samedi 14 décembre 2024

Stratégies liées au développement professionnel des enseignants

Comment s’améliorer dans nos pratiques d’enseignement ?

(Photographie : shipsnsails)

Faire face à la surcharge cognitive en classe


Pour un enseignant débutant, se sentir dépassé par la quantité d’activités simultanées dans une classe est une expérience courante (Feldon, 2007). 

L’expérience d’une surcharge cognitive est inévitable à certains moments. Lorsque nous atteignons cette limite, nous cessons de pouvoir nous adapter efficacement à la dynamique complexe de la classe.

Avec le développement de l’expérience, cette sensation se fait de plus en plus rare. Nous atteignons de moins en moins souvent les limites de notre capacité de traitement des informations en classe.

La différence se trouve dans les modèles mentaux que nous développons, qui assurent la disponibilité de connaissances plus vastes et de processus automatisés efficaces. 

Dès lors, pour mieux gérer les limites de notre architecture cognitive, nous devons nous concentrer sur l’automatisation des comportements efficaces tout en minimisant les comportements inefficaces. Ce processus passe par le biais d’une pratique délibérée qui permet de développer de nouveaux automatismes, d’en adapter certains et d’en arrêter d’autres. Par ce processus, nous nous créons des modèles mentaux efficaces et utiles.



Adopter une démarche réflexive et s’engager dans la pratique délibérée


Pour un enseignant, adopter une démarche réflexive et réfléchir sur sa pratique est précieux. Cela permet à l’enseignant de rendre explicites les routines et les habitudes souvent implicites qu’il adopte dans sa classe. 

Pour s’améliorer, il est nécessaire d’analyser notre comportement. Nous nous employons à identifier les stratégies, les interactions, ou les dimensions que nous voulons améliorer et les mauvaises habitudes auxquelles nous souhaitons mettre un terme.  

Une fois l’objectif identifié, sa résolution passe par la pratique. Un enseignant en classe avec des élèves est perpétuellement en situation de pratique. Chaque jour, des habitudes s’installent, se renforcent, s’affinent et d’autres stagnent, voire régressent. 

Au fur et à mesure que nous reproduisions nos actions, nous enracinons nos comportements. C’est une nécessité absolue pour un enseignant. La pratique mène à l’automatisation. L’automatisation rapproche un processus de l’absence d’effort. Toutefois, automatiser n’est pas nécessairement la même chose que s’améliorer.

La pratique délibérée consiste à s’engager dans certains aspects de nos actions en classe qui sont initialement en deçà de leur niveau de performance ou d’efficacité souhaitables. 

Ces aspects peuvent être maîtrisés par la pratique lorsque nous nous concentrons sur les aspects critiques et en affinant progressivement la performance par des essais successifs accompagnés d’un retour d’information (Ericson, 2006).

Certains automatismes inefficaces sont également à déconstruire. Selon Ericson (2006), le principal défi pour atteindre une performance de niveau expert est d’induire des changements spécifiques stables qui permettent d’améliorer progressivement la performance. 

Le défi pour un enseignant isolé est double : 
  • Identifier ce qui doit changer.
  • Savoir quand le changement est suffisant pour pouvoir passer à autre chose. 



Éléments d’une pratique délibérée


La pratique délibérée implique les éléments suivants :
  • Sélectionner des comportements précis et contextualisés que nous voulons adopter avec maîtrise, de manière fluide et fréquente.
  • Pouvoir discuter avec quelqu’un de plus expert (collègue, expert, mentor, formateur, coach) qui modélisera pour nous les comportements à mettre en pratique.
  • Partir du simple vers le complexe et ne pas hésiter à commencer par des pratiques et des routines simples et ciblées. Des petits pas finissent par aboutir à des différences notables.
Parmi les pistes d’entrée, les suivantes peuvent être pertinentes : 
  • L’accueil des élèves en la classe.
  • La clôture du cours et la sortie des élèves.
  • La manière de distribuer et de récupérer des feuilles.
  • La manière de circuler et de se déplacer dans la classe.
  • L’exercice de la vigilance, après avoir donné une consigne.
  • La manière de formuler une question.
  • L’ordre dans lequel sont délivrées des instructions.
  • L’usage de stratégies liées à l’exercice de la vigilance.
  • La manière de délivrer du renforcement positif spécifique.
  • Le respect du continuum d’intervention en cas de perturbation mineure.
  • Gérer les déplacements des élèves dans le cadre d’un cours.
Il ne faut pas hésiter à parfaire la maîtrise d’un point jusqu’à ce qu’il devienne automatique et flexible, et à ne passer au suivant que lorsqu’il est pleinement acquis. Un enseignement efficace est plus que la somme de comportements spécifiques et restreints, bien mis en œuvre. C’est leur intégration qui fait peu à peu la différence.

Il est important de définir précisément le comportement attendu. Lorsque nous travaillons sur un comportement spécifique et restreint, nous devons savoir clairement à quoi nous et notre classe ressemblerons lorsque ce comportement aura été couronné de succès. 

Les critères de réussite liés à ce comportement attendu doivent être parfaitement compris : 
  1. Quel est le rôle de chaque étape de la démarche ? 
  2. Quels sont les scénarios alternatifs ?
Il importe de comprendre pourquoi nous devons atteindre ce critère de réussite et comment y parvenir. À ce stade de compréhension, il est utile d’observer un collègue qui a déjà réussi afin de mieux comprendre ce qu’est la réussite. 

Une fois le comportement défini, nous pouvons commencer à réfléchir à la manière de le mettre en pratique. Il est utile de s’entraîner dans une classe vide avec un observateur. L’explication d’une série d’étapes très spécifiques, par exemple, peut bénéficier d’une répétition en dehors du cours.

Ce qui est important à ce stade est de ne pas confondre pratique et réflexion excessive. Si nous nous mettons à trop réfléchir à une série d’instructions, cela peut devenir bloquant. Nous nous y attardons et nous nous y complaisons. De plus si nous réfléchissons trop, nous sommes trop lents et nous ne nous entraînons pas vraiment. 

Par contre, il peut être utile de transcrire un scénario à suivre avant l’entraînement et le faire valider. Nous le répétons alors devant un observateur qualifié jusqu’à ce que son exécution devienne presque automatique. Ainsi, nous commençons à rendre un processus quasi automatique lorsque nous le pratiquons en dehors du cours.

Lorsque nous le testerons effectivement en classe, nous serons donc plus à l’aise et plus proches du résultat final. Il importe par conséquent que le scénario soit réaliste.

Une fois l’entraînement réalisé, il faut encore se préparer mentalement :
  • Prendre note à un endroit visible (agenda ou post-it) de la stratégie à adopter.
  • Se dire, dire à un collègue avant le cours que nous allons travailler en classe sur une telle stratégie aujourd’hui.
Le retour d’information dans le cadre d’une pratique délibérée doit être directement lié au comportement ciblé que nous avons pratiqué et aux critères de réussite définis au départ.

Pour axer la pratique sur l’amélioration rapide, nous avons besoin d’entendre des commentaires spécifiques sur ce que nous avons pratiqué délibérément. 

La pratique est une stratégie efficace pour apporter des changements dans la classe, mais nous ne savons pas toujours ce qui doit changer. C’est pourquoi il est utile d’être parfois observé. 



Le coaching pédagogique


Un rôle important du coach, d’accompagnateur pédagogique ou du mentor, est d’aider un enseignant à s’entraîner. 

Il peut être difficile d’apprendre à enseigner parce que l’on commence tout juste à prendre conscience de ce qui se passe dans sa classe et que la surcharge cognitive n’est jamais loin.  

Un coach peut aider à résoudre ce problème en aidant à se fixer un objectif et en offrant une rétroaction sur sa mise en œuvre. Cette démarche, associée à une pratique délibérée a pour enjeu d’accroître une prise de conscience sur nos actions et sur notre comportement en classe. 

Le coaching prend la forme d’une conversation entre le coach et l’enseignant concerné, centrée sur l’amélioration de l’apprentissage et le développement professionnel. Elle permet une meilleure connaissance de soi et un sentiment de responsabilité personnelle.

Le coach facilite l’apprentissage autonome et l’engagement de la personne dans une pratique délibérée. Cela passe par le biais de questions, d’une écoute active et d’une remise en question appropriée dans un climat de soutien et d’encouragement.

Les définitions du coaching pédagogique varient selon la référence utilisée, entre une vision réactive où c’est le coaché qui apporte les idées et une vision directive où c’est le coach qui apporte les idées. Pour la dimension d’un coaching directif, nous pouvons mettre en évidence deux références :
  • Selon Knight et Nieuwerburgh, (2012). Knight, les coachs pédagogiques enseignent aux autres comment apprendre des pratiques d’enseignement très spécifiques, fondées sur des données probantes. Ils ajoutent un élément plus directif à des techniques de coaching plus traditionnelles comme le questionnement dialogique.
  • Santoyo (2016), souligne la nécessité d’une « étape d’action », une prochaine étape claire et bien définie pour l’enseignant dans son modèle du coaching pédagogique. Cette étape d’action est donnée par le coach, modélisée par le coach et ensuite pratiquée, souvent dans une salle de classe vide, par le coaché en préparation de l’événement réel.
Souvent, la formation initiale et continuée des enseignants se concentre sur ce que le formateur fait ou ferait. 

Cependant, pour optimiser notre compréhension de ce qu’est un bon enseignement, nous devons savoir comment agir nous-mêmes. Dans cette optique, il vaut la peine de s’engager dans une relation de coaching en sachant ce qui nous attend.

Le processus de coaching inclut un retour d’information à la suite d’une observation. C’est une dimension cruciale, car c’est en répondant à la rétroaction que nous pouvons nous améliorer.



Recevoir une rétroaction dans le cadre d’un coaching pédagogique


La manière dont nous recevons une rétroaction sur notre pratique d’enseignement dépend également de l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes. 

Si notre intention de départ est de devenir un très bon enseignant et que notre identité se fonde dessus, recevoir des critiques qui mettent en évidence des failles dans nos cours peut être incroyablement démoralisant.

Heen et Stone (2014) décrivent trois dimensions de blocage face à une rétroaction : 
  • Un déclencheur de vérité :
    • Nous nous sentons indignés, lésés et exaspérés, car la rétroaction nous parait erronée, inutile ou fausse.
  • Un déclencheur relationnel : 
    • Notre réaction à la rétroaction est basée sur ce que nous croyons au sujet de la personne qui l’a donnée. 
  • Un déclencheur identitaire :
    • La rétroaction nous fait nous sentir « accablés, menacés, honteux » parce que nous sommes soudainement incertains de ce que nous devons penser de nous-mêmes.
Nous pouvons bloquer sur la rétroaction en fonction de son contenu, de la personne qui la donne ou de l’impact qu’elle a sur notre identité. Le risque est de ne pas utiliser à bon escient l’information qu’elle nous procure avec un impact sur la qualité de notre travail et sur la perception de notre professionnalisme.

Il est utile d’identifier ces éléments déclencheurs de la rétroaction afin de pouvoir en tirer le meilleur parti possible. Reconnaître nos déclencheurs n’est pas la même chose qu’être capable de les gérer. 

Certaines stratégies permettent de tirer le meilleur parti du retour d’information : 
  • Rien n’est tout noir ou tout blanc :
    • Dans la profession d’enseignant, il est toujours possible de s’améliorer. Le fait qu’il y ait des améliorations à apporter ne signifie pas que nous sommes un enseignant inadéquat. 
  • Prendre un temps de latence : 
    • Il peut être utile de ne pas réagir à chaud et chercher à se défendre face aux faiblesses visées par le retour d’information, quel qu’il soit. Il ne faut pas chercher immédiatement à se justifier face à ce qui a été remarqué, même si nous avons l’impression vive qu’il y a une explication. 
  • Poser des questions :
    • Après un temps de latence, il est important de poser des questions afin de mieux comprendre la rétroaction. L’erreur serait d’attaquer la rétroaction et d’être perçu comme quelqu’un qui refuse de se remettre en question. 
    • Nous pouvons demander à l’observateur de nous réexpliquer. Nous lui demandons de donner des exemples. Nous lui demandons de donner une raison pour laquelle ce dont il parle est si important.
  • Isoler la rétroaction de son auteur :
    • Il se peut qu’il soit difficile de recevoir un retour d’information d’une personne en particulier. Cependant, nous devons échapper au risque que ce blocage ralentisse nos opportunités de progrès. Cela serait particulièrement dommageable en début de carrière.
    • S’il y a une personne dont nous redoutons de recevoir un retour d’information, nous pouvons imaginer que ce retour vient d’une personne différente que nous apprécions.
  • Reconnaître notre ressenti face à la rétroaction : 
    • Sur le moment, notre cœur peut s’emballer. Notre frustration peut être palpable à travers notre non verbal. Nous gagnons à verbaliser avec un recul réflexif la façon dont nous réagissons physiquement au retour d’information. Cette réaction est spontanée, momentanée et transitoire.
    • Peut-être que des pensées concernant la quantité d’efforts fournis et la surestimation de notre propre impression de qualité nous viennent à l’esprit et nous déstabilisent et peuvent générer le sentiment de ne pas avoir été compris. 
    • Autant que possible, nous devons montrer que nous séparons nos émotions du contenu objectif du retour d’information. Nous prenons des notes si nécessaire afin de pouvoir revenir sur la rétroaction lorsque nous aurons eu le temps d’assimiler et d’atténuer la réaction physique et émotionnelle qu’il suscite. 
  • Se recentrer sur le fait que la rétroaction vise l’amélioration :
    • Il est contreproductif de se sentir personnellement visé par la rétroaction alors que le but est de faire progresser notre maîtrise de certaines stratégies.
    • La rétroaction n’est pas une fin en soi, mais est une composante d’un apprentissage professionnel. Il doit être considéré comme une piste d’amélioration plutôt que comme un jugement.
Nous devons reconnaître notre tentative de réaliser une tâche et montrer une ouverture d’esprit sur le fait qu’il est possible de mieux faire. Nous devons être dans l’attente de clés face à quelqu’un qui possède une expertise plus large que la nôtre. En introduisant de cette manière nos attentes, nous pouvons mieux recevoir la rétroaction et nous cibler avec l’observateur sur ce que nous pouvons améliorer.
 
Si, après avoir appliqué ces conseils, nous sommes encore dans le flou avec un sentiment d’incompréhension, il est utile d’échanger à ce propos avec la personne qui donne la rétroaction. Le but est de pouvoir progresser. Si nous ne voyons pas comment faire, il reste de notre responsabilité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour tirer le meilleur parti du retour d’information. Il incombe à ceux qui donnent le retour d’information de le rendre utile, possible et productif. 



Une liste de vérification pour une mise en œuvre de son apprentissage professionnel


Le processus prend cinq étapes qui peuvent se recouvrir pour certaines ou former un cycle :
  • L’apprentissage d’un processus d’enseignement efficace demande de le comprendre. Cela impose d’accéder à un modelage qui permet de le voir en action et d’accéder à une définition précise, étape par étape, des comportements à mettre en pratique. 
  • L’apprentissage d’un processus d’enseignement demande de s’exercer avant et pendant les cours.
  • L’apprentissage d’un processus d’enseignement efficace passe par le biais d’une automatisation.
  • L’apprentissage d’un processus d’enseignement efficace bénéficie du fait de recevoir une rétroaction et de s’améliorer en réponse.
  • L’apprentissage d’un processus d’enseignement efficace demande que les observations, la pratique et le coaching se chevauchent et s’entremêlent.
Certaines étapes de ce processus demandent un plan. Il peut être utile de planifier des observations dans les deux sens :
  • Aller observer en classe un collègue qui met en œuvre la pratique d’enseignement avec succès.
  • Demander à d’autres personnes d’observer ce que nous voulons mettre en œuvre comme pratique. 
  • Dans les deux cas, prévoir un moment d’échange, de clarification et de rétroaction entre l’observateur et l’observé.
  • Une piste possible est de s’enregistrer en classe lors de la pratique ou de se filmer en dehors de la classe, occupé à la mettre en œuvre


Mis à jour le 15/12/2024

Bibliographie


Peter Foster, What do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023

Feldon, D. (2007). Cognitive load and classroom teaching: The double-edged sword of automaticity. Educational Psychologist, 42(3), 123–137.

Ericson, A. (2006). The influence of experience and deliberate practice on the development of superior expert performance. In A. Ericson (ed.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (pp. 683–704). Cambridge University Press 

Knight, J., and Nieuwerburgh, C. (2012). Instructional coaching: A focus on practice. Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice, 5(2), 100–112. 

Santoyo, P.B. (2016). Get Better Faster. John Wiley & Sons. 

Heen, S., and Stone, D.. (2014). Thanks for the Feedback. Penguin.

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