mardi 8 octobre 2024

Avoir des yeux tout autour de la tête

Enseigner est à la fois stimulant et exigeant en ressources attentionnelles, car il faut gérer les relations et les comportements de 20 à 30 élèves.

(Photographie : heterotopian)




Chaque interaction, et elles s’enchainent ou se recouvrent, nécessite un investissement permanent en capital émotionnel et énergétique.

Parfois, des évènements nous échappent tandis que nous écrivons au tableau ou que nous expliquons quelque chose à un élève en particulier. Des perturbations peuvent se manifester dans l’espace de la classe. 



La notion de « withitness » en gestion de classe


Jacob Kounin, chercheur et théoricien de l’éducation influent dans les années 1970, a inventé le terme withitness (à comprendre comme « with-it-ness »). Cette notion décrit la capacité des enseignants les plus efficaces à savoir ce qui se passe à tout moment dans leur classe. C’est une notion proche de celle de vigilance et de supervision active.

Kounin est arrivé à la conclusion que les enseignants les plus efficaces étaient capables de détecter des changements assez subtils dans les émotions et le comportement de leurs élèves et d’y répondre rapidement et efficacement.

En restant vigilant quant à ce qui se passe dans sa classe, l’enseignant peut remarquer des signes subtils d’incompréhension, de distraction ou de confusion. Il peut ainsi mieux répondre personnellement et anticipativement aux besoins de chaque élève lorsque cela est pertinent. 

La vigilance s’impose comme une caractéristique clé, présente chez les enseignants les plus efficaces.
  • L’enseignant a conscience à tout moment de ce qui se passe dans la classe. Il a la capacité d’être attentif à tout ce qui est d’importance dans la classe.
  • Il sait auprès de quels élèves intervenir et ne laisse pas un mauvais comportement s’installer ou s’aggraver. Il y répond de manière flexible et utile. 
Ce n’est pas parce qu’on a dit aux élèves de faire tel ou tel travail ou d’adopter tel comportement qu’ils vont le faire naturellement. Nous devons avoir les yeux partout dans la classe à tout moment. C’est l’idée du withitness.

L’enseignant agit pour gérer le comportement hors tâche avant qu’il ne s’aggrave dans la classe. S’il ne s’occupe pas du comportement inapproprié, les autres élèves de la classe pourraient s’en inspirer. Les élèves essaieront de voir ce qu’ils peuvent faire, ce qui peut entraîner de graves problèmes dans la classe.

Cette conscience et cette réactivité flexible, associées à un profond respect des élèves et à un soutien à leurs apprentissages, modifient radicalement la relation traditionnelle entre l’élève et l’enseignant. Potentiellement, nous pouvons passer d’une relation de contrôle à une relation d’influence et de coopération.

L’enseignant ne se met pas en colère et ne parait pas stressé. Il contrôle son non verbal. Il reste calme et ne laisse pas les élèves savoir qu’ils ont réussi à le faire réagir ou à le faire sortir de ses gonds. Se mettre en colère ou se stresser ne réduira pas les mauvais comportements à l’avenir.

Il s’agit essentiellement de traiter les mauvais comportements de manière à ne pas perturber davantage l’environnement d’apprentissage. Les mauvais comportements doivent être gérés en classe, les enseignants doivent les traiter de manière à ne pas perturber les autres élèves de la classe autant que possible.



Développer sa vigilance


Pour que cette compétence délivre tout son potentiel, les élèves doivent avoir l’impression que l’enseignant sait vraiment ce qui se passe à tout moment dans la classe. L’enseignant veut donner à ses élèves, l’impression qu’il a des yeux tout autour de la tête. Cette compétence est toujours à parfaire et nous ne pouvons jamais baisser notre garde. 

Il peut être utile de prendre un temps d’introspection et de répondre aux trois questions suivantes :
  • Sommes-nous capables de prédire ce que la plupart des élèves vont faire ou être tentés de faire avant qu’ils ne le fassent ?
  • Parvenons-nous à anticiper les comportements perturbateurs ou hors tâche avant même que des élèves ne commencent à les adopter en classe 
  • Est-ce que les élèves démontrent une reconnaissance tacite ou verbale de notre vigilance de manière spontanée ?
Si les élèves ne travaillent pas et font autre chose que s’investir dans le cours, l’enseignant doit leur envoyer un message clair pour leur faire comprendre qu’il voit qu’ils ne travaillent pas et qu’ils doivent se mettre au travail. 

La vigilance peut être améliorée par la pratique et par l’adoption de certaines stratégies d’observation générales : 

L’utilisation efficace de techniques systématiques d’observation de la classe correspond par exemple :
  • Au fait de rester essentiellement le dos au mur ou en regardant en tout sens lorsque nous nous déplaçons dans la classe.
  • Au fait de balayer en continu la classe du regard pour être plus conscient de ce qui se passe.
  • Au fait de passer régulièrement dans chaque quadrant de la classe et de se déplacer physiquement pendant l’enseignement et le travail individuel.
  • Au fait de ne jamais tourner le dos à la classe, même lorsque nous écrivons au tableau. 
  • Au fait de conserver le reste de la classe dans notre angle de vision périphérique lorsque nous aidons un élève ou un petit groupe d’élèves.
L’enjeu est de toujours pouvoir garder un œil sur ce qui se passe dans la salle. Dans le cas contraire, certains élèves détectent très bien les fenêtres de liberté dans lesquelles ils peuvent faire ce qu’ils veulent. 



L’acuité liée à la vigilance


L’efficacité de la vigilance est accrue lorsque l’enseignant peut identifier correctement l’élève qui est à l’origine de l’incident avant que des effets de contagion ne se manifestent.

Pratiquement, lorsque plusieurs cas de mauvaise conduite se produisent en même temps, il est important que les enseignants s’occupent d’abord du cas le plus grave. 

Le timing est un aspect crucial de la vigilance. Les enseignants doivent intervenir tôt et rapidement en cas de mauvais comportement. Si ce n’est pas le cas, l’inconduite peut se propager.

L’enseignant agit tôt lorsque des problèmes de discipline surviennent dans la classe. Si un enseignant ne s’occupe pas des problèmes de discipline en classe, les élèves ont l’impression qu’il ne les remarque pas. Il parait ne pas être conscient de ce qui se passe dans la classe ou ne pas contrôler la classe. Les enseignants qui ciblent le mauvais élève sont perçus par les élèves comme ne sachant pas ce qui se passe réellement, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas vigilants.

Souvent, il s’agira de prendre des décisions pour anticiper le risque que des élèves entament des comportements non attendus.



La connaissance du contexte liée à la vigilance


Une autre dimension importante, qui contribue à l’efficacité de la vigilance, est d’apprendre à bien connaitre ses élèves. Nous les observons attentivement et nous apprenons certaines de leurs habitudes en classe. Chaque groupe d’élèves possède une dynamique différente, et cette compréhension est instructive.

Rapidement, en début d’année, l’enseignant doit dresser une liste mentale des zones à problèmes dans la classe. Il peut s’agir de la configuration de la classe ou de caractéristiques propres à certains élèves. Ce sont ces endroits (ou ces élèves) qu’il s’agit de surveiller en permanence. Alternativement, une refonte du plan de classe doit être envisagée. 

L’enseignant doit être à l’affût de signaux annonciateurs. La plupart du temps, les élèves donnent une sorte d’indice ou de signal avant de faire quelque chose qui va à l’encontre des règles.

L’enseignant peut également se tenir au courant des informations concernant des incidents qui se sont produits en dehors de la classe et qui pourraient affecter le comportement de l’élève.



Les attitudes liées à la vigilance


Finalement, une dimension essentielle de l’exercice de la vigilance se manifeste dans les attitudes de l’enseignant. Certaines habitudes doivent être acquises dans le cadre d’une pratique délibérée.

Il peut sembler difficile au départ de surveiller la classe tout en travaillant avec un élève ou un petit groupe. En réalité, c’est surtout une technique à apprendre. Nous devons bien sûr faire en sorte de prêter attention à l’élève ou aux élèves qui se trouvent devant vous, mais balayer également la classe du regard toutes les 30 secondes environ. Cela doit devenir un réflexe. 

L’enseignant observe régulièrement les autres élèves pour maintenir leur engagement et leur bon comportement des élèves. L’enseignant établit un contact visuel régulier avec les élèves pour leur faire savoir qu’il est conscient de leurs actions et qu’il surveille la salle de classe. Un contact visuel, un hochement de tête désapprobateur, un regard consterné, un sourire ou un signe de pouce levé indiquent aux élèves que l’enseignant sait ce qui se passe. La pertinence et l’opportunité des réponses de l’enseignant sont des considérations essentielles. 

Même chose pour l’écriture au tableau, l’enseignant doit apprendre à le faire de biais tout en continuant à observer les élèves très régulièrement.

Il faut apprendre à utiliser sa vision périphérique et à ne pas interagir toujours avec les mêmes élèves qui sont attentifs, participatifs et comprennent tout. Il importe de poser des questions à n’importe quel élève et à ceux qui semblent se déconcentrer.

L’enseignant vigilant sait aussi quand il faut ralentir ou accélérer le rythme de l’enseignement en fonction de la compréhension du contenu par les élèves.

De plus, lorsque la vigilance amène l’enseignant à détecter une anomalie, il doit veiller à faire une suggestion respectueuse et discrète pour modifier le comportement. Lorsque les élèves manifestent des comportements perturbateurs pendant les cours, les enseignants réagissent de manière appropriée et adaptent leurs réactions en fonction de la persistance du comportement.



L’importance de la proactivité liée à la vigilance


De nombreux problèmes de comportement peuvent être résolus grâce à une planification minutieuse et à des mesures proactives de la part de l’enseignant. 

L’enjeu est que tous les élèves cessent tout comportement perturbateur en réponse au contact visuel ou à la proximité de l’enseignant.

Pour être proactif, l’enseignant doit être conscient de ce qui pourrait mal tourner ou perturber la classe et prendre des mesures préventives pour éviter que de tels scénarios ne se produisent. 

Par exemple, un enseignant proactif peut s’entretenir en privé avec des élèves potentiellement perturbateurs pour revoir les attentes de la classe ou créer des plans plus adaptés.

Un enseignant proactif peut également créer des indices préétablis qui signalent un comportement inapproprié. Par exemple, il peut signaler de manière non verbale à l’élève si son comportement tend à devenir perturbateur ou inacceptable.

Ces comportements doivent être routiniers de manière à ce que les élèves comprennent ces signes et corrigent le comportement inapproprié. 

De même, les élèves doivent savoir qu’ils peuvent communiquer préalablement à l’enseignant et leur dire s’ils ont une journée difficile.


Mis à jour le 09/10/2024

Bibliographie


Kounin, Jacob S. Discipline and Group Management in Classrooms. Huntington, New York : Holt, Rinehart and Winston, 1970.

Robert J. Marzano, Demonstrating, The Marzano Compendium of Instructional Strategies, 2016

Kasepalu, R., Chejara, P., Prieto, L.P. et al. Studying teacher withitness in the wild: comparing a mirroring and an alerting & guiding dashboard for collaborative learning. Intern. J. Comput.-Support. Collab. Learn 18, 575–606 (2023). https://doi.org/10.1007/s11412-023-09414-z

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