
(Photographie : dollartreelobotomy)
Une vue du logiciel cognitif humain pour l’apprentissage
Le système cognitif, ou « logiciel cognitif » donne aux humains la capacité d’acquérir des connaissances. Ces connaissances sont de deux types. On parle de connaissances biologiques primaires et de connaissances biologiques secondaires (Geary, 1995, 2019 ; Sweller et coll., 2019).
Deux types de connaissances donnent lieu à deux types d’apprentissage | |
Connaissances biologiques primaires
| Connaissances biologiques secondaires
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Deux types de connaissances donnent lieu à deux types de compétences | |
Compétences générales
| Compétences spécifiques à un domaine
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Les connaissances biologiques primaires sont acquises presque instinctivement par tous les humains et s’acquièrent automatiquement. Les connaissances biologiques secondaires sont adaptées à différents contextes culturels et doivent être enseignées explicitement, ce qui nécessite des efforts et de la pratique pour atteindre la compétence.
Ces types de connaissances donnent lieu à des compétences générales et spécifiques à un domaine :
- Les compétences générales, qui découlent principalement des savoirs comportementaux, pourraient être considérées comme des « instruments contondants » parce qu’elles sont indispensables à l’apprentissage en général et qu’elles sont imprécises par nature.
- Les compétences spécifiques à un domaine découlent principalement des savoirs fondamentaux et se rapportent à des branches particulières de la connaissance ; elles sont donc plus précises par nature. Par exemple, la capacité à acquérir le langage mathématique est une compétence générale, mais l’utilisation du vocabulaire mathématique est spécifique à un domaine.
Le cas du sens des nombres
Le sens des nombres est un exemple pertinent de compétences comportementales dans le domaine quantitatif de la numératie et des mathématiques.
Le sens des nombres se rapporte à la capacité imprécise et générale de faire la distinction entre les quantités, ou de savoir ce qui est plus ou moins, plus grand ou plus petit. On pense qu’il est lié à une structure cognitive primitive connue sous le nom de « système de nombres approximatifs » (SNA) présente chez tous les animaux, y compris les humains (Pinel et coll., 2004).
D’un point de vue évolutif, il s’agit probablement d’une adaptation à la détection de sources de nourriture plus importantes (Mandelbaum, 2013).
La recherche a confirmé que le sens des nombres est présent dans la petite enfance, avant que la compréhension de la connaissance des nombres symboliques ne soit réellement développée (Cantlon et coll., 2006). En ce sens, le sens des nombres pourrait être mieux compris comme le « sens de la quantité ».
Au fur et à mesure que l’enfant grandit et que l’enseignement formel commence, les noms verbaux des nombres et les symboles visuels (nombres) spécifiques à la culture (connaissances biologiques secondaires) sont mis en correspondance avec les représentations imprécises de la quantité dans le SNA. Ce processus se produit de la même manière que celui qui assure la mise en correspondance orthographique des lettres et des sons. En mathématiques et en numératie, ce processus est connu sous le nom de « transcodage » (Krasa et coll., 2022).
Les fondements du sens biologique primaire du nombre interagissent avec les connaissances biologiques secondaires tout au long de la scolarité. Ils permettent aux individus de porter des jugements sur les quantités, de comprendre l’ordre des nombres, de reconnaître les résultats déraisonnables, d’utiliser des stratégies multiples lors du calcul mental et de sélectionner des représentations appropriées lors de la résolution de problèmes (Kalchman et coll., 2001).
Enseigner des compétences spécifiques plutôt que des compétences générales
Les connaissances biologiques primaires qu’elles soient générales ou spécifiques à un environnement ne nécessitent pas d’enseignement et s’apprennent par adaptation à l’environnement.
Les connaissances biologiques secondaires sont spécifiques et nécessitent quant à elles un enseignement.
Les compétences générales appartiennent à un cadre biologique primaire, mais peuvent avoir des déclinaisons spécifiques biologiquement secondaires qui peuvent être enseignées.
Les compétences générales ne peuvent s’enseigner directement. Il s’agit par exemple des stratégies générales de résolution de problèmes ou les compétences en matière d’esprit critique. Cependant, elles peuvent être enseignées et appliquées efficacement par les apprenants dans différents contextes spécifiques.
Par exemple, l’acquisition de compétences générales liées à l’esprit critique n’est possible que si une personne possède une « base de données » de connaissances spécifiques à un domaine dans sa mémoire à long terme.
Imaginons par exemple que nous ne possédions que des connaissances minimales en mécanique et que notre voiture tombe en panne. Même si nous disposons d’une technique de dépannage générale, nous ne pourrons identifier la cause de la panne si nous ne disposons pas d’une quantité importante de connaissances spécifiques en matière de mécanique liée aux voitures.
Il en va de même pour la révision des travaux scolaires. Dans un problème de division de fractions, un élève ne peut détecter des erreurs dans son travail sans disposer d’une base de données solide, préexistante et spécifique au domaine dans laquelle il peut puiser. Ce n’est que par le biais d’un retour d’information constant et de préférence immédiat sur sa précision que l’élève peut construire un schéma dans la mémoire à long terme. Celui-ci lui permettra en fin de compte de détecter ses propres erreurs.
Dans l’état actuel des choses, la recherche en mathématiques et en numératie atteste de la difficulté d’utiliser des compétences cognitives générales pour améliorer les compétences dans des domaines spécifiques :
- Honore & Noël (2017) ont mis en évidence que la formation à la mémoire de travail visuospatiale générale (CogMed) améliore cette capacité. Cependant, cela n’améliore pas la mémoire de travail verbale, le comptage, la comparaison de l’ordre de grandeur ou l’addition.
- Fuchs et ses collaborateurs (2019) préconisent l’enseignement du langage mathématique spécifique à un domaine plutôt que l’enseignement du langage général pour améliorer les connaissances et le développement en mathématiques.
La recherche suggère donc que la meilleure façon de développer les connaissances biologiques secondaires dans un domaine est d’enseigner explicitement comment exécuter la compétence spécifique et de s’entraîner jusqu’à ce qu’elle soit maîtrisée.
Des compétences de base jusqu’à celles liées aux tâches complexes en mathématiques
Il existe un continuum de différents types de tâches mathématiques spécifiques à un domaine, le long duquel on trouvera un nombre croissant d’éléments en interaction.
- Tâches fondamentales :
- Sens symbolique et non symbolique des nombres
- Compréhension des relations mathématiques (logique, opérations, valeur de place et système de base 10)
- Comptage (symboles numériques, séquence de mots numériques, détermination de la quantité avec des objets concrets)
- Compétences arithmétiques de base (liens entre les nombres).
- Compétences spatiales
- Tâches de calcul de base :
- Compétence en matière de calcul pour les opérations
- Compétences en matière de raisonnement par ensembles
- Problèmes de mots simples [conditions de certitude et absence d’informations non pertinentes]
- Compétence en matière de décodage.
- Compétence en matière de compréhension de la lecture.
- Capacité à représenter l’information sous forme de diagramme.
- Problèmes de mots complexes [conditions d’incertitude et présence d’informations non pertinentes]
- Stratégies pour faire face aux conditions d’incertitude telles que l’estimation et la prédiction, par exemple les probabilités et les statistiques.
- Filtrage est nécessaire en présence d’informations non pertinentes.
- Tâches « riches » du monde réel [Maîtrise requise d’un grand nombre de compétences] qui demandent la capacité à :
- Décomposer la tâche en éléments (organisation).
- Résoudre chaque élément.
- Résoudre le problème global en utilisant des capacités de raisonnement sophistiquées.
- Planifier et gérer efficacement son temps pour s’assurer que la tâche est terminée à temps.
Nécessité d’un enseignement pour les connaissances biologiques secondaires et les compétences spécifiques à un domaine
La science des mathématiques explique pourquoi les apprentissages qui sont liés à cette discipline ne peuvent se faire par immersion ou par la découverte.
L’acquisition de chaque compétence dépend de la maîtrise de toutes les compétences qui la précèdent.
En mathématiques, les tâches vont des tâches fondamentales, telles que le développement des compétences de base en matière de calcul, aux tâches « riches » du monde réel qui impliquent un niveau élevé de connaissances préalables, de fonctionnement exécutif et de raisonnement sophistiqué.
Du point de vue de la science des mathématiques, la capacité des élèves à effectuer des tâches de numératie « riches » dans le monde réel peut être l’objectif des enseignants. Cependant, l’approche est vouée à l’échec si les compétences préalables ne sont pas d’abord correctement consolidées, en raison de l’inévitable surcharge cognitive qu’elle induira.
La charge cognitive intrinsèque est la complexité d’une tâche par rapport aux connaissances de la personne qui traite l’information (Sweller et coll., 2019).
La complexité peut être comprise comme le nombre d’éléments en interaction pour la personne qui résout le problème.
Par exemple, résoudre 25 + 3 = sera probablement assez simple pour un enfant de 12 ans. La même opération extrêmement difficile pour un élève de première primaire, parce qu’il ne connaît peut-être que les nombres jusqu’à 10. Il n’est pas familier avec les symboles « + » et « = », et qu’il n’a pas de stratégie pour additionner 3 et 25.
En d’autres termes, il y a trop d’éléments en interaction qui surchargent la mémoire de travail, l’empêchant de relier ces informations à ce qu’il sait déjà sur les nombres. C’est la raison pour laquelle une approche d’immersion pour l’élève de première primaire qui a des connaissances biologiques secondaires limitées a peu de chances de réussir.
Du point de vue de l’enseignement, la charge cognitive intrinsèque ne peut être modifiée que (Sweller et coll., 2019) :
- En changeant ce qui doit être appris
- En changeant l’expertise de l’apprenant
Par conséquent, pour que les élèves soient en mesure de construire efficacement leurs connaissances biologiques primaires et d’apprendre de nouvelles matières, les tâches doivent être adaptées à leurs besoins, à leur portée. Elles doivent se situer juste au-delà de ce qu’ils savent déjà.
Grâce à l’enseignement explicite de compétences spécifiques à un domaine, avec un transfert progressif des responsabilités et des possibilités de s’exercer, les élèves seront en mesure de développer une plus grande expertise. Cela leur permettra de s’attaquer à des problèmes mathématiques de plus en plus sophistiqués (Archer et Hughes, 2010 ; Rosenshine, 2012 ; Fisher et Frey, 2021).
Des tâches authentiques et collaboratives non optimales pour les apprentissages scolaires
Une implication de l’acquisition de connaissances biologiques secondaires est que l’apprenant doit faire preuve de persévérance et d’efforts. Par conséquent, motiver les étudiants et maintenir leur engagement est l’un, voire le principal défi pour les enseignants (Alipour et coll., 2023).
Préparer les élèves à la réussite en renforçant les compétences est le meilleur moyen de faciliter l’engagement et la motivation pour acquérir les connaissances de base en mathématiques et les compétences spécifiques à un domaine (Fisher & Frey, 2021).
Pour renforcer l’engagement, de nombreux enseignants ajoutent de la complexité aux tâches sans en avoir l’intention. Ils utilisent par exemple des méthodes d’enseignement « d’immersion », telles que des tâches collaboratives riches dans le monde réel pour les élèves qui n’ont pas consolidé les compétences prérequises.
Pour les élèves mal équipés, de telles tâches sont susceptibles de surcharger la mémoire de travail, de créer de l’anxiété, d’alimenter de mauvaises conceptions de soi en mathématiques et de réduire les performances.
Dans le contexte du groupe, les élèves qui ont la capacité de s’attaquer à de telles tâches porteront inévitablement le poids de la responsabilité. Les autres ne pourront apporter qu’une contribution minimale, ce qui entraînera des inégalités.
En revanche, lorsque les enseignants utilisent des approches fondées sur des données probantes, les élèves sont en mesure d’affiner leurs schémas préexistants en vue de la maîtrise et de la réussite. Ils sont également plus susceptibles de rester motivés (Archer et Hughes, 2010 ; Rosenshine, 2012 ; Fisher et Frey, 2021).
Mis à jour le 15/05/2024
Bibliographie
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Sweller, J., van Merrienboer J. & Paas, F. (2019) Cognitive Architecture and Instructional Design: 20 Years Later. Educational Psychology Review 31:261–292 https://doi.org/10.1007/s10648- 019-09465-5
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Cantlon, J. F., Brannon, E. M., Carter, E. J., & Pelphrey, K. A. (2006). Functional imaging of numerical processing in adults and 4-y-old children. PLoS biology, 4(5), e125.
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Honore, N., & Noël, M.-P. (2017). Can working memory training improve preschoolers’ numerical abilities? Journal of Numerical Cognition, 3, 516–539.
Fuchs, L. S., Fuchs, D., Malone, A. S., Seethaler, P. M., & Craddock, C. (2019). The role of cognitive processes in treating mathematics learning difficulties. In D. C. Geary, D. B. Berch, & K. M. Koepke (Eds.), Cognitive foundations for improving mathematical learning (pp. 295–320). Elsevier Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-815952-1.00012-8
Archer, A. L., & Hughes, C. A. (2010). Explicit instruction : Effective and efficient teaching. Guilford Publications.
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