jeudi 4 mars 2021

Critères de mise en œuvre de la pratique de récupération en classe

S’il y a un effet remarquablement bien documenté en science de l’apprentissage, c’est l’effet de test. Sa traduction concrète est la pratique de récupération.

(Photographie : Peter Nilsson)

Il est communément établi qu’il est utile qu’un élève se teste après avoir compris ou étudié une matière une première fois. Cela se traduit globalement par un meilleur apprentissage à moyen et long terme que lorsqu’il relit son cours, le réétudie, fait des cartes conceptuelles ou suit une révision. Toutefois, cet effet de test ne se manifeste pas à court terme. Si un élève étudie juste avant une évaluation, l’effet n’est pas présent.




Situer la pratique de récupération face aux processus d’encodage et de stockage de l’information


En matière d’apprentissage, deux processus sont particulièrement importants, l’encodage et le stockage :

L’encodage est le moment où un élève comprend et apprend une information pour la première fois, ou s’il l’a oubliée lorsqu’il la réapprend. Généralement pour un élève, le processus a lieu en classe. S’il n’est pas terminé à ce moment-là, il peut se réaliser par la suite lorsqu’il revoit les contenus chez lui. Par nature, l’encodage est généralement volatile et sensible à l’oubli. 

Le stockage est le processus par lequel des informations comprises et encodées deviennent durables. Le processus de stockage est différent du processus d’encodage. Il nécessite la combinaison de deux phénomènes : 

  • La récupération : c’est le moment où nous accédons à l’information en mémoire à long terme pour la ramener à la conscience dans notre mémoire de travail.
  • L’élaboration est le moment où nous traitons, manipulons et utilisons cette information en mémoire de travail. 

Les activités d’enseignement doivent prendre en compte les dimensions de l’encodage et du stockage pour aboutir à un apprentissage scolaire profond et durable. 

Apprendre pour un élève c’est donc comprendre puis s’engager dans de la pratique de récupération ou de l’élaboration pour des utilisations ultérieures des informations enseignées qui vont en assurer leur durabilité en mémoire. 




La pratique de récupération, une approche efficace en autonomie


Après que la compréhension des contenus soit établie ou que les élèves ont étudié une première fois une matière, ils ont tout intérêt à se tester. 

Si à court terme relire, réétudier ou réécouter les explications sont des démarches plus rentables, ce rendement rapide est également beaucoup plus sensible à l’oubli. La performance chute très rapidement. 

Par contre, se tester fournit de moins bonnes performances à court terme, mais celles-ci sont moins sensibles à l’oubli. À moyen et à long terme, il devient plus avantageux de se tester comme l’ont établi Roediger et Karpicke (2006). 

La dimension troublante est que le processus est contre-intuitif. Les élèves qui pratiquent la récupération ont l’impression de moins apprendre que ceux qui pratiquent la relecture. Une évaluation ultérieure établit le contraire. Ce phénomène explique pourquoi intuitivement un élève va tendre à préférer la relecture à la récupération en mémoire. Il tendra à n’utiliser cette dernière que pour vérifier ce qu’il a appris, n’ayant pas réellement conscience que c’est lors de celle-ci qu’il apprend durablement.

La relecture ou la révision à travers une augmentation de la fluidité crée des illusions de connaissances. La pratique de la récupération à l’opposé augmente l’apprentissage.



La pratique de récupération, une approche efficace en classe


Dans un contexte de classe réelle, Roediger et ses coll. (2011) ont montré que les performances des élèves étaient significativement plus élevées pour les contenus pour lesquels une pratique de récupération (par l’intermédiaire d’un quiz) avait eu lieu. Les contenus non récupérés avaient par contre été revus. Le fait de revoir une information n’est dès lors pas aussi efficace en matière d’apprentissage que le fait de récupérer le contenu.

Lorsqu’un enseignant soumet ses élèves à un quiz, le rendement en matière d’apprentissage est plus élevé que s’il passait le même temps à leur réexpliquer les contenus enseignés. 

C’est l’effort et la difficulté que représente la récupération qui est la source de son avantage. De plus, elle permet de repérer directement ce qui n’est pas connu ou oublié, et de s’investir dans la foulée dans un nouvel encodage. 

Le fait de devoir se souvenir de connaissances et surtout de devoir lutter pour s’en souvenir après qu’un certain oubli ait commencé à se manifester va renforcer le chemin neural dans lequel il est encodé. Il va le rendre plus fort et plus facile à se rappeler.




Comprendre l’intégration de la pratique de récupération dans un contexte d’enseignement


L’usage de pratique de récupération en classe repose sur deux idées essentielles :

  1. L’acquisition de connaissances pertinentes et utiles par les élèves est fondamentale. Il convient dès lors de privilégier des démarches d’enseignement efficace pour leur encodage.
  2. En tant qu’enseignants, nous devons contribuer à rendre durables les connaissances enseignées aux élèves dans leur mémoire à long terme. C’est ici que la pratique de récupération intervient pour renforcer le stockage.

Selon Doug Lemov (2017), la récupération concerne à la fois les compétences, le savoir-faire et les savoirs. La pratique de récupération se produit lorsque les élèves se souviennent et appliquent de multiples exemples de connaissances ou de compétences déjà acquises après une période durant laquelle un oubli est susceptible de se produire. 

Imaginons que nous venions d’enseigner de nouvelles connaissances à des élèves que nous les leur avons enseignées à nouveau ou révisées. Dans la foulée si nous faisons pratiquer nos élèves, il ne s’agit pas réellement d’une pratique de récupération. Un effet de test ne peut se manifester. 

Il faut un délai après que des contenus aient été appris, car une fois que les élèves ont commencé à oublier, cela crée une difficulté désirable propice à la création d’un chemin neural plus fort.




Intégrer les processus d’élaboration et de récupération


A minima, la pratique de récupération consiste à se souvenir d’informations, à les extraire de notre mémoire à long terme. Si cette dimension peut être utile dans un premier temps, il ne faut pas s’y limiter. Sa faiblesse est que le traitement génératif induit et l’élaboration produite par l’élève seront minimaux. 

À travers les questions, il convient plutôt de favoriser le traitement et le processus d’élaboration autour des connaissances récupérées. La pratique de récupération ne se limite pas à l’acquisition de savoirs et à l’automatisation de savoir-faire. La recherche montre qu’elle peut stimuler la réflexion, l’application des connaissances et les compétences des élèves.

Il faut la concevoir comme bien plus que la simple récupération de connaissances puisqu’il est favorable qu’elle inclue un traitement de cette information à travers un processus d’élaboration. Cette élaboration permet d’introduire une réflexion de plus haut niveau. Les élèves doivent être amenés à réfléchir, à synthétiser les faits et analyser la façon dont leurs connaissances se relient.



Limites de la pratique de récupération liées à la complexité des contenus


Selon le point de vue de Van Gog et Sweller (2015), les avantages de la pratique de récupération diminuent avec la complexité des contenus à apprendre. La complexité est en rapport avec le nombre d’éléments d’information distincts et leurs interactions dans une tâche d’apprentissage. L’effet pourrait même disparaître lorsque la complexité est très élevée et la pratique de récupération perdrait alors son intérêt. 

Karpicke et Aue (2015) remettent en question cette position et apportent des nuances intéressantes sur la manière dont la pratique de la récupération peut continuer à favoriser un apprentissage significatif de contenus complexes.

Selon eux, le fait que le contenu pédagogique soit simple ou complexe en lui-même est sans rapport direct avec la question de savoir si la pratique de récupération améliore l’apprentissage. Pour pouvoir utiliser et appliquer des connaissances à long terme, il s’agit de pouvoir les récupérer. S’y entrainer est par nature intrinsèquement efficace. De la même manière que l’apprentissage procède étape par étape pour aboutir à un apprentissage complexe, la récupération active les éléments et schémas en mémoire à long terme.  

Selon Van Gog et Sweller (2015), un contenu à faible interactivité contient des éléments qui peuvent être appris de manière isolée, sans référence à d’autres éléments ou idées du contenu. Un contenu à haut niveau d’interactivité des éléments est celui pour lequel les éléments ou les idées sont liés. L’apprentissage de certains éléments dépend de l’apprentissage préalable d’autres éléments.

Karpicke et Aue (2015) s’interrogent sur la pertinence du concept d’interactivité des éléments pour analyser la pertinence de la pratique de récupération. Il est selon eux subjectif comme outil d’analyse des résultats de recherche sur la pratique de récupération. À la notion d’interactivité des éléments, ils préfèrent des mesures objectives de la complexité. Il s’agit de la longueur des mots, de la facilité de lecture de Flesch, du niveau scolaire de Flesch-Kincaid et d’une mesure de la cohésion référentielle de Coh-Metrix. La cohésion référentielle est le degré de chevauchement des idées dans un texte et de connexion entre les phrases. Elle fournit une mesure possible qui peut saisir l’interactivité des éléments dans un texte. 



Intérêt de la pratique de récupération lié à la complexité des contenus


Karpicke et Aue (2015) avancent et donnent les références de plusieurs expériences démontrant les effets de la pratique de récupération lors de l’utilisation de contenus avec une cohésion référentielle relativement élevée. Ils en concluent que la pratique de récupération améliore l’apprentissage pour les documents peu ou très complexes. 

Karpicke et Aue (2015) montrent que différentes recherches démontrent les effets de la pratique de récupération avec des contenus complexes et cela dans des contextes éducatifs réalistes. De même, la récupération d’une partie de documents complexes peut s’étendre à des parties qui n’ont pas été explicitement testées et améliorer leur rétention à long terme. C’est un phénomène appelé facilitation induite par la récupération. La pratique de la récupération améliore le transfert de connaissances avec des questions qui exigeaient des apprenants qu’ils intègrent de multiples concepts. La pratique de la récupération améliore l’apprentissage des informations spatiales, telles que les emplacements et les relations entre les objets sur les cartes ou les diagrammes.

De nombreuses recherches récentes ont étendu les avantages de la pratique de la récupération à l’apprentissage en classe. Plusieurs études, réalisées dans des contextes authentiques de classe. Elle se déroule par le biais d’activités de récupération et d’évaluations pertinentes sur le plan éducatif.

Larsen et coll. (2013) ont demandé à des étudiants en médecine de pratiquer la récupération de connaissances cliniques (par exemple, les symptômes qui permettraient de diagnostiquer des troubles particuliers). Six mois après l’apprentissage initial, la pratique de la récupération a amélioré les performances des étudiants en médecine dans la formulation de diagnostics dans un scénario de patient simulé. Cela représente incontestablement un apprentissage complexe de contenus complexes. 

Des preuves manifestes montrent que la pratique de récupération est efficace pour les contenus à la fois simples et complexes, et qu’elle favorise un apprentissage significatif et à long terme dans des contextes éducatifs authentiques. 

Les contenus complexes nécessitent cependant certaines conditions pour que l’effet de test puisse se manifester.



Associer pratique de récupération et complexité des contenus


L’importance du traitement élaboratif


Dans l’effet de test, la pratique de récupération n’est pas tout. Le traitement élaboratif qui est effectué avec les données est lui-même essentiel pour l’ampleur de l’effet de test. 

Certaines conditions amoindrissent l’effet de test. C’est le cas si le processus enclenché par la pratique de récupération se résume à une simple identification d’une connaissance régurgitée. C’est le cas aussi si elle n’exige pas le type de traitement relationnel et intégratif. Quand l’élève doit élaborer une réponse complète, raisonner ou produire des inférences, l’effet de la pratique de récupération s’en trouve amélioré.

La complexité de la matière considérée et l’interactivité des éléments est importante pour la pratique de la récupération. Cependant, si la réponse récupérée se suffit à elle-même, alors la complexité ou l’interactivité des éléments ne sont pas prises en compte et le bénéfice s’en retrouve réduit. 

Hinze et Wiley (2011) ont testé l’effet de la pratique de récupération en utilisant des questions dont les réponses étaient des mots, des phrases ou des paragraphes, avant un test final à choix multiples. Ils ont mis en évidence que lorsque la pratique de récupération consistait en des questions plus ouvertes dont les réponses sont des paragraphes, alors l’effet de test mesuré sur le test final était plus important. Lorsque la récupération se faisait sur des mots, ce bénéfice disparaissait.

Ces résultats suggèrent que la portée ou le type de traitement requis pendant la pratique de rappel est probablement un facteur critique pour savoir si les tests auront des avantages spécifiques ou robustes.



La pertinence de la récupération 


Imaginons que des élèves reçoivent un exemple de problème résolu. Immédiatement, ils reçoivent un problème à résoudre en tant que pratique de récupération.

Dans ce type de situation, pour ce type de tâches, il n’est pas du tout évident que les élèves aient à récupérer quoi que ce soit sur l’épisode d’apprentissage antérieur pour résoudre le nouveau problème. 

Du coup, l’effet de test est pour le moins réduit. En effet si la récupération ne porte pas sur l’épisode antérieur, elle porte toutefois sur d’autres connaissances en mémoire. Il existe donc toutefois un effet de test réduit même dans ces situations. Il suffit que ce qui sera évalué par la suite corresponde pour une certaine proportion à ce que l’élève aura été entrainé à récupérer. 

Il y a un effet de test pour les contenus complexes, mais il peut être moins élevé. Il exige des questions de récupération adéquates. Les données de la recherche fournissent la preuve qu’il y a effectivement un petit effet positif de la pratique de récupération avec des exemples travaillés. La pratique de la récupération reste un moyen efficace d’améliorer l’apprentissage significatif des contenus complexes. 



Conclusion


En conclusion, la pratique de la récupération doit être intentionnelle. Elle ne peut s’improviser en classe, mais elle se conçoit et se prépare avec des questions de qualité, comme une activité d’apprentissage en tant que telle. En ce sens, elle se trouve en phase avec certaines des démarches propres à l’évaluation formative.



Mis à jour le 08/08/2023


Bibliographie


Van Gog, T., & Sweller, J. (2015). Not new, but nearly forgotten: the testing effect decreases or even disappears as the complexity of learning materials increases. Educational Psychology Review. doi:10.1007/s10648-015-9310-x

Karpicke, Jeffrey & Aue, William. (2015). The Testing Effect Is Alive and Well with Complex Materials. Educational Psychology Review. 27. 10.1007/s10648-015-9309-3.

Hinze, S. R. & Wiley, J. (2011). Testing the limits of testing effects using completion tests. Memory, 19(3), 290–304.

Larsen, D. P., Butler, A. C., Lawson, A. L., & Roediger, H. L., III. (2013). The importance of seeing the patient: test-enhanced learning with standardized patients and written tests improves clinical application of knowledge. Advances in Health Sciences Education, 18(3), 409–425. 

Doug Lemov, Retrieval practice: a teachers’ definition and video examples, 2017, https://teachlikeachampion.com/blog/retrieval-practice-teachers-definition-video-examples/

Roediger HL, Karpicke JD. Test-Enhanced Learning: Taking Memory Tests Improves Long-Term Retention. Psychological Science. 2006; 17(3):249–255. doi:10.1111/j.1467-9280.2006.01693.x

Roediger, H. L., Agarwal, P. K., McDaniel, M. A., et coll. (2011). Test-enhanced learning in the classroom: Long-term improvements from quizzing. Journal of Experimental Psychology: Applied 17:382—395.

Patrice M. Bain and Pooja K. Agarwal, Powerful Teaching: Unleash the Science of Learning, 2019, Josey-Bass

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