samedi 5 octobre 2024

Développer des routines pour améliorer notre enseignement et profiter de la collaboration pour progresser

Le développement d’automatismes et de routines dans la pratique de l’enseignement est essentiel, mais leur mise en œuvre peut être particulièrement complexe sans soutien.

(Photographie : to freeze time)



L’enseignement entre planification et relations


L’enseignement se déploie dans les relations qui lient un enseignant à ses élèves. 

La journée d’un enseignant est faite d’interactions humaines. Il ne peut se contenter de transmettre des connaissances et des compétences à ses élèves.

Quand il ne les vit pas en classe, il les prépare. Planifier, c’est se préparer à enseigner et à soutenir l’apprentissage par les élèves de contenus. 

La planification de l’enseignement porte essentiellement sur les explications, les exemples et des activités qui aideront les élèves à comprendre ce qu’ils apprennent. Plus particulièrement, les activités permettront à l’enseignant de vérifier que ses élèves apprennent et lui permettront de leur donner un retour d’information.

Même si l’enseignant se prépare sur papier, l’enseignement ne prend pleinement forme qu’en classe. L’enseignant pilote sa planification en classe avec des élèves. Il y apporte une dimension humaine et relationnelle.



L’enseignement entre automatismes et adaptations


Il existe souvent une incompréhension du sens du mot routine dans un contexte d’enseignement en classe.

Parmi les définitions qu’en propose le dictionnaire Larousse, deux sont particulièrement signifiantes et illustrent cette double lecture. 
  • Ensemble bien établi d’habitudes qui crée un état d’apathie, une absence d’innovation 
  • Cadre bien établi, où s’enchaînent de manière ordonnée des actions répétées chaque jour.
C’est à la seconde définition que se réfère l’enseignement explicite des comportements avec pour dimension supplémentaire un accent mis sur l’efficacité et sur le développement de compétences sociales.

L’établissement de routines permet à l’enseignant d’être plus attentif à l’apprentissage de ses élèves. Il montre qu’il veut le meilleur pour ses élèves. Au contraire de mener à l’apathie, dans un contexte scolaire, les routines permettent à l’enseignant de se soucier de ses élèves. 

Dans la relation entre l’enseignant et ses élèves, nous devons vouloir le meilleur d’eux-mêmes, mais nous devons aussi faire de notre mieux pour eux. S’occuper de ses élèves doit consister en premier lieu à faire ce qui a de bonnes chances de fonctionner en classe pour soutenir leurs apprentissages. Il ne s’agit pas d’être leur ami ou de développer prioritairement de bonnes relations.

Il s’agit plutôt de bien gérer les routines de classe afin de mettre rapidement les élèves au travail. Il s’agit d’avoir bien préparé les contenus à enseigner et de bien gérer les interactions pour soutenir l’apprentissage. Il s’agit également de tenir compte du retour d’information récolté durant l’enseignement pour adapter ce dernier par la suite. 



Mobiliser des automatismes dans un environnement complexe


Une classe est un environnement particulier qui peut passer du clame plat à l’exultation, de la pleine coopération à la révolution. Les groupes classes sont une somme de personnalités en interaction que l’enseignant s’emploie à maîtriser et à guider. Des facteurs externes et des expériences antérieures viennent complexifier le tout et apporter une dose d’imprévisibilité. 

Si certains évènements sont rares, nombre d’entre eux sont prévisibles et fréquents : interroger les élèves, obtenir leur attention, les mettre au travail, circuler dans la classe, rendre ou récupérer des feuilles, entrer et sortir de classe.

Beaucoup d’évènements peuvent bénéficier d’une transformation en routines identifiées, définies et codifiées.

Par exemple, nous pouvons pleinement modéliser la situation d’entrée des élèves en classe et le début des cours. Nous pouvons automatiser notre position dans la salle, près de la porte, ce que nous leur disons et l’ensemble des comportements que nous attendons de nos élèves à ce moment-là.

L’établissement de routines est un processus lui-même progressif pour un enseignant et plus encore pour un nouvel enseignant. S’il n’est pas possible de s’entraîner d’emblée à tous les comportements possibles des élèves, nous pouvons nous préparer progressivement à différentes situations. 

De même pour réagir aux différentes perturbations mineures courantes selon un continuum d’interventions, une réponse scénarisée peut contribuer à atténuer l’anxiété et offrir une meilleure maîtrise et un plus grand impact. 

Un bon système de gestion du comportement fournit des procédures, une marche à suivre et des messages précis à faire passer, tous garants de son impact. Il est important de bien les avoir assimilés avant qu’une perturbation mineure concernée se manifeste. De cette manière, notre gestion de la situation devient plus fluide.

Le fait que la classe est un environnement changeant n’est pas un argument défavorable à l’automatisation et l’usage de routines, mais il y est favorable, car elles nous permettent de mieux gérer et limiter cette complexité. 

Nous automatisons les processus afin de pouvoir répondre plus efficacement aux tâches routinières de manière à gagner en souplesse et en adaptabilité face à celles qui sont tangentes ou inattendues. L’automatisation libère la capacité mentale nécessaire pour s’occuper des problèmes de la classe et appliquer les solutions adéquates.

Ces routines et automatismes que nous développons en classe sont eux-mêmes intégrés dans des modèles mentaux qui déterminent la manière dont nous réagissons aux moments attendus et inattendus. Plus ces modèles sont au point et au mieux nous connaissons nos élèves, au plus facile il est de réagir adéquatement dans l’instant. 



S’inspirer de collègues expérimentés ou experts


Papay et ses collaborateurs (2020) ont étudié l’apprentissage en école des compétences professionnelles auprès de collègues de travail. 

Ils ont conçu un programme pour encourager les enseignants à apprendre de leurs collègues. Dans le cadre d’une expérience, ils ont documenté les gains en matière de performances professionnelles lorsque des enseignants hautement et faiblement qualifiés sont associés et invités à travailler ensemble à l’amélioration de leurs compétences. Les paires ont été appariées en fonction de compétences spécifiques mesurées lors d’évaluations antérieures. 

Chaque paire comprend un enseignant cible qui obtient des résultats faibles dans une ou plusieurs des 19 compétences et un partenaire de la même école qui obtient des résultats élevés dans (plusieurs des) compétences déficientes de l’enseignant cible. 

Les 19 domaines de compétences étaient répartis dans trois domaines : 
  • L’instruction : 
    • Résolution de problèmes
    • Réflexion
    • Questionnement
    • Regroupement des élèves
    • Structure et rythme de la leçon 
    • Rétroaction sur l’apprentissage
    • Activités et matériel 
    • Normes et objectifs 
    • Présentation du contenu pédagogique 
    • Connaissance des élèves par l’enseignant 
    • Motiver les élèves
    • Connaissance du contenu de l’enseignant
  • La planification 
    • Évaluation 
    • Engagement dans le travail de l’élève 
    • Planification de l’enseignement
  • L’environnement
    • Attentes
    • Gestion du comportement des élèves 
    • Culture du respect
    • Environnement
Les paires ont été invitées à travailler ensemble durant une année scolaire pour améliorer leurs compétences. Les activités recommandées pour les paires correspondaient à leurs responsabilités professionnelles quotidiennes.

Les résultats ont mis en évidence que les partenariats fondés sur l’adéquation des compétences améliorent les performances professionnelles des enseignants, mesurées par la progression des résultats de leurs élèves.

Les chercheurs ont constaté des améliorations significatives des performances professionnelles grâce au travail en binôme des enseignants. Les résultats des élèves se sont améliorés de 0,12 écart-type dans les classes des enseignants peu qualifiés. Les enseignants relativement peu performants ciblés par l’intervention ont bénéficié de manière substantielle de l’association avec un collègue plus performant dans leur école. 

Les améliorations sont probablement dues au fait que les enseignants cibles ont acquis des compétences auprès de leur partenaire. Ces gains ont été significatifs. Ces améliorations de la performance des enseignants ont persisté, voire se sont amplifiés, au cours de l’année scolaire qui suit le traitement.

L’un des principaux coûts d’opportunité potentiels est que l’enseignant « partenaire » plus qualifié pourrait consacrer moins d’efforts à l’enseignement de ses propres élèves. D’après Papay et ses collaborateurs (2020), les élèves des enseignants partenaires n’ont pas été moins bien lotis. Au contraire, ils ont peut-être légèrement bénéficié de l’intervention. 

Les améliorations des performances étaient plus importantes lorsque les partenariats d’enseignants étaient mieux adaptés aux compétences fortes et faibles, et non pas simplement lorsque de « bons » et de « mauvais » enseignants étaient associés. 

Les enseignants « cibles » des binômes n’étaient pas exclusivement des novices (nouveaux enseignants). Les enseignants partenaires n’étaient pas des mentors spécialisés, ni nécessairement les enseignants les plus performants. C’est l’appariement sur la base de compétences spécifiques qui semble avoir été la caractéristique essentielle à la réussite de l’intervention. 



Faisabilité de l’appariement d’un mentorat sur base de compétences spécifiques


L’appariement sur la base de compétences spécifiques permet d’inclure des enseignants globalement « moyens » qui pourraient bénéficier d’une aide dans des domaines de compétences spécifiques. De même, les enseignants « moyens » qui maîtrisent des compétences spécifiques peuvent aider leurs collègues d’une manière plus directe sans être des mentors spécialisés. Un partenariat entre collègues axé sur des compétences spécifiques est moins demandeur en ressources que l’embauche de mentors plus spécialisés.

L’appariement permet à davantage d’enseignants de jouer le rôle de « mentor » d’une manière moins formelle et peut-être avec moins d’enjeux. 

Cette ressource que constituent les compétences des collègues est sous-utilisée. Il existe aujourd’hui de nombreuses relations informelles de mentorat entre collègues. En ce sens, le jumelage des professionnels n’est pas nouveau. Toutefois, l’approche de l’appariement spécifique aux compétences, fondée sur les données, peut identifier des appariements bénéfiques qui n’auraient pas été trouvés autrement par les collègues ou la direction.
 
Les coûts de premier ordre d’une telle intervention sont les coûts d’opportunité du temps des enseignants participants. Le temps et les efforts des enseignants qui ne sont pas utilisés peuvent être :
  • Consacrés à leurs élèves actuels (ou à d’autres responsabilités professionnelles)
  • Investis dans le développement de nouvelles compétences ou de compétences existantes
  • Consacrés à leurs propres temps libres. 
Les autres coûts sont faibles. L’algorithme d’appariement est un programme informatique, ce qui représente un coût fixe peu élevé. Le directeur de l’école a présenté chaque paire et a probablement fourni quelques encouragements au cours de l’année scolaire, mais ces coûts par paire sont probablement faibles par rapport au temps et aux efforts des enseignants jumelés. Il est peu probable que le coût marginal par enseignant cible (ou par paire d’enseignants) augmente ou diminue à plus grande échelle.
 
La conclusion générale est que l’apprentissage auprès des collègues est au moins aussi précieux que la formation formelle (« développement professionnel ») ou les gains de l’expérience dans le développement des compétences d’enseignement. 



Collaborer pour développer son système de routines


En début de carrière, il n’est ni utile et ni recommandé qu’un nouvel enseignant définisse et conçoive de A à Z son propre système de routines. 

Il est bien plus profitable de travailler en étroite collaboration avec des enseignants plus expérimentés, plus compétents ou plus efficaces. C’est susceptible d’avoir un impact conséquent sur la qualité du travail.

En début de carrière, le fait de côtoyer des collègues experts est particulièrement précieux, pour les aspects pratiques et la politique de l’école, mais pas seulement. L’aspect sans doute plus crucial encore vient du partage des pratiques pédagogiques, des contenus d’enseignement, des routines et des stratégies efficaces dont ils font usage. Ces domaines sont vivants et pleinement fonctionnels chez eux et sont susceptibles de servir de modèles pour les nouveaux enseignants.

L’erreur à ne pas commettre en tant que nouvel enseignant est de considérer que les enseignants expérimentés sont déconnectés ou ignorent les développements récents. Cette croyance méconnaît toujours totalement ce que nous pouvons apprendre de nos collègues.

Face aux lacunes et difficultés qu’un nouvel enseignant peut rencontrer dans son travail en école, sa première ressource est constituée par les enseignants qui l’entourent. Un mentor ou un responsable de l’école peut orienter dans la bonne direction, vers les enseignants qui possèdent les stratégies de gestion du comportement, de questionnement ou les explications nécessaires. 



Observer un collègue expérimenté en classe pour s’améliorer


Il peut être vain d’aller observer un collègue expérimenté. Comme le cours est fluide, hautement interactif et sans temps morts, nous pouvons nous retrouver happés par ses contenus et laisser le contenant nous échapper.

Par conséquent, il est nécessaire de chercher quelque chose de précis centré sur la compétence que nous souhaitons améliorer actuellement. Cependant, si nous cherchons à régler un problème, en observant l’enseignement expérimenté dans de bonnes conditions, nous constaterons surtout l’absence du problème. 

Il vaut mieux aller voir quelqu’un qui rencontre ce type de difficultés avec une classe, ou quelqu’un qui est en train de changer les routines mises en œuvre, et en avoir discuté avec lui précédemment.

Nous nous centrons sur l’observation d’éléments spécifiques et cela nous aide de deux façons : 
  • Cela allège la charge cognitive et nous permet de retirer plus d’éléments pertinents de l’observation plutôt que de nous faire courir la sensation d’être submergé.
  • Cela nous permet de gagner du temps. Nous venons observer ces aspects spécifiquement quand l’enseignant expérimenté les mobilise. 
Il s’agit d’observer l’enseignant et ses élèves à la recherche de signes particuliers en lien avec le thème observé : 
  • Que font spontanément les élèves sans que l’enseignant le leur demande et qui semble associé à une routine ? 
  • Quelles sont les routines ou habitudes apparentes de la classe pour les élèves et pour l’enseignant ? 
  • Ce que l’enseignant spécifie sur la manière dont les élèves accomplissent les tâches et ce qui est laissé à leur appréciation. 
  • Sur quel support les élèves réalisent-ils les tâches demandées et comment les structurent-ils ?
  • Ce que fait l’enseignant qui ne correspond pas à notre expérience ou qui semble étrange ou difficile à réaliser.
Pendant l’observation, il est utile de prendre des notes et également de noter des questions sur ce qui n’a pas de sens pour nous sur le moment.

Par exemple, en observant le début d’une leçon, nous pouvons remarquer que l’enseignant ne dit presque rien aux élèves. Pourtant ceux-ci, entrent en classe, le saluent, se taisent, s’installent rapidement en silence et se mettent au travail. Le fait de regarder la leçon n’est pas utile en soi. Ce qui importe est de demander ensuite à l’enseignant la manière qu’il a utilisée pour en arriver là. 

Pour pleinement retirer le fruit d’une observation, nous devons poser des questions sur ce qui nous intrigue et sur ce que nous ne comprenons pas. Nous avons besoin d’explications pour comprendre quel est le chemin à prendre pour nous mener de notre situation actuelle à celle que nous voudrions avoir. 

Nous avons besoin de quelqu’un qui nous explicite les aspects implicites et continus du comportement en classe. Les constats tacites ne nous suffiront pas. 

Seulement prendre des notes et les analyser nous-mêmes ne suffira pas. Nous avons besoin d’un débriefing et d’une conversation afin de mieux comprendre. 

Si l’observation est un moyen utile de construire un modèle mental de comportement efficace en classe, elle peut juste nous donner l’idée de ce que nous pourrions atteindre. Elle peut également nous faire sentir inadéquat si le résultat nous semble inaccessible.

La pratique de l’enseignant expert observé semble sans effort. Comme Ericsson (2006) l’a dit à propos de l’expertise sportive, « regarder longuement n’est pas la même chose que jouer longuement ».
 
Les modèles mentaux ne se développent pas simplement en observant. Nous ne devenons pas experts à partir de l’observation de collègues experts. Il nous faut passer ensuite à la pratique délibérée, car nous n’essayons pas de devenir un expert de l’observation des leçons. 



Bibliographie


Peter Foster, What do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023

Ericsson, A. (2006). The influence of experience and deliberate practice on the development of superior expert performance. In A. Ericson (ed.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (pp. 683–704). Cambridge University Press. 
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/routine

Papay, John P., Eric S. Taylor, John H. Tyler, and Mary E. Laski. 2020. "Learning Job Skills from Colleagues at Work: Evidence from a Field Experiment Using Teacher Performance Data." American Economic Journal: Economic Policy, 12 (1): 359–88.

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