vendredi 29 novembre 2024

Conjuguer le jugement sur l’apprentissage et la nouvelle théorie de la désuétude

Maîtriser et adopter des stratégies d’apprentissage efficace est une chose. Les mettre en œuvre efficacement en est une autre. Conjuguer le jugement sur l’apprentissage et la nouvelle théorie de la désuétude constitue une piste intéressante.

(Photographie : Arvydas Ciuksys)



La nouvelle théorie de la désuétude


Selon la nouvelle théorie de la désuétude (Bjork et Bjork, 1992), le processus d’apprentissage ne se limite pas au stockage des connaissances dans la mémoire à long terme. Pour intégrer le contenu de l’apprentissage dans la mémoire à long terme et s’assurer qu’il peut être rappelé ultérieurement, deux forces interviennent.

La facilité avec laquelle nous pouvons nous remémorer des connaissances dépend de deux facteurs : 
  1. La force de récupération : la facilité avec laquelle nous pouvons récupérer les connaissances. 
  2. La force de stockage : la profondeur à laquelle les connaissances sont stockées dans notre mémoire à long terme. 




En tant qu’enseignants, nous souhaitons naturellement que nos élèves puissent se rappeler facilement les compétences et les concepts importants (force de récupération élevée). Nous voulons également qu’ils se souviennent longtemps de ce qu’ils ont appris (force de stockage élevée).

Lorsque les élèves étudient efficacement des contenus, ils s’entraînent à récupérer des contenus de manière distribuée :
  • Lorsqu’un élève s’entraîne à récupérer un contenu, il en augmente la force de récupération. 
    • Une fois augmentée, la force de récupération diminue avec le temps.
  • Lorsqu’un élève récupère des connaissances et que la force de récupération est élevée, il n’y a aucun impact sur la force de stockage.
  • Lorsqu’un élève s’entraîne à récupérer un contenu, mais que l’opération demande des efforts, car la force de récupération est faible, il augmente la force de stockage. 
    • Une fois augmentée, la force de stockage reste stable dans le temps.



Des stratégies pour renforcer la force de stockage


Dans la perspective de la nouvelle théorie de la désuétude, l’objectif de l’éducation est d’augmenter la force de stockage. La seule manière d’y arriver c’est à travers une récupération qui demande de fournir des efforts. 

La meilleure stratégie est par conséquent de faire appel à la récupération espacée. Chaque nouvelle occasion se fait lorsque la force de récupération est en baisse. L’opération permet à la fois d’augmenter à nouveau la force de récupération et de faire progresser la force de stockage.

Les connaissances deviennent mieux stockées chaque fois et il devient plus facile à rappeler. La force de récupération décline alors de plus en plus lentement, ce qui permet d’espacer de plus en plus. 

Il convient de poser régulièrement des questions sur le contenu d’apprentissage qui a été enseigné précédemment et de demander à tous les élèves d’essayer activement de se remémorer ces connaissances. 

Il y a également intérêt à faire varier les questions de récupération ou à augmenter progressivement leur complexité. Le gain en matière de force de stockage est plus important lorsque les élèves doivent réfléchir en profondeur et que le contenu d’apprentissage n’est pas immédiatement accessible. 

Les stratégies d’apprentissage telles que la pratique de la récupération et l’auto-explication présentent un autre avantage important pour le processus d’apprentissage. Les élèves sont davantage confrontés à leur propre processus d’oubli lorsqu’ils utilisent ces stratégies, ce qui leur donne une image plus fidèle de leurs propres capacités. Leur jugement sur l’apprentissage devient meilleur.



La difficulté de l’amélioration du jugement sur l’apprentissage


Le jugement sur l’apprentissage que les élèves réalisent intuitivement en dehors de l’usage d’une stratégie impliquant récupération et rétroaction n’est souvent pas un bon prédicteur de leurs performances.

Le souci vient du fait que les élèves estiment l’efficacité de la stratégie d’apprentissage qu’ils utilisent en fonction de l’accessibilité du contenu pendant ou juste après l’étude. Le problème de différentes stratégies populaires telles que la relecture ou la réétude est qu’elles créent des illusions de connaissances. De plus, elles tendent à générer un apprentissage à court terme qui se dégrade rapidement par la suite. Elles n’assurent pas d’apprentissage à long terme.

Le problème des stratégies efficaces et qu’elles demandent plus d’efforts, font rencontrer plus de difficultés et ne sont bénéficiaires qu’à moyen ou à long terme. Elles ne fonctionnent pas très bien à court terme. 

Pour ces raisons, le jugement sur l’apprentissage des élèves est souvent faillible et ne les pousse pas vers la sélection de stratégies plus efficaces. De plus, les élèves ont connu des réussites avec ces stratégies inefficaces et ne souhaitent pas en changer. 

Par conséquent, il est donc important d’apprendre aux élèves à s’évaluer plus précisément, à différents moments et dans différents contextes. Deux approches faciles à mettre en œuvre permettent d’améliorer le jugement sur l’apprentissage : 
  1. Ils peuvent retarder leur jugement sur l’apprentissage de sorte qu’ils ne s’évaluent que lorsque les connaissances sont déjà moins accessibles.
  2. Ils fondent leur jugement sur l’apprentissage sous forme d’un autodiagnostic en évaluant leurs connaissances.
De cette manière, les stratégies d’apprentissage efficaces aident les élèves à contrôler, à ajuster et à évaluer leur processus d’apprentissage. 



Planifier des temps de récupération après un premier apprentissage


SI le jugement sur l’apprentissage est à la fois bon et valide après un premier apprentissage, l’oubli va néanmoins rapidement commencer à faire son effet.

Il s’agit alors de récupérer les connaissances apprises plusieurs fois au fil du temps, de sorte qu’il devienne de plus en plus facile de les mobiliser. C’est en procédant de la sorte que nous constituons des apprentissages durables protégés contre l’oubli. 

La répétition est très importante et celle-ci doit prendre la forme d’une pratique de récupération. Il s’agit de se tester de manière échelonnée dans le temps, de préférence jusqu’à trois fois pour le même sujet. 

Une pratique de récupération distribuée permet de renforcer la compréhension et l’apprentissage et de s’approcher du stade surapprentissage qui permet la flexibilité et l’automatisation.

L’enjeu consiste à récupérer régulièrement en mémoire plutôt que de relire, des connaissances dont il faudra se souvenir correctement à un moment ultérieur.

La pratique de récupération distribuée concerne ainsi des contenus déjà appris et maîtrisés une première fois. Elle demande de dépasser une conception erronée commune chez les élèves selon laquelle une fois que des connaissances sont maîtrisées elles resteront tout aussi accessibles à l’avenir.

Cette conception erronée amène à sous-estimer l’effet de l’oubli. Les élèves qui adhèrent à cette conception erronée seront surpris de constater qu’ils ne peuvent pas se rappeler ces connaissances aussi facilement lors d’un test ultérieur. 

Typiquement, un élève commence par apprendre des connaissances jusqu’à leur maîtrise. C’est-à-dire qu’il est alors capable de récupérer toutes ces connaissances sans difficulté, et ce trois fois. 

Un ou deux jours plus tard, il se teste à nouveau. Il se rend compte qu’il a oublié toute une série d’éléments, ce qui est normal. Réapprendre ces éléments lui demande de fournir un effort, cependant moins intense que lors du premier apprentissage. Il poursuit jusqu’à s’assurer qu’il est capable de se souvenir de tout le contenu à apprendre une fois.

Un troisième moment d’étude arrive trois ou quatre jours plus tard. L’élève se teste à nouveau selon le même principe. Il constate qu’il y arrive mieux que la fois précédente et que moins de contenus ont été oubliés. Le processus peut se poursuivre avec des rendements croissants.



Apprendre à mieux s’évaluer


Maîtriser des stratégies d’apprentissage efficaces ne suffit pas. Encore faut-il pouvoir les piloter à bon escient. C’est l’enjeu de la régulation qui impose de pouvoir poser un jugement sur notre apprentissage adéquat et ajuster l’usage des stratégies et la planification de nos efforts en fonction.

Par exemple, nous devons être vigilant et prendre conscience que nos efforts patinent dans le vide lorsque : 
  • Nous sommes distraits ou procrastinons
  • Nous passons trop de temps à relire nos supports de cours sans vraiment réfléchir
  • Nous résumons notre cours en le transcrivant mot à mot plutôt qu’en le reformulant et en le synthétisant.
En général, pour les élèves, il est très difficile d’évaluer correctement leur processus d’apprentissage. La raison principale est une conception erronée. Ils fondent leur jugement sur leur apprentissage non pas sur ce qu’ils savent récupérer effectivement de mémoire, mais plutôt sur la fluidité avec laquelle ils étudient et parcourent leurs cours. Ce faisant, ils se fondent sur des illusions d’apprentissage.

Pour éviter cette situation, les élèves doivent prendre en charge l’évaluation de leur apprentissage, en se testant et en analysant leurs résultats et en améliorant la planification et les stratégies utilisées. 

L’enseignant peut soutenir l’exercice d’un jugement sur l’apprentissage par ses élèves de différentes manières : 
  • Encourager les élèves à utiliser l’autoévaluation comme stratégie d’apprentissage
  • Soutenir le processus de planification des élèves
  • Soutenir les élèves dans leur suivi métacognitif ou leur jugement sur l’apprentissage
  • Soutenir les élèves dans leur processus d’autoévaluation



Encourager les élèves à utiliser l’autoévaluation comme stratégie d’apprentissage


Nous démarrons le processus quelque temps après que la matière a été traitée en classe, jamais le jour même.

Par exemple, nous demandons aux élèves de préparer cinq questions sur la matière, ce qui peut être fait comme préparation à la maison ou au début du cours. Nous pouvons également leur préparer des questions de test formatif.

Nous leur expliquons pourquoi nous choisissons l’autoévaluation comme stratégie d’apprentissage et pourquoi nous ne le faisons pas immédiatement après la leçon, mais plutôt quelques jours plus tard. 

Ensuite, nous laissons nos élèves répondre aux questions, avec le cours fermé. Étant donné que nous testons le contenu couvert lors de leçons précédentes, ce processus de réflexion demande un certain effort. Les élèves ne se souviendront pas non plus de tout, mais c’est précisément la raison pour laquelle nous les laissons faire cet exercice de réflexion. 

Enfin, nous les laissons estimer la probabilité qu’ils se souviennent de la bonne réponse lors d’un test ou d’un quiz futur, par exemple sur une échelle de 1 à 10. 

En procédant de cette manière, les élèves ne se contentent pas de générer des réponses à des questions de test possibles, mais le font après que le processus d’oubli a démarré. Ils s’estiment eux-mêmes en conséquence. Nous rappelons aux élèves que le processus d’oubli s’applique à tout le monde. 

Nous partageons les bonnes réponses en classe. Enfin, nous faisons le lien avec la planification d’une pratique de récupération distribuée.

Les éléments du programme qu’ils estiment être les plus susceptibles d’oublier seront à classer prioritairement dans leur planning. 



Soutenir le processus de planification des élèves


En tant qu’enseignants, nous pouvons aider les élèves à planifier, notamment :  
  • En concevant et en partageant des objectifs d’apprentissage clairs.
  • En mobilisant et en mettant en pratique une série de stratégies d’apprentissage efficaces qu’ils peuvent utiliser pour atteindre ces objectifs.
  • En délivrant une rétroaction efficace sur les stratégies d’apprentissage utilisées par les élèves lors de devoirs ou de tests antérieurs.
  • En fournissant une rétroaction explicite sur leurs apprentissages, qui les guide vers les étapes suivantes.
  • En activant leurs connaissances préalables pertinentes à la fois sur la matière et sur les stratégies d’apprentissage, qu’ils peuvent utiliser pour traiter cette matière.
  • En soulignant explicitement l’importance de la pratique de la récupération espacée et en la mettant en œuvre dans le cadre de quiz en entrée de cours.
  • En demandant aux élèves de regarder des exemples de planification pour notre matière et en leur donnant une rétroaction sur leur propre planification.



Soutenir les élèves dans leur suivi métacognitif ou jugement sur l’apprentissage


En tant qu’enseignants, nous pouvons soutenir nos élèves dans leur suivi métacognitif, notamment : 
  • En discutant avec deux des stratégies d’apprentissage qu’ils utilisent et pourquoi ils le font.
  • En discutant avec eux de leurs expériences en la matière, et des problèmes qu’ils rencontrent.
  • En leur posant des questions sur les contenus et en vérifiant s’ils l’approfondissent suffisamment.
  • En les encourageant à utiliser des stratégies d’apprentissage telles que l’autoévaluation qui leur donne un meilleur jugement sur leurs apprentissages que leurs intuitions ou l’usage de la relecture.
  • En leur signalant les pièges liés à certaines stratégies d’apprentissage. 
  • En leur demandant de revoir et de discuter de leurs préparations respectives à l’aide de différentes stratégies d’apprentissage.
  • En leur faisant prendre conscience de l’importance du suivi, car il leur permet d’ajuster leur apprentissage. Par exemple, c’est choisir une stratégie différente ou prévoir plus de temps d’étude pour une partie particulière du cours.
  • En leur montrant comment ils peuvent suivre leurs apprentissages pendant qu’ils étudient. 



Soutenir les élèves dans leur processus d’autoévaluation


En tant qu’enseignants, nous pouvons aider nos élèves à s’évaluer, notamment :  
  • En les laissant évaluer s’ils ont étudié de manière efficace (avant ou après un test). 
  • En leur donnant un retour d’information efficace, non seulement sur le contenu de la matière, mais aussi sur les stratégies qu’ils ont utilisées pour traiter ce contenu.
  • En leur apprenant à analyser leurs erreurs. 



Des questions à se poser 


Pour planifier ses apprentissages


  • Qu’est-ce que je veux étudier ? Quels sont les objectifs d’apprentissage que je souhaite atteindre ? 
  • Quelles sont les stratégies d’étude efficaces que je peux le mieux déployer ?
  • Quelles sont les stratégies d’étude que j’ai utilisées auparavant pour des sessions d’apprentissages similaires ? Ai-je atteint mon objectif d’apprentissage avec ces stratégies ? 
  • Que sais-je déjà sur cette matière ?
  • Comment puis-je répartir le matériel d’étude dans le temps ?
  • Quels outils puis-je utiliser ?
  • Comment puis-je éviter d’être distrait ? 


Pour contrôler son apprentissage : 


  • Est-ce que je comprends vraiment ce qui est écrit ici ou est-ce que je me fie à la reconnaissance ? 
  • Puis-je résumer ce que j’ai lu avec mes propres mots ? 
  • Est-ce que j’essaie de me souvenir de ce que j’ai appris ou est-ce que mon livre reste ouvert en permanence ? 
  • Quelle est la probabilité que je puisse répondre correctement à cette question lors d’un test ?
  • Suis-je encore suffisamment concentré ? 
  • Est-ce que je me teste pendant que j’étudie, pour devenir plus intelligent, ou seulement à la fin de ma session d’étude ? 
  • Cette stratégie d’étude est-elle la plus appropriée pour cette matière ou serait-il préférable d’étudier d’une autre manière ? 
  • Suis-je capable d’expliquer ce que j’ai appris à quelqu’un d’autre après-demain ?
  • Me suis-je testé quelques heures (ou quelques jours) après mon travail d’apprentissage ? 


Pour évaluer son apprentissage : 


  • Ai-je atteint mon objectif d’apprentissage ? Est-ce que je le déduis d’une forme d’autotest ? 
  • Ai-je maîtrisé l’apprentissage, même après quelques jours ou semaines ?
  • Ai-je choisi la stratégie d’étude la plus appropriée et la plus efficace ? 
  • Quelles sont les parties de l’apprentissage que j’oublierai le plus rapidement ? 
  • Comment aborderai-je cette session d’étude la prochaine fois ? 



Bibliographie


Hoof, T., Surma, T., & Kirschner, P. A. (2021). Leer studenten studeren met succes. Antwerpen : Thomas More-hogeschool.

Bjork, R. A. and Bjork, E. L. (1992) ‘A new theory of disuse and an old theory of stimulus fluctuation’ in Healy, A. F., Kosslyn, S. M. and Shiffrin, R. M. (eds) From learning processes to cognitive processes: Essays in honor of William K. Estes (vol. 2). Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum Associates, pp. 35-67.

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