Voici une synthèse personnelle en deux parties (la seconde est ici) basée sur deux articles de Daniel T. Willingham (2017, 2019) qui explorent cette question?
(Photographie : Somak Raychaudhury)
Se baser sur des croyances ou sur des connaissances pour enseigner
Lorsque certaines connaissances de base dans un domaine psychologique donné concernant ses élèves n’ont pas été acquises par l’enseignant, alors celui-ci est susceptible de se comporter en fonction de croyances. L’enseignant les a glanées deci delà. Celles-ci ont été renforcées à travers ses propres expériences, par essais et erreurs et par conseils extérieurs (collègues, lectures, formation continuée…).
Ce n’est pas nécessairement un problème, tout peut très bien se passer pour l’enseignant et ses élèves.
Il y a cependant deux conséquences possibles à cette situation :
- Premièrement, l’enseignant peut en toute bonne fois commettre des erreurs d’un point de vue psychologique qui vont diminuer l’impact et l’efficacité de ses pratiques.
- Deuxièmement, le danger de connaissances parcellaires et incomplètes est qu’elles peuvent laisser la porte ouverte à des théories et approches pseudoscientifiques ou fondées sur des neuromythes. De nouveau, l’efficacité et l’efficience de l’enseignement risquent d’en payer le prix.
Nous pouvons postuler que si les enseignants avaient acquis de meilleures compétences de base en psychologie lors de leur formation initiale, les neuromythes auraient moins l’occasion de se diffuser au sein des établissements scolaires. Ils ne pourraient pas profiter d’un vide. De même, armés d’un tel bagage, les enseignants s’intéresseraient de manière plus spontanée aux développements de la recherche en psychologie pour tout ce qui concerne ses liens avec l’éducation.
De même, considérons des enseignants qui disposent d’une base de connaissances commune et légitimée, comportant des concepts, de principes et de notions utiles pour leur pratique. Ils deviennent plus susceptibles de collaborer efficacement entre eux et de mieux piloter leurs pratiques, car ils disposent d’outils et de modèles efficients.
Un enseignant sera plus efficace s’il tient compte de la façon dont les enfants apprennent, se comportent et s’il prend en considération les facteurs qui ont une influence positive sur leur motivation. Si de multiples enseignants possèdent ces compétences, l’effet prend plus d’ampleur et peut devenir systémique à l’échelle d’un établissement.
Comprendre la nature de la difficulté de communication entre chercheurs et enseignants par la différence des attentes
Les recherches empiriques montrent que les enseignants ont par défaut un modèle mental de l’élève. Sans cela ils ne pourraient pas enseigner. Ce modèle est influencé par leur travail en classe et leurs connaissances en psychologie et en pédagogie.
Cependant, si nous considérons les apports de la psychologie de manière large, tout ce qui préoccupe les psychologues et les chercheurs ne sera pas utile aux enseignants. Enseignants et chercheurs évoluent dans des mondes globalement parallèles entre lesquels la communication sur bases communes est limitée.
La psychologie à travers ses différents courants historiques éclaire l’enseignement autant qu’elle y apporte parfois de la confusion dans ses différences de perspective. Entre béhaviorisme, constructivisme, cognitivisme et ses sous-chapelles, c’est régulièrement la foire d’empoigne, la querelle de voisinage ou le consensus mou qui détricote le sens.
Considérer le béhaviorisme, le cognitivisme, l’instructionnisme, le connexionnisme ou le socioconstructivisme en éducation comme des positions peu s’en faut inconciliables ou honnies n’amène généralement nulle part d’autre qu’à l’impasse et au dialogue de sourds.
L’école a des missions d’éducation essentielles et des impératifs d’efficacité par rapport à celles-ci. Des combats idéologiques déconnectés de la réalité des classes distraient plus qu’ils ne contribuent au progrès.
Il est intéressant à ce titre de relire la citation suivante :
« Dans les réalités de la salle de classe, les méthodes n’existent pas. Chaque enseignant adapte et modifie ce qu’on appelle les méthodes. Les recherches montrent que les enseignants qui pensent utiliser des méthodes différentes peuvent faire essentiellement les mêmes choses, et que les enseignants qui pensent utiliser la même méthode peuvent faire des choses très différentes. »
Graham Nuthall, 2007, The Hidden Lives of Learners.
Pour l’enseignant lambda dont parle Graham Nuthall, tout ceci a régulièrement peu de sens dans son quotidien. Le fait que différents courants de la psychologie se contredisent ou prennent parfois des raccourcis est source de confusion et de décrédibilisation. Les propos peuvent sembler déconnectés de la réalité de terrain des écoles.
Le seul résultat est que nous en arrivons souvent à une profession parfois engoncée dans des visions idéologiques. Elle revendique sa liberté pédagogique alors qu’elle devrait plutôt œuvrer au développement de son professionnalisme pour gagner en reconnaissance et en influence.
Comprendre le fonctionnement des sciences fondamentales pour voir comment elles peuvent éclairer l’enseignement
La science fondamentale fonctionne selon un cycle en quatre étapes propres à la méthode scientifique :
(source : wikipedia.fr)
- Les scientifiques recueillent des observations sur le monde.
- Les scientifiques tentent de résumer ces observations à l’aide d’un petit ensemble d’énoncés généraux, une théorie.
- Dans la troisième étape, la théorie est utilisée pour générer des prédictions sur des phénomènes qui n’ont pas encore été observés.
- Dans la dernière étape, les scientifiques mènent des expériences pour tester la prédiction. Leur résultat constitue une nouvelle observation sur le monde, et le cycle se poursuit.
Selon Daniel T. Willingham, il existe trois variétés d’énoncés en science fondamentale, chacune liée aux autres :
1. Les observations du monde ou généralisations empiriques
Elles se réfèrent à des phénomènes empiriquement observés et reproductibles, c’est-à-dire des observations qui sont le produit de recherches.
Exemples :
- Limites de la mémoire de travail en ce qui concerne de nouvelles informations et impact de ces limites sur l’apprentissage en classe.
- La pratique est importante pour l’apprentissage.
2. Les énoncés théoriques
Ils sont beaucoup plus abstraits et généraux que les observations empiriques.
Ils sont destinés à résumer de nombreuses généralisations empiriques existantes. Ils peuvent être utilisés pour prédire ce qui devrait se passer dans des situations nouvelles.
Exemple : les modèles de mémoire de travail de Baddeley (2000), Cowan (1999) Ericsson et Kintsch (1995) ou Oberauer (2012).
3. Les hypothèses épistémiques
Elles font référence aux hypothèses sur la nature de la connaissance et la conduite de la science psychologique.
Exemple :
- Les théories de la mémoire de travail mentionnées supposent que la connaissance peut être décrite de manière avantageuse en matière de symboles mentaux et de processus qui agissent sur ces symboles.
- Les élèves construisent leurs apprentissages.
Caractéristiques des trois niveaux
Ces trois niveaux ne sont pas dissociables :
- Les théories sont censées rendre compte des observations.
- Les observations contraignent les théories.
- De nombreuses théories peuvent rendre compte du même ensemble d’observations.
- La création d’une théorie n’est pas possible en l’absence d’hypothèses épistémiques, de fait les hypothèses épistémiques contraignent également les énoncés théoriques
- Les observations sont inévitablement colorées par les théories qui influencent le type d’observations que l’on fait.
- Les hypothèses épistémiques peuvent également être influencées par les théories, en particulier le succès ou l’échec de nombreuses théories au fil du temps.
Les chercheurs aboutissent à beaucoup de déclarations qui sont scientifiquement fondées. Cependant, même si la déclaration est scientifiquement fondée, elle n’est pas toujours utile aux enseignants.
Selon Daniel T. Willigham, ni la théorie ni les hypothèses épistémiques telles qu’elles sont utilisées dans la pratique scientifique ne peuvent soutenir en toute certitude l’application en classe, alors que certaines généralisations empiriques le peuvent.
Les hypothèses épistémiques manquent de spécificité pour les enseignants. Par exemple le fait de dire que « l’apprentissage est social », que « l’élève doit être actif » manquent de précision et prêtent à des interprétations divergentes en ce qui concerne les pratiques en classe. Ce sont des hypothèses épistémiques et non des généralisations empiriques.
Les enseignants n’ont pas d’utilité à s’occuper des hypothèses épistémiques dans leurs pratiques en classe. Ils doivent juste veiller à ne pas en faire des généralisations.
Comprendre l’importance d’un modèle psychologique de l’élève pour l’enseignant
La classe est un milieu complexe qui impose de multiples contraintes en matière d'interactions et de circulation de l'information.
L’enseignant qui dispose d’un modèle psychologique sur le fonctionnement de ses élèves, précis et éclairé par la recherche, possède un atout précieux. Il peut mieux comprendre son cadre d'action et prendre en compte différents paramètres de la cognition de ses élèves, de leurs émotions et de leur motivation.
Les enseignants vont se servir de ce modèle psychologique de l’élève pour différentes dimensions de leur travail :
- Leur conception pédagogique
- Leur gestion de classe
- Leurs pratiques d’enseignement et d’évaluation
- Leur soutien aux apprentissages et à la motivation de leurs élèves.
Si l’un des aspects vient à manquer ou à défaillir, il est peu probable que le surinvestissement dans les autres puisse offrir une compensation substantielle ou suffisante.
C’est pour cette raison que l’on peut parler d’expertise dans l’enseignement. L’enseignant ne sera jamais le simple exécutant de recettes. Lorsque l’enseignant comprend les principes psychologiques qui soutiennent les pratiques efficaces soutenus par la recherche :
- Il les trouvera sans doute plus judicieuses et il les utilisera avec conviction.
- Il pourra mieux en adapter les paramètres en fonction de son contexte afin de les optimiser.
- Il sera plus nettement conscient des liens entre des stratégies apparemment disparates et comprendra comment les intégrer.
- Il généralisera également les stratégies qu'il maîtrise à des situations nouvelles
Cette idée d’un modèle psychologique nous permet de comprendre l’importance d’un corpus de généralités empiriques en psychologie, d'une base de connaissance professionnelles dans ce domaine pour l’enseignant.
Le cœur du modèle psychologique de l’élève pour l’enseignant se trouve dans des généralités empiriques. Leur pouvoir vient du fait qu’elles nous disent comment fonctionnent la plupart des élèves la plupart du temps.
Il s’agit d’observations, validées au sein de théories, sur la façon dont les enfants pensent ou se perçoivent dans des circonstances particulières. Elles sont généralement cohérentes et consistantes d’une tâche à l’autre, d’un âge, d’un contexte et d’un sujet à l’autre.
Nous avons besoin d'un modèle mental psychologique utile sur la manière dont nous pouvons soutenir utilement nos missions auprès des élèves.
Ce sont des principes non seulement pertinents, mais essentiels, des généralisations empiriques qui guident :
- La motivation
- L’apprentissage
- Le comportement.
Mis à jour le 16/09/2022
Bibliographie
Daniel T. Willingham, Should Teachers Know the Basic Science of How Children Learn?, 2019, https://www.aft.org/ae/summer2019/willingham
Daniel T. Willingham, 2017, “A Mental Model of the Learner: Teaching the Basic Science of Educational Psychology to Future Teachers,” published in Mind, Brain, and Education in 2017, Volume 11—Number 4.
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