vendredi 19 novembre 2021

Enjeux et tensions entre critères de réussite et formes d’évaluation

Dans le cadre de l’évaluation formative, il est proposé de nuancer la notion d’objectifs pédagogiques en introduisant une distinction entre les notions d'objectifs d’apprentissage et de critères de réussite. 

(Photographie : Beth Lilly)





La notion d’objectifs d’apprentissage a été explorée dans un précédent article. Nous allons maintenant développer celle de critères de réussite.

Les objectifs d’apprentissage décrivent les contenus (savoir, savoir-faire, savoir-être, compétences) des matières que nous voulons que nos élèves apprennent. Les critères de réussites sont ce qui est utilisé pour juger de la réussite des activités d’apprentissage dans lesquelles nous avons engagé nos élèves. 

Un avantage de la construction des critères de réussite est qu’elle permet potentiellement une déclinaison intéressante de la différenciation.




La différenciation


La plupart des définitions de l’enseignement différencié sont vagues. Elles insistent sur le fait que les classes sont hétérogènes, car tous les élèves sont différents. Nous devons le reconnaître et le traduire dans notre enseignement en offrant une certaine personnalisation du chemin d’apprentissage.

Régulièrement, des enseignants sont encouragés à répondre aux différences de leurs élèves en ayant des objectifs d’apprentissage différents pour les différents élèves de leur classe. Cela n’est pas sans risques.

Il y a deux points faibles pour cette injonction à différencier :

  • Une différenciation optimale suppose que l’enseignant puisse poser un diagnostic précis. Il devrait pouvoir déterminer quels élèves sont capables de fournir quel travail à quel moment. Cela cache un risque d’erreur et c’est également susceptible d’entrainer un phénomène de prophétie autoréalisatrice, l’élève se conformant à l’image qui est projetée de lui et s’y enfermant. Certains élèves plus faibles vont recevoir moins d’occasions de progresser plus loin.
  • La différenciation qui s’accompagne d’une personnalisation des activités d’apprentissage se traduit par un surcroit de travail important pour l’enseignant. Cela est vrai non seulement pour la préparation des supports, mais également pour le suivi en classe. 

Il est évident que des élèves différents apprendront des choses différentes lors d’un même cours. C’est d’autant plus vrai lorsque l’enseignant donne aux élèves une certaine autonomie dans leur travail. Par conséquent, il est peu probable qu’un critère de réussite unique convienne à tous les élèves. Cependant, il n’y a pas de raison valable pour que les élèves du groupe doivent répondre à des objectifs d’apprentissage différents.  

Là où la différenciation prend par contre tout son sens, c’est en fonction des critères de réussite plutôt que des objectifs d’apprentissage.

Dans le cadre d’une tâche donnée, l’intention d’apprentissage peut être est la même pour tous les élèves d’une classe. Par exemple : résoudre un problème incluant un calcul d’angle, de longueur de côté ou d’aire d’un triangle quelconque. 

Les problèmes proposés peuvent être de niveau de complexité croissant. Il n’est pas nécessaire de pouvoir réaliser tous les problèmes pour réussir. Toutefois, en fonction de leurs aptitudes et de leurs efforts, les élèves vont avancer plus ou moins loin face au degré de complexité qu’il leur est possible de gérer dans les contraintes de temps. 

L’enseignant met en œuvre l’activité, il soutient certains élèves en difficulté et pousse les autres à se confronter à des défis plus importants. De même, certains élèves vont se différencier en matière d’autorégulation, d’attention, d’engagement, de capacité à se relire et à repérer leurs propres erreurs. 

Toutes ces différences ne nécessitent pas de varier les objectifs d’apprentissage, mais se traduisent au niveau des critères de réussite.




Différencier les critères de réussite et l’étayage


Dans une perspective d’apprentissage, nous pouvons postuler que les critères de réussite pourraient être utiles s’ils traitent du processus par lequel les élèves élaborent des productions et aboutissent à la maîtrise de compétences.

Mais il y a le danger que les critères de réussite deviennent moins utiles s’ils se contentent de décrire les caractéristiques de la production finale. 

Imaginons que les critères de réussite se calquent sur les étapes clés ou les ingrédients du processus dont l’élève a besoin pour correspondre à l’intention d’apprentissage. 

Les critères de réussite indiquent les principales choses à faire, à inclure, ou sur lesquelles se concentrer, point par point. À ce moment-là, s’ils fournissent un cadre pour l’évaluation formative c’est dans une perspective d’apprentissage, pas d’évaluation sommative.

Les critères de réussite du processus peuvent être particulièrement utiles aux élèves s’ils décomposent le processus qu’ils sont censés suivre en un certain nombre d’étapes plus petites et plus faciles à gérer. Ils permettent de mieux tenir compte des limites de la mémoire de travail et facilitent la consolidation en mémoire à long terme.

Le problème est qu’un avantage initial peut se transformer en obstacle ultérieur. Le principal danger à utiliser des critères de réussite basés sur les processus, car ils peuvent devenir trop spécifiques. Nous ne devons pas assimiler les critères de réussite avec un processus d’étayage. 

Si les critères de réussite du processus décrivent, étape par étape, exactement ce que l’élève doit faire pour réussir, l’apprentissage risque d’être limité. De plus, les élèves sont moins susceptibles de générer des solutions perspicaces et aboutir à une maîtrise globale.

De plus, nous introduisons une confusion entre l’étayage pédagogique et le chemin vers l’acquisition de la maîtrise. Le choix des étapes du processus appartient à l’enseignant et comme tout étayage il doit être temporaire. Les critères de réussite ont l’ennui de rester permanents.

Transformer un système d’étayage en des critères de réussite peut transformer un soutien en une contrainte.

Les spécifications et les structures de processus peuvent aider les élèves plus faibles à faire un meilleur travail qu’ils ne le feraient sans ces soutiens. Cependant, elles peuvent empêcher les élèves de développer de l’autonomie dans leurs apprentissages.

Les critères de réussite des processus peuvent toutefois être un élément important pour soutenir l’apprentissage de nos élèves. Cependant, nous devons nous assurer que nos élèves comprennent que s’ils ont la certitude de savoir ce qu’ils font, ils peuvent s’en passer.

Par conséquent, nous ne devons pas confondre étayage et critères de réussite.




Le cas des grilles de notation


La visée de l’obtention d’une validité de haut niveau dans l’évaluation sommative entre enseignants différents a amené souvent au développement de grilles de notation dans une perspective d’uniformisation.

A priori, les élèves réussissent mieux s’ils savent ce qu’ils sont censés faire et il est certainement utile de définir à un moment les différentes caractéristiques et normes d’une production. 

Cependant, l’usage de grilles de notation peut en lui-même parfois se révéler contreproductif.

Les grilles de notation ont un rôle à jouer dans un système éducatif dans une perspective d’uniformisation de l’évaluation des résultats. Cependant, l’utilisation intelligente des grilles de notation exige une compréhension approfondie de leurs lacunes potentielles.




Le caractère unidimensionnel


Les grilles de notation sont essentiellement unidimensionnelles. L’évaluation de chaque aspect d’une production ne porte presque toujours que sur une seule dimension. Il n’y a qu’une seule façon d’améliorer et de réaliser un aspect donné d’une évaluation.

Le problème est que dès qu’une certaine créativité est impliquée et qu’une production peut être réalisée de plusieurs manières différentes, la grille de notation ne va refléter que la conformité face à une seule d’entre elles. 




L’accent sur la mesure plutôt que sur la rétroaction


Les grilles de notation sont souvent plus axées sur l’évaluation des résultats des élèves que sur leur amélioration. La mesure des résultats prime sur une rétroaction qui pourrait leur donner des clés pour s’améliorer. Les grilles de notation ne sont rien d’autre que des collections de critères de réussite ciblés.

Un autre aspect est que les grilles de notations identifient presque toujours un certain nombre de niveaux de qualité différents dans les réponses des élèves. Une grille d’évaluation est généralement un document d’une ou deux pages qui décrit les différents niveaux de qualité, d’excellent à médiocre, pour un travail spécifique. 

Elle est généralement utilisée pour l’évaluation d’une production relativement complexe, tels qu’un projet à long terme, un essai, une analyse de ressources, un examen ou un document de recherche.

Certains élèves peuvent en venir à s’identifier à un certain niveau de résultat. Par un effet de conformité, ne pas chercher à progresser au-delà d’un certain niveau. La grille de notation évalue l’élève, mais ne vise pas en elle-même à lui permettre de progresser.

De plus, les grilles de notation ont rarement la même signification pour les élèves que pour les enseignants. Le vocabulaire et la signification des rubriques d’une grille de notation s’adressent essentiellement aux enseignants. Certaines expressions ou le vocabulaire utilisé se fondent sur un bagage de connaissances que les élèves ne possèdent pas toujours. Si l’élève ne comprend pas certains contenus, la grille est d’une utilité limitée.

Les grilles de notation visent à atteindre une plus grande objectivité dans l’évaluation. Elles peuvent remplir une double fonction :

  • Délivrer aux élèves une rétroaction informative sur leurs apprentissages en cours.
  • Évaluer de manière sommative et en détail leurs produits finaux.

Dans ce sens, les grilles d’évaluation peuvent être remises aux élèves pour les aider à réaliser un travail spécifique. 

Mais si la grille d’évaluation se concentre uniquement sur ce que l’élève doit faire pour accomplir cette tâche, elle n’est pas très utile pour aider les élèves à apprendre à faire mieux d’autres tâches similaires. 

Une telle grille sera utile pour l’évaluation sommative, car elle permet de s’assurer que les élèves comprennent bien les exigences de la tâche, de telle manière qu’ils montrent ce qu’ils savent.

Pour soutenir l’apprentissage, les grilles d’évaluation doivent être pertinentes pour de multiples tâches, idéalement sur une période prolongée. Nous voulons que les élèves puissent arriver à comprendre les principes profonds qui génèrent un travail de qualité dans un éventail de contextes et de tâches. 

La plupart des grilles d’évaluation remises aux élèves sont bien mieux adaptées aux fonctions d’évaluation sommative qu’à l’évaluation formative et à l’orientation de l’apprentissage futur des élèves.

Les grilles d’évaluation peuvent être des moyens très efficaces de communiquer les normes de réussite à nos élèves, notamment parce que le format est extrêmement simple et compact. Mais tous les enseignants doivent être conscients que cette simplicité et cette compacité ont parfois un prix élevé.

Il est probable qu’une liste de critères de réussite sous forme de liste de vérification à cocher peut être plus efficace. 

Le plus grand danger des grilles d’évaluation est qu’elles expriment la qualité par des mots et non pas des preuves (des exemples). Par conséquent, elles risquent de rester obscures pour les élèves.

L’un des autres avantages des grilles d’évaluation est qu’elles permettent aux enseignants de donner une rétroaction très rapide aux élèves sur leur travail. Elle permet à l’enseignant d’identifier rapidement les domaines qui présentent des difficultés. Les élèves peuvent ensuite se référer à la grille pour connaître la signification de chaque note. Le souci est que pour autant la grille d’évaluation ne fournit pas de pistes concrètes et efficientes d’amélioration.




Des objectifs d’apprentissage et des critères de réussite analytiques ou holistiques


Les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite peuvent être analytiques ou holistiques. 

Nous pouvons poser comme hypothèse que les approches analytiques de la description de la qualité au sein desquelles divers aspects de la qualité sont identifiés, observés et pondérés, pourraient être supérieures à des fins sommatives et formatives. 

En spécifiant les dimensions de la qualité qui sont importantes, nous augmentons la probabilité que différents évaluateurs considèrent le travail de la même manière, ce qui justifie l’utilité des descriptions pour l’évaluation sommative. 

Les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite doivent mettre en évidence les dimensions importantes de la qualité. Les élèves sont alors plus susceptibles de prêter attention aux aspects du travail qui comptent, et d’œuvrer à l’amélioration de la qualité de leur travail.

Le danger est que les approches analytiques de la description de la qualité passent souvent à côté d’une dimension globale qui maintient la cohésion et la qualité de l’ensemble. Parfois, un travail semble remplir toutes les conditions requises, mais le tout est inférieur à la somme des parties et parfois c’est l’inverse. Il n’y a pas de réponses simples. 

Parfois, plutôt qu’une approche analytique, une stratégie holistique particulièrement intéressante est celle du jugement comparatif.

Nous devons comprendre que la qualité ne peut parfois pas être exprimée très clairement par des mots. Nous avons besoin de montrer des preuves à nos élèves, des exemples de productions qui peuvent être plus parlants.

Même si cette compréhension ne peut être exprimée en mots, il existe une base efficace pour une évaluation de haute qualité, car les enseignants sont des experts dans leur domaine. Lorsque les enseignants ont une compréhension commune de la qualité, même sans grille d’évaluation, différents enseignants attribueront des notes similaires au travail des élèves. C’est cet accord entre enseignants qui fournit une base sûre pour l’évaluation sommative.




Vers des critères de réussite génériques et indépendants


L’objectif d’une intention d’apprentissage ou d’un critère de réussite n’est pas d’aider les élèves à terminer une activité, mais de les aider à comprendre et à apprendre. 

L’étayage peut décrire les instructions étape par étape que les élèves sont amenés à suivre. Cela aide indirectement les élèves à accomplir les tâches par eux-mêmes dans la mesure où il est peu à peu retiré. 

Le retrait progressif de l’étayage permet l’entrée en scène du contrôle exécutif. Peu à peu, les élèves peuvent décider par eux-mêmes du cours suivi par une tâche et non plus respecter à la lettre une suite d’actions prédéterminée. Dans le cas contraire, nous aboutirions à une situation où les élèves peuvent accomplir une tâche lorsqu’ils sont dirigés ou guidés, mais ne peuvent pas travailler de manière autonome.

Nous ne devons pas perdre ce pont de vue lorsque nous définissons des objectifs d’apprentissage et leurs critères de réussite. 

Imaginons que nous voulons que nos élèves apprennent des savoirs et savoir-faire afin d’effectuer un type de tâche donné qu’ils peuvent réutiliser dans différents types de contextes ensuite. Par conséquent, les mêmes objectifs d’apprentissage et critères de réussite doivent pouvoir s’appliquer à l’ensemble des types de tâches concernées. 

C’est là qu’il faut bien distinguer les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite au service de l’apprentissage et celles au service de l’évaluation sommative et de la maîtrise. 

Les enseignants ont besoin d’être très spécifiques pour se mettre d’accord sur le fait que les élèves ont atteint un certain niveau de performance. Cependant, ces objectifs et critères s’ils sont nécessaires pour l’évaluation sommative peuvent se révéler contreproductifs lorsque l’évaluation est destinée à fonctionner de manière formative.

Pour une démarche d’évaluation formative, un certain degré de généralité doit être intégré dans les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite. Toutefois, si les critères de réussite sont trop généraux, ils deviennent tellement insignifiants qu’ils ne fournissent que peu ou pas d’indications aux élèves. La prouesse consiste à trouver un point d’équilibre approprié entre ces deux extrêmes. Le dilemme est que l’emplacement de ce point d’équilibre sera différent pour différents élèves, pour différents aspects de la matière et pour des élèves à différents stades d’expertise.




Bibliographie


Dylan Wiliam, Embedding Formative Assessment, 2015, Learning Sciences International

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