dimanche 21 novembre 2021

Des objectifs pédagogiques au service de progressions d’apprentissage

Il existe une logique à trouver peu à peu dans la rédaction des intentions d’apprentissage, celle-ci se trouve dans le développement et le cheminement cognitif empruntés par nos élèves lorsqu’ils apprennent dans des matières spécifiques.

L’article s’articulera autour du cours de sciences, mais la problématique peut être abordée de manière très similaire en mathématiques et dans les autres disciplines.

(Photographie : Madi Ju)




Un processus ascendant


Lorsque nous développons et rédigeons nos objectifs pédagogiques sous forme d’intentions d’apprentissage et de critères de réussite, segment par segment, nous concevons des fragments isolés les uns des autres. Le processus est essentiellement ascendant. Sur le chemin de l’apprentissage, chaque contenu vient s’associer aux précédents dans le but d’accéder à une logique d’ensemble. Nous supposons que le tout constitué sera plus important que la somme des fragments.

Le risque d’une telle approche est que chaque unité de matière se retrouve isolée et que peu de liens généraux et intégratifs ne soient réellement établis par les élèves. Par conséquent, l’expérience qu’en retirera un élève peut n’être que fragmentée et manquer de sens. 




Un processus descendant


Au fil du temps, avec l’expérience et l’expertise dans nos matières et dans leur enseignement, il se révèle utile de s’engager également dans un processus descendant. Celui-ci consiste à démarrer de grandes idées qui fondent le contenu du programme dans notre matière. 

Nous cherchons à tracer les itinéraires que nos élèves sont susceptibles d’emprunter pour développer leur compréhension de ces grandes idées centrales. Nous voulons déterminer quels sont les points d’arrêt les plus importants en cours de route dans notre cours, les stades intermédiaires les plus emblématiques liés au développement progressif d’une compréhension profonde. 

Une telle compréhension approfondie de la logique sous-jacente de nos programmes peut demander plusieurs années d’enseignement pour s’installer. Peu à peu, en observant les difficultés de nos élèves, nous percevons et comprenons mieux comment agencer et intégrer les contenus. Nous arrivons à mieux révéler et expliciter les fils conducteurs et les grandes idées parfois implicites de nos programmes.

Mettre en évidence ces fils conducteurs ou ces grandes idées a pour enjeu de simplifier le programme et de le rendre plus facile à gérer pour les enseignants et à intégrer pour les élèves.

De plus, le fait de pouvoir se concentrer sur une vue d’ensemble de son programme de cours de cette manière et de la transmettre est susceptible d’aider les élèves à voir comment :

  • Ce qu’ils apprennent s’appuie sur ce qu’ils ont fait auparavant et connaissent déjà.
  • Leur apprentissage actuel les prépare à ce qu’ils vont apprendre dans le futur.




La notion de grande idée


Pour être utile en tant que grande idée, un concept doit permettre de donner un sens à un certain nombre de phénomènes connexes de manière efficace et efficiente. 

De plus, une grande idée est générative dans le sens où nous pouvons l’appliquer à des domaines que l’élève n’a pas encore rencontrés. Elle ne se contente pas de donner du sens à ce que l’élève a déjà croisé, mais elle fournit également un moyen de donner du sens à ce que l’élève rencontrera à l’avenir. 

Les grandes idées peuvent constituer des fils conducteurs qui relient le passé, le présent et le futur des apprentissages.  




Grandes idées et progressions d’apprentissage


Un groupe de chercheurs qui s’est penché sur la question de l’enseignement des sciences. Ils recommandent que pour chaque matière scolaire, le nombre de grandes idées soit compris entre cinq et dix (Popham, Keller, Moulding, Pellegrino et Sandifer, 2005). Toutefois, il peut y avoir de nombreuses bonnes raisons pour en avoir plus ou moins.

Un groupe de chercheurs en enseignement des sciences du monde entier, dirigé par Wynne Harlen, propose une liste de dix grandes idées scientifiques. Celles-ci pourraient servir de point de référence pour l’apprentissage scolaire des sciences (Harlen, 2010) :

  1. Toute la matière de l’univers est constituée de très petites particules.
  2. Les objets peuvent affecter d’autres objets à distance.
  3. Pour modifier le mouvement d’un objet, il faut qu’une force nette agisse sur lui.
  4. La quantité totale d’énergie dans l’univers est toujours la même, mais l’énergie peut être transformée lorsque des choses changent ou se produisent.
  5. La composition de la Terre et de son atmosphère et les processus qui s’y déroulent.
  6. Le système solaire est une toute petite partie d’une des millions de galaxies de l’univers.
  7. Les organismes sont organisés sur une base cellulaire.
  8. Les organismes ont besoin d’un approvisionnement en énergie et en matériaux pour lesquels ils sont souvent dépendants d’autres organismes ou en compétition avec eux.
  9. Les informations génétiques sont transmises d’une génération d’organismes à une autre.
  10. La diversité des organismes, vivants ou disparus, est le résultat de l’évolution.


En outre, le groupe examine la manière dont les connaissances scientifiques sont créées et propose quatre grandes idées sur la science (Harlen, 2010) :

  1. La science suppose que pour chaque effet, il existe une ou plusieurs causes.
  2. Les explications, théories et modèles scientifiques sont ceux qui correspondent le mieux aux faits connus à un moment donné.
  3. Les connaissances produites par la science sont utilisées dans certaines technologies pour créer des produits destinés à servir des fins humaines.
  4. Les applications de la science ont souvent des implications éthiques, sociales, économiques et politiques.


Étant donné que les grandes idées sont censées avoir une influence sur un certain nombre d’années, elles ne sont pas très utiles en tant qu’intentions d’apprentissage. Il est donc généralement utile de décomposer les grandes idées en éléments plus petits. 

Cela peut sembler paradoxal. Cependant, la compréhension des grandes idées par les élèves est censée se développer au fil du temps. Il n’y a donc rien de fondamentalement contradictoire à avoir une grande idée qui peut être décomposée en un certain nombre d’étapes de développement.




Les progressions d’apprentissage


Des travaux considérables ont été réalisés dans le domaine des sciences cognitives et de l’apprentissage pour étudier comment les élèves construisent leurs connaissances scientifiques. Les progressions d’apprentissage indiquent les étapes par lesquelles les élèves progressent généralement pour atteindre la compréhension d’une grande idée. 

Les progressions d’apprentissage en sciences sont définies comme des hypothèses empiriquement fondées et vérifiables sur la façon dont la compréhension des élèves et leur capacité à utiliser les concepts scientifiques de base, les explications et les pratiques scientifiques connexes se développent et deviennent plus sophistiquées au fil du temps, avec un enseignement approprié (Corcoran, Mosher et Rogat, 2009).

Grâce à ces travaux, nous savons que :

  1. Les élèves ont souvent des cadres conceptuels non scientifiques qu’ils utilisent pour comprendre les phénomènes scientifiques.
  2. Les cadres conceptuels et les idées non scientifiques des élèves peuvent persister même lorsqu’ils acquièrent des idées scientifiques.
  3. Les cadres conceptuels non scientifiques des élèves peuvent à la fois entraver et faciliter le raisonnement scientifique.




Le poids des cadres conceptuels non scientifiques


Comme l’expliquent Scott (et coll., 2019), les travaux portant sur la manière dont les élèves catégorisent les matières et les processus montrent qu’ils fondent souvent leurs catégorisations sur des caractéristiques de surface (par exemple, des caractéristiques observables). Des scientifiques s’appuient sur des caractéristiques profondes (par exemple, la similarité chimique ou génétique) pour déterminer l’appartenance à une catégorie.

Cette tendance peut amener les élèves à considérer les matières ou les processus comme distincts, alors qu’un scientifique considérerait ces mêmes processus comme liés.

Les élèves s’appuient également sur des stratégies non scientifiques lorsqu’ils décrivent des relations causales. C’est par exemple l’utilisation de motifs téléologiques (c’est-à-dire axés sur le but) ou essentialistes (c’est-à-dire axés sur les attributs) pour expliquer les phénomènes biologiques. Ces descriptions sont en conflit avec les idées scientifiques des interactions physiques et causales.

Les idées téléologiques peuvent être tenaces et persister même lorsque les élèves deviennent des scientifiques professionnels, d’une manière qui peut avoir un impact significatif sur leur vision des processus biologiques comme l’évolution.

Les élèves peuvent également s’appuyer sur des hypothèses simplifiées pour expliquer les relations causales dans les systèmes complexes. Cela peut les conduire à une compréhension incorrecte de la dynamique d’un système. Par exemple, ils peuvent s’appuyer sur des mécanismes causaux déterministes plutôt que probabilistes, sur des relations linéaires plutôt que non linéaires. Ils peuvent aussi rechercher une cause centralisée avec un nombre limité d’acteurs au lieu de causes décentralisées avec des interactions complexes ou émergentes.




La progression de la compréhension


Les idées qui découlent de cadres non scientifiques peuvent également fournir aux élèves un premier moyen de commencer à contraindre la façon dont les organismes ou les matières sont reliés dans une taxonomie hiérarchique. Celle-ci peut fournir un cadre à partir duquel construire des idées plus rigoureuses sur le plan scientifique.

La recherche sur la progression de l’apprentissage s’appuie sur les travaux des sciences cognitives. Elle reconnait que la compréhension des phénomènes scientifiques par les élèves évolue de multiples façons à mesure qu’ils progressent vers la maîtrise d’un sujet. 

Cette compréhension s’appuie souvent sur des idées intuitives ou familières qui peuvent servir de tremplin vers la connaissance scientifique.

Les chercheurs en progression de l’apprentissage saisissent cette diversité d’idées en administrant des questions d’évaluation communes aux élèves des différents niveaux scolaires qui les intéressent.

À partir des réponses à l’évaluation, les chercheurs en progression de l’apprentissage utilisent des méthodes qualitatives. Ils identifient les différentes façons dont les élèves raisonnent sur le sujet qui les intéresse à mesure qu’ils le maîtrisent, notamment les conceptions non scientifiques, vagues, incomplètes ou incorrectes. 

Les progressions de l’apprentissage sont basées sur la cognition. Elles ne sont pas des progressions du contenu ou des séquences d’enseignement qui décrivent une séquence ordonnée d’idées scientifiques développées par des experts à partir desquelles des unités curriculaires sont construites.

Les progressions d’apprentissage basées sur la cognition sont élaborées à partir de données empiriques sur la maturation du raisonnement des élèves au fil du temps.




Une carte routière de la pensée des élèves


En regroupant la diversité des idées des élèves sur un sujet dans un seul cadre, les progressions d’apprentissage servent de carte routière de la pensée des élèves. Elles commencent par les idées initiales des élèves sur un sujet et se terminent par leurs idées scientifiques mûres au niveau le plus élevé de la progression d’apprentissage.

Les niveaux intermédiaires représentent des points de repère clés ou des défis/réussites conceptuels que les élèves peuvent rencontrer alors qu’ils travaillent vers la destination du niveau le plus élevé. Les élèves peuvent emprunter différents itinéraires vers le niveau le plus élevé de la progression et ne pas expérimenter toutes les idées décrites dans les différents niveaux. 

Les progressions d’apprentissage abordent l’apprentissage des élèves d’un point de vue à la fois scientifique et développemental :

  • Elles sont scientifiques, car elles se concentrent sur les concepts fondamentaux de la science que les experts ont identifiés comme ayant un large pouvoir explicatif dans de multiples contextes. 
  • Elles sont développementales, car elles décrivent ce que les élèves pensent et font réellement lorsqu’ils progressent vers la maîtrise de ces concepts scientifiques.


Les progressions d’apprentissage présentent cinq caractéristiques fondamentales : 

  1. Elles caractérisent la réflexion des élèves sur les grandes idées de la science. 
  2. Elles décrivent la façon dont les élèves raisonnent lorsqu’ils sont engagés dans des pratiques scientifiques. 
  3. Elles guident l’élaboration d’objectifs d’apprentissage liés à la réflexion des élèves. 
  4. Elles caractérisent l’étendue des idées des élèves sur une idée centrale de la science. 
  5. Elles sont reliées à un ensemble connexe d’instruments d’évaluation qui ciblent les performances clés et suivent l’apprentissage des élèves. 




Déduire les intentions d’apprentissage des progressions d’apprentissage


Les enseignants peuvent utiliser la nature de la carte routière des progressions d’apprentissage pour guider leurs pratiques pédagogiques de manière à ce qu’elles soient fondées sur les preuves de la pensée des élèves. 

Une fois les progressions d’apprentissage développées, il est alors possible de sélectionner des points particuliers le long du voyage d’apprentissage en tant qu’intentions d’apprentissage. 

Le plus souvent, les intentions d’apprentissage se rapportent à ce qu’un enseignant peut couvrir dans une période d’enseignement particulière, comme une leçon ou une unité de travail. Il est aussi parfois utile de définir les intentions d’apprentissage comme ce que David Perkins appelle les connaissances problématiques (Perkins, 1999).

L’idée importante ici est que si nous savons qu’il y a des choses particulières qui sont difficiles pour les élèves, alors nous devons découvrir s’ils les comprennent et les mettre en évidence.




Bibliographie


Wiliam, Dylan ; Leahy, Siobhan., Embedding Formative Assessment, 2015, Learning Sciences International

Popham, W. & Keller, Tom & Moulding, Brett & Pellegrino, James & Sandifer, Paul. (2005). Instructionally Supportive Accountability Tests in Science: A Viable Assessment Option?. Measurement: Interdisciplinary Research and Perspectives. 3. 121–179. 10.1207/s15366359mea0303_1. 

Wynne Harlen, Principles and Big Ideas of Science Education, 2010, https://www.ase.org.uk/bigideas

Corcoran, Tom & Mosher, Frederic & Rogat, Aaron. (2009). Learning Progressions in Science: An Evidence-Based Approach to Reform. CPRE Research Report # RR-63. Consortium for Policy Research in Education.

Perkins, D. (1999). The many faces of constructivism. Educational Leadership, 57(3), 6–11.

Scott, Emily & Wenderoth, Mary & Doherty, Jennifer. (2019). Learning Progressions: An Empirically Grounded, Learner-Centered Framework to Guide Biology Instruction. CBE life sciences education. 18. es5. 10.1187/cbe.19-03-0059.

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