L. G., Goldman, S. R., & Wiley, J. (2013). The influences of text and reader characteristics on learning from refutations in science texts. Journal of Educational Psychology, 105 (3), 561–578. https://doi.org/10.1037/a0032627
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