lundi 13 janvier 2025

Rendre concrètes les valeurs d’un établissement scolaire dans les comportements adoptés

Lors d’une journée pédagogique, un établissement scolaire peut déterminer des valeurs qui le représentent. Le défi vient ensuite dans la mise en œuvre.


(Photographie : reality-inflicted)


L’excellence est un art qui s’acquiert par l’entraînement et l’accoutumance : nous n’agissons pas correctement parce que nous avons la vertu ou l’excellence, mais nous les avons plutôt parce que nous avons agi correctement ; « ces vertus sont formées dans l’homme par l’accomplissement des actions » ; « nous sommes ce que nous faisons de façon répétée ». L’excellence n’est donc pas un acte, mais une habitude.

Will Durant, The Story of Philosophy: The Lives and Opinions of the World's Greatest Philosophers (1926)



En tant qu’école, nous voulons agir sur les habitudes de travail de nos élèves et sur leur responsabilisation face à leur comportement.

En plus d’être des lieux où les élèves acquièrent des connaissances, les écoles ont également un rôle important pour développer les compétences socioémotionnelles des élèves et les responsabiliser en tant que citoyens.

Synthèse et développements autour de deux articles de Pritesh Raichura (2024).



Un exemple de mise en œuvre concrète d’une valeur abstraite en gestion de classe


Imaginons un cours dans l’une ou l’autre matière. Nous tendons vers la fin de celui-ci. L’enseignant circule, vérifie le travail de ses élèves et répond à leurs questions.

Les élèves sont en pratique autonome et résolvent des problèmes. Certains travaillent seuls, d’autres sont plus avancés et assurent un tutorat auprès d’élèves qui rencontrent des difficultés. L’enseignant s’arrête auprès d’un élève qui lui demande une explication. 

La cloche retentit, l’enseignant annonce la fin du cours. Les élèves se lèvent et rangent leurs affaires. À l’autre bout de la classe, malencontreusement, un élève fait tomber une boulette de papier au sol. Il regarde à gauche et à droite puis ne la ramasse pas. Il est pressé, il se dit que ça n’a pas de réelle importance. Il pense que l’enseignant ne l’a pas remarqué. Il remballe les affaires qui lui restent, ferme son sac et se dirige vers la sortie de la classe en passant à proximité de l’enseignant. 

Celui-ci, vigilant, l’arrête. Il croise son regard puis le détourne vers la boulette de papier au sol à quelques bancs de là. 

L’élève a un moment de surprise puis retourne vers son banc, ramasse sa boulette de papier par terre, la met à la poubelle et se dirige à nouveau vers la sortie.

L’enseignant lui fait un signe de la main, puis lui demande de s’approcher.
  • « Comment vas-tu, Thomas ? »
  • « Bien, monsieur ! »
  • Pourrais-tu me rappeler le sens du mot « intégrité » (une des valeurs choisies par l’établissement scolaire) ?
  • « Faire ce qu’il faut même quand personne ne regarde, monsieur ».
  • « Exact ! Maintenant, je veux que tu répondes honnêtement. Lorsque la boulette est tombée, l’as-tu vue et l’as-tu ignorée dans un premier temps ? »
  • L’élève s’arrête, réfléchit à la manière dont il convient de répondre.
  • « Ne t’inquiète pas, tu n’auras pas d’ennuis. J’aurai par contre beaucoup de respect pour toi si tu me réponds avec intégrité. »
  • « Oui, monsieur ! Je l’ai vue tomber et je l’ai laissée par terre sans raison, jusqu’à ce que vous me disiez de le ramasser. »
Ce scénario est un exemple de mise en œuvre pratique d’une valeur toute théorique. 



L’enjeu de la mise en œuvre d’une valeur en école


La mise en œuvre pratique d’une valeur abstraite dans les interactions quotidiennes concrètes au sein de l’école est la partie la plus complexe à gérer et à mettre en œuvre pour le personnel. 

Il peut être simple pour la direction de présenter les valeurs de l’école devant une assemblée d’enseignants ou d’écrire sur le sujet. De même, il est aisé pour un enseignant de parler abstraitement de leur importance ou de donner quelques exemples de leur expression devant une classe d’élèves.

Le réel défi est autre part. Il consiste à investir du temps et des efforts pour aider les élèves à vivre ces valeurs avec nous et entre eux dans le cadre de chaque interaction. Il est important de renforcer auprès des élèves l’expression de valeurs telles que l’intégrité, le respect, la politesse ou d’autres adoptées par un établissement scolaire. Il s’agit surtout de les mettre en évidence et de les expliciter lorsqu’ils les expriment dans leur comportement ou dans une interaction alors qu’ils auraient très bien pu s’en passer.

Ce sont ces moments où les valeurs se vivent concrètement que nous soulignons et qui importent le plus. Ce sont nos efforts pour les soutenir qui vont contribuer à transformer la culture et à développer de bonnes habitudes comportementales chez nos élèves. 

Il y va de l’identité professionnelle adoptée par l’enseignant sur base des valeurs correspondant à la culture de l’école. Nous devons nous employer à communiquer, à partager et à incarner le fait de vivre les valeurs de l’école, comme quelque chose qui mérite d’être célébré et admiré. Ce faisant, nous donnons aux élèves des opportunités de se sentir appartenir à la classe et à l’école, en faisant eux-mêmes l’expérience de ces valeurs. Faire appel au sentiment d’appartenance est l’un des leviers les plus puissants pour modifier les comportements. Reconnaitre l’adoption des comportements attendus avec les valeurs est un moyen de la promouvoir.



Développer de bonnes habitudes dans un cadre scolaire


Les bonnes habitudes que nous voulons inculquer à nos élèves ne sont pas là uniquement pour faciliter et favoriser les processus d’enseignement et d’apprentissage. Ce ne sont pas de simples paramètres qui influent sur le climat scolaire. Fournir des efforts, être ponctuel, rigoureux, faire preuve d’intégrité ou s’organiser pour être ponctuel et respecter les échéances sont des comportements et des qualités particulièrement utiles. Elles sont prisées dans le cadre de la réussite scolaire et ensuite de la vie professionnelle. En les valorisant et en les cultivant auprès de nos élèves au sein de l’école, nous les aidons à les acquérir.

Toutefois, il ne faut pas résumer ces bonnes habitudes à leur dimension utilitariste. Elles permettent surtout de rendre les élèves meilleurs en tant qu’êtres humains, en tant que citoyens.

Développer de bonnes habitudes, en lien avec une culture scolaire, va plus loin que de simplement gérer les comportements pour les enseignants. Nous ne voulons plus que les élèves se sentent obligés de se confirmer aux règles. Nous voulons partager de valeurs avec les élèves et en faire leur promotion. 

Les écoles ont un rôle à jouer dans le développement de bonnes habitudes en lien avec la culture scolaire.


 
Il s’agit d’envisager l’approche sous l’angle de la construction d’une culture de l’apprentissage ou de l’acquisition de bonnes habitudes de travail. Nous ne voulons pas simplement la réduire à des attentes en lien avec la gestion du comportement. Dès lors, on peut commencer à penser à autre chose qu’à tenir les mauvais comportements à distance. Nous commençons dès lors à réfléchir à la manière dont nous pouvons inciter les élèves à devenir de meilleures versions d’eux-mêmes, chaque jour.

La gestion du comportement se limite souvent à dissuader les perturbations et à assurer un comportement positif. Les récompenses, les sanctions, les règles claires ou les conséquences doivent toutes être en place, et être mobilisées avec cohérence et cohésion. 

La construction d’une culture de l’apprentissage dépend d’une excellente gestion du comportement. Elle va viser le développement d’un bon comportement positif. Penser au développement de bonnes habitudes et à une culture de l’apprentissage signifie que la gestion du comportement doit être impeccable en parallèle.

Les actions sont la clé de l’excellence. Si nous parvenons à expliquer clairement aux élèves quelles sont ces actions précises et à les renforcer continuellement, à travers chaque interaction que nous avons avec eux, alors nous pourrons commencer à construire une culture de l’excellence.



Trois principes en lien avec l’expression concrète de la culture d’école


Une fois les valeurs définies, il s’agit de les expliciter précisément dans le cadre de l’école. Pritesh Raichura propose trois principes à prendre en compte.


Le premier principe est lié aux convictions derrière les valeurs partagées


Les comportements attendus et promus doivent rencontrer les convictions des adultes. La clarté de ce que nous apprécions en tant qu’enseignant et en tant qu’école est le noyau le plus fondamental à partir duquel découlera notre conviction d’agir. 

Sans convictions, nous ne pourrons pas faire adhérer les élèves aux valeurs et ni les leur faire adopter de manière efficace. Chaque attente comportementale doit reposer sur des convictions partagées qui nous animent. 


Le deuxième principe est lié à l’ouverture à la diversité


Le deuxième principe consiste à reconnaitre que tout le monde n’est pas pareil, c’est l’ouverture à la diversité. Dès lors, les valeurs de l’école peuvent être exprimées à des niveaux plus ou moins élevés.

Pour éviter les biais subjectifs sur l’expression des comportements liés aux valeurs, nous devons décrire des critères objectifs pour les évaluer.

Pour ce faire, l’école doit disposer d’un ensemble de normes communes sur l’expression de ses valeurs (par exemple, sur le respect ou la politesse).

Par exemple, nous pouvons estimer que les élèves qui disent « Bonjour, monsieur/madame » chaque fois qu’ils croisent un enseignant dans le couloir, ou qu’ils entrent en classe. Nous souhaitons qu’ils disent « s’il vous plaît » chaque fois qu’ils font une demande et qu’ils disent « merci » lorsqu’ils reçoivent une réponse à une question. Nous voulons qu’ils disent « Au revoir, monsieur/madame » lorsqu’ils quittent un cours. Les élèves qui le font sont plus polis que les élèves qui ne se comportent pas de cette manière.


Le troisième principe est celui de l’éducabilité


Le principe de l’éducabilité repose sur la conviction que tout élève est capable d’apprendre et de se développer humainement. Il est possible de faire progresser chaque personne.

Nous pouvons aider les élèves à développer de bonnes habitudes. De nouvelles et meilleures habitudes peuvent être enseignées, pratiquées et s’ancrer. Nous pouvons apprendre aux élèves à être plus polis, plus reconnaissants, plus travailleurs et plus responsables. 



Définir précisément les comportements attendus à l’échelle de l’école


Nous devons avoir une clarté granulaire sur les comportements que nous voulons rendre habituels chez nos élèves. Le fait d’enseigner explicitement, de rappeler, d’offrir une rétroaction et de renforcer ces comportements aidera nos élèves à devenir de meilleures personnes.

Il s’agit de répondre à différentes questions : 
  • Quels sont les comportements que nous voulons rendre habituels chez nos élèves ?
  • Comment enseigner ces comportements à nos élèves ?
  • Comment renforcer ces comportements quand nous les voyons pour qu’ils deviennent habituels ?
  • Comment obtenir l’adhésion des élèves à ces attentes comportementales ?
En ce qui concerne l’adhésion des élèves, il s’agit de leur expliquer pourquoi ces comportements sont souhaitables. Nous devons inspirer les élèves à agir de manière vertueuse. Il ne suffit pas de le leur dire. Nous devons également cultiver les conditions dans lesquelles un tel comportement devient plus facile, plus probable et la norme attendue.



Motivation autonome et promotion des valeurs de l’école


Souvent, la lecture du renforcement positif et des récompenses qui peuvent l’accompagner passe à travers une lecture binaire entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque. Leur nature oppositionnelle et le fait de rattacher les récompenses à la dimension extrinsèque font qu’elles sont vues comme néfastes pour la motivation intrinsèque.

La distinction entre motivation autonome et motivation contrôlée permet d’aborder plus facilement ces questions et de voir comment elles peuvent être bénéfiques. 

Dans cette perspective, des récompenses extrinsèques peuvent contribuer à nourrir, à souligner et à soutenir une motivation autonome. 

Le renforcement et les sanctions sont remarquablement efficaces pour forger de nouvelles habitudes. Si l’on veut voir les élèves apporter tout leur matériel à l’école et respecter les échéances, on peut commencer par leur rappeler de bien s’organiser la veille pour éviter toute sanction. Cependant, au fil du temps, ils peuvent devenir davantage motivés par le renforcement et la satisfaction personnelle qu’ils obtiennent en étant engagés, rigoureux, en respectant les échéances et en remplissant les attentes. 
 
À mesure qu’ils mûrissent, ils peuvent être principalement motivés par le fait que prendre des responsabilités les aide à progresser personnellement et à améliorer leur avenir potentiel. Être organisé et rigoureux est important pour réussir et s’épanouir. 

En fin de compte, nous aspirons à ce que nos élèves soient responsables parce que cela fait tout simplement partie de ce qu’ils sont et de ce qu’ils peuvent devenir. La responsabilité doit devenir une partie de leur identité. 

Les contributions extrinsèques à la motivation autonome sont des dimensions utiles que nous pouvons mobiliser dans un contexte scolaire pour aider à développer de bonnes habitudes chez nos élèves. Cela nous permettra de les aider à développer une forme plus intrinsèque de la motivation autonome. 

Un modèle de pyramide pour la conformité aux attentes dans une optique de motivation autonome (Ark Soane Academy, Acton)

Cette évolution de la motivation au fil du temps, de plus en plus autonome, peut être représentée par la pyramide ci-dessous. Elle est utilisée à l’Ark Soane Academy, à Acton (Londres). 

L’idée d’être motivé par autre chose que le simple fait d’éviter les sanctions a été inspirée par le réseau d’écoles américain KIPP Public Charter Schools. Elle a été affinée en Angleterre par Michaela Education et par la King Solomon Academy. Elle a abouti à cette forme de pyramide.


Pour chaque comportement et chaque valeur, les élèves peuvent se trouver à une place différente sur la pyramide :




Mettre en œuvre concrètement les valeurs d’une école


Notre objectif, en tant qu’enseignant, serait d’aider nos élèves à progresser au sein de la pyramide dans l’expression de chacune des valeurs dans leurs comportements et leurs attitudes.

Nous pouvons détailler un processus général à suivre pour y arriver : 
  1. Définir clairement nos valeurs en tant qu’école.
  2. Nous montrer très clairs sur les comportements qui démontrent ces valeurs et veiller à ce que tout le personnel les connaisse.
  3. Enseigner les comportements aux élèves de manière explicite.
  4. Donner aux élèves de nombreuses occasions de manifester ces comportements. Plus ils auront d’occasions, plus les comportements deviendront habituels.
  5. Demander des comptes aux élèves et les renforcer positivement et régulièrement lorsqu’ils progressent dans l’adoption de ces comportements. 
  6. Célébrer explicitement les progrès des élèves dans la pyramide : en faire part directement aux élèves.
Le point 4 portant sur la mise en pratique est particulièrement important. Si nous ne donnons pas aux élèves l’occasion de mettre en pratique les valeurs, ils ne pourront pas s’améliorer aisément. 

Il est dès lors fondamental de définir pour chaque valeur des comportements clés objectivables, emblématiques et aisément observables dans le cadre du fonctionnement normal de l’école. Cela ne signifie pas pour autant que la valeur se limite à l’expression de comportement, mais cela permet de placer une ancre de référence. 

L’idée est d’englober dans une valeur correspondante les comportements attendus de base, comme le fait de :
  • Lever la main pour participer et attendre la parole pour répondre
  • Être attentif ou engagé dans les tâches scolaires
  • Suivre les instructions de l’enseignant du premier coup
  • Etc.
Lorsque ces comportements sont démontrés dans le cadre d’un effort manifeste des élèves, l’enseignant le souligne et les renforce positivement. Il raconte aux élèves à quel point il est formidable que cette valeur soit vécue.

De cette manière, les élèves peuvent progresser lentement mais sûrement dans la pyramide. Ils se comportent d’une manière qui nous fait apprécier nos interactions avec eux. Ce n’est pas un hasard. La culture se forge délibérément. 

Chaque membre du personnel doit travailler en cohérence et en cohésion pour y parvenir. La culture est l’ensemble de tous les comportements dans une école. Cette cohérence exige un leadership fort et une formation de haute qualité. C’est un investissement énorme. Mais elle permet de créer des élèves plus responsables, plus polis, plus aimables, plus reconnaissants et plus consciencieux.



Bibliographie


Pritesh Raichura, Building Culture: how to shape character through daily interactions, 2024, https://bunsenblue.wordpress.com/2024/08/20/building-culture-how-to-shape-character-through-daily-interactions/

Pritesh Raichura, Becoming Better People, 2024, https://bunsenblue.wordpress.com/2024/12/23/becoming-better-people/

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