L’intégration des élèves présentant un trouble de l’apprentissage est un défi pour les écoles et une application directe du principe d’une éducation inclusive. La démarche démarre par le fait, non neutre, de poser une étiquette sur un élève.
(Photographie : frommylimitedtravels)
Un impact général négatif des étiquettes liées aux troubles de l’apprentissage
Franz et ses collègues (2023) ont réalisé une méta-analyse portant sur 60 expériences regroupant 8 295 participants et 284 effets différents. Ils se sont intéressés à l’influence des étiquettes ou labels diagnostiques (troubles d’apprentissage, troubles intellectuels, troubles comportementaux) sur l’évaluation des élèves par les enseignants.
Ils ont mis en évidence un effet global modéré (g de Hedges = −0,42), indiquant que la présence d’une étiquette entraîne une évaluation plus négative de l’élève dans différents contextes. En moyenne, les évaluateurs qui reçoivent une étiquette diagnostique pour un élève ont tendance à l’évaluer plus négativement que les élèves qui n’en reçoivent pas, même si toutes les autres informations sont identiques. Cet effet est considéré comme modéré et statistiquement significatif.
L’effet de l’étiquetage reste constant sur plusieurs types d’évaluations (évaluations scolaires, comportementales, de la personnalité), différents échantillons de participants et diverses catégories diagnostiques. Cela suggère que l’effet de l’étiquette n’est pas limité à un contexte ou à un type de trouble spécifique, mais qu’il s’agit d’un phénomène plus généralisé.
Le manque d’information renforce l’effet négatif. La méta-analyse a révélé que l’effet négatif était particulièrement fort lorsque les participants ne recevaient que l’étiquette sans aucune information descriptive supplémentaire sur l’élève (g de Hedges = -1,26). Ce résultat est crucial, car il indique que l’étiquette, lorsqu’elle est isolée, peut créer des préjugés puissants. Plus les informations sur l’élève sont riches, plus l’influence négative de l’étiquette peut être atténuée.
Aucun effet modérateur de l’expertise ni du genre n’a été mis en évidence. Les jugements défavorables sont indépendants du niveau de formation des évaluateurs ou du genre de l’élève évalué. Cela suggère que même les professionnels de l’éducation ne sont pas immunisés contre les biais induits par les étiquettes.
La catégorie « éducation mentale adaptée/adaptable » induit un jugement négatif significatif, alors que le label « difficulté d’apprentissage » peut avoir un effet moins marqué. D’autres labels comme « doué et talentueux » peuvent même produire un effet positif, tandis que l’effet du label lié au trouble de l’attention était parfois neutre dans certaines études.
La méta-analyse confirme les effets biaisés des étiquettes diagnostiques par la stigmatisation et la réduction des attentes, impactant négativement les jugements portés sur les élèves. Les résultats de Franz et ses collègues (2023) fournissent une preuve empirique solide des mécanismes de la stigmatisation. L’étiquette diagnostique ne sert pas uniquement de descripteur neutre, mais elle façonne activement la perception de l’évaluateur, renforçant les stéréotypes et abaissant les jugements. Cette conclusion est alignée avec les modèles de la stigmatisation qui décrivent comment les étiquettes transforment la perception d’un individu en le reléguant à un « groupe extérieur ».
Elle souligne l’importance de rapporter des informations complètes et contextualisées lors du diagnostic pour minimiser les jugements automatiques basés sur l’étiquette seule. Le fait que fournir davantage d’informations sur les performances réelles, les besoins ou les caractéristiques de l’élève atténue l’effet négatif du label seul.
L’étude suggère que la manière dont les informations sont communiquées dans le milieu scolaire est primordiale. L’utilisation d’étiquettes de diagnostic sans le contexte et les détails nécessaires peut être préjudiciable. Les professionnels de l’éducation devraient être formés à ne pas se fier uniquement aux étiquettes. Ils doivent plutôt se concentrer sur les besoins et les forces propres à chaque élève, en utilisant les informations diagnostiques comme un point de départ pour une évaluation complète plutôt que comme une conclusion.
L’importance d’informer sur les besoins liés aux troubles de l’apprentissage
Une étude intéressante est celle de Kashikar et ses collègues (2025), réalisée en Allemagne auprès d’enseignants généralistes et spécialisés (n ≈ 413–429). Ils ont évalué l’impact d’étiquettes diagnostiques liées au trouble de l’apprentissage, les jugements et attentes des enseignants à l’égard d’un élève fictif.
Plus particulièrement deux étiquettes ont été étudiées, la première énonçant simplement le trouble d’apprentissage et la seconde indiquant un besoin de soutien pédagogique spécialisé en matière d’apprentissage.
Ils ont mis en évidence que :
- Les deux étiquettes ont augmenté l’acceptation de la validité du diagnostic.
- L’étiquette énonçant le trouble d’apprentissage a réduit certaines attentes de long terme, comme les recommandations de filière ou niveau de diplôme, avec une probabilité accrue d’orienter vers une école spécialisée.
- L’étiquette, conçue comme axée sur le besoin de soutien, a paradoxalement augmenté l’intention des enseignants à encourager la progression scolaire du profil décrit.
- En moyenne, les enseignants spécialisés affichaient des attentes plus basses que les enseignants généralistes, indépendamment de la présence d’un label.
Ces résultats s’inscrivent dans les fondements théoriques suivants :
- Effet Pygmalion/Golem : Les attentes des enseignants influencent les performances des élèves (Rosenthal & Jacobson, 1968). Un diagnostic peut induire des prophéties autoréalisatrices négatives (effet Golem).
- Théorie de l’étiquetage (Becker, 1963) : Les étiquettes peuvent stigmatiser les élèves, affectant les perceptions des enseignants et les trajectoires éducatives.
- Théorie du dilemme de la différence (Minow, 1990) : Nommer une différence permet de la prendre en compte, mais peut aussi renforcer la stigmatisation.
L’étude de Kashikar et ses collègues (2025) suggère plusieurs implications concrètes pour la pratique pédagogique, à différents niveaux :
- Formation des enseignants
- Sensibiliser à l’impact des labels sur les attentes implicites et explicites.
- Former à des stratégies permettant de maintenir des attentes élevées, même en présence d’un diagnostic.
- Développer une réflexion critique sur les stéréotypes liés aux troubles d’apprentissage.
- Pratiques différenciées :
- Utiliser les diagnostics comme base pour comprendre les besoins, et non comme limite au potentiel.
- Planifier un accompagnement individualisé centré sur les forces de l’élève.
- Éviter les généralisations hâtives à partir d’un label, en se basant sur des observations pédagogiques continues.
- Communication avec les élèves et les familles :
- Présenter le diagnostic comme un outil pour adapter l’enseignement, non comme une étiquette figée.
- Valoriser les progrès et les efforts plutôt que de se focaliser sur les déficits.
- Impliquer les familles dans une co-construction des parcours d’apprentissage.
- Culture scolaire et politique institutionnelle :
- Privilégier des appellations orientées vers les besoins et le soutien plutôt que celles centrées sur le déficit.
- Promouvoir une culture de haute exigence et de soutien, en évitant toute forme d’assignation durable à l’échec.
- Soutenir les équipes éducatives par des ressources et du co-enseignement pour éviter les attentes dépressives.
L’impact des étiquettes liées aux troubles de l’apprentissage sur les enseignants
Porta et Todd (2024) ont examiné le fait d’étiqueter officiellement un élève comme ayant des difficultés d’apprentissage. Leur questionnement était de voir comment cela influençait l’auto-efficacité des enseignants dans leur capacité à mettre en œuvre un enseignement différencié auprès d’élèves hétérogènes en niveau secondaire supérieur australien.
Douze enseignants du secondaire supérieur ont été suivis à travers des entretiens approfondis centrés sur la manière dont ils différencient pour des élèves avec ou sans étiquette professionnelle reconnue.
Les enseignants se considéraient comme plus efficients lorsqu’ils différenciaient un élève identifié comme ayant des difficultés par « des professionnels reconnus », comparativement à des élèves non étiquetés, mais supposés en difficulté.
L’étiquette sert de repère clair pour adapter les stratégies pédagogiques, ce qui facilite l’action didactique. En revanche, en l’absence d’étiquette, les enseignants expriment une incertitude.
La notion de « difficultés d’apprentissage » est trop vague et varie selon leur propre interprétation. Cela entraîne une diminution de l’auto-efficacité liée à des doutes sur la manière de différencier efficacement.
L’auto-efficacité des enseignants est une clé pour réussir une pédagogie différenciée au service d’élèves présentant un trouble de l’apprentissage. Une plus grande clarté dans le profil de l’élève renforce leur confiance. L’étiquette diagnostique reconnue facilite la différenciation, en rendant plus claires les adaptations pédagogiques à mettre en œuvre.
Cependant, cette facilité peut conduire à une infirmation de l’approche centrée sur l’élève. L’étiquette risque de guider la différenciation selon des stéréotypes ou des attentes standardisées, plutôt que selon les compétences réelles et individuelles de l’élève. L’étiquette fournit une orientation utile, mais risque aussi de réduire l’approche individualisée si elle n’est pas nuancée.
Pour équilibrer ces effets, il faut associer diagnostic rigoureux, formation continue des enseignants et applications pédagogiques centrées sur les compétences réelles des élèves.
L’impact du suivi sur le ressenti des élèves présentant un trouble d'apprentissage
Dans une analyse qualitative, Ambler (2025) a examiné les perceptions d’anciens élèves ayant reçu des services d’éducation spécialisée. Les résultats ont mis en évidence l’importance d’initiatives éducatives pour lutter contre les perceptions négatives des pairs et la nécessité de mieux expliquer les services d’éducation spéciale aux élèves eux-mêmes.
L’étude a également soutenu que l’étiquetage peut influencer la perception de soi de l’élève, en particulier s’il mène à une perception négative. Ces conclusions confirment que les effets psychologiques de l’étiquetage peuvent perdurer bien après la scolarité.
L’étude qualitative d’Ambler (2025) explore les perceptions d’étudiants universitaires ayant bénéficié d’un programme d’éducation individualisé en milieu scolaire primaire ou secondaire. Elle vise à documenter comment ces anciens élèves ressentent et interprètent les pratiques de soutien et les impacts de leur étiquetage diagnostique en troubles d’apprentissage.
Les participants rapportent que, bien que l’étiquetage ait permis l’accès à des services personnalisés et un soutien scolaire, ils ont également souffert de sentiments de stigmatisation. Ils décrivent comment certains enseignants ou camarades ont traité l’étiquette comme une étiquette de différence ou d’« infériorité ».
L’identité des étudiants était souvent marquée par la manière dont l’étiquette avait été présentée : certains se considèrent toujours comme « dyslexiques » ou « moins capables », même à l’université. Les participants évoquent un sentiment d’échec intériorisé, alimenté surtout lorsque l’étiquette était associée à des discours négatifs sur leur potentiel.
Les perceptions des participants varient selon la qualité des interventions pédagogiques. Lorsqu’ils ont bénéficié d’une approche inclusive et respectueuse, l’étiquette a été vécue positivement comme outil de différenciation bénéfique. À l’inverse, dans des écoles où l’étiquette était instrumentalisée pour justifier une mise à l’écart ou une baisse d’exigences, elle a renforcé des expériences d’exclusion.
La recherche d’Ambler montre que, même si l’étiquetage diagnostique en troubles d’apprentissage peut ouvrir l’accès à des ressources utiles, il reste porteur de risques psychosociaux significatifs pour les élèves. Selon la façon dont il est encadré — communication, pratiques pédagogiques, soutien empathique — il peut aussi bien constituer un facteur de mise en valeur que d’aliénation scolaire.
Bibliographie
Franz, D. J., Richter, T., Lenhard, W., Marx, P., Stein, R. & Ratz, C. (2023). The Influence of Diagnostic Labels on the Evaluation of Students: a Multilevel Meta Analysis. Educational Psychology Review, 35(1)
Kashikar, L., Lüke, T., & Grosche, M. (2025). Effects of Diagnostic Labels for Students With Learning Problems on Teachers' Stereotypes and Performance Expectations. Journal of Learning Disabilities.
Porta, T., & Todd, N. (2024). The impact of labelling students with learning difficulties on teacher self efficacy in differentiated instruction. Journal of Research in Special Educational Needs, 24(1), 108–122
Ambler, M. (2025). Labeling Learning Disabilities: A Qualitative Analysis of Former Special Education Students' Perceptions of their Educational. The Salem State Digital Repository.
Rosenthal, R., & Jacobson, L. (1968). Pygmalion in the classroom: Teacher expectation and pupils' intellectual development. Holt, Rinehart & Winston.
Becker, H. S. (1963). Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance. The Free Press.
Minow, M. (1990). Making all the difference: Inclusion, exclusion, and American law. Cornell University Press.
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