Dans la cadre de ce site, nous défendons une approche fondée sur des données probantes et non sur des théories, des croyances et des idéologies.
La recherche translationnelle est le processus au cœur du processus. Elle nous permet d’établir des données fiables et rigoureuses. D’où l’intérêt de la présenter à travers une synthèse d’un rapport du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale en France (2021).
Dans quelle démarche s’inscrit la recherche translationnelle ? Quels sont ses enjeux ? Comment se traduit-elle sur le terrain ?
L’EEF (Education Endowment Foundation), un exemple pour la recherche translationnelle
En éducation, un exemple de procédure par étapes est représenté, en Angleterre, par l’Education Endowment Foundation.
Nous avions déjà abordé cette structure dans un précédent article : La recherche translationnelle
Ce fonds lance chaque année de nombreuses expérimentations à toutes les étapes du processus de recherche translationnelle :
- La première étape consiste en une revue de la littérature scientifique, qui permet d’établir si une intervention est justifiée par des connaissances fondamentales ou empiriques.
- Le processus se poursuit par de la recherche en situation réelle, qui consiste en des interventions d’essais contrôlés randomisés avec des groupes de contrôle et d’intervention expérimentaux en plusieurs phases.
- Durant une période de développement, les enseignants et les scientifiques élaborent ensemble une intervention qui est à la fois faisable et souhaitable du point de vue des pratiques éducatives des enseignants et de celui de la recherche fondamentale interdisciplinaire.
- Une étude pilote est alors menée sur un échantillon réduit, mais représentatif. Elle établit si l’intervention, pour laquelle il n’existe pas encore de connaissances suffisantes, est susceptible de faire l’objet d’un essai contrôlé randomisé à plus large échelle.
- Si les résultats sont positifs, un premier test d’efficacité se déroule alors sur un échantillon plus large de classes, mais en conditions idéales, car l’intervention est menée par ses concepteurs.
- Si les résultats sont positifs, un second test d’efficacité, en conditions réelles, permet d’évaluer si le programme proposé peut être généralisé à grande échelle. L’intervention est confiée à des enseignants et des expérimentateurs totalement indépendants de l’équipe initiale, après avoir formé le personnel censé la mettre en place dans la réalité.
- Lorsque les résultats sont confirmés comme positifs, afin de multiplier les chances d’adoption des bonnes pratiques, l’EEF développe et diffuse des boîtes à outils. Ces boîtes à outils contiennent des pistes d’indications pratiques pour les enseignants et les établissements scolaires. L’EEF propose des formations, un accompagnement, et la création de réseaux pour la dissémination des résultats et l’échange des pratiques.
L’importance des essais contrôlés randomisés pour la recherche en éducation
Les essais contrôlés randomisés (randomized controlled trial ou RCT) sont privilégiés dans le cadre de la recherche translationnelle, car ils fournissent le moyen le plus sûr de mesurer l’impact causal de politiques éducatives et de pratiques pédagogiques. Ils permettent de révéler si cet impact existe et d’en mesurer la portée, tout en contrôlant les biais qui peuvent influencer les résultats.
Les évaluations randomisées se basent sur deux idées clés :
- Le principe de la comparaison entre les résultats de groupes différents :
- Un groupe expérimental reçoit l’intervention dont nous souhaitons évaluer l’efficacité.
- Un groupe de contrôle ne bénéficie pas de l’intervention, il y a deux possibilités. Nous parlons de :
- Groupe de contrôle passif s’il reçoit les meilleures pratiques actuellement établies.
- Groupe de contrôle actif s’il reçoit une intervention en tout point semblable à celle du groupe expérimental, sauf pour le facteur évalué.
- Des considérations éthiques sont prises en compte :
- Il n’est pas acceptable de défavoriser le groupe contrôle en lui imposant des contraintes inhabituelles.
- Il n’est pas acceptable de défavoriser le groupe expérimental en lui proposant une intervention trop risquée.
- Aucun participant à l’étude n’est défavorisé a priori tant que nous ne savons pas si l’intervention cible est meilleure ou pire que la pratique habituelle.
- Le principe de la désignation des groupes au hasard :
- La simple comparaison entre groupes peut comporter des biais et des facteurs qui faussent l’interprétation du résultat.
- Les élèves, enseignants, écoles, etc., qui bénéficient de l’intervention pourraient être différents des autres.
- La randomisation élimine ce risque par un tirage au hasard, d’une manière qui permet d’éliminer ce risque. Il s’agit de s’assurer qu’il n’existe pas de différences systématiques entre les groupes comparés, mis à part l’intervention elle-même.
- Nous partons d’un ensemble d’élèves ou de classes, et nous déterminons au hasard lesquels sont assignés au groupe expérimental ou au groupe de contrôle.
- Les compétences des élèves sont évaluées, avant et après l’intervention, par des personnes qui ignorent à quel groupe appartiennent les élèves.
- Des outils statistiques sont alors utilisés pour déterminer si les écarts entre les progrès des deux groupes sont assez grands pour être considérés comme significatifs.
- Des analyses plus fines permettent de déterminer la taille des effets et la manière dont ils varient selon le contexte (niveau socio-économique, langues maîtrisées, performances antérieures, etc.).
Une démarche scientifique au centre du processus de la recherche translationnelle
Chaque ingrédient d’un essai randomisé contrôlé est essentiel à la vérification d’une hypothèse de départ selon laquelle une méthode pédagogique fonctionne mieux qu’une autre.
L’enjeu est de pouvoir rejeter une hypothèse alternative, qui pourrait également expliquer les progrès observés
Nous mesurons objectivement le niveau des élèves dans la compétence cible, avant et après l’intervention pédagogique. L’idéal est que les tests soient donnés aux élèves par une personne qui ignore à quelle méthode ceux-ci ont été exposés.
Au fil du temps, il est normal que tous les élèves progressent. Ce n’est qu’en comparant les progrès d’un groupe expérimental et d’un groupe témoins que l’on peut conclure qu’une approche testée est plus efficace.
La randomisation consiste à répartir les élèves entre les deux groupes de manière aléatoire (par tirage au sort). Combinée avec de grands effectifs, cela nous permet d’assurer que les deux groupes ont très peu de risque de différer sur quelque caractéristique que ce soit. Il est possible d’essayer de mesurer et d’équilibrer un certain nombre de caractéristiques entre les deux groupes, mais il est impossible de les contrôler toutes.
Nous devons également prendre en considération l’effet Hawthorne qui est analogue à l’effet placebo en médecine. Le seul fait que l’enseignant emploie une méthode pédagogique nouvelle, inhabituelle, rompant la routine, est susceptible d’engendrer un regain d’attention chez les élèves qui se traduit en un bénéfice d’apprentissage. Pour le contrôler, il vaut mieux que le groupe témoin ne soit pas simplement soumis à l’enseignement habituel, mais qu’il soit actif et soumis à une autre intervention.
Des contraintes financières liées à la recherche translationnelle
Un essai randomisé contrôlé peut être long et coûteux à mettre en œuvre. Il n’est pas à la portée d’un enseignant qui souhaite tester une nouvelle idée, ni même d’un établissement ou d’un groupe d’établissements.
Un appui méthodologique de la part de chercheurs est nécessaire, ainsi que des moyens et une organisation particulière permettant de mettre en place l’intervention et le tirage aléatoire.
Si l’essai randomisé contrôlé constitue le niveau de preuve le plus élevé, vers lequel nous devons tendre, ce n’est pas un standard que nous pouvons exiger des enseignants ou des écoles.
Il est matériellement impossible de tester toutes les idées des enseignants et des écoles de cette manière. Pour cette raison, les enseignants et les écoles doivent prioriser les approches pour lesquelles l’efficacité est déjà soutenue par de larges données probantes.
L’établissement d’hypothèses et de pistes dans le cadre de la recherche translationnelle
À côté de la pratique des essais contrôlés randomisés, il existe tout un continuum de méthodes, de plus en plus sophistiquées, fournissant une hiérarchie de niveaux de preuves.
Il est normal qu’un enseignant qui a une nouvelle idée souhaite la tester avec ses élèves. Il doit juste être conscient que ses observations informelles ne fourniront pas de preuve. Elles alimenteront simplement son intuition sur l’efficacité de la méthode.
Les observations informelles d’un enseignant peuvent suggérer qu’il est sur une bonne piste. La prochaine étape est de mener une véritable expérimentation. Il ne s’agit pas encore d’un véritable essai randomisé contrôlé à grande échelle. Ce sera une expérience à petite échelle (quelques classes), avec des mesures objectives des compétences cibles avant et après intervention, et autant que possible un groupe contrôle.
Le niveau de preuve obtenu sera plus élevé que pour les observations informelles, mais certaines hypothèses alternatives ne seront pas rejetées, et donc on ne pourra pas conclure définitivement.
Dès cette étape, la collaboration avec des chercheurs est souhaitable.
Une fois que ces expériences ont fourni suffisamment d’éléments à l’appui d’une méthode, il peut être légitime de chercher à obtenir le niveau de preuve le plus élevé, en menant un essai randomisé contrôlé. À ce stade, la collaboration entre enseignants et chercheurs est indispensable, de même qu’un passage à une échelle qui dépasse celle d’un seul établissement.
Une fois qu’un ou plusieurs essais randomisés contrôlés ont été menés et se sont avérés concluants, une dernière étape reste essentielle : le passage à très grande échelle. En effet, déployer une nouvelle pratique pédagogique auprès de nombreux enseignants peut nous confronter au fait qu’ils ne sont pas tous nécessairement volontaires et motivés, contrairement à la plupart des expériences à petite échelle. Cela comporte de nombreux défis supplémentaires et peut échouer pour bien des raisons. Ce n’est qu’à l’issue d’une telle étude qu’il sera véritablement fondé à engager une réforme pédagogique au niveau d’un système éducatif dans son ensemble.
Les impératifs éthiques de la recherche en éducation
Les scientifiques ont le devoir d’utiliser tous les outils de recherche qui sont à leur disposition. Leur but est d’améliorer l’éducation des élèves afin de maximiser leur bien-être, leurs connaissances et leurs compétences cognitives.
Ce qui ne serait pas éthique, ce serait de ne pas utiliser les connaissances dont nous disposons déjà, ou de ne pas expérimenter afin d’améliorer ces connaissances. L’alternative à l’expérimentation est la prise de décision sur la base de simples intuitions, sans savoir si elles sont fondées.
L’argument de dire que les élèves ne sont pas des cobayes ignore le fait que chaque jour, les enseignants testent de nouvelles pratiques sur leurs élèves, sans que personne n’y trouve à redire. Malheureusement, ces tentatives se font selon une méthodologie qui ne permet pas de tirer de conclusions rigoureuses, et ne permet donc pas de faire avancer la connaissance au bénéfice de tous.
D’un point de vue éthique, il est donc nettement préférable de soumettre moins d’élèves à de vraies expérimentations. En réalité, celles-ci seront peu différentes de celles qui ont déjà lieu tous les jours, à la différence qu’elles permettent d’établir des connaissances.
En France, le Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) propose un cadre éthique pour la recherche translationnelle en éducation qui prend en compte les risques liés aux expérimentations éducatives chez l’enfant et y répond avec des recommandations ciblées.
Les points clés avant toute expérimentation à grande échelle sont de se poser les questions suivantes :
- L’étude est-elle vraiment justifiée ?
- L’étude est-elle susceptible d’avoir un réel impact, de mener à une adoption ?
- Sa conception expérimentale permet-elle d’obtenir une réponse claire ?
- Son suivi permet-il de détecter rapidement d’éventuels effets négatifs sur les élèves ?
- Se fait-elle dans le respect des données individuelles (consentement, anonymisation, confidentialité…) ?
Mis à jour le 03/05/2023
Bibliographie
La recherche translationnelle en éducation, pourquoi et comment, CSEN, rédigé par Stanislas Dehaene et Elena Pasquinelli avec la collaboration de Marc Gurgan, Franck Ramus et Elisabeth Spelke, 2021, https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Ressources_pedagogiques/La_recherche_translationnelle_en_education.pdf
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