vendredi 16 mai 2025

Définir ce que signifie apprendre dans le cadre de l’enseignement

Le modèle de l’apprentissage qu’un enseignant adopte influence ses choix pédagogiques en matière de stratégies d’enseignement et peut le guider ou non vers un enseignement plus efficace.

(Photographie : dai mori)





Le projet Follow Through


Le projet Follow Through a été une expérience éducative à grande échelle menée aux États-Unis de 1967 à 1975. Elle visait à déterminer les méthodes d’enseignement les plus efficaces pour les enfants défavorisés de la maternelle à la troisième année de l’enseignement primaire. 

L’étude a porté sur plus de 79 000 enfants issus de milieux divers et répartis dans 180 communautés. Les chercheurs ont comparé différents modèles éducatifs.  

Le résultat principal du projet Follow Through qui est encore mis en avant aujourd’hui est que l’instruction directe — Direct Instruction (DI) — s’est nettement imposée comme étant une approche pédagogique particulièrement efficace. Elle a permis d’améliorer les résultats scolaires, les compétences cognitives et l’estime de soi des enfants issus de milieux défavorisés. Ce modèle d’instruction directe qui a progressivement mené au modèle de l’enseignement explicite tel qu’on le connait maintenant met l’accent sur un enseignement clair, une pratique structurée et des évaluations fréquentes.

Cette distinction de l’instruction directe s’est faite par rapport à d’autres approches pédagogiques. Si une variété d’approches pédagogiques a été testée, Follow Through a mis en évidence plus particulièrement une opposition entre : 
  • Des approches centrées sur l’élève, c’est-à-dire de pédagogie active. L’enseignement centré sur l’élève consiste à leur donner la liberté d’apprendre à leur propre rythme, de déterminer leur propre parcours d’apprentissage. L’enseignant joue un rôle de facilitateur.
  • Des approches guidées par l’enseignant, c’est-à-dire instructionniste (instruction directe). Dans le cadre de l’instruction directe, un enseignant suit un programme soigneusement structuré et souvent scénarisé, engageant tous les élèves dans les mêmes activités. L’enseignant joue le rôle de guide. 
La conclusion générale mise en évidence dans le cadre de Follow Through et dans d’autres recherches est que les élèves qui dirigent eux-mêmes leur apprentissage n’apprennent pas autant que ceux à qui l’on enseigne directement. 

Dans le cadre de Follow Through, l’approche centrée sur l’enfant n’a pas fait aussi bien que le groupe de contrôle. Dans tous les domaines, de la résolution de problèmes en mathématiques à la compréhension de la lecture, c’est le groupe « Direct Instruction (DI)
 » qui a obtenu les meilleurs résultats. 

De manière surprenante, les résultats de l’instruction directe dans le cadre du projet Follow Through n’ont pas eu l’impact auquel on aurait ou s’attendre : 
  • Premièrement, elle imposait un développement professionnel intensif pour les enseignants. Celui-ci pouvait être perçu comme contraignant pour la liberté pédagogique dans la mesure où l’instruction directe était essentiellement scriptée. 
  • Deuxièmement, l’instruction directe était en déphasage avec les conceptions idéologiques largement dominantes de l’époque (socioconstructivisme) en ce qui concerne le modèle de l’apprentissage mobilisé par l’enseignement.
À ce titre, Douglas Carnine (2000) a décrit l’éducation comme une « profession immature » parce que l’expertise est basée sur « les jugements subjectifs du professionnel individuel ». L’opinion l’a emporté sur les preuves.

Depuis Follow Through, de nombreuses données probantes n’ont pas cessé de confirmer l’impact des enseignants adoptant un enseignement explicite. Cette approche s’exprime dans des stratégies telles que la révision régulière du contenu, la vérification de la compréhension des élèves, la modélisation des processus et l’obtention d’un taux de réussite élevé.



Définir ce que signifie apprendre, pour choisir comment enseigner


La notion d’enseignement efficace repose sur une conception définie de ce qu’est l’apprentissage.

Tout le monde veut d’un enseignement efficace, mais tout le monde ne s’accorde pas sur ce qu’est l’apprentissage. La forme de pédagogie privilégiée peut varier en fonction de la définition que nous donnons à l’apprentissage.

Stanislas Dehaene (2012) définit l’apprentissage comme la formation d’un « modèle interne du monde extérieur ». Cette notion de modèle mental repose sur la disponibilité de schémas en mémoire à long terme. Ces modèles nous aident à naviguer dans le monde, à réduire les erreurs, à découvrir des possibilités. Ils nous rappellent rapidement des informations et nous permettent d’émettre des hypothèses. 

Cet apprentissage est souvent inconscient. Nous ne savons pas quand nous avons appris et nous ne savons pas ce que nous avons appris à moins d’être capables de le récupérer en mémoire à long terme. Dès lors, les élèves peuvent avoir l’impression de ne rien apprendre à l’école et même d’oublier qu’ils y ont appris de nombreuses connaissances.

Cette conception est une vue d’ensemble abstraite, distante de la pratique en classe. 

Une définition plus directe et plus pratique de l’apprentissage est celle d’un « changement dans la mémoire à long terme », mobilisée dans un article par Paul Kirschner, John Sweller et Richard Clark (2010). Elle a été introduite pour remettre en question les approches minimales d’orientation de l’enseignement. Ils la complètent de sa négation radicale : « si rien n’a changé dans la mémoire à long terme, rien n’a été appris ».

Cette définition à des implications directes pour l’enseignement en classe, mais elle demande d’être précisée. L’apprentissage ne peut être réduit à une mémorisation par cœur ou verbatim de mots. Elle est à étendre au-delà d’un apprentissage factuel. 

En fait, les deux définitions gagnent à être combinées. La définition de Paul Kirschner, John Sweller et Richard Clark (2010) étant une condition nécessaire, mais non suffisante à celle de Stanislas Dehaene.

Un changement dans la mémoire à long terme est une condition nécessaire fondamentale, car elle indique des moyens tangibles de changer ce que nous faisons. Elle nous oblige à passer de « Je l’ai enseigné : ils l’ont appris » à « Je l’ai enseigné : comment puis-je m’assurer qu’il reste en mémoire ? ». La définition de Stanislas Dehaene nous amène à vérifier le caractère fonctionnel des apprentissages.



Définir ce que ne signifie pas apprendre pour choisir comment enseigner


Rob Coe (2015) a constitué une liste d’éléments objectifs liés à l’enseignement qui sont souvent confondus avec l’apprentissage lui-même. Ces éléments sont loin d’être adéquats, ils peuvent constituer des conditions nécessaires à l’apprentissage, mais aucun des deux n’est suffisant pour que l’on puisse être certain qu’un apprentissage est en cours. 

Rob Coe les décrit comme des substituts d’apprentissage, c’est-à-dire des phénomènes qui ressemblent à de l’apprentissage, mais qui ne le garantissent pas. Ils sont en eux-mêmes souhaitables dans un contexte d’enseignement, mais non suffisants en eux-mêmes. 

Ce sont des situations objectivables lors de l’observation de l’enseignement où :
  1. Les élèves sont occupés : beaucoup de travail est effectué (en particulier du travail écrit).
  2. Les élèves sont engagés, intéressés et motivés.
  3. La classe est ordonnée, calme et sous contrôle.
  4. Le programme scolaire a été « couvert ».
  5. (Au moins certains) élèves ont fourni des réponses correctes.
Ce sont des conditions nécessaires et favorables à l’apprentissage, mais qui ne le garantissent pas. 

Rob Coe énonce comme meilleur indicateur de l’apprentissage le fait que « L’apprentissage se produit lorsque les gens doivent réfléchir sérieusement ».

Une réflexion approfondie sur des contenus pertinents qui demande de l’effort et la mobilisation des stratégies adéquates a plus de chances de se traduire en un apprentissage que ces autres situations.

La difficulté de cet indicateur est qu’il est plus difficile à objectiver. Quelles manifestations extérieures permettent d’établir avec certitude qu’un élève est engagé dans une réflexion productive ? Dès lors, « réfléchir sérieusement » ne peut être un indicateur de l’apprentissage parce qu’il est incertain de pouvoir le mettre en évidence.

Le fait de bien réfléchir est quelque chose à planifier avant le cours pour s’employer à le mettre en œuvre au sein de celui-ci. La réflexion des élèves peut être orientée par les activités que nous planifions, par les ressources qu’ils utilisent, et par nos démarches d’enseignement.

Cela nous amène à nous poser différentes questions : 
  • Comment puis-je m’assurer de l’engagement des élèves dans les tâches d’apprentissage ?
  • Comment m’assurer de maintenir les élèves occupés durant tout le cours ?
  • Quels types d’activités ou d’enchaînement leur permettront d’être persévérants et de maintenir leur attention ?
À travers cela, nous sommes amenés à réfléchir aux contenus d’apprentissage concrètement attendus : 
  • Quels sont mes objectifs proximaux en matière d’apprentissage, sur lesquels je veux faire réfléchir mes élèves ?
  • Comment puis-je amener mes élèves à y réfléchir sérieusement ?
  • Qu’est-ce qui pourrait empêcher mes élèves de réfléchir sérieusement et que pourrais-je faire à ce sujet ?
  • Quelles sources de preuves me permettront de savoir s’ils réfléchissent sérieusement ?

Mis à jour le 24/05/2025

Bibliographie


Peter Foster, What do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023

Carnine, D. (2000). Why Education Experts Resist Effective Practices (And What It Would Take To Make Education More Like Medicine). Thomas B. Fordham Foundation.

Kirschner, P. A., Sweller, J., and Clark, R. E. (2006). Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis of the failure of constructivist, discovery, problem-based, experiential, and inquiry-based teaching. Educational Psychologist, 41(2), 75–86.

Stanislas Dehaene, Le cerveau vu comme un système prédictif, 2012, https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/lecture/the-statistical-brain-the-bayesian-revolution-in-cognitive-science/le-cerveau-vu-comme-un-systeme-predictif

Coe, R. (2015). What will it take to develop great teaching? www.ibo.org/globalassets/
events/aem/conferences/2015/robert-coe.pdf 

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