mercredi 6 janvier 2021

Écrire à la main pour apprendre

À l’ère où la technologie numérique est toujours d’importance croissante, l’éventualité que la frappe sur un clavier remplace quasi complètement l’écriture manuscrite soulève des questions sur l’utilité future de compétences en écriture manuscrite. Nous pourrions réduire son apprentissage à une portion plus congrue.

(Photographie : Jacky Hawkeswood)

Différentes études montrent qu’écrire à la main est utile pour l’apprentissage en général, de même que la motricité fine ou pour la lecture


Écrire pour apprendre à lire


Dans une étude publiée en 2005, Marieke Longcamp et ses collègues (2005) ont analysé auprès d’enfants préscolaires l’effet sur leur reconnaissance des lettres, de l’écriture manuscrite par rapport à l’usage d’un clavier. Les résultats de ces recherches ont montré que l’écriture manuscrite se révélait meilleure à cet égard, en particulier pour les enfants plus âgés participant à l’enquête. 

Une étude de suivi a montré que l’avantage de l’écriture par rapport à la dactylographie était non seulement stable, mais qu’il atteignait un maximum trois semaines après la formation. 

Les chercheurs ont conclu que le mouvement de la main joue un rôle clé dans la représentation des lettres. Par conséquent, l’écriture manuelle contribue de manière significative à la reconnaissance visuelle des lettres. 

Selon ces chercheurs, lors de l’écriture manuscrite, le cerveau reçoit de multiples signaux distincts plus riches que ceux obtenus lors de la frappe. Ces stimuli sont à la fois visuels, moteurs et kinesthésiques. Cette diversification et cette richesse des signaux pourraient contribuer favorablement à la discrimination et à la mémorisation des lettres.  

Dans une autre étude, Karin James et Laura Engelhardt (2012) ont utilisé l’IRMf pour examiner les effets de l’écriture manuscrite par rapport à la dactylographie sur le développement du cerveau d’enfants de cinq ans. C’est un âge où l’apprentissage de la lecture n’a en général pas encore eu lieu. Il est apparu que l’écriture aidait à mieux activer les parties du cerveau nécessaires pour apprendre à lire avec succès. L’activation du cerveau pendant la perception des lettres semblait influencée de différentes manières. Elle n’est pas la même lors d’une écriture manuscrite antérieure des lettres que lors d’une frappe au clavier antérieure ou lors d’un simple traçage antérieur de ces mêmes lettres. 

Il apparait dès lors que l’écriture manuscrite est importante pour promouvoir la capacité de lecture chez de jeunes enfants. L’écriture est importante pour le recrutement précoce, lors du traitement des lettres, des régions du cerveau reconnues pour être mobilisées lors d’une lecture réussie. Il est raisonnable de conclure que l’écriture est susceptible de faciliter l’acquisition de la lecture chez les jeunes enfants.

Cette idée a été confirmée par Alyssa Kersey et Karin James (2013). Elles sont parties du fait que la pratique de l’écriture facilite la spécialisation neuronale pour les lettres. Les deux chercheuses se sont dès lors demandé si cette facilitation est motivée par le retour perceptif de l’acte d’écriture ou par l’exécution réelle de l’acte moteur. 

Elles ont donc suivi des enfants de sept ans qui ont soit appris activement à écrire des lettres cursives, ou ont observé un expérimentateur écrire. L’activation du cerveau a été évaluée par IRMf. Les résultats ont montré qu’un entraînement actif entraînait un recrutement accru des régions du cerveau connues pour être à la base d’une lecture réussie. Cela suggère que les réseaux perceptifs pour les lettres cursives nouvellement apprises sont entraînés par l’exécution motrice plutôt que par la rétroaction perceptive.

Il ne fait aucun doute qu’apprendre à écrire à la main contribue positivement à l’acquisition des capacités de lecture. Dans cette optique, l’écriture est davantage un moyen qu’une finalité éducative. Écrire manuellement offre probablement une contribution précieuse à l’apprentissage de la lecture.


Écrire pour mieux apprendre


Plus largement, Timothy Smoker et ses collègues (2009) ont mené des recherches pour établir si les mouvements de l’écriture manuscrite avaient un effet sur la capacité à reconnaître et à se souvenir de mots ordinaires. À travers leurs recherches, ils ont conclu que la reconnaissance et la mémorisation étaient meilleures avec le stylo et le papier qu’avec le clavier et l’écran. L’information cérébrale supplémentaire générée par le mouvement plus riche de la main crée une trace mémoire plus complexe que la simple frappe au clavier.

Grâce au contexte supplémentaire fourni par l’écriture manuscrite, nous nous souvenons plus précisément des mots cibles lorsque nous prenons le temps et l’effort de les écrire que de les taper. L’augmentation des informations kinesthésiques provenant de l’écriture manuscrite crée une trace mémoire plus complexe et riche.

Au-delà de ces phénomènes, l’écriture manuscrite est tout aussi importante et fondamentale pour le développement de la motricité fine. Ces compétences font appel aux petits muscles des mains et des bras pour effectuer des tâches manuelles avec précision. Il peut s’agir d’attacher un bouton sur sa chemise, de ramasser une pièce de monnaie tombée par terre ou de manipuler des outils en sciences. Cela inclut également au premier titre l’écriture manuscrite.

Cela ne se limite pas à ce que nous faisons de nos mains en écrivant. Une coordination complexe entre nos yeux et nos mains est elle-même impliquée, ainsi qu’un contrôle musculaire, le développement et l’utilisation de la mémoire visuelle, et la coordination des deux moitiés du cerveau (la latéralité). 


Les similitudes entre l’écriture et la lecture


La lecture et l’écriture sont très similaires, même si elles ne sont pas identiques. Comme l’ont noté Tierney et Shanahan (1991), les élèves s’appuient sur des représentations de connaissances et des processus cognitifs similaires lorsqu’ils lisent et écrivent. 

Une métaphore utile pour illustrer cette relation est que la lecture et l’écriture sont « deux seaux tirant de l’eau d’un puits commun ou deux bâtiments construits sur des fondations communes » (Shanahan, 2016). 

Fitzgerald et Shanahan (2000) ont identifié des sources de connaissances communes que la lecture et l’écriture partagent.
  • Les lecteurs s’appuient sur les connaissances du domaine pour comprendre ce qu’ils lisent. Les rédacteurs s’appuient sur cette même source pour trouver des idées lorsqu’ils écrivent.
  • Les lecteurs et les rédacteurs s’appuient sur ce qu’ils savent des fonctions et des objectifs de la langue écrite, ainsi que sur leurs connaissances de l’interaction entre les rédacteurs et les lecteurs. Cela les aide à interpréter le message d’un auteur et à construire leur propre message pour que les autres le lisent.
  • Les lecteurs et les rédacteurs s’appuient sur la connaissance procédurale. Il s’agit des connaissances sur la manière d’accéder aux informations de manière ciblée, de fixer des objectifs, de poser des questions, de prévoir, de résumer, de visualiser et d’analyser. 
  • Les lecteurs et les rédacteurs utilisent la connaissance pragmatique des attributs du texte. Il s’agit de la connaissance des caractéristiques du texte, des mots, de la syntaxe et de l’usage.



L’impact de la lecture sur l’écriture


Dans une méta-analyse, Graham et es collaborateurs (2018) ont examiné si la performance en écriture des élèves lors de la scolarité obligatoire est améliorée par des interventions en lecture.

Il apparait nettement que l’enseignement de la lecture renforce l’écriture. Il entraîne des effets statistiquement significatifs pour une mesure globale de l’écriture (taille d’effet = 0,57) et des mesures spécifiques de la qualité de l’écriture (TE = 0,63), des mots écrits (TE = 0,37) ou de l’orthographe (TE = 0,56). L’impact de l’enseignement de la lecture sur l’écriture s’est maintenu dans le temps (TE = 0,37).

Le fait de demander aux élèves de lire un texte ou d’observer d’autres personnes interagir avec un texte a également amélioré les performances en matière d’écriture. Il produit un impact statistiquement significatif sur une mesure globale de l’écriture (TE = 0,35) et sur des mesures spécifiques de la qualité de l’écriture (TE = 0,44) ou de l’orthographe (TE = 0,28). 

Ces résultats confirment que les interventions en lecture peuvent améliorer les performances des élèves en matière d’écriture. Il existe une relation bidirectionnelle entre la lecture et l’écriture (Shanahan, 2016).

L’augmentation des interactions des élèves avec le texte améliore les performances des élèves en matière d’écriture. La lecture peut et doit faire partie de nos efforts pédagogiques pour améliorer l’écriture des élèves. 

Parallèlement, la plupart des pratiques efficaces d’enseignement de l’écriture se concentrent sur l’augmentation de la quantité d’écrits des élèves ou sur l’enseignement direct de compétences, de processus ou de stratégies d’écriture (par exemple, Graham et coll., 2015).

Les résultats de la méta-analyse de Graham et ses collaborateurs (2018) soutiennent l’affirmation selon laquelle la lecture et l’enseignement de la lecture devraient faire partie d’un programme d’enseignement de l’écriture bien équilibré.

Toutefois, malgré l’impact positif des interventions en lecture sur les performances des élèves en écriture, ce serait une erreur de supposer que l’écriture n’a pas besoin d’être enseignée directement. Il ne suffit pas d’enseigner la lecture et d’augmenter l’interaction des élèves avec le texte. Si les interventions en matière de lecture constituent l’un des nombreux moyens d’améliorer l’écriture des élèves, elles ne doivent toutefois pas remplacer les interventions en matière d’écriture. 



Mis à jour le 16/05/2023

Bibliographie


Longcamp M, Zerbato-Poudou MT, Velay JL. The influence of writing practice on letter recognition in preschool children: a comparison between handwriting and typing. Acta Psychol (Amst). 2005 May; 119 (1):67–79. doi: 10.1016/j.actpsy.2004.10.019. Epub 2005 Jan 4. PMID: 15823243.

James, Karin & Engelhardt, Laura. (2012). The effects of handwriting experience on functional brain development in pre-literate children. Trends in neuroscience and education. 1. 32–42. 10.1016/j.tine.2012.08.001.

Kersey, Alyssa & James, Karin. (2013). Brain activation patterns resulting from learning letter forms through active self-production and passive observation in young children. Frontiers in psychology. 4. 567. 10.3389/fpsyg.2013.00567.

Graham S, Liu X, Bartlett B, et al. Reading for Writing: A Meta-Analysis of the Impact of Reading Interventions on Writing. Review of Educational Research. 2018; 88(2):243–284. doi:10.3102/0034654317746927
  
De Bruyckere, Pedro ; Kirschner, Paul A. ; Hulshof, Casper. More Urban Myths About Learning and Education (p. 34). Taylor and Francis. Kindle Edition.

Smoker, Timothy J. et al. “Comparing Memory for Handwriting versus Typing.” Proceedings of the Human Factors and Ergonomics Society Annual Meeting 53 (2009): 1744–1747.

Tierney, R., & Shanahan, T. (1991). Research on the reading-writing relationship: Interactions, transactions, and outcomes. In R. Barr, M. Kamil, P. Mosenthal, & D. Pearson (Eds.), The handbook of reading research (Vol. 2, pp. 246–280). New York, NY: Longman. 

Shanahan, T. (2016). Relationships between reading and writing development. In C. MacArthur, S. Graham, & J. Fitzgerald (Eds.), Handbook of writing research (2nd ed., pp. 194–207). New York, NY: Guilford. 

Fitzgerald, J., & Shanahan, T. (2000). Reading and writing relations and their develop- ment. Educational Psychologist, 35, 39–50. 

Graham, S., Harris, K. R., & Santangelo, T. (2015). Research-based writing practices and the Common Core: Meta-analysis and meta-synthesis. Elementary School Journal, 115, 498–522. 

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