mardi 24 décembre 2024

Mener à bien et de manière effective des conseils de classe

Au cours des conseils de classe de fin d’année scolaire, les enseignants du secondaire sont amenés à prendre collectivement une décision concernant la réussite, l’échec ou l’orientation de leurs élèves. Si une majorité des situations peuvent être claires, pour certains élèves, le cas est tangent. Une délibération et une discussion entre enseignants où des arguments sont échangés mènent à une prise de décision souhaitée la plus objective possible.
(Photographie : Lacey Terrell)



Janneke et ses collègues (2022) se sont intéressés à la prise de décision faite par les enseignants lors de conseils de classe aux Pays-Bas. Ils ont observé différents types de schémas de structure et d’interactions typiques lors des conseils de classe. Ils ont analysé leur impact sur l’objectivité ressentie et apparente des décisions prises par les enseignants. Ils en ont déduit des recommandations pour les écoles.

Voici une synthèse de leurs travaux : 

Le mentor aux Pays-Bas est l’équivalent du titulaire en Belgique et du professeur principal en France.



Un continuum pour les schémas de structure des débats en conseil de classe


Cinq structures typiques qui caractérisent le déroulement d’un conseil de classe ont été mises en évidence. Chaque structure représente une discussion de plus en plus longue placée sur un continuum, avec progressivement davantage d’étapes nécessaires pour prendre une décision :
  • Le schéma de structure simple
  • Le schéma de structure à deux versions successives 
  • Le schéma de structure lié à l’émergence d’une contreproposition
  • Le schéma de structure de la conclusion retardée
  • Le schéma de structure de l’indécision
Les différences entre ces structures s’expliquent principalement par :
  • Le type de leadership : l’ouverture d’une discussion par le mentor ou le représentant de la direction peut influencer grandement la structure de la discussion
  • La justification de la proposition et de l’argumentation :
  • Une proposition peu claire, voire absente, entraîne plus d’étapes et de changements lors de la discussion.
  • Une proposition claire et justifiée suggérée par le mentor est plus efficace.
Nous allons maintenant passer en revue ces cinq schémas de structure. 



Le schéma de structure simple


Dans le schéma de structure simple, le débat est relativement court. Il dure en moyenne cinq minutes. La plupart des enseignants s’accordent avec les arguments fournis. Dès lors, il faut peu de temps et d’étapes pour aboutir à une décision. 

Le mentor fait une proposition puis trace un portrait de l’élève qui parait assez complet. Peu de perceptions différentes sont partagées par les enseignants. La plupart ou tous les arguments sont déjà connus des enseignants. 

Plus la préparation et la proposition du mentor semblent complètes et détaillées, moins les réactions des autres enseignants paraissent nécessaires pour aboutir à une décision.

Lorsque la discussion répond à ce schéma de structure, le mentor semble s’être bien préparé et avoir préalablement consulté différentes sources. Par exemple, il a été informé anticipativement par différents collègues concernés. Il s’est entretenu avec l’élève ou ses parents. Il a consulté le système de suivi des élèves (absences, notes de comportement). 

Le mentor dispose ainsi de tous les éléments nécessaires pour dresser un portrait clair et précis, convaincant et réaliste de l’élève. 

Parfois, le mentor ne fait que faire le compte-rendu d’une discussion qui avait déjà eu lieu lors d’un conseil de classe antérieur, l’évolution de la situation de l’élève venant le confirmer.

Dans ces situations, une véritable discussion n’est pas nécessaire.



Le schéma de structure à deux versions successives


La durée de la discussion est plus longue (durée moyenne de 9 minutes). L’élément typique est un changement d’orientation de l’argumentation qui se produit au cours de la discussion. 

Habituellement, le mentor ou le représentant de la direction démarre la discussion sur un élève en exprimant une proposition ou une question, et en fournissant parfois des arguments en appui pour la discussion. 

Cette proposition ou question d’introduction est suivie des réactions des enseignants participants. Au cours de cette étape, il apparait que des informations ou certains arguments manquaient pour se faire une idée complète de l’élève. 

Ceux-ci sont introduits dans la discussion par l’un ou l’autre des intervenants, ce qui apporte un point de vue différent sur la situation et entraîne de nouvelles réactions, positives ou négatives.

Un des arguments nouveaux amenés dans cette discussion devient décisif. La procédure de prise de décision est alors lancée et une décision est prise. Le reste de la discussion est généralement assez court après le changement d’orientation.

Toutefois, il convient de noter que la proposition faite en début de réunion peut jouer le rôle d’ancre et influencer la décision finale. 



Le schéma de structure lié à l’émergence d’une contreproposition


Dans ce cas (durée moyenne de 7 minutes), une nouvelle proposition vient remplacer la proposition initiale. 

Le point de vue du mentor n’est pas partagé par ses collègues et il est impossible de parvenir à un accord. Le constat se fait que la proposition initiale ne convient pas à l’élève en question. Il faut par conséquent qu’émerge une contreproposition.

Une proposition alternative est alors suggérée par le mentor ou l’un des autres enseignants. La séquence des étapes peut varier selon les discussions au sein de ce schéma de structure. La discussion peut se dérouler pour une grande part soit avant ou soit après l’émergence de la contreproposition. 

Ce scénario apparait principalement lorsqu’une image incomplète ou peu claire d’un élève était esquissée au départ, et lorsque de nouveaux arguments ou faits sont présentés. Les cas sont souvent complexes, par exemple avec des problèmes sous-jacents d’ordre personnel, psychologique, familiaux, de la santé ou liés à des difficultés d’apprentissage.



Le schéma de structure de la conclusion retardée


La durée moyenne de ce schéma de fonctionnement est de cinq minutes. Dans ces discussions, l’étape finale, la procédure de décision, est relativement longue. 

Le cas d’un élève est discuté. Différents arguments sont partagés. La procédure de prise de décision est alors entamée, mais n’aboutit pas à une conclusion et à une clôture de la discussion. 

La discussion rebondit avec de nouvelles réactions des autres participants. Ces enseignants n’avaient pas encore eu l’occasion d’exprimer leur opinion ou n’ont fourni qu’ensuite des informations et des arguments importants qui n’avaient pas été pris en compte au départ. De nombreuses questions concernant la situation de l’élève affleurent à ce moment-là. 

Typiquement, ce scénario concerne des échanges dans lesquels le leadership n’était pas très strict et où les interventions ou les arguments sont peu structurés. La procédure de prise de décision n’est pas claire ou commence trop tôt, ce qui entraîne un redémarrage des discussions.



Le schéma de structure de l’indécision


Dans ce schéma de structure, les changements d’orientation dans les discussions se succèdent. La discussion est longue (9 minutes en moyenne), son déroulement est chaotique. La couleur est annoncée par une ouverture désordonnée. 

Les discussions commencent sans introduction, sans proposition ou sans question appropriée. Dans la plupart des cas, le mentor semble mal préparé. Il est effacé lors dans la discussion.

L’absence de structure et de leadership donne la possibilité à tous les enseignants de participer au hasard, dans le désordre et de présenter tout argument qu’ils jugent pertinent. 

Par conséquent, de nombreux arguments différents sont énoncés, et le centre d’intérêt de la discussion doit souvent faire l’objet d’un recentrage à plusieurs reprises. 

Une question est soulevée ou un argument apparemment pertinent était énoncé, mais ils ne sont pas discutés plus avant, car une nouvelle remarque est déjà mentionnée par quelqu’un d’autre. 

Des passages à vide apparaissent caractérisés par des anecdotes, des commentaires personnels et des blagues, le tout sans but précis. Des questions peuvent aussi être posées concernant la procédure, ce qui à nouveau déplace le centre de la discussion.

Les discussions sont longues et décousues. Elles peuvent être interrompues ou abrégées parce que le temps vient à manquer. Le groupe peut n’avoir pas conclu la discussion avant que les procédures de prise de décision ne soient lancées par l’intervention d’un membre de la direction.



Un continuum de formes d’interactions pour le conseil de classe


Quatre formes d’interactions placées sur un continuum ont été mises en évidence : 
  • L’interaction ouverte
  • L’interaction sérielle
  • L’interaction limitée
  • L’interaction conflictuelle ou dysfonctionnelle. 
Pendant l’interaction ouverte ou sérielle, une interaction essentiellement fonctionnelle peut être observée : les discussions sont caractérisées par des réactions constructives, peu d’interruptions et une participation élevée. 

L’interaction dysfonctionnelle (par exemple, les interruptions et les plaintes) se produit souvent pendant les discussions où l’interaction est limitée ou conflictuelle. Le conflit pourrait théoriquement mener à une discussion positive de résolution, mais il semble associé à un comportement et à des réactions négatives.

Nous allons maintenant passer en revue ces quatre formes d’interactions.



L’interaction ouverte


Dans le cas de l’interaction ouverte, les participants sont libres de répondre les uns aux autres et à la proposition ou à la question posée au début.

Après la formulation d’une proposition, les enseignants sont invités à partager leurs opinions, expériences ou conseils concernant l’élève. Comme il n’y a pas de règles d’interaction explicites et que tout le monde peut se joindre à la discussion, de nombreux enseignants participent à la discussion. 

Cela permet de faire émerger des discussions approfondies, dans lesquelles un grand nombre d’enseignants (au moins la moitié) participent et peuvent intervenir plus d’une fois.

Les déclarations sont à la fois positives et négatives. Différents arguments et opinions sont partagés pour dresser collectivement un tableau complet de la situation de l’élève. Une fois toutes les opinions entendues, le représentant de la direction ou le mentor résume généralement l’argumentation et tire une conclusion.

L’interaction implicite et non verbale est principalement positive. Bien que la discussion soit ouverte et que tous les participants puissent répondre à la proposition, les enseignants s’écoutent les uns les autres et laissent tout le monde participer à la discussion.

L’argument décisif est énoncé au cours de la discussion par l’un des enseignants ou le mentor, après quoi les autres sont d’accord et la procédure de décision peut commencer.

Différents types d’argument peuvent se révéler décisifs. Cependant, le comportement combiné aux capacités de l’élève représente le plus souvent l’argument crucial pour déterminer la réussite de l’élève.



L’interaction sérielle


Dans cette situation, l’interaction semble relativement stricte. Après la proposition ou la question du début, les enseignants sont invités à répondre directement. L’animateur de la discussion demande aux enseignants, un par un, de répondre à une question ou une proposition spécifique et s’assure que les participants ont la possibilité de s’exprimer.

Soit tous les enseignants participent à la réunion, soit spécifiquement ceux qui enseignent des matières spécifiques liées à la décision à prendre concernant l’élève.

Les membres du groupe sont nombreux à participer. Cependant, ils n’ont qu’une possibilité limitée de répondre, et le nombre de tours de parole est inférieur à celui des discussions ouvertes. Les participants sont alertes et actifs pendant ces réunions, prêts à partager leur opinion lorsqu’on le leur demande.

L’argument décisif est souvent mentionné au début. Le mentor demande ensuite directement leur avis sur les capacités de l’élève. Il y a moins de place pour d’autres arguments ou digressions.



L’interaction limitée


L’interaction peut être très limitée et restreinte. Ce type de discussion est assez strict avec un rôle clair pour l’animateur de la discussion qui prend une position dominante. Après la présentation de la proposition, seul un nombre limité de réponses est demandé ou même possible. Tous les enseignants ne sont pas impliqués dans la discussion ou n’ont pas l’occasion de partager leurs opinions. 

Parfois, il s’agit de faire des déclarations, de confirmer ou d’acquiescer plutôt que d’inviter à réagir. Dans ce type d’interaction, il semble difficile de partager des opinions divergentes. Les enseignants qui voulaient dire quelque chose de particulier peuvent être ignorés. Un ou deux enseignants dominent, rendant difficile la participation des autres. Certains de ces autres enseignants sont clairement découragés de se joindre à la discussion. Ils peuvent soupirer, s’adosser les bras croisés ou regarder leur écran d’ordinateur, se distanciant ainsi de la discussion.

Ces discussions étaient généralement courtes, laissant peu de place aux anecdotes ou aux échanges d’arguments. La communication non verbale et les attitudes étaient notables. 

L’argument décisif était généralement énoncé au début de la discussion par le mentor ou le membre de la direction, et porte généralement sur les notes de l’élève. Les enseignants semblent hésiter à exprimer des idées et des arguments contrastés. Ils acceptent dans la majorité des cas la proposition du mentor.



L’interaction conflictuelle ou dysfonctionnelle


Une interaction négative et conflictuelle peut se manifester. Une interaction ouverte ou en série permettait à chacun de s’exprimer. L’interaction limitée se caractérise par le peu de possibilités de s’exprimer.

La principale caractéristique de ce dernier type d’interaction est le conflit négatif. Cela se traduit par une interaction dysfonctionnelle avec de nombreuses interruptions, des participants qui s’écoutent à peine, des enseignants qui prennent le dessus, et parfois une atmosphère négative. Certains enseignants peuvent demander la parole, mais être ignorés par l’animateur de la discussion. 

L’interaction passe aléatoirement des arguments aux questions sur la procédure, puis aux opinions personnelles, ce qui rendait difficile de suivre une ligne claire dans l’argumentation.

Au cours de ces discussions, la personne dont la voix était la plus forte est entendue. C’est la loi du plus fort. Le rôle du mentor n’est pas clair, et il peut être supplanté par des collègues dominants. Les enseignants sont rarement invités à participer, il est facile de ne pas se joindre du tout à la discussion.

La manière dont la discussion aboutit à un argument décisif n’était pas claire. Un argument peut être mentionné par l’un des enseignants ou le mentor, après quoi les autres sont d’accord ou non. À un moment donné, une décision doit être prise (parfois par manque de temps), même si la discussion n’est pas réellement terminée.



Facteurs influençant l’évolution d’un conseil de classe


Premièrement, la prise de décision en groupe est très variable. Les décisions dépendent de l’apport des différents membres de l’équipe et de la variété des perspectives et des idées au sein d’un groupe.

Deuxièmement, les animateurs de discussion peuvent avoir un grand impact sur la prise de décision en structurant la réunion et en suivant des règles explicites. 
  • Lorsque les règles ne sont pas claires et que l’ouverture du conseil de classe n’est pas structurée, les règles rappelées et le cadre installé, les discussions sont souvent chaotiques et désordonnées. 
  • Lorsqu’une structure n’est pas fournie, les enseignants peuvent être moins engagés et se retirer complètement de la discussion. 
Troisièmement, les types d’interaction mis en évidence confirment que le rôle d’un participant et la place qu’il occupe influencent le type d’interaction entre les enseignants. Un participant peut avoir tendance à être dominant ou se montrer hésitant à contribuer.

Si dans certains cas les groupes d’enseignants évitent les conflits et les discussions critiques dans d’autres, des conflits et des discussions animées apparaissent. C’est par exemple le cas lorsque certains enseignants dominent la discussion, décourageant ainsi les autres de participer.



Conditions propices à la prise de décisions objectives en conseil de classe


Des décisions sont considérées comme objectives lorsqu’elles sont jugées acceptables, transparentes et équitables.

Par conséquent, il importe que ces décisions :
  • Soient bien motivées ce qui les rend acceptables pour les élèves.
  • Suivent une procédure claire, ce qui rend l’atteinte de la décision transparente.
  • Abordent toutes les situations d’élèves à discuter de la même manière : ce qui rend les décisions équitables. 
Ces facteurs tendent à être respectés dans le cas de l’interaction ouverte ou sérielle en combinaison avec la structure simple ou à deux versions successives.

Dans ces situations, le mentor prépare consciencieusement son conseil de classe en récoltant consciencieusement et en synthétisant les informations à sa disposition. Chaque enseignant se voit donner l’occasion de répondre à une proposition et de discuter de ses idées. Dans ces discussions, l’interaction est fonctionnelle. La proposition est claire et l’argumentation est bien étayée.

Ce type de fonctionnement rend les procédures transparentes. Les décisions semblent plus acceptables et justes, car les procédures étaient respectées et les critères d’attribution sont cohérents. 

D’autres situations par contre conduisent à des discussions pour lesquelles l’acceptabilité, la transparence et l’équité ne sont pas respectées et où la prise de décision semble variable, peu claire et injuste pour les élèves.

En particulier, la combinaison de l’interaction conflictuelle et du schéma de structure lié à l’indécision devrait être évitée. Elle semble principalement entraîner une interaction dysfonctionnelle et une frustration chez les enseignants, tant au niveau du processus que des résultats. Le déroulement de ces discussions n’est pas transparent, car l’objet de la discussion change de façon aléatoire. De même, tous les informations et arguments nécessaires à une décision objective ne peuvent être partagés. Les décisions qui en ressortent ne sont pas acceptables, car les arguments et les propositions ne sont guère étayés. 

Pendant l’interaction conflictuelle comme pendant l’interaction limitée, la décision est influencée par un petit groupe d’enseignants dominants où les autres peuvent être bloqués ou ignorés, ce qui peut affecter l’équité de la décision.



Recommandations pour la prise de décisions objectives en conseil de classe


Premièrement, une proposition bien préparée et étayée par le mentor ou le représentant de la direction constitue la base idéale d’une discussion structurée et mène par-là à l’acceptabilité de la décision. 

Deuxièmement, afin de renforcer l’équité du processus de prise de décision, les animateurs de la discussion doivent impliquer tous les enseignants à tour de rôle dans la discussion et permettre l’émergence des diverses opinions. 

Troisièmement, la transparence de la décision est assurée lorsqu’elle repose sur des procédures explicites qui sont similaires dans chaque conseil de classe et pour chaque élève. 

Un programme de développement professionnel destiné aux enseignants et axé sur ces implications peut aider à prendre des décisions plus objectives. Les enseignants pourraient discuter de la manière de mettre en œuvre ces recommandations dans leurs conseils de classe. Les enseignants pourraient également être encouragés à déterminer les éléments positifs d’interaction et de structure de leurs conseils de classe et les éléments à améliorer.


Mis à jour le 26/12/2024

Bibliographie 


Janneke P. W. Sleenhof, Marieke C. G. Thurlings, Maaike Koopman & Douwe Beijaard (2022) The role of structure and interaction in teachers’ decision making during allocation meetings, Teaching Education, 33:3, 332–354, DOI: 10.1080/10476210.2021.1909557

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