dimanche 3 août 2025

Stratégies d’élaboration en soutien à l’apprentissage

Dans la science de l’apprentissage, la notion d’élaboration correspond à un ensemble de stratégies cognitives qui visent à améliorer l’apprentissage en approfondissant le traitement de l’information.

(Photographie : Hyoungsun Ha)



Les stratégies d’élaboration


L’élaboration se traduit par la création de liens entre connaissances nouvelles et préalables. Contrairement à un encodage superficiel (par exemple lié à la simple relecture), l’élaboration engage des processus de haut niveau qui construisent des liens sémantiques, causaux ou conceptuels. Par ce biais, elle permet de donner plus de sens aux contenus et de les rendre plus facilement mémorisables. 

Dès lors, l’élaboration favorise la compréhension et la rétention à long terme (Craik & Lockhart, 1972 ; Weinstein & Mayer, 1986). Elle renforce les connexions neuronales et permet de structurer les connaissances dans la mémoire à long terme (Dunlosky et col., 2013).

Les stratégies d’élaboration sont des méthodes d’apprentissage qui consistent à mobiliser un processus élaboration pour les apprenants. Ce processus contribue à intégrer les nouvelles informations au sein d’un réseau de connaissances plus vaste et de les rendre plus facilement récupérables (Dunlosky et coll., 2013). 

Il existe différentes formes d’élaboration. Parmi les plus courantes, nous pouvons citer : 
  • L’auto-explication
  • L’interrogation élaborée.
  • La génération ou la sélection d’exemples concrets et personnels 
  • L’usage d’analogies et de métaphores 
  • L’organisation graphique des connaissances 
  • La création ou l’usage de flashcards. 



L’auto-explication


L’auto-explication est une stratégie métacognitive qui consiste à demander à l’apprenant de s’expliquer de nouvelles informations ou les étapes d’un processus. 

Elle correspond à l’activité par laquelle l’apprenant commente et justifie pour lui-même le contenu étudié, en explicitant les relations entre les étapes, principes ou concepts (Chi et coll., 1989).

L’élève verbalise, représente, écrit ou conceptualise mentalement ce qu’il est en train d’apprendre pour en vérifier la compréhension et identifier les lacunes dans sa pensée : 
  • L’auto-explication prend souvent la forme de questions génériques : 
    • « Comment cela fonctionne-t-il ? », « Pourquoi est-ce que c’est important ? », ou « Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? ».
  • L’auto-explication a pour fonction d’aider l’apprenant à intégrer de nouvelles informations en les liant à des connaissances existantes : 
    • Elle est particulièrement efficace lors de la résolution de problèmes ou de la lecture d’un texte, car elle oblige l’élève à combler les chaînons manquants dans son propre raisonnement (Chi et coll., 1989).
  • Elle est axée sur le processus et la compréhension de la logique sous-jacente :
    • L’élève peut s’expliquer la signification d’un concept ou les étapes d’une résolution de problème.
  • Elle permet d’identifier des lacunes de compréhension, de réguler l’apprentissage et de construire des modèles mentaux cohérents (Rittle-Johnson, 2006).



L’interrogation élaborée 


L’interrogation élaborée est une stratégie d’élaboration qui consiste à demander à l’apprenant de répondre à des questions qui le poussent à justifier un fait ou un concept. Contrairement à l’auto-explication, qui est plus générique, l’interrogation élaborée est plus ciblée et se concentre sur des relations causales ou des justifications : 
  • L’interrogation élaborée prend la forme de questions spécifiques : 
    • « Pourquoi est-il vrai que… ? », « Comment se fait-il que… ? », « Pourquoi cela a-t-il du sens ? », ou « Pourquoi ce fait est-il pertinent dans ce contexte ? ».
  • L’interrogation élaborée a pour fonction de mémoriser des faits en les rendant plus significatifs.
    • Elle amène à générer des explications plausibles fondées sur les connaissances préalables. 
    • En forçant l’élève à se demander pourquoi un fait est vrai, il doit faire des liens avec d’autres informations et des connaissances antérieures, ce qui enrichit le traitement de l’information (Pressley et coll., 1987).
  • L’interrogation élaborée est plus axée sur le contenu et l’établissement de relations entre des faits et des concepts. 
    • L’élève doit justifier la validité d’une affirmation.
    • Cette stratégie oblige l’apprenant à mobiliser ses représentations antérieures pour donner sens à un contenu nouveau, ce qui renforce l’encodage en mémoire à long terme (Woloshyn, Pressley & Schneider, 1992).



Comparaison entre auto-explication et interrogation élaborée


Interrogation élaborée et auto-explication sont des formes d’élaboration parce qu’elles encouragent activement l’apprenant à aller au-delà d’une simple mémorisation passive. 

Elles nécessitent un engagement cognitif profond pour faire des liens entre les nouvelles informations et les connaissances existantes, ce qui les rend plus efficaces que des stratégies passives comme la relecture ou le surlignage.

La distinction réside principalement dans le type de question posée et l’objectif cognitif visé : 
  • L’auto-explication engage l’apprenant face à lui-même dans une activité métacognitive centrée sur l’explicitation, elle gagne à porter sur des éléments plus globalisés.
  • L’interrogation élaborée repose davantage sur l’activation et la mise en relation de connaissances antérieures pour donner du sens à un nouvel apprentissage et intervient plutôt en contexte de classe où un élève répond à une question ciblée.

Dimension

Auto-explication

Interrogation élaborée

Mobilisation

Dans le cadre de l’apprentissage autonome

Dans le cadre de l’enseignement

Définition

Production spontanée d’explications personnelles pour clarifier le contenu et expliciter les étapes ou principes sous-jacents (Chi, 2000)

Génération de réponses à des questions de type « pourquoi » et « comment » visant à relier le contenu à des connaissances antérieures (Pressley et coll., 1987)

Cadre du processus

Autonome : l’apprenant produit une explication sur la base du contenu qu’il étudie

Interrogatif : l’apprenant cherche des causes, raisons ou mécanismes en répondant à des questions sur base du contenu qui a été enseigné

Types de questions

Générales : « Qu’est-ce que cela signifie ? », « Comment fonctionne… ? »

Spécifiques : « Pourquoi est-ce vrai que… ? », « Pourquoi cela a-t-il du sens… ? »

Contenus

Connaissances procédurales et conceptuelles de nature plus globale

Connaissances factuelles et relationnelles de nature plus ciblée

Fonction

Détection et correction des incompréhensions, construction de modèles mentaux cohérents

Vérification de la compréhension, renforcement des liens entre nouvelle information et savoirs antérieurs

 



La génération ou la sélection d’exemples personnels et significatifs


La création ou la sélection d’exemples personnels et significatifs est une stratégie d’élaboration efficace qui ancre les concepts abstraits dans la réalité de l’apprenant et renforce la profondeur de traitement.

En générant ou en sélectionnant un exemple personnel et significatif, l’apprenant ne se contente pas de mémoriser une définition abstraite. Il établit une connexion explicite entre la nouvelle information et ses propres expériences et connaissances concrètes. 

Cette stratégie l’oblige à relier un concept abstrait à des expériences concrètes ou familières (Fiorella & Mayer, 2015). En construisant un exemple, l’apprenant active ses connaissances préalables, identifie la pertinence du concept dans des contextes variés, et renforce ainsi son encodage en mémoire sémantique. De plus, les exemples personnels facilitent le transfert des connaissances, puisque l’apprenant en visualise déjà l’application pratique (Renkl, 1997).

Cette connexion rend l’information plus significative et familière sur le plan émotionnel et contextuel, ce qui augmente son encodage et sa rétention. C’est l’équivalent de créer une « porte d’entrée » personnelle vers le concept dans la mémoire (Pressley et coll., 1987).



L’usage d’analogies et de métaphores


Les analogies et métaphores permettent de comprendre et d’expliquer une notion nouvelle en la reliant à une structure cognitive familière (Gentner, 1983), c’est-à-dire à un concept familier ou similaire. 

Les analogies et les métaphores fonctionnent en exploitant un schéma de connaissances déjà bien établi pour en construire un nouveau. En comparant le fonctionnement d’un nouveau concept à quelque chose de déjà connu, on offre une structure mentale préexistante pour organiser les nouvelles informations. Par exemple, l’analogie du cœur comme une « pompe » permet de comprendre son rôle et son fonctionnement sans se perdre dans les détails anatomiques complexes (Gentner, 1983).

Les recherches montrent que les analogies bien choisies aident à surmonter la complexité des contenus scientifiques (Duit, 1991), à condition que la source de l’analogie soit pertinente et explicitement expliquée (Richland & Simms, 2015).

Cette stratégie est particulièrement efficace pour l’enseignement des sciences et des concepts techniques. Cependant, il est crucial que l’analogie soit valide et que l’enseignant ou l’apprenant clarifie ses limites, afin d’éviter la création de fausses conceptions (Donnelly & McDaniel, 1993).



L’organisation graphique des connaissances


Les outils tels que les cartes conceptuelles, diagrammes ou schémas permettent de représenter visuellement les relations hiérarchiques et causales entre concepts. Cette organisation externe favorise l’élaboration, car elle incite l’apprenant à clarifier la structure des informations et à identifier des liens logiques (Novak & Cañas, 2008). 

Cette stratégie pousse l’apprenant à analyser les relations entre les concepts plutôt que de les traiter comme des informations isolées. Le processus de création d’un schéma exige de hiérarchiser les idées, d’identifier les liens de causalité, de similitude ou de hiérarchie, et de les représenter spatialement. 

Les recherches démontrent que la cartographie conceptuelle soutient particulièrement la compréhension en sciences, où les contenus sont complexes et interconnectés (Nesbit & Adesope, 2006).

L’organisation graphique des connaissances est particulièrement utile pour des sujets où de nombreux concepts sont interconnectés, comme l’histoire ou la biologie.



La création de flashcards


Bien que les flashcards soient souvent associées à un processus de récupération, leur usage peut devenir élaboratif lorsqu’elles intègrent des questions de type pourquoi ou comment, ou des indices contextuels qui encouragent un traitement profond (Karpicke & Blunt, 2011). 

De plus, la pratique de récupération par flashcards stimule non seulement la mémorisation, mais également la reconstruction des réseaux sémantiques, renforçant ainsi l’élaboration (Roediger & Butler, 2011).

La création de flashcards peut elle-même inclure une démarche d’élaboration dans la conception de questions et de réponses.

Les flashcards sont souvent perçues comme un simple outil de mémorisation par cœur, mais leur efficacité réside dans la manière dont elles sont utilisées, et peuvent devenir un outil puissant d’élaboration.

L’apprenant peut inclure dans la conception de flashcards, un exemple concret, une analogie ou un schéma simple.



Bibliographie

Chi, M. T. H., Bassok, M., Lewis, M. W., Reimann, P., & Glaser, R. (1989). Self-explanations : How students study and use examples in learning to solve problems. Cognitive Science, 13(2), 145-182.

Pressley, M., McDaniel, M. A., Turnure, J. E., Wood, E., & Nicholson, R. (1987). "Keywords" and "elaboration": How well do they promote verbal learning? Journal of Educational Psychology, 79(3), 263-270.

Chi, M. T. H. (2000). Self-explaining expository texts: The dual processes of generating inferences and repairing mental models. Advances in Instructional Psychology, 5, 161 238.

Craik, F. I. M., & Lockhart, R. S. (1972). Levels of processing: A framework for memory research. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 11(6), 671 684.

Fiorella, L., & Mayer, R. E. (2015). Learning as a generative activity: Eight learning strategies that promote understanding. Cambridge University Press.

Gentner, D. (1983). Structure-mapping : A theoretical framework for analogy. Cognitive Science, 7(2), 155 170.

Novak, J. D., & Cañas, A. J. (2008). The theory underlying concept maps and how to construct them. Technical Report IHMC CmapTools.

Rittle-Johnson, B. (2006). Promoting transfer: Effects of self-explanation and direct instruction. Child Development, 77(1), 1 15.

Weinstein, C. E., & Mayer, R. E. (1986). The teaching of learning strategies. In M. Wittrock (Ed.), Handbook of research on teaching (3rd ed., pp. 315 327). Macmillan.

Woloshyn, V. E., Pressley, M., & Schneider, W. (1992). Elaborative interrogation and prior knowledge effects on learning of facts. Journal of Educational Psychology, 84(1), 115 124.

Donnelly, C. M., & McDaniel, M. A. (1993). Use of analogy in learning scientific concepts. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 19(4), 957–967.

Dunlosky, J., Rawson, K. A., Marsh, E. J., Nathan, M. J., & Willingham, D. T. (2013). Improving students’ learning with effective learning techniques: Promising directions from cognitive and educational psychology. Psychological Science in the Public Interest, 14(1), 4–58.

Duit, R. (1991). On the role of analogies and metaphors in learning science. Science Education, 75(6), 649 672.

Karpicke, J. D., & Blunt, J. R. (2011). Retrieval practice produces more learning than elaborative studying with concept mapping. Science, 331(6018), 772 775.

Nesbit, J. C., & Adesope, O. O. (2006). Learning with concept and knowledge maps: A meta-analysis. Review of Educational Research, 76(3), 413 448.

Renkl, A. (1997). Learning from worked-out examples: A study on individual differences. Cognitive Science, 21(1), 1 29.

Richland, L. E., & Simms, N. (2015). Analogy, higher order thinking, and education. Wiley Interdisciplinary Reviews: Cognitive Science, 6(2), 177 192.

Roediger, H. L., & Butler, A. C. (2011). The critical role of retrieval practice in long-term retention. Trends in Cognitive Sciences, 15(1), 20 27.

0 comments:

Enregistrer un commentaire