
(Photographie ; sirukotonokosukoto)
Retracer l’émergence d’un modèle fonctionnel de la mémoire pour l’enseignant
La longue évolution des modèles de l’architecture cognitive humaine n’est pas sans implication pour l’apprentissage.
Donald Broadbent (1958) a été l’un des premiers scientifiques à mobiliser la métaphore du traitement de l’information pour décrire le système de traitement attentionnel humain, qui traite les informations de manière successive.
George Miller (1957) a introduit le concept de capacité limitée de la mémoire, The Magical Number Seven, Plus or Minus Two, pour le traitement de l’information. Elle constitue un filtre sélectif agissant comme un goulot d’étranglement nécessaire pour le traitement de l’information.
Richard Atkinson et Richard Shiffrin (1968) ont proposé un modèle de mémoire à plusieurs niveaux. Celui-ci est composé d’une mémoire sensorielle où les informations provenant de tous nos sens entrent dans la mémoire. Elles peuvent passer ensuite dans une mémoire à court terme qui reçoit et retient les données de la mémoire sensorielle et active celles de la mémoire à long terme. Elles peuvent enfin arriver de la mémoire à long terme. Les informations qui ont été répétées à plusieurs reprises dans la mémoire à court terme sont stockées de façon permanente dans la mémoire à long terme.
Alan Baddeley et Graham Hitch (1974) ont proposé un nouveau modèle de mémoire qui remettait en question la vision dominante de la mémoire à court terme. Ils ont suggéré que la mémoire à court terme est composée de plusieurs éléments distincts qui fonctionnent ensemble, ce qui nous permet de conserver des informations dans notre esprit et de les manipuler. C’est ce que l’on a appelé la mémoire de travail. Dans leurs travaux initiaux, ils parlaient d’une mémoire verbale et visuelle.
Des recherches plus récentes, par exemple, celles d’Alan Baddeley et Jackie Andrade (2000) ont élargi le concept de mémoire de travail pour inclure d’autres mémoires telles que les mémoires olfactive, gustative et tactile.
Alan Baddeley et Graham Hitch (1974) ont également abordé le rôle de la mémoire à long terme dans la mémoire de travail. Ils ont noté qu’elle joue un rôle crucial dans la capacité à conserver et à manipuler des informations sur de longues périodes. Ils ont suggéré que la mémoire de travail et la mémoire à long terme sont des systèmes distincts, mais interdépendants.
Ces différentes recherches ont conduit à un modèle de mémoire largement utilisé et fonctionnellement pratique (d’après Willingham, 2021) :
Le rôle de la mémoire de travail pour l’apprentissage
La mémoire de travail est essentiellement l’espace de travail cognitif dans lequel les informations sont temporairement stockées et exploitées. Elle soutient notre capacité à rester conscients de certaines informations lors de l’exécution de tâches complexes.
Imaginons qu’on nous demande soudainement de citer des similitudes entre un smarthphone et un lave-vaisselle.
Directement, nous allons activer dans notre mémoire à long terme toute une gamme de détails pertinents sur les smartphones et sur les lave-vaisselles.
Dans un deuxième temps, nous allons évaluer ces caractéristiques pour déterminer si elles présentent des points communs.
Ce travail de traitement de l’information se déroule dans notre mémoire de travail. La capacité de la mémoire de travail est particulièrement limitée, puisqu’elle ne peut contenir que quatre à sept éléments non connectés à un moment donné.
Nous ne pouvons pas conserver beaucoup d’éléments dans notre mémoire de travail. De même, la petite quantité que nous pouvons conserver n’y reste pas très longtemps (c’est-à-dire entre 3 et 20 secondes) si rien n’est fait.
Nous allons naturellement trouver certaines analogies par élaboration, mais comme ce sont des informations nouvelles, nous allons sentir le besoin de les coucher sur le papier pour ne pas les oublier.
L’opération ne sera pas spécialement compliquée, car l’activation de connaissances sur le smartphone et de connaissances sur le lave-vaisselle représentera globalement deux éléments (chunks) de connaissance.
La même opération va devenir plus complexe si on nous demande d’identifier des attributs communs à un imperméable, un cahier, une cuillère à café, une guitare et un réfrigérateur. Notre mémoire de travail pourrait éventuellement retenir les noms de ces cinq articles, mais les détails relatifs à chaque article et les ressources cognitives nécessaires pour les évaluer collectivement dépasseraient nos limites de traitement. Cela représenterait six chunks d’information.
Un exemple en chimie de l’impact de la mémoire à long terme sur la mémoire de travail
Considérons les deux équations suivantes. La première est vraie et la seconde est fausse :
Imaginons qu’on nous présente les deux formules pendant 30 secondes chacune. Au bout d’une minute, elles sont cachées et on nous demande de les noter.
Cette expérience a été menée avec des experts et des non-experts en chimie (Zhilin & Tkachuk, 2013).
En ce qui concerne la vraie équation chimique :
- Les experts ont immédiatement reconnu que la première équation représentait une réaction dans laquelle le cyanure de sodium (NaCN) réagit avec l’eau (H2O) et le dioxyde de carbone (CO2) pour produire du carbonate de sodium (Na2CO3) et du cyanure d’hydrogène (HCN).
- Les experts se souvenaient mieux de l’équation chimique réelle que les participants novices.
En ce qui concerne la fausse équation chimique :
- Il n’y avait pas de différence significative entre les experts et les novices en ce qui concerne la mémorisation de la fausse équation.
En ce qui concerne le mode d’apprentissage des équations :
- Les novices avaient tendance à se souvenir des vrais et des fausses équations symbole par symbole, de gauche à droite, avec des erreurs croissantes dans le même ordre.
- Les experts se souvenaient de l’équation réelle dans son ensemble et pouvaient regrouper (combiner des éléments d’information plus petits et unitaires en éléments plus grands et plus significatifs), ce qui se traduisait par une mémorisation légèrement meilleure.
Ces résultats confirment l’idée :
- Les experts peuvent regrouper des informations en fonction des connaissances qu’ils possèdent dans leur mémoire à long terme.
- Les experts sont capables d’identifier des modèles dans de nouvelles situations.
- Ils combinent ou découpent des éléments de connaissance plus petits en une seule unité de connaissance.
- Ce découpage ou ce chunking (combinaison de petites unités d’information en unités plus grandes) est fonction de nos connaissances antérieures dans notre mémoire à long terme.
La mémoire à long terme assiste la mémoire de travail pendant la réflexion :
- Elle constitue un vaste dépôt au sein de notre structure cognitive qui possède une capacité apparemment illimitée de stockage d’informations.
- Elle facilite la consolidation d’éléments discrets en ensembles cohérents (c’est-à-dire en morceaux), ce qui permet d’économiser les ressources limitées de la mémoire de travail.
La première équation chimique ne contient probablement qu’un seul élément d’information pour l’expert. Cela libère de l’espace cognitif de la mémoire de travail — un raccourci cognitif — pour prendre en compte d’autres aspects de la tâche. L’apprentissage paraît ainsi plus facile, car les informations nécessaires à la réalisation de la tâche apparaissent apparemment sans effort.
Ce que nous savons déjà n’exige pas beaucoup d’effort mental. De cette manière, les experts possèdent de vastes quantités de connaissances spécifiques à un domaine. Ces connaissances leur permettent de s’attaquer à de nouveaux problèmes dans leur domaine d’expertise. Ils le font de manière plus efficace (c’est-à-dire avec plus de rapidité et de précision) que les novices (Willingham, 2021).
Des expressions clés liées au développement de l’expertise
Dans le cadre du développement de l’expertise, différentes expressions clés sont importantes :
- « Dans le domaine » :
- Un bon joueur d’échecs n’est pas un bon joueur de dames ou de go. De même, les chimistes de l’expérience ne peuvent pas faire un transfert aisé lorsqu’ils traitent un problème de géologie, et encore moins un problème lié à une langue qu’ils ne parlent pas.
- « Spécifique au domaine » :
- La compétence n’est pas générique, mais plutôt spécifique à un sujet particulier.
- « Les schémas » :
- Les connaissances sont stockées dans la mémoire à long terme dans des structures cognitives ou schémas. Les schémas peuvent être considérés comme des structures d’éléments de connaissance organisés et interconnectés comprenant des concepts, des mots et des idées.
- « L’architecture de la connaissance » (Renn, 2020)
- Les schémas peuvent également être constitués d’autres schémas, tout comme le concept d’arbre peut être expliqué en matière de racines, de tronc, de branches, de feuilles et de fruits. Chacun de ces termes peut également être décomposé, comme les nervures, la chlorophylle et les cellules d’une feuille.
Les schémas ne sont pas fixés de manière permanente. Ils prennent sens, pour nous, à partir de l’élément de connaissance que nous activons et des autres éléments que nous rappelons par lien. Les connaissances peuvent être organisées en diverses hiérarchies, formant des schémas complexes d’idées interconnectées, et servir de cintres conceptuels ou d’ancrages pour l’organisation des connaissances et l’apprentissage de nouvelles idées (Hattie, 2023).
Automatiser des connaissances préalables pour mieux apprendre
Le fait de posséder des connaissances et des compétences dans la mémoire à long terme libère un espace précieux dans la mémoire de travail. Ces ressources disponibles rendent possible le fait de s’attaquer à des tâches cognitives plus complexes telles que la résolution de problèmes, la réflexion critique et la compréhension de la lecture.
L’accent sur les connaissances fondamentales est particulièrement marqué dans l’enseignement primaire. Les élèves de l’école primaire doivent mémoriser les tables de multiplication, les additions et soustractions de base, apprendre la conjugaison des verbes, perfectionner leur orthographe ou enrichir leur vocabulaire. Acquérir des connaissances de base aidera à comprendre ce qui suivra. Tout est une question d’automatismes.
De manière apparemment contre-intuitive, les meilleurs moyens de devenir compétent dans une compétence ne ressembleront souvent pas à la compétence elle-même (Wiliam, 2018).
Par exemple, quelqu’un peut vouloir devenir compétent dans la pratique d’un instrument de musique comme le piano. Il se peut qu’il se rende compte que le fait de jouer du piano pendant des heures n’est pas le moyen le plus efficace de s’améliorer.
Un pianiste débutant voudra peut-être d’abord s’entraîner et automatiser certains mouvements de la main ou apprendre la théorie musicale.
En dehors de l’enseignement, cette compréhension subtile de l’importance de l’automaticité est bien comprise et est souvent considérée comme une condition préalable à la véritable maîtrise :
- Combien de jeunes joueurs de football passionnés pratiquent méticuleusement des techniques de dribble isolées pour réussir sur le terrain ?
- Combien d’acteurs ou de musiciens mémorisent leur texte ou leurs riffs pour pouvoir improviser sur scène ?
Au-delà de l’amélioration de la tâche pratiquée, cette approche présente l’avantage supplémentaire de conserver la « bande passante mentale ».
Mis à jour le 28/04/2025
Bibliographie
Surma, Tim & Vanhees, Claudio & Wils, Michiel & Nijlunsing, Jasper & Crato, Nuno & Hattie, John & Muijs, Daniel & Rata, Elizabeth & Wiliam, Dylan & Kirschner, Paul. (2025). Developing Curriculum for Deep Thinking: The Knowledge Revival. 10.1007/978-3-031-74661-1.
Atkinson, R. C., & Shiffrin, R. M. (1968). Human memory: A proposed system and its control processes. In Psychology of learning and motivation (Vol. 2, pp. 89–195). Academic press.
Baddeley, A., & Hitch, G. (1974). Working memory. In G. H. Bower (Ed.), The psychology of learning and motivation: Advances in research and theory (Vol. 8, pp. 47–89). Academic Press.
Baddeley, A. D., & Andrade, J. (2000). Working memory and the vividness of imagery. Journal of Experimental Psychology: General, 129, 126–145.
Broadbent, D. (1958). Perception and communication. Pergamon Press. https://doi.org/10.1037/10037-000
Hattie, J. (2023). Visible learning: The sequel: A synthesis of over 2,100 meta-analyses relating to achievement. Taylor & Francis.
Miller, G. A. (1957). Some effects of intermittent silence. The American Journal of Psychology, 70(2), 311–314.
Renn, J. (2020). The evolution of knowledge: Rethinking science for the Anthropocene. Princeton University Press.
Wiliam, D. (2018). Creating the schools our children need. Learning Sciences International.
Willingham, D.T. (2021). Why don’t students like school? A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for the classroom. John Wiley & Sons.
Zhilin, D. M. T., & Tkachuk, L. E. (2013). Chunking in chemistry. Eurasian Journal of Physics and Chemistry Education, 5, 39–56.
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