dimanche 3 janvier 2021

Peut-on améliorer les fonctions exécutives des élèves par un cours d’éducation musicale ?

 Est-ce que le fait de suivre un cours d’éducation musicale peut améliorer les capacités exécutives d’un élève (mémoire de travail, inhibition, flexibilité attentionnelle) ? La question du transfert lointain des leçons de musique vers la réussite scolaire est épineuse.

(Photographie : J. Daniel Hud)


Nature préalable de l’effet



Certains chercheurs ont comparé la composition de groupes d’élèves recevant une éducation musicale avec des groupes d’élèves n’en recevant pas. Ils ont observé que les traits de personnalité, ainsi que le statut économique, peuvent contribuer à la raison pour laquelle ces enfants et adolescents suivent une formation musicale. Cela implique que les élèves qui ont tendance à suivre une éducation musicale sont susceptibles de posséder des avantages préalables au niveau de leurs fonctions cognitives et donc une motivation à suivre des cours de musique. 

L’observation d’un effet sur les fonctions cognitives qui rebondit dans d’autres matières scolaires pourrait exister préalablement à l’éducation musicale qui fonctionnerait comme un facteur de sélection.



Études contrôlées et randomisées


L’analyse du transfert lointain dans des études longitudinales contrôlées et randomisées doit permettre de minimiser ces facteurs ainsi que d’autres. Il s’agit du soutien à domicile, du statut socio-économique, des ressources disponibles, de l’interaction entre pairs ou de l’aptitude musicale. 

Les enfants ayant un QI plus élevé pourraient également avoir des compétences de fonctionnement exécutif accrues, ce qui pourrait leur permettre de persister dans leurs études musicales.

Cependant, prouver un éventuel effet de transfert lointain de l’éducation musicale vers la réussite scolaire reste une tâche difficile. Il semble y avoir peu de preuves que les aptitudes musicales se transfèrent directement, par exemple, aux mathématiques ou au langage.

Aucun transfert spécifique de connaissances ne semble évident entre une éducation musicale et des matières scolaires plus typiques, c’est encore plus vrai que pour le latin. 

Voir article :


Les fonctions exécutives


Les fonctions exécutives semblent être le principal candidat de substitution pour un éventuel effet de transfert lointain des compétences musicales vers le fonctionnement cognitif et la réussite scolaire des élèves.

Les fonctions exécutives (aussi appelées contrôle cognitif ou contrôle exécutif) peuvent être subdivisées en différentes composantes.

Les fonctions exécutives simples sont celles les plus couramment citées en lien avec l’éducation : 
  • La mémoire de travail 
  • L’inhibition (ou contrôle inhibiteur) qui est le contrôle des impulsions, la capacité de s’arrêter et de prendre le temps de réfléchir avant d’agir
  • La flexibilité attentionnelle (ou flexibilité cognitive) qui est la capacité d’adapter ses stratégies de traitement cognitif pour faire face aux conditions nouvelles et inattendues dans l’environnement.

Régulièrement, elles se complètent de fonctions exécutives complexes parmi lesquelles on trouve : 
  • L’initiation de tâches qui est la capacité de reconnaître le moment propice pour commencer une activité et démarrer sans tarder
  • La planification qui est la capacité à établir les étapes à suivre pour atteindre un objectif et à en déterminer les priorités
  • La focalisation de l’attention qui est la capacité à concentrer son attention sur un stimulus cible pendant une période donnée et à détecter rapidement les nouveaux stimuli pertinents.


Une expérience intéressante


Jaschke et ses collègues (2018) ont examiné les effets de l’apprentissage de la musique sur les fonctions exécutives auprès d’élèves du primaire. L’enjeu était d’observer s’il existe un lien entre la réussite scolaire et l’éducation musicale par le biais de fonctions exécutives telles que la planification, la mémoire de travail et l’inhibition.

147 enfants de l’école primaire d’une moyenne d’âge de 6,4 ans ont été suivis pendant 2,5 ans. 

Les participants ont été répartis au hasard en quatre groupes : 
  • Deux groupes d’élèves ont suivi une intervention en musique (1 à 2 heures par semaine)
  • Un groupe d’élèves a suivi une intervention en arts visuels actifs (1 à 2 heures par semaine)
  • Un groupe témoin n’a pas suivi ces interventions, mais a pu avoir des interventions musicales et artistiques ponctuelles qui sont habituelles dans le cadre normal du programme de primaire.

Des tests neuropsychologiques ont évalué l’intelligence verbale et les fonctions exécutives. Ceux-ci ont été mis en lien avec leurs résultats scolaires.

Résultats obtenus :
  • Les enfants du groupe d’arts visuels obtiennent de meilleurs résultats dans les tâches de mémoire visuospatiale par rapport aux deux autres conditions.
  • Les résultats montrent que les enfants qui suivent des interventions en musique obtiennent de meilleurs résultats dans les tâches mesurant l’intelligence verbale, la planification et l’inhibition.
De même, dans leur analyse, Jaschke et ses collègues (2018) révèlent un possible effet de transfert lointain de l’amélioration de l’inhibition, la planification et l’intelligence verbale vers une amélioration similaire des résultats scolaires généraux. 



Conclusions


Les effets mis en évidence par Jaschke et ses collègues (2018) sont mesurés. Cette amélioration de certaines performances exécutives, de même que la potentialité d’un transfert de lointain vers une meilleure réussite scolaire ne justifient pas une éducation musicale ou plus largement artistique. 

La conclusion est plutôt la mise en évidence de l’intérêt d’un programme d’éducation qui prend en compte une dimension artistique générale, combinant la musique et les arts visuels. 

Leurs effets positifs sur le développement des processus exécutifs sont un élément de plus pour souligner l’importance des arts dans une formation générale à la culture. 

Le transfert lointain au niveau des fonctions exécutives reste une dimension relativement insaisissable tout autant que pour la mémoire à long terme.

Il n’est pas judicieux de promouvoir l’éducation musicale à la lumière d’éventuels transferts lointains sur les processus exécutifs avec effet dans d’autres disciplines plus scolaires. Nous prenons le risque de dévaluer effectivement la valeur de la musique en tant que discipline à part entière et celle des connaissances qui l’accompagnent.

Comme l’écrivent Paul A. Kirschner et ses collègues, une grande partie de la réflexion sur le transfert lointain est basée sur le principe d’utilité qui subordonne une discipline à une autre. 

En termes culturels et éducatifs plus larges, jouer aux échecs est moins important que la musique, l’éducation artistique ou le latin. 

Le danger de miser sur un éventuel effet sur les fonctions exécutives et de ne viser que ce qui est utile. À ce moment-là, peut-être que les échecs ont un potentiel plus élevé de rendre les étudiants meilleurs dans un autre domaine. Et peut-être qu’ils peuvent le faire plus efficacement que la musique ?
De même peut-être que des jeux vidéo spécialement conçus à cet effet par exemple en réalité virtuelle pourraient amplifier encore ces effets ou encore des applications spécialisées d’entrainement cognitif ?

Quel serait alors l’avenir de la musique en tant que discipline académique et celle d’autres domaines artistiques ? Elle ne peut être réduite à un moyen. Dans l’éducation artistique, le désir d’un éventuel transfert lointain doit rester subordonné à la valeur culturelle plus large des disciplines artistiques — et non l’inverse.


Mis à jour le 12/05/2023

Bibliographie


Jaschke, A.C., Honing, H. & Scherder, E.J.A. (2018), Longitudinal analysis of music education on executive functions in primary school children, Frontiers in Neuroscience.

De Bruyckere, Pedro ; Kirschner, Paul A. ; Hulshof, Casper. More Urban Myths About Learning and Education, Taylor and Francis, 2020

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