mercredi 17 novembre 2021

Objectifs d’apprentissage : généralisation et indépendance du contexte

Dans une perspective d'enseignement efficace, les objectifs d'apprentissage sont centraux. Leur définition est à la fois cruciale et complexe car ils doivent servir de points de référence à la fois pour les enseignants et les élèves tout au long du parcours d'enseignement et d'apprentissage.

(Photographie : Tema Stauffer)




Objectifs ou intentions d’apprentissage et critères de réussite


Les concept d’objectifs pédagogiques ou objectifs d’apprentissage est susceptible d’être critiqué. Nous avons tendance souvent à utiliser le terme d’objectif pédagogique pour signifier un objectif comportemental dont nous allons évaluer la présence à un moment donné dans la production d’une réponse. Cependant, en réalité, beaucoup de contenus que nous voulons que nos élèves apprennent ne sont pas facilement décrits en termes comportementaux même en fin de compte nous ne pouvons les évaluons de cette manière. En effet, en grande partie, l'apprentissage reste invisible.

Une appellation alternative à celle d'objectif d'apprentissage, proposée par Dylan Wiliam (2015), est celle  d’intentions d’apprentissage pour décrire ce que les élèves peuvent faire, le résultat obtenu, après s’être engagés dans des activités éducatives. L'intérêt de cette notion d'intention d’apprentissage est d'inclure les contenus de matière et la manière dont nous voulons que nos élèves les apprennent. L'intention implique une mise en oeuvre réfléchie dans la perspective d'un apprentissage. Elle peut amener à poser le regard sur les moyens d'une manière plus soutenue que ne le fait l'idée d'un objectif. 

En effet, les objectifs d'apprentissage, comme l'évaluation formative sont intimement lié aux processus d'enseignement et d'apprentissage en cours. La notion d'intention d'apprentissage comme celle d'évaluation soutien d'apprentissage pourraient mieux attirer l'attention sur ces dimensions.

Un second concept est fondamental à associer aux objectifs d'apprentissage, c'est celui de critères de réussite dont l'enjeu est de décrire les limites précises à ce qui sera évalué et à ceux qui permettra de définir la maîtrise. Les critères de réussite peuvent prendre la forme d'explications verbales, d'une grille critériée et pondérée ou d'exemples de productions illustrant les niveaux attendus ou les erreurs à ne pas commettre. Ces formats explicitent les critères que les évaluateurs utiliseront pour juger de la réussite des activités d’apprentissage auxquelles les élèves seront entrainés et dans lesquels ils seront finalement engagés lors de l'évaluation.

Les objectifs d'apprentissage et les critères de réussite ont une mission de clarification et servent de référence tout au long du parcours. Il n’est pas facile de prévoir ce que les élèves apprennent après s’être engagés dans une séquence particulière d’activités pédagogiques. Parfois, les élèves apprennent ce que nous voulons qu’ils apprennent, et parfois ils ne l’apprennent pas ou apprennent autre chose. Les objectifs ou intentions d’apprentissage et les critères de réussites peuvent nous aider à être plus précis que de simples objectifs pédagogiques.




L’importance de l’identification des objectifs d’apprentissage


Lorsque nous enseignons, nous devons connaître l’objectif d’apprentissage que nous poursuivons à un moment donné. 

Toutefois, cela n’impose pas nécessairement de la donner d’emblée aux élèves, car cela pourrait gâcher le suspense ou ne pas les inspirer.  

Nous pouvons poser trois hypothèses pour guider les actions des enseignants :

  1. L’objectif principal de notre fonction d’enseignant est d’une certaine manière de transformer nos élèves en modifiant et en développant des schémas fonctionnels dans leur mémoire à long terme. La plupart du temps, nous essayerons de faire en sorte que nos élèves soient capables d’exprimer des comportements, utiliser des connaissances et mettre en œuvre des compétences qu’ils ne pouvaient pas exprimer auparavant.
  2. Ce changement visé à travers l’enseignement est dirigé et planifié. Nous ne nous intéressons pas à des changements aléatoires dans ce que les élèves peuvent faire, mais nous nous intéressons à des changements particuliers et ciblés chez nos élèves qui, selon nous, possèdent de la valeur. 
  3. Ces changements ont plus de chances de se produire si nous avons un plan clair et défini de ce que nous voulons que nos élèves apprennent.




Concevoir le caractère générique des objectifs d’apprentissage


Il est très complexe de concevoir des objectifs d’apprentissage et des critères de réussite. À l’opposé, concevoir de mauvais objectifs d’apprentissage et de mauvais critères de réussite est en fait très simple.

Les objectifs d’apprentissage sont peu utiles s’ils n’incluent pas spécifiquement le contexte de l’apprentissage

Un danger courant est que lorsque nous enseignons à nos élèves comment faire quelque chose, nous sommes rarement intéressés par leur capacité à réaliser de manière directe et précise les savoirs et savoir-faire que nous leur avons enseignés. Nous avons une propension à complexifier. 

Par exemple, si nous apprenons à nos élèves à additionner deux nombres, tels que 387 et 436, nous cessons par la suite d’être intéressés par ceux-ci. Nos élèves peuvent presque certainement additionner ces deux nombres, car nous leur avons montré comment faire. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir s’ils peuvent utiliser ce qu’ils ont appris pour additionner deux nombres différents. Peuvent-ils généraliser ce qu’ils ont appris et le transférer à deux autres nombres ?

Si nous enseignons à nos élèves comment ponctuer une phrase, nous ne sommes plus intéressés par cette phrase en particulier. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si nos élèves peuvent appliquer ce qu’ils ont appris à une autre phrase. Mieux encore, peuvent-ils ponctuer lorsqu’ils écrivent une histoire plutôt que de faire un exercice de ponctuation ? 

Si nos élèves ne peuvent que reproduire à l’identique ce que nous leur avons enseigné en classe, ils ne peuvent pas faire grand-chose. Il est peu probable que ces circonstances exactes se reproduisent. Le seul apprentissage utile est celui que l’élève peut appliquer au-delà du contexte de l’apprentissage.

La capacité à généraliser les connaissances et les compétences dans différents contextes est au cœur d’un enseignement efficace. C’est une dimension que nos objectifs d’apprentissage doivent traduire.




De la difficulté d’échapper au contexte avec l’apprentissage


Malheureusement, notre cerveau n’est pas très doué pour dissocier le contexte de l’apprentissage lui-même. De même, notre cerveau n’est pas très doué pour transférer des connaissances d’un contexte à un autre. 

Les résultats de certaines expérimentations sont particulièrement frappants à ce sujet :

Dans le cadre d’une expérience pour le moins originale, Godden et Baddeley (1975) ont mis en évidence l’importance du contexte pour la récupération d’informations en mémoire :

  • Ils ont demandé à 18 plongeurs sous-marins de mémoriser une liste de 36 mots de deux ou trois syllabes sans rapport entre eux.
  • Un groupe a fait cela sur la plage et l’autre sous l’eau. 
    • Lorsque les chercheurs leur ont demandé de se souvenir des mots, la moitié des apprenants de la plage sont restés sur la plage, les autres ont dû se souvenir sous l’eau.
    • La moitié du groupe sous l’eau est restée sous l’eau et les autres ont dû se souvenir sur la plage. 
  • Les résultats montrent que le contexte externe a agi comme un indice de rappel. Les participants se souviennent de plus de mots lorsqu’ils ont appris et rappelé les mots dans le même environnement que lorsqu’ils ont appris et rappelé les mots dans des environnements différents :
    • Ceux à qui des contenus ont été enseignés en surface se souviennent de 55 % de plus de ce qui leur a été enseigné lorsqu’ils sont testés en surface que lorsqu’ils sont testés sous l’eau. 
    • Lorsqu’ils avaient appris des choses sous l’eau, ils se souvenaient de 35 % de plus lorsqu’ils étaient testés sous l’eau que lorsqu’ils étaient testés en surface.


G. Lowe (1980) a mis en évidence un effet de dissociation de l’apprentissage en fonction du contexte 

  • Trente-deux volontaires adultes ont été invités à mémoriser une carte géographique simplifiée, affichée visuellement, ainsi qu’un ensemble d’instructions de 19 items, présentées de manière auditive, concernant un itinéraire particulier.
  • Pendant cette session, la moitié des sujets étaient sobres et l’autre moitié était sous l’effet d’une dose modérée d’alcool. 
  • Vingt-quatre heures plus tard, ils ont été testés dans des conditions identiques ou différentes. Les performances d’apprentissage du premier jour n’ont pas été affectées par l’alcool. 
  • Le transfert de l’apprentissage a été testé le deuxième jour :
    • Il était aussi bon lorsque les sujets étaient alcoolisés pendant les deux sessions ou étaient sobres pendant les deux sessions. 
    • Par contre, les chercheurs ont constaté une diminution significative du rappel le deuxième jour, lorsque les sujets étaient dans un état différent de leur état sobre ou alcoolisé d’origine. Cette dissociation de l’apprentissage s’est avérée symétrique en ce sens que la diminution du rappel était la même, que l’apprentissage initial ait été acquis dans un état de sobriété ou d’alcoolisation. 


S. M. Smith, Glenberg, & Bjork (1978) se sont intéressés à l’effet du lieu d’apprentissage et d’évaluation, ils ont montré que :

  • La variabilité des environnements d’étude a produit des performances de rappel libre plus élevées que les environnements d’étude inchangés. 
  • Il y a une amélioration du rappel lorsque les contextes d’étude et de test correspondent. Le rappel des catégories et des mots à l’intérieur d’une catégorie était meilleur dans un contexte identique que dans un contexte différent. 
  • Si cet effet se manifeste sur le rappel libre, il n’est pas constaté lors d’un test de reconnaissance. 




Garder le contexte en dehors des objectifs d’apprentissage


La difficulté du transfert est liée à l’absence de prise en compte du contexte. Notre cerveau éprouve d’immenses difficultés à s’extraire du contexte de l’information si nous ne l’y aidons pas.  

La plus belle preuve est une difficulté typique rencontrée dans le secondaire. Les élèves éprouvent toutes les peines du monde à transférer certains concepts mathématiques vers le cours de physique et inversement. Nous devons si nous ne les y aidons pas, que ce soit au niveau de la résolution d’équations ou l’analyse de graphiques. 

Si nous nous arrêtons à ces considérations, nous pourrions en conclure qu’il est impossible d’enseigner des idées abstraites dans l’espoir que les élèves soient capables de transférer leur apprentissage d’un contexte à un autre. Contrairement à cette idée, un grand nombre de recherches empiriques sur le transfert en psychologie démontrent qu’il peut y avoir soit de grandes quantités de transfert, soit une quantité modeste de transfert, soit pas de transfert du tout. Comment faire alors ?

L’importance du transfert et son caractère positif dépendent de manière fiable de la situation expérimentale et de la relation entre le contexte d’origine et le contexte de la situation de transfert. Au plus le transfert est proche, c’est-à-dire au plus le contexte d’origine est proche du contexte de la nouvelle situation, au plus il est probable qu’il ait lieu. 

Le transfert d’un contexte à un autre est beaucoup plus efficace lorsque les élèves rencontrent la même idée dans différents contextes. Pour cette raison, il apparait crucial de séparer le contexte de l’apprentissage de l’objectif d’apprentissage. L’objectif d’apprentissage doit pouvoir inclure dans son caractère général tous les contextes auxquels un élève est susceptible de faire face.

Les activités d’apprentissage doivent être conçues et sélectionnées à partir des objectifs d’apprentissage. Dès que nous commençons à considérer ce que nous enseignons comme des cas particuliers de quelque chose de plus général, nous commençons à développer une vision plus large. Chaque contexte utilisé devient un cas particulier d’application. Nous pouvons alors commencer à générer une variété d’exemples dans la même catégorie pour rendre les élèves plus aptes à des transferts proches. La capacité des élèves à appliquer les contenus dans d’autres contextes est accrue si leurs activités d’apprentissage sont variées. Cela leur permet d’apprendre davantage.

Par conséquent, nous devons veiller à garder le contexte en dehors de l’objectif d’apprentissage. Nous faisons pratiquer nos élèves ce qu’ils ont appris dans des contextes variés. C’est la diversité des activités d’apprentissage en lien avec l’objectif d’apprentissage qui va permettre l’étendue du transfert de la compétence acquis.



Mis à jour le 24/04/2023


Bibliographie


Dylan Wiliam, Embedding Formative Assessment, 2015, Learning Sciences International

Godden, D. R., & Baddeley, A. D. (1975). Context‐dependent memory in two natural environments: On land and underwater. British Journal of psychology, 66(3), 325–331.

Lowe, G. (1980). State-dependent recall decrements with moderate doses of alcohol. Current Psychological Research, 1(1), 3–8.

Smith, S. M., Glenberg, A., & Bjork, R. A. (1978). Environmental context and human memory. Memory & Cognition, 6(4), 342–353. https://doi.org/10.3758/BF03197465

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