vendredi 8 juin 2018

Du bon usage du marqueur fluorescent

Quel élève n’a jamais souligné ou surligné un support de cours au marqueur fluorescent ? Il est l’un des accessoires les plus typiques et son usage est l’une des pratiques les plus communes de la panoplie l’élève.

Son utilisation semble être un passage obligé pour une majorité d’élèves. Il s’agit pour eux de surligner et de baliser un support d’étude. Les élèves mettent en évidence ce qu’il leur faudra connaître, mémoriser et retenir, en vue de la préparation à une évaluation.

(Photographie : Dan Holdsworth




Deux caractéristiques populaires du surlignage

Deux caractéritiques du surlignage le rendent populaire, distinctif et simple d'emploi :
  • Premièrement, surligner et souligner sont des pratiques simples à utiliser. Elles sont intuitives et n’impliquent pas de formation. Elles n’exigent pas non plus que les élèves investissent beaucoup plus de temps ni de concentration en plus que ce qui est déjà nécessaire pour lire leurs supports de cours.
  • Deuxièmement, souligner et surligner laissent une trace physique visible de l’acte d’étudier. Ils constituent une preuve à la fois aux yeux de l’entourage et à notre propre expérience, une forme d’appropriation de l’objet, préalable à l’apprentissage de son contenu.



Liens entre surlignage, compréhension et apprentissage 


Le bilan de la recherche en science de l'apprentissage sur le sujet du surlignage est assez clair. Il montre de manière assez implacable qu’il ne semble pas avoir d’avantages particuliers ou de valeur ajoutée nette à utiliser ces techniques en matière d’apprentissage. 

Que nous étudions un support de cours non surligné, que nous avons souligné nous-mêmes ou qui a été souligné par une tierce personne cela ne semble pas mener à des résultats différents en matière d’apprentissage. 

Si un élève se contente pour étudier de relire son manuel et d’en souligner les parties qu’il juge essentielles, il peut éventuellement renforcer légèrement sa compréhension de manière superficielle. Toutefois, il ne va pas réellement développer un apprentissage durable ou en profondeur.

À force de repasser sur les contenus en les relisant, un élève augmente son degré de familiarité avec les contenus, ce qui correspond à une compréhension superficielle sans garantie d’apprentissage. Le surlignage tend à générer une illusion de compétence ou de connaissance. Ce biais cognitif va entrainer un excès de confiance chez les personnes concernées qui vont estimer avoir suffisamment étudié. Une compréhension superficielle agrémentée d’illusions de connaissance peut mener à une issue brutale lors d’une évaluation sommative et à l’impression de trous de mémoire.

Nous pourrions nous arrêter sur ce constat et déconseiller la technique et la cataloguant comme inefficace comme le font Dunlosky et ses collègues (2013). 

Toutefois, dans la perspective d’une typologie des stratégies d’apprentissage autonome, ce serait faire fausse route :
  • Premièrement et tout simplement, il serait difficile d’y faire renoncer les élèves. Les élèves lisent leur cours et il est totalement sain d’annoter ou souligner les passages clés. Tout au plus pouvons nous nous assurer de rendre nos notes de cours suffisamment structurées pour que les éléments essentiels soient déjà mis en évidence.
  • Deuxièmement, nous pouvons nous référer à la classification des stratégies d’apprentissage proposée par André Tricot et Franck Amadieu et quelque peu retravaillée dans un article de ce blog (voir article). Dans ce cadre, le surlignage est classé dans les stratégies d’organisation. Il peut jouer un rôle dans le traitement de l’information en facilitant son accès à d’autres techniques de plus haut niveau et plus efficaces pour l’apprentissage. Par exemple, pour réaliser des flashcards, il faut préalablement traiter l’information et mettre en évidence les éléments de connaissance à mémoriser. Le surlignage peut y contribuer.  



Quatre effets négatifs du surlignage


Nous allons explorer en détail maintenant les faiblesses liées à l’utilisation du surlignage comme stratégie principale d’apprentissage.



1) La perte des informations pertinentes non surlignées


Lorsque les élèves soulignent leurs notes de cours, le rendement d’apprentissage est meilleur lorsque ce sont les éléments pertinents qui sont mis en évidence. Les éléments qui ne sont pas mis en évidence seront moins bien appris. 

Autrement dit, si l’élève est capable de repérer et d’isoler les éléments clés d’un texte alors le fait de les mettre en évidence va améliorer son étude. Dans ce cas, le soulignement s’apparente à un travail de synthèse. Cette capacité de s’aider du soulignement pour l’élève est corrélée à une capacité de compréhension approfondie de la matière.  

Par conséquent, la mise en évidence active n’est pas toujours plus efficace que de recevoir un support de cous qui a déjà été mis en évidence. Tout va dépendre de la capacité des élèves à mettre en évidence les parties les plus importantes du contenu.

En quelque sorte, le surlignage n’est pas une méthode d’étude utile en elle-même. Le surlignage est une technique qui peut venir épauler d’autres techniques d’étude qui vont mieux assurer la responsabilité de l’efficacité de l’apprentissage.

Cet effet du surlignage met en exergue l’utilité d’une structuration avancée des supports de cours et manuels scolaires et de leur adaptation au niveau de connaissances préalables des élèves. En mettant en évidence d’emblée les éléments importants, les enseignants évitent d’engager les élèves dans des pratiques de surlignage inadéquates. Ils leur offrent un accès plus égalitaire aux contenus avec des supports plus propices à l’apprentissage.



2) L'avantage du surlignage actif sur le surlignage passif


L’avantage fourni par l’information pertinente surlignée est plus grand pour les surligneurs actifs efficaces, ceux qui choisissent de manière pertinente ce qui est surligné. Ils sont passés par une phase de sélection des informations à mettre en évidence ce qui implique un traitement plus poussé de l’information. 

L’avantage sera moindre pour les surligneurs passifs, ceux qui ne choisissent pas ce qui est surligné, car s’ils ont vu la même information surlignée, ils ne l’ont pas sélectionnée ni traitée.  

Nous voyons ici un effet favorable du traitement de l’information et de la compréhension du contenu par l’élève. Le choix des éléments à souligner demande une réflexion plus approfondie et une évaluation de la valeur de l’information que nous nous apprêtons à souligner. Ces démarches engagent beaucoup plus la mémoire à long terme de manière générative, en demandant que des liens soient établis.

À l’opposé, un surligneur passif n’est pas aussi impliqué dans le traitement de l’information et il n’y a aucune garantie que la lecture qui mène au surlignage ne soit pas superficielle.

L’élève a intérêt à utiliser la technique du surlignage uniquement sur des supports qui sont aisés à comprendre pour lui et pour lesquels l’étayage est suffisant. Le surlignage sur un texte complexe au contenu nouveau ou mal compris par manque de connaissances préalables est un facteur générateur d’inefficacité.



3) La perte de structure et des informations non surlignées


L’avantage fourni par l’information mise en évidence s’accompagne d’un coût par élimination. En effet si l’évaluation contient des questions portant sur des informations qui n’avaient pas été mises en évidence, les réponses générées seront de moindre qualité.

Le soulignement semble également avoir un effet défavorable sur l’établissement de liens, d’inférences et sur une compréhension globale. Il a tendance à mettre en évidence des éléments parcellaires parfois dépouillés de leur contexte, ce qui peut mener à des biais cognitifs. 

L’élève risque de ne plus étudier que les éléments soulignés. Il peut complètement négliger ce qui ne l’est pas. Le contexte de l’information risque de lui échapper, de même qu’une vision d’ensemble et la structure du cours.



4) Les croyances erronées des élèves sur le surlignage


Les élèves qui se fient au surlignage et pensent qu’il s'agit d'une stratégie efficace peuvent souffrir d’une illusion de connaissance. Plus précisément, ces élèves peuvent traiter les documents surlignés d’une manière moins significative lors de la relecture que si ces documents n’étaient pas surlignés. 

Lors de la relecture, ces élèves peuvent seulement jeter un coup d’œil rapide sur le texte mis en évidence. Ils peuvent supposer à tort que, parce qu’ils ont déjà mis en évidence cette information, elle est profondément encodée dans la mémoire. Leur erreur est probablement soutenue par l’apparente fluidité de traitement qu’ils éprouveraient lors d’une telle relecture. 

De cette manière, le surlignage pourrait ironiquement altérer la mémoire des informations critiques en empêchant les élèves de réétudier l’information d’une manière qui favorise efficacement la rétention à long terme.



Trois effets positifs du surlignage


Le surlignage peut permettre de mieux organiser, structurer et de faciliter le traitement de l'information avant de passer à des stratégies d'apprentissage plus performantes.


Un effet d’isolement 


Celui-ci s’apparente à un moyen mnémotechnique : 
  • Un élément surligné dans une liste est beaucoup mieux mémorisé que ses homologues moins distinctifs. 
  • La lecture d’un texte surligné favorise la mémoire ultérieure du contenu souligné. 
  • Plus précisément, le surlignage peut rendre la partie du texte mise en évidence plus mémorable parce qu’elle se distingue du texte environnant non surligné. 

Mais le rendement du surlignage est dès lors corrélé négativement avec la quantité de texte qui avait été mis en évidence. Surligner trop de texte est susceptible d’avoir un effet de dilution de l’impact, car nous perdons cet effet d’isolement.

Également, il faut probablement moins de traitement pour surligner une grande partie d’un texte que pour distinguer les détails les plus importants.


Un effet du traitement actif 


Le traitement actif nécessite la sélection du texte à surligner. Celui-ci doit se faire d’une manière pleinement engagée et pertinente qui s’apparente dès lors à de l’élaboration. Une sélection active et générative de l’information dans le but de la surligner va contribuer davantage au processus de mémorisation que la simple lecture d’un texte déjà surligné. 

Le texte surligné attire l’attention du lecteur. Cependant, un traitement supplémentaire est nécessaire si le lecteur doit déterminer quel contenu au sein du texte qu’il lit est le plus important. De telles décisions exigent du lecteur qu’il réfléchisse à la signification du texte et à la manière dont ses différents éléments sont liés les uns aux autres. Nous pouvons parler, nous parlons alors de traitement organisationnel.


Un effet de connexion des idées importantes


Le fait de s’engager à faire le lien entre les objectifs d’apprentissage, la structure du cours et les contenus surlignés est susceptible de favoriser le développement des schémas cognitifs.

Le fait de faire des liens entre différents concepts permet leur renforcement en mémoire à long terme. La mise en évidence de termes ou idées clés peut matérialiser ces liens. Elle favorise leur consolidation en stimulant la plasticité du cerveau.

Le surlignage peut stimuler le maintien à long terme de connaissances lorsqu’il est instrumentalisé à travers d’autres techniques appliquant les effets d’espacement, d’entremêlement ou de la pratique de récupération (effet de test). Par exemple, les parties surlignées peuvent être cachées temporairement pour favoriser la récupération.



Éléments d’information pour l’enseignement explicite de la stratégie de surlignage


Il est utile d'enseigner explicitement aux élèves quel est le bon usage du surlignage car il est peu probable qu'ils abandonnent la technique. Dès lors il est utile de les soutenir dans l'optique d'une utilisation optimale.

L’avantage principal du surlignage d’un texte est d’y inscrire des repères qui permettront de retrouver les faits saillants une fois que l’oubli aura fait son chemin. Il ne s’agit pas dans ce cas d’un réel apprentissage, mais d’un traitement de l’information rapide qui a comme principal avantage d’être économe en temps.

Le surlignage (adossé à la relecture) n’est pas efficace en tant que technique isolée et principale d’étude, ce qui est un point méconnu par de trop nombreux élèves. Son caractère universel chez l’élève entraine le risque que nombre d’entre eux aillent le privilégier. Or il existe d’autres techniques et approches d’apprentissage plus efficaces, comme le fait de prendre des notes, de se tester ou rédiger une synthèse textuelle ou visuelle en reformulant les idées.

Le surlignage peut être un outil d’organisation d’un contenu ou un support pour favoriser l’élaboration ou la détermination de moyens mnémotechniques. Il faut donc déconseiller aux élèves de l’utiliser de manière isolée, car il peut donner l’impression de travailler efficacement et donner des illusions de connaissances qui sont toujours un revers pour le sentiment d’efficacité ultérieur.

L’efficacité du surlignage sera d’autant plus élevée que l’expertise de l’élève pour le texte considéré sera plus élevée et que son engagement à comprendre et l’attention qu’il y porte sont élevés. Il faut donc insister sur le fait qu’une compréhension approfondie du support est nécessaire avant de passer à une sélection par surlignage. Nous pouvons en ce sens suggérer une première étape de soulignement au crayon durant l’étape de la compréhension et le passage au surlignage lorsque l’élève passe à une première mémorisation.

Ainsi, le surlignage peut être vu comme une stratégie de compréhension et de préparation à l'apprentissage. Une fois les éléments importants mises en évidence, ils peuvent être intégrés sous forme de questions et réponses sur des flashcards.

Les élèves peuvent être formés aux techniques de surlignage. Ces techniques regroupent le fait de lire un paragraphe et de décider de ce qui est conceptuellement important avant de mettre en évidence cette information. Ils obtiennent de meilleures performances que les élèves qui ne reçoivent pas cette formation, ce qui indique qu’une activité cognitive appropriée pendant le surlignage peut en accroître les avantages. 

Plutôt que de donner des texte continus comme supports de cours, il peut être également intéressant de fournir aux élèves de support de cours ou manuels qui dissuadent l’utilisation de la technique du surlignage, en présentant une information déjà très structurée. Ceci facilitera l’apprentissage des élèves qui ont moins de prérequis, d’intérêt, de facilité ou d’auto-efficacité pour le sujet considéré. Cela peut également favoriser l’établissement de liens et la réalisation d’inférences, contournant ainsi l’un des défauts du surlignage individuel.


Mis à jour le 26/12/21

Bibliographie 


Dunlosky, J. et al., Improving Students’ Learning With Effective Learning Techniques: Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology. Psychological Science in the Public Interest 14(1) 4–58 (2013)

Anderson Skylar, Studying with a highlighter (the right way) (2016) https://www.studyright.net/blog/studying-with-a-highlighter/

Christodoulou Daisy, Revision: “Highlighting words isn’t the answer” (2018) https://www.tes.com/news/revision-highlighting-words-isnt-answer

Yue, C. L., Storm, B. C., Kornell, N., & Bjork, E. L. (2015). Highlighting and its relation to distributed study and students’ metacognitive beliefs. Educational Psychology Review, 27(1), 69–78.

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