lundi 27 décembre 2021

Varier les approches ou optimiser les conditions d’apprentissage

Dans un article, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon (2020) réagissent à une publication antérieure de Serge Dupont & Pierre Bouchat (2020) déjà relayée dans ces pages. Serge Dupont et Pierre Bouchat s’étaient positionnés en défaveur de trois orientations pédagogiques recommandées en Belgique francophone par le décret missions, à savoir l’approche par compétence, la pédagogie de la découverte et la différenciation.

(Photographie : Justin Hevey)


« Everything works somewhere and nothing works everywhere. » 

Dylan Wiliam



Dans un article, Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon (2020) réagissent à une publication antérieure de Serge Dupont & Pierre Bouchat (2020) déjà relayée dans ces pages. Serge Dupont et Pierre Bouchat s’étaient positionnés en défaveur de trois orientations pédagogiques recommandées en Belgique francophone par le décret missions, à savoir l’approche par compétence, la pédagogie de la découverte et la différenciation.

Pour Clermont Gauthier et ses collègues (2020), là où l’incompréhension se manifeste, c’est quand Dupont et Bouchat concluent :

« En ce qui concerne la pédagogie, nous défendons une approche variée et pertinente. Si nous voulons par exemple amener les élèves à être critiques sur un sujet, il faut que ceux-ci assimilent des connaissances. Il faut également qu’ils apprennent à disséquer des arguments, à se poser des questions, à être sceptiques. Et cela ne sera possible que si le professeur utilise différentes pédagogies : de l’explicite, des projets (dans la lignée de la découverte guidée), des enquêtes (mais avec “des balises”) et du questionnement “socratique” (dans le sens de la réfutation). »



La variation des approches pédagogiques, un leitmotiv pédagogique creux


Un leitmotiv pédagogique qui fait plus office de dogme que de consensus est l’idée qu’il faut varier les approches pédagogiques. Varier en matière de pédagogie serait intrinsèquement bon, un peu comme le fait d’avoir une alimentation variée, de nombreux amis ou des goûts musicaux éclectiques !

Varier ses approches pédagogiques serait une preuve d’ouverture d’esprit. Par conséquent si nous nous centrons sur un modèle de l’apprentissage ou un modèle de l’enseignement, peu importe qu’il soit fondé sur des données probantes. Nous risquons de passer pour extrémistes ou ne tenant pas compte des spécificités des élèves, indépendamment de notre niveau de nuance. 

En variant les approches pédagogiques, en proposant un peu de tout, nous rencontrerions plus aisément les attentes et les besoins de chacun des élèves. C’est la tactique de la diversité, nous laissons diverses approches se développer, s’hybrider, nous explorons, nous osons innover, nous nous enrichissons au fil des rencontres, de notre curiosité, des invitations ou des inspirations du moment. 

Sauf qu’entre utopie et réalité, il y a un monde. Autant en médecine qu’en éducation, le saupoudrage, l’intuitif ou l’aléatoire ne marche que rarement. La réflexion humaine et le bon sens peuvent souffrir de divers biais cognitifs qui font que non, nous ne pouvons pas réellement évaluer seuls, ni même à plusieurs la qualité de nos pratiques. Nous avons besoin d’une évaluation impartiale extérieure et seule la recherche scientifique peut l’amener. 

Ce qui renforce cette position en faveur de la diversité est la notion de libre choix de l’enseignant vis-à-vis des approches pédagogiques, garantie en Belgique par la Constitution de 1831. 

Mais l’idée d’une liberté dans le choix des pratiques est une notion liée au professionnalisme. L’expertise dans une profession a besoin de s’assoir sur une base de connaissances communes. La démarche scientifique est le processus le plus valide pour établir des connaissances dans un domaine. La recherche scientifique permet d’établir que dans une condition donnée, toutes les approches pédagogiques ne se valent pas. Elle permet aussi d’établir des principes généraux et de valider ou d’invalider des modèles. Le développement de l’expertise ne se fait pas sans l’existence en parallèle d’une éthique professionnelle et sans une responsabilité dans la qualité de la pratique.

L’injection qui nous incite à varier nos pratiques ou l’idée que cette approche sera forcément meilleure n’est par conséquent pas fondée, ni en rien une garantie d’efficacité.



Optimiser les conditions d’un apprentissage génératif plutôt que varier les approches pédagogiques


Plutôt que de suggérer de varier les approches, une meilleure optique serait d’optimiser les conditions d’un apprentissage génératif.

Si nous interprétons les arguments de Clermont Gauthier et ses collègues (2020) au sujet de la primauté de l’injonction à varier les approches, nous pouvons, en synthèse, peut poser les deux constatations suivantes : 
  • Notre objectif primaire lorsque nous enseignons est de placer nos élèves dans les conditions qui sont les plus susceptibles d’entrainer un apprentissage génératif chez nos élèves. Ce processus démarre de la définition des objectifs pédagogiques. En fonction de ceux-ci, l’enseignant choisit une approche et des activités qui y correspondent et sont sélectionnées en vertu de leur efficacité. La variété est dès lors une conséquence éventuelle du choix des activités approches, et non un prérequis.
  • Notre objectif associé est d’accompagner des élèves dans leurs apprentissages et dans leur engagement. Différentes activités sélectionnées peuvent s’inscrire dans différentes perspectives pédagogiques. À l’intérieur d’un parcours, un enseignant peut passer d’une approche à l’autre en fonction des contenus, des objectifs et de la maîtrise des élèves. Par exemple, dans un cours de biologie par exemple, nous pouvons osciller entre enseignement explicite, découverte guidée et apprentissage coopératif en fonction de la nature des compétences visées et du niveau de connaissance des élèves. Nous voulons leur permettre de remplir les critères de réussite des divers objectifs pédagogiques en maintenant nos élèves dans un processus génératif d’apprentissage qui les maintient en situation de défi.  

Dans une telle optique, le cœur de la démarche, si nous cherchons l’efficience, gagne à être celui d’un enseignement explicite. Celui-ci prend en compte des principes de la théorie de la charge cognitive et de la science de l’apprentissage. De même, les pratiques liées à l’évaluation formative favorisent la prise d’autonomie des élèves.

Avec le développement de notre expertise, nous établissons un modus operandi fondé sur différentes pratiques et adaptable en fonction de divers paramètres liés à la matière, aux objectifs et aux élèves. La garantie de son efficacité pose des contraintes dans la manière de planifier un cours et sur sa structuration. Il est dès lors difficile d’intégrer une injonction à varier l’approche comme condition initiale.

Comme l’écrivent Gauthier et ses collègues (2020), « les approches pédagogiques comparées ne se valent pas toutes, elles comportent des activités qui n’ont pas toutes les mêmes effets sur les plans cognitifs ou affectifs. Tant et si bien qu’en choisir une plutôt qu’une autre n’est pas seulement une affaire de préférence subjective comme si elles étaient interchangeables, mais, plus profondément, une question d’impact sur les apprentissages des élèves. »

La question n’est pas tant de varier son enseignement que de disposer d’une palette de pratiques efficaces dans nos contextes habituels. Nous devons connaître les mécanismes qui les sous-tendent, les paramètres sur lesquels agir et pouvoir sélectionner l’approche la plus performante à chaque moment clé d’une trame globale. 



Poser un cadre d’analyse pédagogique comme alternative à une variation d’emblée des approches pédagogiques



Gauthier et ses collègues proposent un cadre d’analyse voulu plus réaliste du point de vue de l’écologie de l’enseignement lié au choix des pratiques ;

Celui-ci est en trois temps et consiste dans le fait de : 
  • Définir des caractéristiques de la situation pédagogique, que devons-nous enseigner à quels élèves, pour quels objectifs pédagogiques à atteindre.
  • Déterminer l’approche pédagogique privilégiée en respectant les exigences des deux grandes fonctions que sont l’enseignement de contenus et la gestion de la classe.
  • Établir un scénario pédagogique plausible qui répond aux fonctions et aux objectifs pédagogiques, ce dernier fait apparaitre naturellement une variation des pratiques.


Nous allons maintenant détailler ce scénario.



Prendre en compte les caractéristiques de la situation pédagogique


L’activité de l’enseignant bascule d’une seconde à l’autre entre certitude et incertitude, ce qui demande à l’enseignant d’introduire des ajustements successifs. Bien que le cadre de l’activité en classe soit bien défini, qu’il contienne des invariants et une certaine stabilité, de nombreuses variations peuvent affleurer. À la fois au niveau des apprentissages et du comportement des élèves, le résultat est qu’enseigner contient toujours une certaine part d’imprévu.

Agissant dans un milieu complexe et changeant, l’enseignant se fonde sur ses automatismes, car les réels évènements imprévisibles sont rares. 

Pour piloter efficacement son enseignement, l’enseignant doit maintenir un niveau de vigilance élevé au niveau de l’apprentissage et du comportement de ses élèves. Il lui faut pouvoir réagir préventivement ou de prendre des décisions sur le vif lorsque la situation s’impose tout en gardant le contrôle. 

Ces bifurcations gagnent à avoir été pensées avant et à se baser elles-mêmes sur ses automatismes, pour s’assurer de maintenir un équilibre productif en classe. En acquérant de l’expérience en classe, un enseignant est de moins en moins pris au dépourvu ;

Dès lors, nous pouvons postuler qu’un enseignant expérimenté et efficace ne va plus que peu qu’improviser, mais va adapter son comportement de manière proactive, flexible et fluide. 

Gauthier et ses collègues font référence aux six propriétés particulières de Doyle (1986) liées à la complexité de la profession d’enseignant dans l’environnement de la classe.

Celles-ci affectent l’enseignant et ses élèves, indépendamment de la façon dont les élèves sont organisés pour l’apprentissage ou de la pédagogie adoptée par l’enseignant. Ces éléments essentiels sont en place dès que les enseignants et les élèves entrent en classe.



Ces caractéristiques intrinsèques de l’environnement de la classe créent des tensions et des impulsions qui façonnent la tâche de l’enseignement. 

L’enseignant ne peut tout réinventer à chaque instant, ses marges d’action sont limitées.



Considérer la gestion de classe et des apprentissages dans la détermination des approches pédagogiques appropriées



L’enseignant a une double mission d’instruction et de socialisation de ses élèves. Les comportements de l’enseignant visent à créer et à maintenir un certain ordre pour que l’apprentissage des contenus et des comportements advienne.

Il va installer et maintenir une organisation suffisamment structurée et stable pour qu’un groupe classe puisse être engagé mentalement et réceptif affectivement aux contenus visés.

La première fonction est celle des apprentissages, qui correspond au cahier de charge du programme scolaire. 

Mais celle-ci n’est rendue possible que par la seconde fonction qui concerne la gestion de la classe. Il s’agit de maintenir un climat propice aux apprentissages, structurer le travail en groupe classe, établir des routines en classe, réagir aux comportements inacceptables, planifier les activités, etc.

Ces deux fonctions limitent et encadrent la variation pédagogique possible que l’enseignant peut investir s’il veut être efficace et favoriser la réussite scolaire et le bien-être des élèves en classe.



Varier des activités dans la perspective de la gestion des apprentissages et de la classe


L’enseignement explicite, comme la découverte guidée ou l’apprentissage coopératif (tel que le définit Robert Slavin) appartiennent aux démarches instructionnistes et cognitivistes. 

La question de quand savoir enseigner explicitement a déjà été explorée dans le cadre de l’article suivant :


Nous voulons également réguler le flux des activités et les transitions, pour que l’enseignement puisse advenir de manière optimale. 

Nous voulons maintenir le niveau de réflexion des élèves et le centrer sur les apprentissages en cours, de manière à les amener à produire un traitement cognitif signifiant, qui permet un apprentissage génératif. Ce processus est tributaire de leur attention, de leur engagement et de leur mise en activité. 

Il demande à l’enseignant de préparer le terrain et de maintenir l’apprentissage dans les rails. Pour cela, l’enseignement des comportements, beaucoup de prévention, le souci de la relation positive et du renforcement, et ce qu’il faudra de réaction sont nécessaires. L’enseignant anticipe la possibilité de perturbations en diminuant leur risque d’occurrence.

Par diverses stratégies, les enseignants efficaces réussissent à prévenir les ruptures dans le flux des activités en classe, rendant possible un engagement signifiant et continu de ses élèves. 



Une alternative au leitmotiv creux de la variation des approches pédagogiques


Plutôt que varier les approches pédagogiques l’enjeu est de maintenir les élèves dans un traitement cognitif pertinent pour leurs apprentissages et l’optimiser. Par-là, nous favorisons un épanouissement cognitif dans le cadre d’un bien-être social. 

Si l’enseignant varie ses approches, ce sera pour maintenir l’engagement des élèves dans un apprentissage génératif, en tenant compte du contexte, de la fatigue, de la motivation ou de l’intervention de facteurs divers, internes ou extérieurs.

Varier signifie également éviter le sentiment de satiété chez les élèves tel que l’a défini Kounin (1970). Nous mettons l’élève au défi à travers les activités liées à nos intentions d’apprentissage. Pas trop pour éviter la surcharge cognitive et le désengagement, ni trop peu pour éviter l’ennui et la distraction. Nous sélectionnons les activités d’apprentissage en lien avec les objectifs pédagogiques que nous fixons. Nous évitons de nous laisser tenter par des éléments certes attrayants et attractifs, mais qui nous en éloignent.

Lorsque les occasions d’apprentissage sont présentes et que les élèves sont engagés dans leur travail, la situation présente une stabilité qui peut perdurer et devenir habituelle en classe. Dès lors, nous n’avons que peu de raison d’introduire des perturbations et changer ce qui fonctionne bien. 

À l’opposé, si l’enseignant perçoit qu’une lassitude s’installe et se traduit par une perte de rendement, un changement du mode ou du niveau de guidance peut s’avérer nécessaire. Il veut garder sous contrôle la gestion des apprentissages. Il peut être judicieux à ce moment-là d’analyser la situation et d’apporter rapidement les changements nécessaires dans l’approche pédagogique.

Sur le plan de la gestion de la classe, dans une perspective écologique, nous examinons ce qui concurrence le vecteur principal d’action d’enseignement. Nous analysons les antécédents à l’œuvre, ce qui nous permet d’envisager de rectifier le tir. 

L’enseignant variera donc les activités d’apprentissage s’il perçoit des indications dans le comportement des élèves. Ces signes lui indiqueront que le niveau de guidance ou le mode d’approche ne conviennent pas. De même, l’enseignent peut se retrouver dans une situation où il ne parvient pas à maintenir son vecteur principal d’action. 

Une gestion de classe efficace se repose un enseignement efficace. Un enseignement efficace se repose sur une gestion de classe efficace.

À défaut de prendre en considération la synergie de ces deux éléments et ce qu’elle signifie au sujet de la qualité des pratiques de chaque domaine, nous risquons de faire fausse route. Clermont Gauthier et ses collègues (2020) le notent. Varier son enseignement pour le varier, c’est contribuer à produire le type d’élève que fustigeait Herbart, un être déboussolé sans repères qui se promène dans toutes les directions, autrement dit, un étourdi.


Mis à jour le 12/05/2023

Bibliographie


Gauthier, Clermont ; Bissonnette, Steve, & Bocquillon, Marie. 2020. Instruire ou étourdir les élèves ? Réflexion critique sur l’idée qu’il faut varier son enseignement. Educação & Formação.

Dupont, S., Bouchat, P. (2020). Lorsque la psychologie cognitive s’intéresse au Décret Missions : Constats et recommandations. Les cahiers du GIRSEF, n° 118, février.

Doyle, W. (1986). Classroom organization and management. In M. C. Wittrock (dir). (p.
392–431). Handbook of research on Teaching. New York: Macmillan.

Kounin, J. S. (1970). Discipline and group management in classrooms. New York: Holt, Rinehart and Winston. 

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