mercredi 20 octobre 2021

Théorie implicite de l’intelligence et de l’état d’esprit : intérêts et limites pour l’enseignant et ses élèves

Les travaux menés par Carol Dweck sur la théorie implicite de l’intelligence et la motivation au cours des 40 dernières années ont eu une influence considérable sur l’éducation. Son modèle de l’état d’esprit de développement face à l’état d’esprit fixe a été largement diffusé. Comment peut-il nous être utile ?

(Photographie : key-cat)



État d’esprit fixe ou de développement


Les croyances implicites sur les capacités permettraient de distinguer deux formes d’orientation des conceptions manifestées par les individus concernant leur intelligence personnelle : 

  • Une orientation vers le développement de leurs capacités et vers des objectifs de maîtrise. Elle correspondrait à un comportement adapté face à l’apprentissage, à un état d’esprit de développement et à une théorie incrémentale de l’intelligence.
  • Une orientation vers la recherche d’une correspondance avec leurs capacités et vers des objectifs de performance. Elle correspondrait à un comportement inadapté face à l’apprentissage, à un état d’esprit fixe et à une théorie de l’entité de l’intelligence.

Le concept s’est révélé séduisant et utile dans l’interprétation d’attitudes face à l’apprentissage. 




L’élaboration difficile d’interventions généralistes sur l’état d’esprit de développement


Ce qui s’est révélé le plus délicat avec les recherches de Carol Dweck et ses collègues est le développement ultérieur d’interventions à grande échelle et généralistes. 

Ces interventions généralistes visent à influer sur les résultats d’apprentissage par le biais d’interventions. L’objectif est le déplacement de l’état d’esprit des élèves d’un état d’esprit fixe vers un état d’esprit de développement. L’idée est de tirer des bénéfices ultérieurs sur l’apprentissage de ces élèves.

Si les recherches de Carol Dweck et ses collègues ont donné des résultats prometteurs en laboratoire, des tentatives plus récentes de reproduire ses conclusions sur le terrain ont conduit à des résultats douteux. La conclusion est que les tentatives de changement des croyances intrinsèques des élèves sur la nature de l’intelligence tendent à ne pas se reproduire d’une recherche à l’autre :

  • Les croyances intrinsèques des élèves ne sont peut-être pas aussi aisément malléables que nous l’espérons. 
  • De même, une intervention qui semblerait les changer n’aurait pas nécessairement d’influence directe ou absolue sur leurs résultats ultérieurs d’apprentissage. 


Toutefois, les recherches originelles de Carol Dweck sont dans une dimension philosophique et de psychologie sociale une contribution importante au domaine de la motivation et de la personnalité. Ces concepts d’état d’esprit fixe ou de développement restent une contribution d’un intérêt très réel et sans doute plus pour les conceptions des enseignants eux-mêmes que pour celles de leurs élèves. C’est l’objet de la suite de cet article.




Manifestation des objectifs de maîtrise ou de performance chez les élèves


Pour comprendre l’intérêt de la théorie de Carol Dweck, nous allons nous replonger dans la distinction entre objectif de maîtrise et de performance.

Nous pouvons partir du constat que régulièrement, à capacités intellectuelles équivalentes et avec un bagage similaire de connaissances antérieures, deux élèves peuvent aboutir à des résultats dissemblables particulièrement lorsque les contenus sont exigeants et difficiles.

Face au travail et aux exigences scolaires :

  • Certains élèves peuvent manifester un comportement adaptatif et viser des objectifs de maîtrise, ce qui correspond à un état d’esprit de développement.
  • D’autres élèves peuvent adopter un comportement inadapté et viser des objectifs de performance ou d’évitement, ce qui correspond à un état d’esprit fixe.


 

Objectifs de maîtrise

Objectifs de performance (ou d’évitement)

Les élèves sont plus susceptibles d’être intéressés, intrinsèquement motivés par l’apprentissage de la matière d’un cours et d’en respecter les consignes

 

Ils sont plus susceptibles d’être peu intéressés, extrinsèquement motivés, et dès lors de tricher pour obtenir de bonnes notes.

 

Les élèves croient que leurs compétences se développent au fil du temps. Ils valorisent la pratique et l’effort, car ils leur permettent de progresser personnellement.

Les élèves croient que leurs compétences sont une donnée stable et fixe. Devoir fournir beaucoup de pratiques et d’efforts est dévalorisé, car c’est le signe de capacités faibles.

Les élèves font preuve d’un apprentissage et d’un comportement plus autorégulés.

 

Les élèves font preuve de moins d’autorégulation dans leur comportement et leurs apprentissages.

 

Les élèves adoptent et privilégient des stratégies d’apprentissage qui favorisent la compréhension et des apprentissages durables et en profondeur.

Les élèves utilisent des stratégies d’apprentissage qui favorisent la mémorisation par cœur et la performance à court terme. Ils sont susceptibles de procrastiner davantage.

Les élèves sélectionnent des tâches stimulantes qui maximisent les opportunités d’apprentissage et relèvent les défis.

Les élèves préfèrent des tâches qui maximisent les occasions de démontrer leur compétence et évitent celles qui sont plus difficiles.

Les élèves sont plus susceptibles de remettre en question leurs conceptions et de les faire évoluer.

Les élèves sont moins susceptibles de mettre en question et de changer leurs conceptions.

Les élèves tendent à réagir aux tâches faciles par un sentiment d’ennui.

 

Les élèves réagissent à la réussite de tâches faciles par des sentiments de fierté ou de soulagement.

 

Les élèves recherchent des commentaires qui décrivent des pistes d’améliorations concrètes.

Les élèves sont en attentes de commentaires qui mettent en évidence positivement leurs capacités.

Les élèves collaborent volontiers avec leurs pairs pour améliorer leur apprentissage.

 

Les élèves collaborent lorsque cela leur permet de paraître compétents.

 

Les élèves interprètent l’échec comme un signe qu’il faut fournir davantage d’efforts pour maîtriser les objectifs d’apprentissage.

 

Les élèves interprètent l’échec comme un signe de faible capacité et donc prédictif d’un échec futur.

 

Les élèves considèrent les erreurs comme une partie normale de l’apprentissage et les utilisent pour s’améliorer.

Les élèves considèrent les erreurs comme stigmatisantes, car elles sont un signe d’échec et d’incompétence.

Les élèves considèrent l’enseignant comme une ressource et un allié pour surmonter leurs difficultés.

Les élèves peuvent éviter l’enseignant et son jugement et peuvent s’engager dans de l’autosabotage comme moyen de justifier l’échec.

Les élèves sont satisfaits de leurs performances tant qu’ils font des progrès

 

Les élèves ne sont satisfaits que lorsqu’ils réussissent conformément à leurs attentes.

 

Les élèves sont plus susceptibles d’être enthousiastes à propos de l’école et de s’impliquer dans les activités scolaires.

Les élèves sont plus susceptibles de s’éloigner de l’environnement scolaire et d’être critiques face à celui-ci.

 

 



Divergence entre les concepts d’état d’esprit et d’intelligence



La différence d’état d’esprit ne s’explique pas en matière d’aptitudes brutes. Il n’y a pas de lien absolu entre les capacités et l’état d’esprit. 

Une subdivision habituelle de l’intelligence est de distinguer :
  • L’intelligence cristallisée qui est la capacité à utiliser nos connaissances, nos compétences et notre expérience. Elle croit le long de la vie.
  • L’intelligence fluide, qui est en la capacité à s’en sortir quand nous ne pouvons pas utiliser nos connaissances. Elle est une donnée fixe.

Le principe d’un état d’esprit fixe ou en développement face à l’intelligence est ainsi en décalage avec sa nature même. 

De plus, il existe des différences notables d’intelligence entre individus même si chacun dispose d’un potentiel de développement



Concept de soi et estime de soi


Les deux positions de l’état d’esprit ont un rôle important à jouer en matière :
  • De concept de soi (constitué des croyances que nous entretenons à notre sujet) :
    • Pour l’élève qui a une théorie de l’entité de l’intelligence (un état d’esprit fixe), le soi est conceptualisé comme un ensemble de traits fixes qui peuvent être mesurés et évalués.
    • Pour l’élève qui a une théorie incrémentale de l’intelligence, le soi est considéré comme un système de qualités malléables qui évolue au fil du temps grâce aux efforts consentis.
  • D’estime de soi (niveau de satisfaction que nous éprouvons face aux croyances liées à notre concept de soi) 
    • Les élèves ayant une théorie de l’entité (fixe) se sentent intelligents lorsque leur travail ne comporte aucune erreur ou faute ou lorsque le travail était facile. 
    • Les élèves ayant une théorie incrémentale (en développement) de l’intelligence se sentent intelligents lorsqu’ils maîtrisent des tâches difficiles. Par exemple, ils retirent de la satisfaction lorsqu’ils parviennent, grâce à leurs efforts, à surmonter un défi lié à un apprentissage qu’ils étaient auparavant incapables de relever.



Le regard de l’élève sur lui-même et son engagement personnel


La théorie de l’état d’esprit du développement a été développée par Carol Dweck :
  • Reconnait qu’il existe des différences individuelles en matière de capacités
  • Met l’accent sur le potentiel de progrès des individus
  • Valorise leur sens de l’autonomie face aux démarches utiles. 
Nous pouvons dire à un élève qu’il doit croire en lui-même qu’il peut progresser en fournissant des efforts et en adoptant des stratégies d’apprentissage efficaces. Notre but peut être de lui faire acquérir un état d’esprit de développement. Toutefois, l’impact peut être limité.

Une explication probable de la difficulté de mise en œuvre des interventions générales liées à l’état d’esprit de développement est leur non-spécificité. 

Quoi qu’on en dise, les dimensions de l’état d’esprit et des capacités restent profondément liées d’autant plus qu’elles sont liées pour chaque individu à des milliers d’expériences personnelles récurrentes. Placer un élève sur un continuum entre un état d’esprit fixe et un état d’esprit de développement et influencer son positionnement par des interventions générales peut ne pas améliorer ses formes d’engagement spécifiques. La démarche peut être inefficace si l’élève ne sait pas comment faire ou n’adopte pas des objectifs correspondants. 

Les interventions ont plus de chances de fonctionner lorsqu’elles sont individualisées, spécifiques, guidées et contextualisées.

Les approches motivationnelles qui cherchent à nier l’importance des capacités innées et du contexte sont vouées à l’échec. Si nous essayons de convaincre nos élèves que leurs capacités innées ne comptent que peu dans la réussite et que l’effort compte pour l’essentiel, nous les induisons en erreur. Les aptitudes et les capacités naturelles jouent un rôle important dans la réussite, l’effort compte à la marge. 

Toutefois, les gains marginaux peuvent se transformer en gains significatifs et réaliser progressivement une différence notable. Cela implique de contextualiser l’approche au niveau individuel de l’élève.

De plus, les différences d’état d’esprit des élèves n’apparaissent que face à des situations de difficultés manifestes où l’élève va fournir ou ne pas fournir une marge d’effort supplémentaire. 

Le comportement face au travail n’a pas de raison de changer tant que tout va bien pour l’élève et que les résultats escomptés sont engrangés. 

Les différences se manifestent lorsque l’effort est nécessaire. À ce moment-là, des différences de comportement induites par l’état d’esprit peuvent devenir apparentes. Pour autant, il n’est pas évident qu’avoir un état d’esprit fixe condamne forcément au manque d’effort et qu’un état d’esprit de développement change réellement la donne lorsque les difficultés sont importantes. 

Une meilleure approche globale semble être l’enseignement explicite de l’apprentissage autonome et l’engagement personnel correspondant de l’élève.



L’importance du regard posé par l’enseignant sur l’apprentissage de l’élève


« L’apprentissage nécessite une motivation, mais la motivation ne conduit pas nécessairement à l’apprentissage » (Graham Nuthall, 2007).

« La motivation ne mène pas toujours à la réussite, mais la réussite mène souvent à la motivation » (Kirschner et Hendricx, 2020).



Miser sur les apprentissages pour motiver

 

Il existe une dimension psychologique, personnelle et subjective, évidente face aux apprentissages : 
  • Si un élève pense qu’il ne peut pas apprendre la matière que nous lui enseignons parce qu’il n’en a pas les capacités, pourquoi s’en donnerait-il la peine ?
  • Si par contre, un élève perçoit qu’avec des efforts et en suivant les conseils stratégiques de son enseignant, il peut apprendre la matière enseignée, pourquoi ne s’en donnerait-il pas la peine ?
Cette divergence d’attitude cache une idée cruciale concernant l’intelligence. Cette dernière peut être améliorée grâce : 
  • Aux efforts consentis
  • À la mobilisation des stratégies d’apprentissage adéquates.
  • À l’adoption de défi ou d’objectifs d’apprentissage dans une perspective d’autorégulation et de responsabilisation. La mise en œuvre de cette idée par les élèves est un levier fondamental dont l’enseignant doit se saisir :
  • Elle lui permet d’avoir un impact sur les apprentissages des élèves.
  • Elle contribue indirectement à leur motivation.


Miser sur la maîtrise plus que sur la performance


Un point essentiel pour l’enseignant est  :
  • De mettre l’accent sur la maîtrise et sur les progrès personnels.
  • De minoriser l’accent sur la performance et sur toute comparaison normative ou entre élèves.
Imaginons que nous voulons que nos élèves deviennent compétents dans un domaine de connaissances spécifique donné. Dès lors, décrire le résultat souhaité en matière de note associée à un résultat d’examen pourrait en fait être un mauvais moyen d’atteindre la maîtrise dans ce domaine. Devoir atteindre une note donnée pour réussir focalise l’esprit sur la performance à atteindre et peut générer de l’anxiété.

À l’opposé, tout ce qui contribue à l’adoption d’une théorie incrémentale de l’intelligence par les élèves sera positivement corrélé à l’appropriation des objectifs d’apprentissage. Celle-ci est à soutenir par l’identification d’exemple de réussite qui peuvent servir de guide et de modèles pour la réflexion et l’apprentissage des élèves. 

Dès lors, c’est à niveau contextuel et spécifique de l’apprentissage de leur matière que les enseignants peuvent avoir un impact important et positif sur leurs élèves.

Une manière de le faire est de communiquer régulièrement sur les objectifs d’apprentissage, de soutenir les élèves dans leur appropriation et de montrer des exemples de réussite : 
  • Cela permet de réorienter l’état d’esprit des élèves vers la maîtrise de ces objectifs d’apprentissage plutôt que vers la performance à une évaluation sommative ultérieure. L’objectif de maîtrise amène plutôt à se focaliser sur les efforts et les stratégies nécessaires à l’apprentissage.
  • Cela permet d’éviter que les élèves se fixent des objectifs de performance sous forme de résultats chiffrés, car cette dimension pose invariablement la question de savoir si les capacités de l’élève seront suffisantes. 
Pour y arriver, l’enseignant peut définir la réussite en matière d’objectifs spécifiques concrets basés sur les connaissances, sur la compréhension, sur le sens et la qualité de la réflexion. 

Par conséquent, l’usage de l’évaluation formative qui est axée sur la maîtrise est complètement pertinent face à une évaluation sommative basée sur la performance.

Si les pratiques de l’enseignant peuvent influencer l’état d’esprit des élèves, les propres conceptions de l’enseignant peuvent avoir une influence sur ses élèves.


Prendre en compte l’état d’esprit de l’enseignant


Si les enseignants penchent en faveur d’une théorie fixe de l’intelligence, ils auront tendance à considérer que les performances d’apprentissage de leurs élèves peuvent être mesurées et jugées :
  • En se basant sur des résultats de tests ou quelques erreurs manifestes, ils pourraient juger les élèves et les classer selon des niveaux donnés de qualité sur la base de facteurs isolés et de preuves limitées. 
  • Ils prendraient moins en compte des facteurs contextuels ou la perspective de l’élève concerné. Ils pourraient juger le fait qu’un élève commette une erreur comme intrinsèque à sa propre personne.
Il y a intérêt à ce que les enseignants penchent en faveur d’une théorie incrémentale de l’intelligence :
  • Ils auront tendance à considérer que les preuves d’apprentissages qu’ils récoltent auprès de leurs élèves sont malléables ou contrôlables et susceptibles de faire l’objet d’une rétroaction utile ou d’une adaptation de l’enseignement.
  • Les erreurs commises par leurs élèves sont considérées comme un tremplin nécessaire vers l’apprentissage et la maîtrise.

Motiver les élèves par des interventions déconnectées de l’apprentissage spécifique n’est pas forcément la meilleure façon de les motiver. Tout se joue au niveau granulaire des objectifs d’apprentissage et du soutien fourni aux élèves dans leur maîtrise. C’est l’acquisition de leur maîtrise qui est le plus sûr chemin vers la motivation.


Voir articles :


Mis à jour le 09/09/2024


Bibliographie


Paul A. Kirschner and Carl Hendrick, How Learning Happens, 2020, Taylor and Francis

Mark Girod, Characteristics of Learners with Mastery Versus Performance Goals, 2010, https://people.wou.edu/~girodm/100/mastery_vs_performance_goals.pdf

Graham Nuthall, The Hidden lives of learners, 2007, NZCER Press

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