À la lumière de l’appartenance humaine, les smartphones ont un impact dévastateur sur la connectivité, le bonheur et le bien-être des élèves.
Un des facteurs majeurs est que les élèves accordent de plus en plus d’attention à leur téléphone et de moins en moins à ceux qui les entourent. Synthèse d’une réflexion de Doug Lemov et ses collègues sur cette question (2022)
(Photographie : evelynhollow)
Connexion et isolation en lien avec l’usage des smartphones en école
L’adoption massive des smartphones a transformé le tissu social de la vie des jeunes, même lorsqu’ils ne les utilisent pas activement.
Les moments d’interaction informelle, où se construisaient autrefois les liens et la communication entre les jeunes et leurs parents, leur famille élargie ou leurs amis, comme les dîners en famille ou les temps de trajets, sont maintenant gommés. Ils sont souvent marqués par un très faible contact visuel et d’autres signaux d’appartenance. Ils impliquent beaucoup plus de scrolling et de temps d’écran.
Ce sont les activités sans écrans qui aident les adolescents à se sentir moins seuls. Or, ces interactions et l’antidote qu’elles pourraient offrir sont dégradés. Lorsqu’elles utilisent leur téléphone, les personnes ne sont là qu’à moitié là et si elles sourient, c’est à propos de quelque chose qui a traversé leur écran. Il est facile d’ignorer quelqu’un ou de s’ignorer mutuellement à l’aide d’un smartphone.
Ce phénomène peut affecter également la vie et la culture des établissements lorsque l’usage du smartphone est toléré. Dans les lieux communs de l’école, les élèves peuvent se retrouver régulièrement à utiliser leur smartphone, ce qui diminue la fréquence des interactions verbales et non verbales entre eux.
Or la reconnaissance verbale et non verbale est un moteur de l’appartenance et du bien-être en école. Les gens reçoivent moins de contacts visuels et la confirmation réciproque qu’ils attendent les uns des autres. Entrer dans un lieu et ne recevoir aucune réponse perceptible parce qu’une majorité de personnes est sur son smartphone est une expérience déconcertante et se révèle être source d’anxiété pour tout le monde. Pour les adolescents, qui sont particulièrement sensibles à leur place dans le monde, l’impact peut être encore plus désastreux.
Créer un rempart face aux smartphones en école
Dans un cadre scolaire, il semble naturel de vouloir limiter le temps que les jeunes passent sur leur téléphone. Toutefois, il y a lieu de considérer la démarche comme un transfert d’une activité vers une autre. En effet, il est important de noter que certaines utilisations du temps passé loin de ces appareils semblent plus bénéfiques au bien-être des jeunes que d’autres.
Dès lors, il est également essentiel de garantir des expériences qui engagent et qui connectent pleinement lorsque les élèves sont éloignés de leur téléphone afin de les reconnecter.
Il y a l’idée de se déconnecter du smartphone pour s’interconnecter humainement dans la réalité. Des interactions fortes peuvent contrecarrer certaines des conséquences néfastes de l’utilisation des médias sociaux sur le sentiment d’isolement.
Un élément important est de pouvoir distinguer entre un temps « sans téléphone » et un temps «
sans téléphone et dans un cadre psychologique propice à la communication ».
Trois types d’actions distinctes permettent de mettre un rempart face à l’envahissement du smartphone :
- La restriction
- Il est irréaliste de penser que nous reviendrons un jour à l’époque où les smartphones n’existaient pas encore. Il est doublement irréaliste de penser que les écoles peuvent faire beaucoup de progrès pour modifier les normes sociétales générales. Ce n’est pas vraiment notre mission.
- En revanche, notre mission est de mettre en place, au sein de nos établissements, des environnements qui garantissent l’apprentissage et le bien-être des élèves. Les écrans nuisent à l’attention, à l’apprentissage, à la communauté et à la santé mentale.
- Dès lors, il est nécessaire de garantir des périodes prolongées pendant lesquelles les élèves ne sont pas exposés aux écrans. Ils ont besoin de ne pas les utiliser et de ne plus être en présence d’écrans. Il s’agit de rétablir l’attention, d’optimiser l’apprentissage et de maximiser le bien-être social. C’est particulièrement pertinent à la suite d’une crise sanitaire qui a laissé les élèves, très en retard sur le plan scolaire et déconnectés sur le plan social.
- La mise en œuvre de ces restrictions demande d’établir une planification soigneusement conçue et d’obtenir l’adhésion du personnel et des parents dans un premier temps.
- L’antidote :
- Au-delà d’une restriction de l’accès aux smartphones, les écoles peuvent encourager des activités qui jouent un rôle d’antidote.
- Le meilleur antidote pourrait tout simplement être une classe bien gérée, avec une séance d’enseignement explicite qui engage tout le monde. Les élèves ressentent un fort sentiment d’appartenance parce qu’ils reçoivent constamment des signaux de leurs pairs indiquant que leur présence et leurs efforts sont appréciés.
- Les écoles peuvent également ajouter à cela un ensemble intentionnel d’activités qui font participer et interagir les élèves en dehors des classes, sans smartphones.
- Il est important de veiller à ce que les élèves passent leurs journées à l’école dans des environnements constructifs et conçus à dessein, où la culture est vivante et encourageante.
- L’intervention :
- Nous partons du constat que les jeunes d’aujourd’hui vivent une version plus ralentie de l’adolescence que les jeunes d’il y a dix ou vingt ans. Ils ont moins d’opportunités d’expériences. La pandémie les a encore plus éloignés de toute une gamme d’expériences sociales, de même que les nouvelles normes technologiques.
- Certains élèves combleront les lacunes laissées par cette expérience réduite si nous leur offrons davantage d’occasions de se connecter au cours de la journée. Mais pour certains élèves, et peut-être pour certaines des normes que nous voulons établir, de simples occasions ne suffiront pas. Nous devrons être prêts à enseigner les normes et les attentes sociales de manière délibérée.
- Les écoles les plus efficaces sont engagées dans une démarche et dans une réflexion liées à l’enseignement explicite des comportements. Elles sont parfaitement conscientes que seuls les climats de classe les plus positifs et les plus productifs peuvent encourager et favoriser le type de culture intellectuelle dont les élèves ont besoin si l’excellence est réellement un objectif. Elles prennent l’habitude d’établir et d’enseigner des normes sociales.
- Il est bénéfique pour les élèves d’apprendre les normes de l’école qu’ils fréquentent. C’est d’autant plus le cas lorsque ces normes les aident à établir des liens et à apprendre dans le cadre de l’école. Elles leur laissent la liberté de décider quand et s’ils veulent adopter ou adapter ces normes en dehors de l’école. Les élèves sont parfaitement capables de décider eux-mêmes jusqu’où ils veulent aller. Ils auront toujours les compétences nécessaires.
- Les élèves apprécient d’être soumis à des normes élevées lorsqu’il est clair que ces normes sont motivées par la croyance en leur potentiel. Même les élèves qui ne semblent pas toujours l’apprécier sur le moment finissent généralement par en voir la valeur. Les élèves ne voient pas d’inconvénient à être soumis à des normes élevées lorsqu’ils comprennent qu’elles sont imposées par respect pour leurs capacités et leur potentiel (et lorsque les normes sont systématiquement respectées).
- L’adhésion des élèves aux normes est un résultat et non une condition préalable. Si une culture scolaire permet aux élèves de se sentir entiers, soutenus et importants, ils l’adopteront. Il n’y a aucune raison de penser qu’ils sauront à l’avance que c’est le cas. Si nous nous attachons à rendre l’école et la culture scolaire excellentes, les élèves finiront par y croire.
- Pour ce faire, il faudra que tous les membres du personnel se concentrent, suivent et adhèrent à la démarche, ce qui n’est pas toujours facile à réaliser. Pour toute école, le suivi opérationnel est le principal moteur de l’efficacité. Il représente la capacité à garantir que les politiques et les décisions choisies sont mises en œuvre avec fidélité dans l’ensemble de l’organisation.
Confiance et équité dans l’école
Rétablir la confiance dans l’école
Nous devons permettre aux élèves de faire l’expérience d’une école où les adultes se montrent réactifs, attentionnés et efficaces. Ils valorisent le temps passé à l’école et sa valeur. À côté de cela, les élèves ne peuvent pas avoir tout ce qu’ils veulent.
Cela est d’autant plus important que l’école est souvent la première interaction durable d’un jeune avec l’idée d’institution. C’est là qu’ils peuvent acquérir la conviction que ce qui est construit ensemble peut être valable et bénéfique. À l’opposé, lorsque l’on ne fait pas confiance à une institution, il est difficile de profiter de ce qu’elle a à offrir.
Parfois à côté de la nécessité de raviver la confiance des élèves dans l’école, nous devons prendre en compte également celle des parents et parfois des enseignants. Pour cela, les plus grands gains de confiance pour toute institution telle que l’école vont provenir de la qualité de l’information.
Lorsque nous partageons de bonnes informations, les gens comprennent pourquoi nous agissons. Le simple fait de partager des informations complètes est un acte de confiance qui témoigne de l’ouverture et de la transparence.
L’ouverture peut aider les gens à déterminer le degré d’équité d’une institution, ce qui influe grandement sur l’opinion qu’ils en ont et sur la confiance qu’ils lui accordent. De plus, lorsque les gens perçoivent qu’une institution est équitable dans sa manière de prendre des décisions, ils sont plus susceptibles d’accepter ses décisions, même s’ils ne sont pas d’accord.
L’importance de l’équité dans une institution comme l’école
L’équité peut être divisée en deux types :
- L’équité du résultat :
- Elle consiste à déterminer si les gens pensent qu’une décision est juste et équitable sur le fond.
- L’équité du processus
- Elle est le fait de savoir si les gens pensent que les décideurs ont pris leur décision d’une manière ouverte, juste et honnête.
- Par exemple, en démocratie, la majorité de la population comprend et accepte ses décisions, même si au niveau individuel, les personnes peuvent ne pas être d’accord avec elles, parce qu’elles pensent pensons que le processus est équitable.
- À long terme, le processus est plus important que n’importe quelle décision.
La recherche suggère que les gens apprécient l’équité du processus autant, sinon plus, que l’équité du résultat. L’équité du processus semble être un facteur prédictif plus fort que l’équité du résultat dans l’évaluation que font les gens de leurs dirigeants.
Cela a des conséquences lorsque les écoles doivent demander à un groupe hétérogène de familles potentiellement sceptiques et aux opinions très variées de soutenir des approches pédagogiques ou disciplinaires. Celles-ci vont permettre de maximiser les progrès scolaires et le bien-être des élèves. Elles doivent se concentrer sur l’équité du processus, car un accord universel sur les résultats est peu probable.
Si les gens ne sont pas d’accord, mais pensent que nous avons pris une décision équitable, tout se présente bien. La situation est moins sûre si tout le monde est d’accord, mais tous ne sont pas sûrs de comprendre ou d’avoir confiance dans la façon dont nous avons pris notre décision.
Activer un processus de consultation dans le cadre d’une équité des processus
Par exemple, si une école souhaite restreindre l’utilisation des téléphones portables, dans une optique d’équité des processus, il est essentiel de :
- Donner les raisons de la démarche
- La soutenir par des données probantes issues de la recherche.
De cette manière, les parents, les élèves et les enseignants savent que la décision ne repose pas uniquement sur le point de vue personnel des membres de l’équipe de direction.
La cohérence est un autre principe de l’équité des processus. Les gens veulent savoir que les règles et les politiques sont appliquées de manière cohérente par les personnes et peu importe le moment.
La consultation et une démarche de consensus dans le processus de prise de décision doivent offrir aux gens la possibilité de s’exprimer et d’influencer le résultat. Cependant, avoir la possibilité d’influencer le résultat ne signifie pas le déterminer. Les différentes parties prenantes ont la possibilité de vous faire entendre avec sincérité et ouverture leur avis avant que la décision ne soit prise.
Les procédures ont plus de chances d’être perçues comme équitables si elles sont en accord avec les valeurs et reflètent les préoccupations des personnes concernées. S’il est difficile de prédire les valeurs que les individus apportent à une organisation telle qu’une école, nous pouvons toutefois définir des valeurs spécifiques que nous souhaitons défendre dans notre école et nous y référer. Il importe de toujours revenir au pourquoi, à ce que nous visons et pourquoi nous essayons de le faire. Nous devons nous référer aux valeurs que nous défendons en tant que communauté.
Construire l’adhésion à une école qui fonctionne et réussit
Trois points sont essentiels pour construire l’adhésion et la confiance à une école qui fonctionne et réussit :
- Être efficace dans ses missions d’enseignement et dans le développement de l’appartenance. Les gens ont confiance dans les organisations bien gérées qui semblent capables d’accomplir des tâches complexes et coordonnées.
- Une école qui donne aux élèves un sentiment d’appartenance, mais ne les prépare pas à réaliser leurs rêves ne répond pas aux normes.
- D’autre part, l’excellence scolaire est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour mener à bien cette entreprise.
- Aider les membres du personnel à ressentir un fort sentiment d’utilité :
- Le personnel forme un groupe social lié par le lieu, partageant une vision claire de l’avenir et des objectifs communs.
- Le premier objectif commun correspond à la poursuite commune des connaissances des élèves. Une école efficace possède avant tout une culture qui valorise l’apprentissage.
- Le deuxième objectif commun est le bien-être des élèves. Les écoles positives, optimistes, reconnaissantes et altruistes, sont des lieux psychologiquement sains. La recherche des vertus signifie essentiellement toutes les façons de penser, de sentir et d’agir qui sont bonnes pour les autres et bonnes pour nous-mêmes.
- Une école n’a pas besoin de beaucoup plus que ces deux objectifs.
- Le partage d’un vocabulaire est une étape importante dans le développement d’un sens aigu d’avoir des objectifs en commun. Le fait d’avoir des mots pour désigner les choses les fait naître. Une école devrait établir un vocabulaire commun pour les choses qu’elle veut inculquer et les objectifs qu’elle recherche. Cela rend ces choses lisibles pour les élèves et les parents. Le fait de comprendre et de se sentir lié à des objectifs communs ne rend pas seulement les gens plus heureux, mais leur permet également de se sentir plus liés et plus confiants.
- Se concentrer sur le processus :
- Il est parfois difficile d’imaginer une décision avec laquelle tous les membres d’une communauté seraient d’accord. Pour résoudre cette problématique, nous devons nous rabattre sur le processus.
- Les gens doivent avoir le sentiment que le processus décisionnel est fondé sur des objectifs et des données, qu’il est transparent et qu’il tient compte de leur avis.
Une analogie entre une école et un village
L’adoption de l’agriculture et la sédentarité ont amené l’homme à former des communautés stables, les villages.
Si la flexibilité et le choix dans l’appartenance à un groupe se sont retrouvés réduits, l’obligation mutuelle et la réciprocité sont devenues plus nécessaires à la survie.
Nous pouvons ne pas aimer tous les membres de notre village, mais nous avons besoin les uns des autres et nous devons pouvoir compter les uns sur les autres. On peut ne pas aimer son voisin, mais on doit être prêt à se serrer les coudes à l’approche de difficultés. C’est ce qui fait appartenir à un village et nous donne une part de notre identité.
Le village peut être considéré dans le cadre d’une analogie avec l’école. En tant que membre du personnel d’une école, nous ne pouvons pas aller et venir à notre guise. Nous ne sommes pas toujours d’accord. Pourtant, nous sommes liés les uns aux autres et devons être prêts à accepter les termes d’un contrat social qui nous oblige à compter les uns sur les autres dans un esprit de mutualisme et de réciprocité.
Si des dissidents partent en colère et bloquent certaines décisions et certains projets lorsque la majorité gouverne, tout le monde est perdant.
Ce contrat social initial reste et protège ce qui nous appartient. Il nous permet de travailler ensemble en cas de crise, d’établir des règles pour rendre l’endroit vivable. Il devient la base du vivre ensemble.
Dans un village prospère, les exigences permettent d’apprécier les avantages d’un effort commun. Elles peuvent être perçues comme un outil qui nous permet de nous unir pour maximiser les avantages individuels et collectifs.
Un village est fondé sur la réciprocité généralisée ou diffuse. Une norme de réciprocité généralisée permet de s’investir sans rien attendre de spécifique en retour dans l’immédiat. Elle se fait dans l’espoir confiant que quelqu’un fera quelque chose pour moi plus tard. La réciprocité généralisée, l’altruisme et le désintéressement dans une collectivité sont l’ultime message d’appartenance. Ils renforcent la force du groupe et rappellent à tous les membres du village qu’ils appartiennent à quelque chose de valable. La valeur que chaque communauté crée dans la vie de ses membres est en corrélation avec le degré auquel elle réussit à créer une réciprocité généralisée.
Mis à jour le 28/11/2024
Bibliographie
Doug Lemov, Hilary Lewis, Darryl Williams, Denarius Frazier, Reconnect: Building School Culture for Meaning, Purpose, and Belonging, Josey-Bass, 2022.
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