(Photographie : vampvv)
Place des apports de la psychologie évolutionniste dans la théorie de la charge cognitive
La théorie de la charge cognitive a été conçue pour élaborer des procédures pédagogiques.
L’efficacité relative de ces procédures pédagogiques a été testée à l’aide d’un très grand nombre de modèles expérimentaux contrôlés et randomisés qui ont été regroupés dans de nombreuses méta-analyses.
Le succès de ces procédures pédagogiques constitue la justification ultime et la preuve de l’utilité de la théorie, dont l’enseignement explicite peut être considéré comme en étant une application directe et concrète.
Les fondements de la théorie reposent sur notre connaissance de l’architecture cognitive humaine et intègrent le domaine de la psychologie évolutionniste.
Les apports de la psychologie évolutionniste permettent de clarifier des aspects de l’architecture cognitive humaine liés à la nature des connaissances qui sont pertinents pour la conception pédagogique.
Ils fournissent des détails précédemment manquants sur les mécanismes de la cognition humaine qui sont importants pour les questions de conception pédagogique.
David Geary (Geary, 2005, 2008, 2012 ; Geary & Berch, 2016) divise les informations menant à la connaissance en deux catégories : les informations biologiquement primaires et secondaires.
Les informations biologiquement primaires
L’information biologiquement primaire est constituée de connaissances et de compétences pour l’acquisition desquelles nous avons spécifiquement évolué :
- Il s’agit d’informations essentielles au fonctionnement humain :
- Apprendre à écouter et à parler une langue maternelle
- Acquérir des compétences générales en matière de résolution de problèmes
- Généraliser des connaissances dans des contextes similaires
- Autoréguler nos processus mentaux.
- Etc.
- En raison de leur importance, toutes ces compétences s’acquièrent automatiquement et inconsciemment, et cela sans nécessiter une instruction formelle. Elles se développent par l’engagement des enfants dans des activités typiques pour notre espèce, telles que le jeu social ou l’exploration de l’environnement.
- Le développement de ces aptitudes biologiquement primaires nécessite des types d’expériences appropriés sans lesquels elles n’apparaissent pas.
- Si les compétences primaires ne peuvent pas être enseignées parce qu’elles ont déjà été apprises, les élèves peuvent apprendre qu’une compétence particulière doit être utilisée de manière spécifique dans un domaine particulier (Youssef-Shalala et coll., 2014).
Les informations biologiquement secondaires
Les informations biologiques secondaires sont des connaissances et des compétences qu’il est culturellement important d’acquérir :
- Des exemples évidents sont l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou des mathématiques.
- Bien que nous n’ayons pas spécifiquement évolué pour obtenir naturellement des connaissances dans ces domaines biologiques secondaires, nous sommes toutefois capables de le faire en fournissant un effort conscient et en étant guidés.
- Un effort est nécessaire pour les apprentissages biologiquement secondaires parce que cet apprentissage nécessite la modification de zones et de réseaux cérébraux spécifiques afin de créer des capacités académiques pour lesquelles ils n’ont pas été conçus.
- Un exemple est fourni par l’émergence, en fonction de l’enseignement, de l’aire de formation des mots visuels dans le gyrus fusiforme du cortex temporal (Schlaggar & McCandliss, 2007 ; Stevens et coll., 2017). Cette zone est normalement dédiée au traitement des visages et des objets, mais elle est modifiée pour traiter les lettres avec un enseignement suffisant.
Importances respectives des informations biologiquement primaires et secondaires
Les compétences biologiquement primaires sont fondamentales à la survie de notre espèce dans l’environnement. Elles sont bien plus importantes que les compétences biologiques secondaires, car nous ne pourrions pas survivre en tant qu’êtres humains sans elles.
Par exemple, nous ne pourrions pas survivre si nous n’utilisions pas une stratégie de résolution de problèmes de type « moyens-fins » (Newell & Simon, 1972). Par la mobilisation de cette stratégie, nous résolvons les problèmes en considérant l’état actuel du problème, et son état final. Nous recherchons des opérateurs qui nous permettront de convertir l’état actuel en état final de manière à réduire l’écart entre les deux.
Apprendre à utiliser la stratégie biologiquement primaire moyens-fins n’est pas seulement important d’un point de vue culturel. Il s’agit d’un élément central de notre existence en tant qu’êtres humains. Nous avons évolué pour acquérir cette stratégie cognitive générique, ce qui la rend inapprenable dans le cadre d’un enseignement.
En revanche, nous pouvons survivre assez bien si nous n’apprenons jamais la procédure biologiquement secondaire et spécifique au domaine des mathématiques pour résoudre le problème algébrique a/b=c et trouver la valeur de a.
Apprendre à résoudre de tels problèmes biologiquement secondaires et spécifiques au domaine est culturellement important. Cependant, nous n’avons pas évolué pour les résoudre et il faut donc nous enseigner comment le faire. La théorie de la charge cognitive s’intéresse l’acquisition de ces connaissances secondaires biologiques, spécifiques à un domaine, pour lesquelles les établissements d’enseignement et de formation ont été créés.
La nécessité de l’enseignement des connaissances biologiquement secondaires
Les activités typiques qui permettent l’acquisition des connaissances biologiquement primaires ne favorisent pas le développement de connaissances scolaires ou biologiques secondaires.
L’enseignement est essentiel à l’acquisition d’informations biologiquement secondaires pour les élèves. Presque tout ce qui est enseigné dans les établissements scolaires rentre dans ce cadre biologique secondaire. Les écoles ont été créées à cet effet.
Le contenu des programmes scolaires est considéré comme essentiel pour une société, mais n’est pas automatiquement acquis par la simple appartenance à une société. Par exemple, sans un enseignement explicite de la part des enseignants et sans effort conscient de la part des élèves, la plupart des gens n’apprennent pas à lire et à écrire.
La distinction entre les informations biologiques primaires et secondaires est essentielle pour la théorie de la charge cognitive et devrait l’être pour toute théorie relative à la conception pédagogique.
La théorie de la charge cognitive part du principe que, puisque nous avons évolué pour acquérir des connaissances biologiques primaires, il n’est pas nécessaire de les enseigner.
En revanche, les connaissances biologiques secondaires doivent être enseignées. Si elles ne sont pas enseignées par un exposé écrit ou oral délibéré, ou par une démonstration, elles ne seront généralement pas apprises.
Les connaissances et compétences biologiquement primaires peuvent être importantes dans l’enseignement lorsqu’elles sont utilisées pour améliorer l’acquisition des connaissances et compétences biologiquement secondaires (Paas & Sweller, 2012). Cependant, elles n’ont pas besoin d’être enseignées en tant que telles.
Par exemple, la compétence primaire consistant à collaborer avec d’autres personnes peut être utilisée pour acquérir des connaissances et des compétences biologiquement secondaires. De nombreuses données récentes montrent que les connaissances et compétences biologiquement primaires peuvent être utilisées pour améliorer l’acquisition de connaissances biologiquement secondaires (Ginns & King, 2021 ; Lespiau & Tricot, 2018, 2019).
Selon Ginns et King (2021), les connaissances biologiques primaires peuvent soutenir l’acquisition de connaissances biologiques secondaires, qui nécessitent un enseignement explicite pour que les novices puissent les construire. Ils ont montré que les actions de pointer et de tracer avec l’index peuvent être des formes de connaissances biologiques primaires qui peuvent aider les étudiants à apprendre des connaissances biologiques secondaires. L’incorporation de ces actions est censée avoir des avantages cognitifs, mais peut également renforcer la motivation intrinsèque pendant la leçon.
Dans leur étude, les instructions de pointer et de tracer des éléments d’une leçon sur la formation des étoiles présentée se sont traduites par une charge cognitive extrinsèque (mais pas intrinsèque) ressentie plus faible et une motivation intrinsèque plus élevée. Ces actions ont abouti à de meilleurs résultats d’apprentissage.
Améliorer les connaissances biologiquement primaires par l’enseignement
L’enseignement a également un rôle à jouer pour l’amélioration des connaissances biologiquement primaires.
Certes, nous avons évolué pour acquérir des compétences biologiquement primaires, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas apprendre à les améliorer au-delà d’un usage de base. La pratique sportive en est un exemple évident, car le niveau de performance attendu dépasse largement le niveau standard.
Si nous pratiquons une pratique sportive dans un contexte de compétition, nous apprenons à mieux la réguler et à évaluer notre état physique et mental ou celui de nos concurrents.
Un autre exemple moins évident de compétences biologiquement primaire est la capacité à résoudre des problèmes. Nous résolvons habituellement, constamment et efficacement des problèmes et autorégulons notre activité mentale, car il nous est impossible de survivre sans cela. Toutefois, la résolution de nombreux problèmes dépend de la disposition de larges connaissances spécifiques dans les domaines considérés et de l’usage de stratégies de résolution spécifiques.
De nombreuses compétences biologiquement primaires vont consister en des compétences cognitives génériques telles que la résolution de problèmes généraux ou l’autorégulation des processus cognitifs (Tricot & Sweller, 2014). Nous allons les mobiliser dans certains contextes biologiquement secondaires, mais leur amélioration sera surtout dépendante des connaissances dans ces domaines biologiquement secondaires.
Par exemple, nous pouvons imaginer d’améliorer les compétences collaboratives des élèves, mais nous procéderons en leur enseignant des stratégies spécifiques adaptées au contexte facilitant leur bonne mobilisation.
Mise à jour le 21/01/2025
Bibliographie
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