dimanche 29 décembre 2024

L’importance de la mobilisation effective des stratégies d’apprentissage efficaces

Les notes mesurent la réussite et valorisent l’excellence. Elles ne doivent pas être là pour rétribuer les efforts, mesurer la bonne volonté ou la talent des élèves. Digression et compte-rendu au départ d’un article d’Adam Grant (2024).

(Photographie : Kamil Bialous)





L’impact des recherches sur l’état d’esprit de développement sur l’accent mis sur l’effort


Il ne suffit pas de fournir des efforts et persévérer pour réussir. Il est nécessaire de le faire, mais pas suffisant. Certains élèves peuvent s’attendre à être récompensés pour la quantité de leurs efforts au-delà de la qualité de leurs connaissances.

Cette situation peut être l’effet de croyances erronées qui accompagnent certains discours tenus aux élèves et de l’usage de stratégies motivationnelles inadaptées en guise de soutien. 

Comme l’ont avancé Mueller et Dweck (1998), historiquement, on tendait à considérer généralement que l’éloge des capacités a des effets bénéfiques sur la motivation. Contrairement à cette croyance populaire, différentes études ont démontré que l’éloge de l’intelligence avait des conséquences plus négatives sur la motivation des élèves que l’éloge portant sur l’effort. 

Il s’est avéré, par exemple, que des élèves de cinquième année du primaire, félicités pour leur intelligence :
  • Se souciaient par la suite davantage d’objectifs de performance que d’objectifs de maîtrise, que leurs condisciples félicités pour leurs efforts. 
  • Après un échec, ils ont également fait preuve de moins de persévérance et de plaisir dans l’exécution de la tâche. 
  • Ils se sont fait plus d’attributions de faible responsabilité face à la tâche et d’attentes de moins bonnes performances que les enfants félicités pour leurs efforts. 
  • Ils décrivaient davantage leur intelligence comme un trait fixe que les enfants félicités pour leur travail, qui pensent qu’elle peut être améliorée.
Ces résultats, et toute la mouvance autour de l’état d’esprit de développement ont amené à privilégier l’effort dans la rétroaction.

Lorsque des parents ou des enseignants offrent un retour d’information aux apprenants, il existe presque une inhibition liée au fait d’aborder la question des capacités. Le fait de féliciter les enfants pour leurs capacités ou au contraire de pointer certaines déficiences nuirait à leur résilience, les rendant plus susceptibles de se décourager ou d’abandonner lorsqu’ils rencontraient des difficultés. Ils risqueraient de développer un état d’esprit fixe avec toutes les conséquences néfastes à la clé. Ils pourraient penser que le succès dépendait d’un talent inné et qu’ils n’avaient pas ce qu’il fallait. 

Pour persévérer et apprendre face aux défis, les enfants doivent croire que les compétences sont malléables. La meilleure façon de favoriser cet état d’esprit semble être de passer de l’éloge de l’intelligence à l’éloge de l’effort.



Les limites d’une rétroaction qui valorise le goût du travail


Le danger d’une rétroaction qui met l’accent sur l’effort et élude la question des capacités est que les élèves peuvent finir par penser qu’en travaillant dur, tout le monde peut réussir. Dès lors, le fait de fournir des efforts devrait être suffisant pour réussir.

Malheureusement, il existe des limites à la toute-puissance de l’effort. Même si finalement tout le monde peut théoriquement tout apprendre, avec les efforts, le soutien et le temps nécessaire, la réalité ne trompe pas. Le temps disponible, la volonté, la mobilisation des bonnes stratégies ou la motivation peuvent faire défaut, et malgré tous les efforts fournis, la réussite peut ne pas être au rendez-vous. 

Ce à quoi, il importe que chacun soit attentif est l’effort est un moyen et non une finalité. Il ne s’agit pas de minimiser ou de minoriser l’effort. 

Récompenser l’effort permet de cultiver une solide éthique du travail et de renforcer l’apprentissage. Le goût de l’effort est important à cultiver. Eisenberger (1992) a montré que l’effort récompensé contribue à des différences individuelles durables en matière d’assiduité à la tâche. Le renforcement des performances physiques ou cognitives, ou de la tolérance à une stimulation aversive, conditionne la valeur de la récompense à la sensation d’un effort important. Il réduit le caractère aversif de l’effort. Le conditionnement de la valeur de la récompense secondaire à la sensation d’effort fournit un mécanisme dynamique par lequel la performance élevée renforcée se généralise à travers les comportements. 

La difficulté avec le goût de l’effort est qu’il soit une contribution importante à la réussite, il n’est qu’une part de l’équitation de la réussite.



La question du biais de naturalité face à l’effort


Le biais de naturalité est la tendance à préférer les personnes qui semblent avoir un talent naturel pour obtenir certaines performances, sans efforts apparents, aux personnes qui obtiennent les mêmes performances par des efforts et un travail assidu. 

Dans trois études, Tsay, C.-J. (2016) montre que les individus ont tendance à ignorer des personnes mieux qualifiées au profit de personnes apparemment naturelles.

Le biais de naturalité nous incline à favoriser ceux qui semblent avoir des compétences innées, éclipsant souvent le travail acharné et la progression continue de ceux qui s’investissent avec acharnement. Or, ce que montre l’état d’esprit de développement est l’intelligence, les capacités et les compétences peuvent être potentiellement développées et améliorées par le biais d’un travail acharné, d’efforts et d’apprentissages.

Le biais de naturalité est connu plus largement dans d’autres domaines comme « appel de la nature ». C’est un biais cognitif qui consiste à attribuer une plus grande valeur ou vertu à des choses perçues comme naturelles ou conformes à l’ordre naturel des choses. Ce préjugé suppose que si quelque chose est considéré comme « naturel », il est intrinsèquement meilleur, plus sûr ou moralement supérieur aux choses considérées comme artificielles, synthétiques ou fabriquées par l’homme. Les élèves aiment percevoir qu’ils peuvent arriver à des résultats sans trop d’efforts et valorisent ceux qui réussissent sans fournir trop de travail.

Toutefois, la perception du caractère naturel d’un élément n’est pas nécessairement en corrélation avec sa sécurité, son efficacité ou sa valeur éthique. Ce biais peut conduire à des idées fausses, car tout ce qui est naturel n’est pas intrinsèquement bon, et tout ce qui est artificiel n’est pas intrinsèquement mauvais.

Face au biais de naturalité, l’effort doit être valorisé. Il doit être valorisé comme moyen, de manière à contrer le biais de naturalité. C'est particulièrement le cas dans un cadre scolaire ou l’établissement de connaissances durables impose un travail régulier et conséquent. 



Des tendances inhérentes au biais de naturalité


Le biais de naturalité est particulièrement sensible aux éléments suivants : 
  • La perception d’une performance en absence d’effort : 
    • Nous avons tendance à admirer et à valoriser les personnes qui semblent réussir sans effort ou naturellement. 
    • Cette perception peut nous amener à considérer leurs réalisations comme plus authentiques et innées, en attribuant leur succès à un talent inhérent.
  • La présomption de compétence : 
    • Lorsqu’une personne excelle sans effort apparent, nous pouvons supposer qu’elle possède un niveau supérieur de compétences ou d’aptitudes. 
    • Cette hypothèse peut nous amener à apprécier davantage ses talents et à penser que son succès est bien mérité.
  • Le biais de confirmation : 
    • Une fois que nous qualifions quelqu’un de « naturel », nous recherchons inconsciemment des preuves qui confirment cette perception, tout en minimisant les signes de difficulté ou d’effort qu’il peut manifester parallèlement.
  • Les stéréotypes : 
    • La valorisation d’un talent sans effort peut influencer nos jugements et nous amener à négliger le travail acharné et la persévérance de certaines personnes en difficulté.
    • Nous pouvons considérer les personnes qui font des efforts comme moins talentueuses ou moins capables, même si leurs réalisations sont tout aussi impressionnantes, voire le sont plus.



Réussite = Efforts x Stratégies


Pour éviter le piège de l’effort et du biais de naturalité, il existe une petite formule toute simple popularisée par Steve Bissonnette et ses collègues (2010). 

Réussite = Efforts x Stratégies

En acceptant d’investir les efforts nécessaires (E) pour améliorer ses stratégies (S), une personne peut ainsi réussir (R).

Cette formule ne vise pas un point d’arrivée comme la réussite d’un examen, mais elle est avant tout transformatrice. Elle amène à privilégier en tout temps une pratique délibérée.

C’est en enseignant explicitement aux élèves comment s’y prendre et en leur demandant de fournir l’effort d’appliquer les stratégies enseignées qu’on peut le mieux les aider à réussir.

La valeur d’un individu n’est pas seulement définie par son éthique du travail. Le fait de travailler dur ne garantit pas que l’on fasse du bon travail.

L’autre dimension de l’équation tient de la mobilisation et de la maîtrise de stratégies adéquates.

Récompenser l’effort ne rend pas service aux élèves. Lorsque de nombreux élèves s’attendent à être récompensés pour la quantité de leurs efforts plutôt qu’essentiellement pour la qualité de leurs connaissances, quelque chose ne fonctionne pas.

Le danger de la valorisation de la persévérance par-dessus tout est que cela peut inciter les élèves à s’en tenir à de mauvaises stratégies d’apprentissage au lieu de s’employer à en maîtriser de plus efficaces. Dans le cas des élèves, l’exemple type est de passer des nuits blanches avant les évaluations au lieu d’étaler leurs études sur plusieurs jours et d’aboutir à des résultats décevants même si pas en échec. 

Parallèlement, des élèves peuvent fournir des efforts, mais sans réussir et en adoptant les mauvaises stratégies. Ils peuvent toutefois rejeter la faute sur l’enseignant qui a mal enseigné, qui a demandé une charge de travail déraisonnable, imposé des normes trop difficiles ou des politiques de notation injustes. 

La valorisation du travail pour le travail est une impasse comme peut l’être le biais de naturalité. Ce qui compte in fine c’est la mobilisation des stratégies recommandées par l’enseignant pour maîtriser les objectifs d’apprentissage qui bénéficient d’un enseignement. 

Les enseignants et les parents doivent aux élèves un message équilibré : 
  • L’effort importe, car il est un moyen essentiel pour atteindre une réussite. 
  • Cependant, ce n’est pas l’effort en lui-même qui compte. Ce sont les progrès et les performances qui en résultent.
  • Comme l’effort, la motivation n’est qu’une des multiples variables de l’équation de la réussite. Les capacités, les opportunités et la chance comptent également. 
  • La réaction idéale à une note décevante n’est pas de se plaindre que les efforts n’ont pas été récompensés. Il s’agit de se demander comment on aurait pu obtenir un meilleur retour sur investissement. 
  • Souvent, la manière d’utiliser le temps et les efforts est la variable cruciale. Il faut travailler en mobilisant les bonnes stratégies au bon moment. 
Tout enseignant devrait encourager ses élèves à réussir. La meilleure manière dont il puisse agir est d’enseigner à ses élèves en dehors des contenus de matière des stratégies efficaces pour l’apprentissage. Les points ne sont pas accordés pour l’effort en soi, mais par la maîtrise de la matière. 



Mis à jour le 30/01/2024

Bibliographie


Adam Grant, No, You Don’t Get an A for Effort, 2024
https://www.nytimes.com/2024/12/26/opinion/school-grades-a-quantity-quality.html

Mueller, C. M., & Dweck, C. S. (1998). Praise for intelligence can undermine children's motivation and performance. Journal of Personality and Social Psychology, 75(1), 33–52. https://doi.org/10.1037/0022-3514.75.1.33

Eisenberger, R. (1992). Learned industriousness. Psychological Review, 99(2), 248–267. https://doi.org/10.1037/0033-295X.99.2.248

J.D. Meier, Naturalness Bias: We Judge Naturals to Be Superior to Strivers, 2023, https://sourcesofinsight.com/naturalness-bias/

Tsay, C.-J. (2016). Privileging Naturals Over Strivers: The Costs of the Naturalness Bias. Personality and Social Psychology Bulletin, 42(1), 40-53. https://doi.org/10.1177/0146167215611638

Bissonnette, S., Richard, Gauthier, C. et Bouchard, C. (2010). Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire ? Résultats d’une méga-analyse. Revue de recherche appliquée sur l’apprentissage.

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