dimanche 2 mars 2025

Les mécanismes clés de la mémoire pour l’apprentissage

Comment les mécanismes de l’apprentissage tels que mis en évidence en psychologie cognitive peuvent-ils guider les pratiques d’enseignement et d’apprentissage ?


(Photographie : Bill Lane)





Une éducation éclairée par des données probantes


Les données probantes représentent les résultats de la recherche portant sur l’efficacité d’une pratique, d’une méthode ou d’une intervention pédagogique. 


  • De la recherche scientifique : études expérimentales, quasi expérimentales, corrélationnelles, revues systématiques et méta-analyses.
  • De données issues de la pratique en classe et contextuelles : données statistiques sur un système éducatif, tests internationaux…
À ce titre, elles vont associer et croiser des données quantitatives et qualitatives. 

  • L’amélioration de l’efficacité des pratiques liées à l’enseignement et à l’apprentissage.
  • D’informer la prise de décision en matière de politiques éducatives et de pratiques pédagogiques.
  • L’optimisation de l’usage des ressources disponibles.
Les données probantes sont une source d’information et d’influence parmi d’autres, ce qui peut être source de tensions liées :  
  • À la complexité de l’enseignement 
  • À l’interprétation critique de la qualité et de la pertinence des études.
  • À la résistance au changement, aux croyances et idéologies.
  • À la mobilisation du jugement professionnel et de l’esprit critique de ses utilisateurs finaux.
Dans un contexte éducatif, associés aux données probantes, d
eux autres éléments doivent être pris en compte  : 
  • L’expérience, l’expertise et le jugement professionnels des enseignants concernés.
  • Le contexte, le cadre et la culture de l’école, de même que la politique du système éducatif.

(D’après Cat Stutt, 2022)

Si nous prenons par exemple la mobilisation de la pratique de récupération (effet test), il existe un grand nombre de données issues de la recherche affirmant qu’elle est une stratégie d’apprentissage efficace. De larges sources de preuve existent, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la classe, dans le cadre scolaire et pour l’apprentissage autonome des élèves.

Les données probantes issues de la recherche dans des conditions de laboratoire doivent se retrouver en correspondance avec des preuves équivalentes issues d’expériences authentiques en classe.

L’enjeu est qu’une mise en œuvre concrète par un enseignant en classe de la pratique de récupération doit pouvoir aboutir à des résultats cohérents avec ceux issus d’un contexte expérimental plus artificiel. 

Si tel est le cas, les enseignants utilisant régulièrement la pratique de la récupération avec leurs élèves pourront observer en situation les nombreux avantages qu’elle apporte. La perception de compétence des élèves pourra s’accroître au fur et à mesure qu’ils progressent, apprennent et s’épanouissent, ce qui accroît en retour la perception de compétence de l’enseignant. 

Si les données probantes peuvent éclairer la pratique, elles n’apportent pas toutes les réponses. Elles ne pourraient pas le faire, compte tenu de la complexité du réel avec ses multiples paramètres d’influence. En effet, l’impact d’une stratégie cognitive ne peut se séparer de ses composantes motivationnelles et émotionnelles à la fois chez les enseignants et les élèves.

De plus, s’appuyer trop fortement sur les résultats de la recherche reviendrait à négliger les connaissances, l’expérience et l’expertise du terrain et la connaissance du contexte. 

Pour promouvoir la pratique de la récupération en classe, les enseignants peuvent appliquer les résultats de la recherche afin de concevoir des questions, de créer des tâches et de développer des ressources. Ce n’est pas la recherche sur la pratique de récupération qui est en mesure de leur dicter ce qu’ils doivent faire exactement dans leur contexte. Elle fournit simplement quelques principes clés à interpréter et à mettre en pratique délibérément.

Les enseignants et les directions d’établissement doivent régulièrement réfléchir à leurs pratiques d’éducation et l’adapter en fonction du contexte et des conditions de leurs classes et de leurs apprenants.

La prudence s’impose. Dans notre volonté d’amélioration rapide, de nouvelles idées ou pratiques peuvent être introduites sans que l’on prenne suffisamment en compte la manière dont les changements seront gérés et les mesures nécessaires pour maximiser les chances de réussite. Trop souvent, la mise en œuvre et l’adéquation au contexte sont négligées. Les ressources, l’organisation et la planification peuvent poser problème. En conséquence, les projets lancés avec les meilleures intentions du monde peuvent s’essouffler lorsque les écoles s’efforcent de gérer des priorités concurrentes. 

De même, des adaptations qui semblent de bon sens, apportées à une intervention ou à une pratique peuvent s’avérer létales pour l’impact escompté. Il importe chaque fois de respecter les ingrédients clés et les mécanismes à la source des bénéfices escomptés.



Encodage, stockage et récupération


Arthur W. Melton (1906 –1978) est un psychologue américain dont les travaux ont contribué à la compréhension actuelle de la mémoire. Il a notamment précisé la distinction entre mémoire à court terme (appelée maintenant mémoire de travail) et mémoire à long terme en soulignant leurs caractéristiques distinctes en matière de capacité, de durée de rétention et de processus d’encodage. 



Il a mis en évidence le phénomène d’interférence, c’est-à-dire la manière dont les informations précédemment apprises peuvent interférer avec l’apprentissage et la récupération de nouvelles informations. Il a distingué deux types d’interférences : 
  • L’interférence proactive : les anciennes informations interfèrent avec les nouvelles
  • L’interférence rétroactive : les nouvelles informations interfèrent avec les anciennes.
Plus précisément, il a contribué à distinguer trois étapes nécessaires dans le processus d’apprentissage et de mémorisation : l’encodage, le stockage et la récupération (Melton, 1963). Il a souligné l’importance de l’organisation des informations et de la création de liens entre les différentes connaissances.

La mémorisation d’informations implique trois processus consécutifs (McDermott & Roediger, 2013) : 
  • L’encodage : 
    • Nous ne pouvons encoder que des connaissances auxquelles nous sommes attentifs. Le processus d’encodage est lui-même tributaire de l’attention.
    • C’est le fait de percevoir l’information et la relier à des connaissances antérieures en mémoire à long terme grâce à la mémoire de travail.
    • L’encodage correspond au traitement des informations sensorielles (visuelles, auditives, etc.) en une forme que le cerveau peut stocker.
  • Le stockage : 
    • C’est la capacité à retenir l’information encodée dans le cerveau, que ce soit à court terme ou à long terme.
    • Le stockage implique la création de traces mnésiques, des changements physiques dans le cerveau qui représentent les souvenirs.
    • Le stockage peut être affecté par des facteurs tels que la répétition, l’émotion et le contexte.
    • Le stockage, c’est le moment où l’information est conservée dans notre cerveau. Le stockage est particulièrement sensible à l’oubli qui rend les informations stockées inaccessibles.
  • La récupération : 
    • La récupération est le processus d’accès aux informations stockées en mémoire. C’est l’acte de se rappeler de connaissances ou de souvenirs, des faits ou des expériences. C’est le fait d’accéder à l’information en mémoire à long terme et la rendre accessible pour la mémoire de travail lorsque l’on en a besoin. 
    • La récupération soutient la consolidation qui est le processus par lequel les connaissances instables et fragiles sont transformées en connaissances stables et durables.
    • Le fait d’accéder à une information en mémoire à long terme est susceptible de la transformer et de l’enrichir, ce qu’on appelle la reconsolidation. La reconsolidation est le processus par lequel les souvenirs existants sont réactivés, ce qui les rend temporairement instables avant d’être à nouveau stockés en mémoire. Ce processus permet de mettre à jour ou de modifier les connaissances existantes.

En résumé :
  • L’encodage est l’étape initiale de la mémorisation, où l’information est convertie en une forme traitable.
  • Le stockage est la mémorisation de cette information dans le cerveau.
  • La récupération permet le renforcement et la stabilisation de cette information pour une mémorisation à long terme.
Un échec peut survenir à n’importe quel stade, entrainant l’oubli ou l’apprentissage d’erreurs.

Ces trois processus sont interdépendants et essentiels pour l’apprentissage et la mémorisation, mais ils ne sont pas nécessairement considérés comme égaux en matière de valeur. 

Traditionnellement, nous avons tendance à nous focaliser sur les deux phases préalables que sont l’encodage et le stockage lors de la planification et de l’enseignement. Nous avons tendance à négliger la récupération, ce qui est une erreur.



Rôle de la mémoire de travail pour l’encodage


Pour l’apprentissage, l’encodage en est un prérequis. Yeomans et Arnold (2006) désignent l’encodage comme le processus par lequel l’information est transférée initialement dans la mémoire. 

Pour que l’information soit encodée, l’apprenant doit être attentif. L’étape de l’attention et de l’encodage ne peut pas être précipitée ou négligée en classe. Nous avons besoin de l’encodage pour pouvoir récupérer ensuite des informations en mémoire et réellement apprendre. Pour que l’information puisse être récupérée, elle doit ainsi être préalablement encodée et stockée dans la mémoire à long terme.

L’encodage n’est pas automatique. Lorsque les élèves découvrent de nouvelles informations et y sont attentifs, ils les stockent brièvement dans leur mémoire de travail. La mémoire de travail est limitée à la fois en matière de capacité et de durée. Nous pouvons y conserver qu’une quantité limitée d’informations nouvelles (trois à quatre éléments) pour une durée limitée. 

Peterson et Peterson (1959) ont étudié la durée du maintien d’informations nouvelles en mémoire de travail et les différents facteurs qui provoquent l’oubli à ce niveau. Ils ont conclu que presque toutes les informations stockées dans la mémoire de travail et non répétées sont perdues en l’espace de 18 à 30 secondes. 

Cette durée de rétention en mémoire de travail pour des informations nouvelles est affectée par : 
  • Le degré d’attention 
  • Les interférences liées à de nouvelles informations ou à des distractions
  • La répétition de l’information
  • Les liens qui se créent avec des connaissances préalables en mémoire à long terme
  • La disponibilité de l’information nouvelle sur un support extérieur
En classe, par exemple, un élève peut attendre patiemment de répondre à une question en levant la main ou d’en poser. Lorsque l’enseignant tarde à lui donner la parole, il est possible qu’il ait oublié ce qu’il comptait dire. De même, nous pouvons quitter notre espace de travail et aller chercher un objet dans une autre pièce. Nous pouvons avoir oublié ce que nous venons chercher, car quelqu’un nous a posé une question entretemps ou autre chose a attiré notre attention. 

La mémoire de travail a une faible capacité concernant les informations nouvelles et est très sensible à l’oubli. Amener des informations nouvelles à la conscience et les traiter efficacement est par conséquent souvent un défi. Or, c’est le seul moyen d’encoder des informations en mémoire à long terme.

Nous avons appris à contourner les limites de notre mémoire de travail. Il y a beaucoup de choses que nous faisons dans notre vie quotidienne parce que nous savons que nous ne pouvons pas compter sur notre mémoire de travail pour retenir certaines informations pertinentes. 

Ce sont par exemple : 
  • L’utilisation d’un marque-page pour signaler là où nous en sommes dans la lecture d’un livre
  • La rédaction d’une liste de courses pour préparer des courses au supermarché
  • L’enregistrement de numéros de téléphone dans les contacts de notre téléphone portable
  • L’usage d’un agenda pour nous rappeler nos diverses échéances.
De l’école maternelle à l’âge adulte, la mémoire de travail a un impact sur différents domaines de l’enseignement et de l’apprentissage. D’après Gathercole et Alloway (2008), un élève sur dix a une mauvaise mémoire de travail, ce qui a un effet négatif sur son apprentissage. Toutefois, il est possible de communiquer des informations et des instructions aux élèves d’une manière qui évite de surcharger leur mémoire de travail. C’est là que la connaissance du double codage et de la théorie de la charge cognitive est pertinente et peut s’avérer utile.

Selon Gathercole et Alloway (2008), il existe de nombreuses conceptions erronées sur les élèves ayant des problèmes liés à la mémoire de travail. On peut supposer que ces élèves sont paresseux ou qu’ils ne font pas d’efforts, qu’ils peuvent sembler désengagés ou manquer de motivation, et qu’ils peuvent avoir du mal à se concentrer pendant les cours. Dans certains cas, les problèmes de comportement peuvent être liés à des problèmes de mémoire de travail.

Une mémoire de travail déficiente peut avoir un impact sur la capacité des élèves à suivre les consignes ou des explications ou à suivre le rythme de la leçon. Ils peuvent être réticents à participer en classe et devenir confus, frustrés, dépassés ou perturbateurs. 



Importance de la consolidation


À la fois, l’encodage et la récupération sont liés et participent au stockage des connaissances lorsque les apprenants relient de nouvelles informations à ce qu’ils connaissent déjà. Par ce biais, ils établissent des liens entre les nouvelles connaissances et leurs connaissances antérieures. Ce sont ces liens et leur stabilité ultérieure qui représentent la consolidation de l’information en mémoire à long terme.

McDermott et Roediger (2013) désignent le stockage comme l’étape du processus d’apprentissage de la mémoire qui fait le lien entre l’encodage et la récupération. La consolidation représente la persistance de la mémoire dans le temps. Elle est rendue possible par la récupération qui est le processus d’accès à l’information stockée.

Ces liens entre stockage, récupération et consolidation sont cruciaux. Les enseignants peuvent tirer parti de ces liens lors de la planification et de la conception d’un programme d’études.

La consolidation n’est pas un évènement unique, mais répété et il inclut des transformations des connaissances par le développement de nouveaux liens et le renforcement d’autres liens, c’est ce qu’on appelle la reconsolidation. Il s’agit de convertir l’information qui est apprise en quelque chose qui a de plus en plus de sens pour l’apprenant et qui est de plus en plus interconnectée et intégrée à d’autres connaissances.

Notre mémoire est sélective quant à ce qui est encodé ou non. De Bruyckere (2018) la décrit comme agissant comme un filtre antispam. Nous devons donc répéter les points et le contenu qui doivent être encodés et rappelés plus tard en tant que souvenirs cibles. Parallèlement, beaucoup d’éléments sont filtrés et oubliés.

La consolidation est à mettre en lien avec les spécificités de la mémoire à long terme. L’objectif de l’enseignant est d’aider les élèves à transférer les informations pertinentes dans leur mémoire à long terme. La mémoire à long terme est très différente de la mémoire de travail en matière de capacité et de durée. Les limites de la mémoire à long terme sont inconnues en matière de quantité d’informations consolidées.



L’importance de la récupération pour l’apprentissage


Mise en évidence du rôle de la récupération dans l’apprentissage


Endel Tulving (1927–2023) est un psychologue canadien d’origine estonienne, reconnu comme l’un des pionniers de la psychologie cognitive.

Il a profondément influencé la recherche sur le rappel, la reconnaissance, l’encodage et la récupération en mémoire. Ses contributions à la compréhension du rôle de la récupération dans l’apprentissage sont des apports clés.

Il a mis en évidence que la récupération n’est pas un simple processus passif de lecture de la mémoire, mais une opération active et constructive qui modifie la mémoire elle-même.


1. Une distinction entre disponibilité et accessibilité


Il existe une différence entre la disponibilité et l’accessibilité d’une connaissance en mémoire (Tulving et Pearlstone, 1966) : 
  • La disponibilité fait référence au fait qu’une information est bel et bien stockée en mémoire à long terme. Elle est « disponible ».
  • L’accessibilité fait référence à la capacité de récupérer cette information au moment voulu. Elle est « accessible ».
L’oubli n’est pas toujours dû à une perte d’information (indisponibilité due à un mauvais encodage), mais souvent à une difficulté à y accéder (inaccessibilité, incapacité de récupération). 

Par conséquent, la récupération n’est pas juste une vérification de ce qui est disponible, mais un processus actif qui influence l’accessibilité future de l’information. Un bon apprentissage nécessite non seulement le stockage, mais aussi la création de bonnes « routes d’accès » pour la récupération.


2. Le principe de spécificité de l’encodage


L’efficacité de la récupération d’une information dépend de la similitude entre le contexte d’encodage (où l’information a été apprise) et le contexte de récupération (où l’information est rappelée). La récupération est optimale lorsque les conditions de récupération correspondent à celles de l’encodage. 

La récupération n’est pas un processus générique. Elle est fortement contextualisée. Pour qu’un indice de récupération soit utile, il doit avoir été encodé avec l’élément cible. Cela signifie que pour maximiser la récupération (et donc l’apprentissage), il est bénéfique que les conditions de l’étude (encodage) ressemblent autant que possible aux conditions du test ou de l’application des connaissances (récupération).

Récupérer l’information dans des contextes variés peut renforcer la robustesse du souvenir (Tulving et Thomson, 1973).


3. La distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique


Tulving a distingué deux types majeurs de mémoire à long terme : 
  • La mémoire épisodique (souvenirs d’événements vécus, associés à un contexte spatio-temporel). 
  • La mémoire sémantique (connaissances générales sur le monde, indépendantes du contexte d’apprentissage).
La mémoire épisodique est un système permettant de se replonger mentalement dans un épisode passé, un processus reposant explicitement sur la récupération. La récupération consciente de souvenirs épisodiques est qualitativement différente de celle liée à la mémoire sémantique (Tulving, 1983). La récupération de souvenirs épisodiques implique une exploration consciente de l’événement original, avec ses détails contextuels. 

La récupération de la mémoire sémantique est plus axée sur le contenu et peut être moins dépendante de ces détails contextuels. 


4. Distinction entre reconnaissance et rappel


Tulving (1985) a contribué à différencier ces deux modes de récupération :
  • Le rappel libre : récupération sans indice (ex. question ouverte).
  • La reconnaissance : récupération assistée par des indices (ex. QCM).
Reconnaissance et rappel sont des formes de récupération d’informations de la mémoire, mais ils diffèrent par la nature des indices disponibles et l’effort cognitif requis.

Le rappel libre est plus exigeant, mais renforce davantage la mémoire à long terme. C’est un processus de récupération où l’on doit reproduire activement des informations stockées en mémoire sans bénéficier d’indices ou de supports directs. C’est une tâche qui demande un effort cognitif plus important, car elle implique une recherche et une construction de la réponse.

La reconnaissance est un processus de récupération où l’individu doit identifier une information déjà rencontrée parmi d’autres stimuli. La tâche est facilitée par la présence de l’information cible elle-même (ou une version proche) agissant comme un indice.

La reconnaissance est généralement plus facile que le rappel, car elle repose sur un sentiment de familiarité et ne nécessite pas la génération active de l’information.

Tulving (1985) et d’autres chercheurs, comme Mandler (1980) et Yonelinas (2002), ont affiné la notion de reconnaissance en distinguant deux processus sous-jacents :
  • La remémoration : 
    • Elle implique un rappel conscient et contrôlé d’informations contextuelles spécifiques associées à l’item reconnu (p. ex., « Oui, j’ai vu ce mot dans la liste que j’ai étudiée hier soir, à côté du mot “pomme” »). C’est un processus plus proche du rappel en matière de profondeur.
  • La familiarité : 
    • Elle représente un sentiment de « déjà vu » ou de « connaissance » de l’item, sans rappel de détails contextuels spécifiques (p. ex., « Oui, ce mot me semble familier, je l’ai sûrement déjà vu »). C’est un processus plus rapide, automatique et moins riche en détails.
Cette distinction a montré que la reconnaissance n’est pas un processus unique et simple. Elle peut être soutenue par des processus plus profonds et épisodiques (remémoration) ou par des processus plus superficiels et sémantiques (familiarité). 

Cependant, le rappel reste un indicateur d’apprentissage plus robuste que la reconnaissance. Les tâches de rappel (par exemple, les questions à réponse courte, les essais) exigent une compréhension plus profonde et un traitement plus actif que les tâches de reconnaissance (par exemple, les QCM). 

La reconnaissance peut masquer des lacunes. Il est tentant pour les élèves de se fier à des stratégies d’étude basées sur la reconnaissance (comme la relecture passive de notes ou de flashcards avec les réponses). Ces méthodes peuvent créer une « illusion de connaissance » où le matériel semble familier, mais ne peut pas être rappelé sans indices.


Intégration de la récupération dans le processus d’apprentissage


De grandes quantités d’informations peuvent être stockées dans la mémoire à long terme, mais il ne suffit pas de les stocker. Nous avons besoin que les élèves soient capables d’accéder aux informations de la mémoire à long terme plus tard et de les récupérer, et ce rapidement, avec facilité et précision. C’est là que le processus de pratique de récupération est essentiel. Chaque fois qu’un contenu et une information déjà appris sont rappelés de la mémoire à long terme, cette mémoire est modifiée afin de pouvoir être rappelée plus facilement à l’avenir. 

Endel Tulving a déclaré dès 1991 que le processus clé de la mémoire était la récupération. Il suggère qu’il est plus important que l’encodage et le stockage. La raison en est que les êtres humains encodent et stockent d’énormes quantités de données, tout ce à quoi ils s’intéressent, mais qu’ils ne les récupèrent pas toutes (ni même la plupart). Il peut y avoir un rappel involontaire lorsque les souvenirs sont provoqués par des indices autour de nous, mais l’apprentissage implique le processus de récupération active et délibérée des souvenirs cibles dans la mémoire à long terme.

La pratique de la récupération ne doit pas être considérée comme la dernière partie du processus d’apprentissage. 

Nous voulons que les élèves soient capables de faire face à des situations nouvelles au lieu de mémoriser des solutions. Nous voulons qu’ils soient capables d’établir des liens, des connexions et de fournir des explications élaborées au lieu de simplement répéter ou régurgiter des faits, des chiffres, des citations ou des dates. Penser que la pratique de récupération se concentre sur le rappel de faits isolés, c’est se méprendre sur l’objectif et la puissance d’une pratique régulière de la récupération.




Dans un premier temps, les élèves doivent démontrer qu’ils peuvent récupérer des informations correctement et en toute confiance. Par la suite, ils doivent maintenir cette capacité, afin de s’assurer que la mémoire cible reste facilement accessible au lieu de devenir plus lente et plus difficile à rappeler. Une fois la récupération réussie, les élèves devront également appliquer leurs connaissances et les transférer dans différents contextes. Elles doivent rester accessibles dans leur mémoire à long terme, pour qu’ils puissent s’y référer ultérieurement lorsqu’ils établissent des liens entre l’apprentissage antérieur et le nouveau contenu. 


Caractéristiques de la récupération

La récupération est un mécanisme actif pour lequel nous pouvons mettre en évidence :

1. Un renforcement de la mémoire


Lorsque les élèves récupèrent activement une information, cela consolide les traces mnésiques et renforce leur accessibilité future. Cet effet est supérieur à la simple relecture passive (Roediger & Karpicke, 2006). Il s’agit d’un effort mental actif pour reconstruire ou rappeler des connaissances. On parle à son sujet d’effet de test.


2. Une amélioration du transfert


 La récupération favorise non seulement la mémorisation de faits spécifiques, mais aussi leur transfert à de nouvelles situations (Butler, 2010). En obligeant l’apprenant à reconstruire l’information, la récupération renforce la flexibilité cognitive.


3. Un effet positif de diagnostic de l’apprentissage


La récupération permet aux apprenants et enseignants d’évaluer ce qui est appris ou non, ce qui oriente les stratégies ultérieures d’étude et d’enseignement (Metcalfe, 2009). Dès lors, une rétroaction corrective est importante pour valider la récupération ou corriger les erreurs, maximisant ainsi les bénéfices (Butler & Roediger, 2008).


4. Un effet positif sur la motivation et la métacognition

La pratique de la récupération donne un retour immédiat sur la progression. Cela peut améliorer la motivation à apprendre et aider à développer des jugements plus précis sur ses propres connaissances (Agarwal et coll., 2008).


5. Une réduction de l’oubli


Des sessions répétées de récupération espacée dans le temps freinent le déclin mnésique, conformément aux effets de la pratique espacée (Karpicke & Roediger, 2007). La récupération est particulièrement puissante lorsqu’elle est combinée avec la pratique espacée (spaced practice) et l’entremêlement (interleaving). 


6. Un effet bénéfique même avec un échec partiel et sans rétroaction immédiate 


Des études ont montré que l’effet de test peut se manifester même lorsque les tentatives de récupération sont imparfaites ou échouent partiellement, et même lorsque la rétroaction n’est pas immédiate (Arnold & McDermott, 2017). L’effort cognitif de la tentative de récupération elle-même est bénéfique. 




Apprentissage ou performance


Le processus d’apprentissage est lié à une distinction essentielle entre l’apprentissage (durable) et la performance (ponctuelle). 

Les performances démontrent si les connaissances ou les compétences à apprendre peuvent être produites pendant la phase d’instruction elle-même. Toutefois, ce n’est pas toujours un indicateur fiable de l’apprentissage. 

Ce que les enseignants mesurent pendant le processus d’instruction, au cours d’une leçon, c’est la performance, mais pas (encore) l’apprentissage. L’apprentissage ne se produit que lorsqu’il y a un changement durable dans la mémoire à long terme.

La performance peut dépendre d’indices qui sont présents dans le contexte d’apprentissage, mais qui ne seront probablement pas ou plus présents à un moment ultérieur dans un contexte différent, lorsque la même compétence ou connaissance est requise. De plus, l’oubli peut se manifester après une performance initiale.

Les performances sont trompeuses. Nous pouvons être induits en erreur par nos performances actuelles : 
  • Les conditions d’apprentissage qui améliorent rapidement les performances ne favorisent souvent pas la rétention et le transfert à long terme. 
  • À l’opposé, les conditions qui créent des défis et ralentissent le rythme de l’apprentissage apparent optimisent souvent la rétention et le transfert à long terme.
D’une certaine manière, le contrôle de la compréhension lors de l’apprentissage ne permet de mettre en évidence qu’une performance. L’utilisation de la pratique de récupération au fil du temps permet par contre de soutenir et de mettre en évidence un apprentissage.

Les objectifs d’apprentissage sont un outil clé pour illustrer le rapport entre performance et apprentissage. La question est de savoir à quel moment il faut vérifier si les objectifs d’apprentissage sont maîtrisés. Les objectifs d’apprentissage mettent l’accent sur le contenu d’une leçon, mais ils doivent s’inscrire dans la durée. Les objectifs d’apprentissage doivent être récupérés après un certain temps pour s’assurer que l’apprentissage est bien occupé à se produire. Le contenu peut être utilisé avec succès au terme d’une série de leçons sur le sujet, mais il ne s’agira que d’une performance comme nous le savons, l’apprentissage se fait au fil du temps. Il est donc essentiel de revenir continuellement sur les objectifs d’apprentissage à une date ultérieure en récupérant les contenus et les compétences en rapport.

Si un observateur assiste à un cours et souhaite en savoir plus sur l’apprentissage des élèves, il doit être présent pour effectuer une tâche de récupération ou poser des questions sur l’apprentissage antérieur. Il serait même préférable que l’observateur retourne dans la même classe à une date ultérieure et pose des questions sur le contenu enseigné précédemment afin de découvrir ce dont les élèves se souviennent encore.



Bibliographie


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