dimanche 22 décembre 2024

Soutenir le développement de schémas au primaire autour d’un corpus de connaissances fondamentales

Les années dans l’enseignement primaire sont fondatrices des apprentissages futurs, mais quelles sont leurs spécificités ?

(Photographie : Pamela Pecchio)



Le statut de novice multiple des élèves du primaire


Imaginons que nous posions les énigmes suivantes à des élèves du primaire : 
  1. Diviser vingt-six par deux, de le multiplier par le produit de trois et de deux, puis lui soustraire seize.
  2. Expliquer comment faire une vinaigrette.
  3. Déterminer un itinéraire entre la gare d’Arlon et l’Atomium pour y arriver un dimanche avant-midi.
Un adulte pourrait probablement trouver les informations nécessaires et trouver une solution en quelques minutes.

Un enfant de six ans ne le pourrait probablement pas. Un enfant de onze ans aurait probablement du mal à résoudre un ou plusieurs de ces problèmes.

Un adulte dispose d’une expertise qui lui permet d’élaborer une réponse à chacune de ces questions. Un élève du primaire peine, car il est encore novice vis-à-vis de nombreux aspects reliés. 

Nous pouvons leur montrer comment résoudre les trois problèmes individuels ci-dessus. Nous pouvons leur donner des exemples de solutions. Toutefois, il sera peu probable qu’ils soient capables de trouver des réponses à des problèmes similaires avec un degré de réussite ou de fiabilité convaincant.

En tant qu’adultes, nous sommes experts dans la résolution de problèmes multiples. Nous disposons de vastes réseaux de connaissances approfondies et interconnectées, stockées de manière fiable, dans lesquels nous pouvons puiser pour résoudre une multitude de problèmes dans les différentes disciplines.

Les enfants ne disposent pas encore de ces réseaux bien développés. Ils ne sont pas encore experts, ils sont novices. Qui plus est, ils sont novices multiples pour la majorité du contenu du programme. Un nouveau monde de connaissances biologiques secondaires s’ouvre à deux dans des matières qu’ils suivront jusqu’à la fin du secondaire.



Soutenir pas à pas le progrès du statut de novice multiple vers celui d’expert


Lorsque nous pensons spontanément aux concepts d’expert ou de novice, nous démarrons de l’image que nous avons, en tant qu’adultes, d’un véritable expert dans un domaine. Ce serait un athlète professionnel, un joueur d’échecs ou un musicien classique de renommée mondiale. Pour nous, adultes, ce sont des experts comparés à notre statut relatif de novice.

Cependant, si nous nous comparons aux élèves et considérons les matières que nous enseignons, nous sommes d’une certaine manière les équivalents de ces experts hors normes. Nous sommes l’expert dans la classe, l’adulte de référence en ce qui concerne les connaissances à acquérir. 

Par notre fonction, nous sommes chargés d’essayer de transmettre et de reproduire avec un certain degré de fiabilité certaines connaissances expertes et certains modèles de résolution de problèmes que nous possédons. Nous voulons les voir maîtrisés dans les connaissances et les compétences intégrées de nos élèves. Nous essayons de les faire progresser sur le continuum du novice vers l’expert.

Une difficulté est que les experts pensent différemment des novices. La façon dont les experts abordent les problèmes et dérivent ou créent des solutions est différente de celle des novices. Il s’agit donc d’un aspect important à garder à l’esprit lors de la planification et de l’enseignement aux enfants dans la phase primaire. Nous ne pouvons pas simplement apprendre aux élèves à raisonner comme nous. Ce serait l’impasse. Il nous faut au contraire réfléchir à la manière de les amener chaque fois à l’étape suivante et juste à l’étape suivante.

Chi, Feltovich et Glaser (1981) ont montré que les connaissances préalables d’une personne modifient la façon dont elle catégorise les problèmes. Les experts catégorisent les problèmes de manière très différente des novices : 
  • Ils possèdent davantage de connaissances dans le domaine considéré.
  • Leurs connaissances sont très bien intégrées, flexibles et interconnectées.
  • À la lecture de l’énoncé d’un problème, ils voient directement ce qu’il leur faut faire pour atteindre la solution sans devoir poser trop d’hypothèses ou investir trop de réflexion. Ils catégorisent rapidement le problème selon ses caractéristiques fondamentales.
Un novice ne va pas comprendre complètement le problème, mais seulement en surface. Il va devoir poser différentes hypothèses pour certaines erronées. Il va s’attacher à des dimensions superficielles du problème et avoir des difficultés à percevoir sa nature profonde. Il va tâtonner de manière parfois hésitante, par essais et erreurs vers la réponse. Il va devoir y investir plus de temps et d’efforts que l’expert, pour une issue incertaine. 

Cette conscience de la nécessité non seulement d’accumuler des connaissances, mais aussi d’être capable d’organiser, de classer et d’appliquer ces connaissances dans de multiples contextes nouveaux est fondamentale. Elle sous-tend toute tentative d’évolution sur le continuum du novice à l’expert.

Différentes questions s’imposent à nous :
  • Comment les novices organisent-ils et stockent-ils les nouvelles connaissances ?
  • Comment pouvons-nous utiliser ce que nous savons à ce sujet pour aider les enfants à organiser et à donner un sens à leurs nouvelles connaissances ?



Acquérir de nouvelles connaissances liées aux connaissances préalables par assimilation et adaptation


Les deux principaux processus qui interviennent lors de l’acquisition de nouvelles connaissances sont l’assimilation et l’accommodation.

Dans le cadre de l’assimilation, les nouvelles connaissances sont liées à celles que les enfants connaissent déjà. L’assimilation consiste par exemple à voir différentes espèces d’oiseaux et les considérer comme appartenant à la classe des oiseaux. 

La deuxième phase est celle de l’adaptation, au cours de laquelle le schéma des oiseaux s’ajuste et change pour reconnaître par exemple que certains oiseaux volent et d’autres ne volent pas par exemple.

Après cette adaptation, le schéma contiendra une nouvelle classification des caractéristiques des oiseaux basée sur son nouvel apprentissage. Il sait maintenant que tous les oiseaux ne volent pas. 

De nouvelles connaissances viennent se lier aux connaissances existantes. Dès lors, il est essentiel de savoir ce que les élèves savent déjà pour leur présenter les nouvelles connaissances et les nouveaux concepts, de manière à articuler activement les liens. 

Si par hasard une confusion fait que les insectes volants ou les chauves-souris sont assimilés à des oiseaux, ou que des oiseaux non volants comme les autruches ne sont pas considérés comme des oiseaux, des difficultés apparaitront. 

Il importe dès lors d’effectuer une évaluation diagnostique sur les connaissances existantes avant de démarrer l’enseignement de nouvelles connaissances en lien. 

Il est important de s’engager dans une séquence d’activation des connaissances et expériences antérieures, d’observation directe, de lien délibéré avec des conceptions erronées potentielles. Nous démarrons une réflexion sur ce qui est nouveau et sur son lien avec ce que nous savions auparavant. Nous reconnaissons le fait que la pensée des élèves va changer dans le cadre de ces processus. Toutes ces démarches doivent être délibérées de la part de l’enseignant.

La nécessité d’articuler et de rechercher activement des liens devrait être au cœur de l’enseignement dans le primaire. C’est d’autant plus important que les conceptions des élèves sont souvent naïves et reposent sur des apprentissages adaptatifs qui correspondent à des connaissances biologiques primaires.



Les spécificités des schémas chez élèves du primaire


Que devons-nous prendre en compte concernant les caractéristiques des schémas chez les novices dans un domaine ?

Les schémas des novices sont souvent fragiles, incomplets, superficiels et rudimentaires. Parallèlement, les voies neuronales sont renforcées par des utilisations et connexions multiples. Il apparait par conséquent que les connexions d’un novice ne sont pas encore sûres. 

Les élèves du primaire sont novices dans de nombreux aspects de différentes disciplines. Dès lors, leur schéma global pour toutes les matières sera relativement incomplet, superficiel et fragile. 

Tout cela a des implications pour : 
  • La charge cognitive lors de l’enseignement, car nous demandons aux enfants de se confronter avec de multiples aspects interdisciplinaires pour lesquels ils sont novices.
  • Le développement des connaissances dans tous ces domaines qui n’est probablement pas encore assuré.
Lorsque les enfants du primaire apprennent quelque chose de nouveau dans l’une ou l’autre des disciplines, ils n’arrivent pas pleinement qualifiés et compétents dans les compétences associées des autres matières. Ils arrivent en tant que novices dans de multiples domaines. Ils jonglent simultanément avec les défis et les exigences pour donner un sens à tous les éléments novices interconnectés qui leur sont associés. 

Cette situation est différente de celle des enfants plus âgés de l’enseignement secondaire, pour lesquels la maîtrise de la lecture, de l’écriture, des nombres et des connaissances générales de base sont probablement acquises.

Dans l’enseignement primaire, nous devons donc reconnaître l’interaction entre les différentes disciplines et déterminer où le soutien interdisciplinaire est susceptible d’être nécessaire. 

Des compétences implicites doivent être intégrées dans le programme et prises en compte lors de l’enseignement de toute unité de travail. L’élément central de toute unité enseignée ne sera efficace que si l’enfant réussit à acquérir les compétences nécessaires dans les domaines interdépendants. 

De plus, dans le cerveau, les schémas ne sont pas nécessairement divisés de manière nette en sujets uniques catégorisés. Il s’agit de riches réseaux d’informations, de concepts et d’hypothèses reliés entre eux, qui contiennent à la fois des informations correctes et des conceptions erronées.



Soutenir le développement des schémas chez les élèves du primaire


L’enseignement au niveau du primaire a un rôle important pour commencer à aider à organiser et à relier les schémas en développement des élèves de manière significative.

Pour aider les enfants à progresser sur le continuum du novice à l’expert, nous devons veiller à ce que leurs connaissances deviennent plus sûres. 

Pour cela, les schémas de déclenchement neuronal doivent être aussi similaires que possible afin de développer des voies sûres. Pour y arriver, nous devons nous baser sur : 
  • L’utilisation délibérée d’explications similaires et reconnaissables
  • La répétition
  • Des ressources et des diagrammes familiers
  • Les possibilités de révision.
  • Le fait que les connexions soient délibérément racontées et mises en évidence est un aspect essentiel de la pratique en classe primaire. 
Les travaux de Tonegawa et coll. (2015) soulignent que la mémorisation nécessite la réactivation d’un schéma neuronal très similaire à celui qui était actif pendant l’apprentissage (mais sans le stimulus original).

Les travaux de Donald Hebb (1949) ont également montré que l’établissement de connexions ne se fait que très rarement de manière indépendante par l’apprenant. Il a besoin qu’on lui indique les connexions. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de connexions qui se créent de manière autonome par découverte, l’apprentissage par association est fréquent. Ce que nous savons, c’est que si nous n’indiquons pas les connexions spécifiques que nous, en tant qu’experts, voulons que les enfants voient, nous laissons ces associations au hasard. Guider l’apprentissage est efficace. Cela rejoint parfaitement les idées de la modélisation (de la connaissance tacite) dans le modèle d’apprentissage cognitif de Collins et coll. (1989).

Un enseignement primaire expert se manifestera par la création de liens et de schémas cognitifs. Les travaux de Donald Hebb (1949) nous ont appris que « les neurones qui s’allument ensemble se connectent ensemble ». Pour que les enfants progressent sur le continuum du novice à l’expert, nous devons nous assurer que nous nous concentrons sur le développement de connexions fiables, utiles et mobilisables.

Cela a des implications pour : 
  • La précision du langage utilisé en classe
  • La sélection spécifique des ressources utilisées pour illustrer les concepts
  • La pratique délibérée (guidée puis autonome)
  • La pratique de récupération
  • L’entremêlement 
  • L’espacement.



Soutenir le développement d’un corpus complexe de connaissances au primaire


Dans l’enseignement primaire, l’idée serait de créer un corpus solide de connaissances et de compétences de base. Les élèves ne pourront pas aisément progresser sans elles. 

Le programme scolaire doit permettre d’identifier pour chaque matière les connaissances et les compétences de base essentielles que les enfants devront maîtriser et automatiser. L’idée est que grâce à elles, ils développent les connaissances et les compétences qui seront à la base de la réussite future dans la matière en question. 

Ces éléments peuvent être moins nombreux que ceux contenus dans l’ensemble du programme scolaire, mais ils constituent les aspects fondamentaux de la matière qui, s’ils ne sont pas assurés, empêcheront les progrès et la maîtrise. 

Une fois que ces aspects sont identifiés dans le programme de l’école, l’enseignant du primaire peut axer son enseignement sur la maîtrise et la compétence dans ces domaines. 

Si nous reconnaissons que le passage du novice à l’expert repose initialement sur la maîtrise et la garantie d’une base de connaissances solide, nous devons préciser de quelles connaissances il s’agit. 

Il s’agit également de tenir compte du statut de novice multiple et des exigences accrues qui en découlent en matière de charge cognitive et de ressources cognitives. 

Ce statut de novice multiple nous donne la possibilité d’établir des liens multiples et significatifs à travers le programme. Les leçons planifiées doivent être potentiellement allégées et centrées sur le contenu, mais riches en connexions articulées.


Mis à jour le 23/12/2024

Bibliographie


Emma Turner, Inititium, 2023,  Initium: Cognitive science and research-informed primary practice, John Catt

Chi, M. T. H., Feltovich, P. J., & Glaser, R. (1981). Categorization and representation of physics problems by experts and novices. Cognitive Science, 5(2), 121– 152. https://doi.org/10.1207/s15516709cog0502_2

Tonegawa S, Pignatelli M, Roy DS, Ryan TJ. Memory engram storage and retrieval. Curr Opin Neurobiol. 2015 Dec;35:101-9. doi: 10.1016/j.conb.2015.07.009. Epub 2015 Aug 14. PMID: 26280931.

D.O. Hebb : The Organization of Behavior, Wiley: New York; 1949 

Allan Collins, John Seely Brown, Susan E. Newman, Cognitive Apprenticeship : Teaching the Crafts of Reading, Writing, and Mathematics, 1989, Routledge

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