vendredi 4 mai 2018

Une typologie des stratégies d’apprentissage utilisées par les élèves

Une simple recherche en ligne rapporte une pléthore de propositions de classification des stratégies d’apprentissage. Peu intègrent en filigrane le fonctionnement de la mémoire dans son modèle modal, l’idée de la création d’une mémorisation profonde et durable, tenant compte des processus cognitifs sous-jacents (encodage, stockage, récupération et consolidation).


(Photographie : Isa Gelb)


Celle introduite par Franck Amadieu et André Tricot (2015) me semble intéressante. Elle est également plus en phase avec mon vécu d’enseignant en prise avec l’apprentissage parfois défaillant d’élèves.

En voici une synthèse librement adaptée et complétée à partir de la lecture du livre de Yana Weintstein et Megan Sumeracki, Understand How We Learn (2019) :



Un constat de départ


Différentes stratégies d’apprentissage efficaces ont été mises en évidence par la psychologie cognitive et participent à ce que nous pouvons appeler la science de l’apprentissage. Le point positif de ces stratégies est qu’elles peuvent être apprises par les élèves et sont susceptibles d’être enseignées explicitement par les enseignants.

Deux implications en découlent :
  1. Comprendre quelles stratégies contribuent à un meilleur apprentissage devrait être une compétence commune et essentielle développée lors de la formation initiale des enseignants et enrichie à travers leur développement professionnel.
  2. Accompagner les élèves dans le développement de leurs compétences cognitives et métacognitives appartenant à ce domaine serait une mission judicieuse à confier aux enseignants.

Ci-dessous, nous présentons une typologie en cinq grandes classes de stratégies d’apprentissage que nous devrions retrouver chez nos élèves. Lorsqu’elles sont judicieusement combinées et maîtrisées, elles contribuent à un apprentissage durable et en profondeur.

Elles ne renvoient pas toutes aux mêmes types d’activités mentales : 
  • Certaines sont plus basiques et stratégiques et donc de bas niveau, elles établissent une compréhension et un premier état de performance encore non durable. 
  • D’autres stratégies sont dites de niveau élevé, car elles contribuent à un apprentissage profond et dès lors se révèlent plus exigeantes dans leur mise en œuvre. 



Les stratégies d’ordre affectif


Les stratégies affectives ne sont pas abordées dans cet article. Nous les avons abordées ici et plus largement là dans le cadre de la motivation.

Elles concernent tout ce qui est de l’ordre du développement de l’intérêt, de la motivation ou de l’auto-efficacité.



Mobiliser à bon escient les stratégies cognitives de compréhension et de structuration des contenus


Ces stratégies sont intuitives et sont basées sur le bon sens. Néanmoins, elles peuvent être négligées par distraction, par procrastination ou par manque d’engagement. Elles représentent un passage obligé pour une première cartographie des contenus à apprendre et sont un passage obligé pour soutenir l’apprentissage qui leur succède.

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que l’intention derrière ces stratégies est d’entrer rapidement dans un processus où nous identifions les contenus à apprendre. Nous les reconnaissons et nous nous investissons dans des démarches qui vont permettre de les comprendre et de commencer à les structurer.

Le danger lié à ces stratégies est la profondeur de l’engagement de l’élève dans celles-ci. Elles peuvent être productives si elles sont réalisées au bon moment (c’est-à-dire relativement tôt) avec le degré de profondeur requis.  

Si elles sont réalisées trop tardivement ou de manière superficielle, elles peuvent hypothéquer l’apprentissage ultérieur.

Bonne pratique Pratique inadéquate
Prendre des notes structurées et synthétiques qui mettent en avant les idées clés.
Prendre des notes peu structurées de type mot à mot.
S’assurer d’avoir bien compris et cerné ce qu’il faut mémoriser avant de stocker des faits ou des concepts en mémoire.
Apprendre par cœur des contenus, mot à mot, avant de les avoir réellement compris.
Adopter la méthode Cornell de prise de notes et s’en servir de base pour la prise de note en direct.
Recopier ses notes de cours au propre.
Relire une fois son cours pour s’assurer de la bonne compréhension puis dans la foulée entamer un processus de réalisation de flashcards.
Relire plusieurs fois son cours pour comprendre et apprendre, et dans la foulée souligner ou surligner tout ce qui semble important.
Limiter l’usage des moyens mnémotechniques et privilégier la réalisation de flashcards et l’utilisation d’organisateurs graphiques.
Multiplier l’utilisation de moyens mnémotechniques et faire des synthèses et des cartes mentales.
S’exercer à refaire des exercices d’emblée à cours fermé et dans le désordre en vérifiant par la suite les solutions.
Recopier à cours ouvert ou relire des résolutions d’exercices l’un après l’autre sans les mélanger.


Lorsque l’élève s’engage dans une pratique inadéquate, l’engagement cognitif sera moindre et une des difficultés est qu’il fera peu appel à ses connaissances préalables. Le danger est qu’il est plus facile d’adopter une démarche inadéquate, car elles demandent moins d’efforts et donnent l’illusion d’être occupé à apprendre. Ce type de stratégie conduit généralement à des apprentissages superficiels, incomplets, peu intégrés et à court terme, particulièrement si ce sont les seules approches pratiquées par l’élève.

Ces stratégies sont généralement très courantes chez les élèves, car intuitives, faciles à maîtriser et à mettre en œuvre. Elles sont parfois utilisées par défaut, pas exemple en début de scolarité. L’élève parcourt ses feuilles, misant sur la réactivation de ce qu’il a déjà retenu en classe.

Elles ont une approche utilitaire immédiate et sont bénéfiques pour des performances à court terme. Le fait que les élèves étudient souvent la veille tend à renforcer leur utilisation. Leur efficacité sera fonction de l’engagement et de l’attention que l’élève arrive à engager, et sur lesquelles il n’a pas toujours de pleine maîtrise.

Le fait d’activer les connaissances préalables en rapport avec les nouveaux contenus est essentiel pour favoriser l’apprentissage ultérieur. Il ne peut se faire que s’il y a engagement dans une bonne pratique qui demande des efforts cognitifs.

Il est important d’accompagner les élèves dans la prise de conscience de mauvaises pratiques et dans l’adoption des bonnes pratiques correspondantes. Si l’élève utilise de mauvaises pratiques, il risque de s’épuiser, de passer beaucoup de temps dessus pour un bénéfice faible et de se décourager. 

Les stratégies d’organisation consistent à mettre en évidence et à traiter en priorité les principales informations des contenus. Elles amènent les élèves à faire une cartographie fine des contenus à apprendre présents dans leurs supports de cours.




Optimiser les stratégies cognitives de compréhension et de structuration des contenus sur un continuum


Au niveau de la compréhension et de la structuration, il n’y a pas de pratiques à résolument rejeter. Chaque pratique doit être utilisée de manière opportune en fonction d’un objectif et d’un bénéfice visés. 

Il est utile qu’un enseignant explicite les processus qu’il attend de ses élèves dans le cadre de l’apprentissage autonome.  

Un exemple de continuum adaptable se trouve ci-dessous :

Une manière d’agir est de réfléchir selon un continuum :
  • Lors du cours, l’élève prend des notes synthétiques (par exemple avec la méthode Cornell).
  • Le soir ou le lendemain, l’élève relit ses notes, il les complète ou les adapte.
  • Il maintient son cours en ordre et rassemble toutes les ressources utiles (devoirs, travaux, feuilles supplémentaires, manuels, correctifs, évaluations, etc.).
  • L’élève entreprend la réalisation d’un guide d’étude. À l’aide des objectifs d’apprentissage, il met en évidence les éléments importants et identifie les idées principales.
  • Il structure un plan du cours.
  • Il réalise des représentations graphiques comme des cartes mentales, des cartes conceptuelles ou des synthèses, dans lesquelles il reformule les contenus.
  • Il réalise des flashcards.
  • Il observe, identifie et analyse les procédures de résolution d’exercices et les stratégies de résolution de problèmes.

Une fois arrivé au bout de ce continuum, l’élève est alors prêt à rentrer dans une phase d’apprentissage, de récupération et de consolidation des contenus.
En appliquant un tel continuum, l’élève s’approche plus concrètement de stratégies efficaces, car elles impliquent un traitement cognitif plus conséquent. Elles permettent d’offrir une meilleure structuration des contenus que les stratégies d’entrée dans les contenus.

En effet, bien souvent elles génèrent une production (flashcards, synthèse, notes additionnelles, carte conceptuelle…) qui sera ensuite mobilisée par des stratégies d’apprentissage.

Ce continuum d’activités contribue à une activité cognitive de mise en relation des nouvelles informations avec des connaissances préalables et d’organisation de celles-ci de manière à faciliter leur maintien et leur intégration en mémoire.

Ce sont des activités qui développent et enrichissent la compréhension. Toutefois, elles ne sont pas performantes pour installer des apprentissages durables. D’autres stratégies doivent alors être mobilisées.



Les stratégies cognitives liées à l'apprentissage


Différentes stratégies cognitives soutiennent l’apprentissage en activant des processus de récupération et d’élaboration. Ces derniers renforcent les connaissances en mémoire à long terme et créent de nouveaux liens entre elles. 

Ces stratégies regroupent les démarches suivantes :
  • Faire des analogies entre de nouvelles connaissances et d’autres déjà connues
  • Relier les nouvelles informations à différentes connaissances antérieures
  • Récupérer des connaissances en mémoire
  • Réaliser des exercices ou des problèmes à cours fermé et de manière entremêlée
  • Étudier en groupe et s’expliquer mutuellement
  • Expliquer oralement le cours (à soi-même ou à un auditeur) en le reformulant avec ses propres mots tout en mobilisant le vocabulaire et les concepts adéquats
  • Faire des liens entre différents concepts d’un cours, en élaborant une carte conceptuelle
  • Étudier à l’aide de flashcards
  • Penser à des exemples de la vie de tous les jours ou à des applications concrètes
  • Imaginer des questions et y répondre
  • S’entrainer à répondre à un exemple d’évaluation sur la matière à apprendre
  • Etc.
Ces stratégies nous amènent à exercer un traitement cognitif profond en allant récupérer et mobiliser diverses connaissances dans notre mémoire à long terme. Nous nous employons à les appliquer et à les utiliser nos connaissances, comme nous l’avons fait précédemment, mais également de nouvelles façons. 

Ce processus est progressif, il nous amène à commencer par décrire et expliquer les idées principales, et au fur et à mesure à procéder avec plus de détails et de nuances. Au fur et à mesure, nous devenons capables de répondre à des questions et de réaliser des tâches plus complexes.

Ces stratégies concernent le renforcement de la récupération et l’élaboration de nouvelles connaissances sur la base des connaissances initiales. Elles contribuent à donner de la profondeur aux apprentissages et à enrichir les schémas cognitifs de l’apprenant.

En créant de liens entre les nouvelles informations et leurs connaissances antérieures, mais aussi en structurant et catégorisant les nouvelles informations, les élèves effectuent des traitements profonds. Ils obtiennent donc ont une meilleure intégration et une meilleure durabilité de leurs connaissances en mémoire à long terme.

Ces techniques entrainent un certain niveau de difficulté qui fait qu’elles tendent à être mobilisées de manière insuffisante par les élèves, en comparaison aux autres types de stratégies. Ces stratégies sont plus difficiles et exigeantes par exemple que le fait de relire ou de surligner son cours.

Ce sont des stratégies qui demandent une implication plus forte et un investissement plus intense. Le bénéfice est lent à se manifester et se révèle plus à moyen et long terme qu’à court terme. Lorsqu’un élève découvre et étudie dans l’urgence la matière la veille d’un test, elles ne sont pas appropriées. 

Ces techniques ont également comme avantage de soutenir la métacognition, car elles vont permettre en vérifiant les réponses de générer un jugement sur l’apprentissage plus précis que le faire de relire son cours par exemple. 

De plus le fait de récupérer les informations plutôt que de les relire, permet un meilleur ancrage des connaissances. C’est l’effet test qui est malheureusement méconnu par bon nombre d’élèves. La plupart déclarent se tester pour évaluer ce qu’ils ont compris, plus rares sont ceux qui ont conscience que cela leur permet de mieux apprendre qu’en relisant.

Dans l’ensemble, ces stratégies permettent un apprentissage en profondeur et une meilleure intégration et appropriation des connaissances. De même, elles favorisent une durabilité et un meilleur transfert de ces connaissances dans de nouvelles situations.



Les stratégies métacognitives : planification et autorégulation


Ces stratégies d’ordre métacognitif correspondent à :
  • La planification de l’étude
  • L’utilisation régulée de l’autoévaluation
  • La préparation de questions à poser
  • Des recherches personnelles d’informations et de précisions supplémentaires permettant de clarifier et compléter la compréhension
  • Chercher à connaître précisément les modalités et les exigences des évaluations.

La difficulté de mise en place de stratégies métacognitives vient du fait que les élèves n’ont pas forcément une bonne représentation des stratégies d’apprentissage qui sont efficaces ou non. Dès lors, ils tentent de naviguer à l’aveugle ce qui est improductif. 

Ce n’est que lorsque les élèves sont capables d’évaluer la pertinence de leurs comportements d’apprentissage qu’ils peuvent les modifier et les améliorer.

Si un comportement ne permet pas d’atteindre efficacement ou rapidement les objectifs, alors il faudra le modifier, voir le remplacer par un autre.

Ces stratégies sont particulièrement essentielles dans les apprentissages autorégulés.

La dimension métacognitive de l’apprentissage a particulièrement un rôle de pilotage de l’apprentissage. Il ne s’agit pas pour l’apprenant de privilégier un type de stratégie par rapport à un autre, mais d’en faire un usage combiné, stratégique et optimisé visant un apprentissage durable sur le long terme.



Les limites des plateformes numériques pour l’apprentissage autonome


Terminons sur un point sur l’usage autonome des plateformes numériques. De manière croissante, les enseignants sont invités à donner un accès pour leurs élèves, à des ressources virtuelles mises à disposition sur des plateformes numériques (comme Teams, Classroom Moodle ou Claroline).

L’usage sera plus important chez les élèves qui ont des buts de maîtrise, qui accordent une valeur importante à la tâche et qui emploient des stratégies d’élaboration. Les autres profils d’élèves tendront à la délaisser. Donc une simple mise à disposition sans un certain contrôle et sans une forme de renforcement sur son utilisation serait susceptible d’accroître les écarts entre les élèves.

Une plateforme numérique d’apprentissage, non obligatoire, est principalement utilisée par des élèves en réussite pour une raison simple à comprendre. En tant qu’usage autonome, hors des murs de l’école, elle nécessite un excellent niveau d’autorégulation des apprentissages. Celui-ci repose sur de bonnes compétences en stratégies d’étude et une motivation intrinsèque, qui en règle générale se retrouvent plutôt chez les élèves les plus talentueux.




Conclusions


Pour apprendre sur la durée et espérer pouvoir réinvestir efficacement nos connaissances, il est nécessaire de le mobiliser et de mettre en œuvre des stratégies de haut niveau lors de l’apprentissage.

Les élèves doivent donc organiser l’information, récupérer, élaborer et réguler leur apprentissage.

Les performances obtenues aux examens sont prédites par l’utilisation de stratégies d’élaboration et de stratégies métacognitives. L’usage privilégié de ces stratégies est lui-même prédit par des facteurs d’ordre motivationnel tels que l’auto-efficacité et la valeur accordée à la tâche.

La motivation intrinsèque favorise la mise en œuvre de ces stratégies de haut niveau et l’usage de stratégies de haut niveau par l’efficacité générée stimule à son tour la motivation intrinsèque. À l’inverse, les élèves qui sont essentiellement caractérisés par des buts de performance mettent davantage en œuvre des stratégies de surface pour un apprentissage rapide et souvent à court terme.






Mis à jour le 31/05/2023 

Bibliographie


Franck Amadieu, André Tricot. Les facteurs psychologiques qui ont un effet sur la réussite des étudiants. Psicologia USP, Universidade de São Paulo, 2015.

Yana Weinstein, Megan Sumeracki, Understand how we learn, David Fulton, 2019.

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