dimanche 29 septembre 2024

L’importance de l’émergence du modèle de l’enseignement explicite

Dans leur livre, Bocquillon et ses collègues (2024) mettent en évidence la manière dont la mise en évidence de l’enseignement explicite répond à des impératifs d’efficacité et d’équité éducative. En voici une synthèse. 

(Photographie : Lesley Ann Ercolano)





La perspective d’une éducation fondée sur des données probantes


Pour l’école et comme pour la plupart des structures sociales, les individus qui participent ou en sont témoins se construisent naturellement des modèles interprétatifs naïfs. 

De fait, chacun a une idée de ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour bien enseigner ou gérer le comportement d’élèves en école. Chaque ancien élève développe une conception de ce qui marche bien, moins bien ou pas du tout. Ces modèles naïfs s’élaborent en fonction du vécu personnel, des interprétations subjectives ou d’intuitions alimentées par des sources ou des discussions diverses.

Ces expériences subjectives et personnelles paraissent suffire pour légitimer ou rejeter des approches. Toutefois, elles sont source de désaccord, car les expériences subjectives sont diversifiées et parfois contradictoires. Cette variation des ressentis tend à mener à un certain relativisme. Ainsi, pour bien enseigner, il faudrait un mélange d’approches.

L’éducation fondée sur des données probantes démarre d’une perspective différente. Elle propose d’établir des connaissances objectives sur base de données quantitatives et d’un traitement statistique rigoureux. Dès lors, les propositions qui en découlent peuvent paraitre incongrues à ceux qui mettent toutes leurs croyances sur une idéologie ou sur des ressentis potentiellement battus en brèche.

Ce domaine de recherche sur l’efficacité de l’enseignement a commencé à émerger dès les années 1960 et s’est développé par la suite en une myriade de pistes foisonnantes.

Les résultats des recherches qui en sont issus ont permis d’élaborer un ensemble de connaissances stables et cohérentes sur les processus à l’œuvre en école. Ceux-ci concernent la relation entre enseignement et apprentissage, et mettent en évidence des pratiques susceptibles d’améliorer les acquisitions des élèves. 

Comme l’a écrit Dylan Wiliam (2018), “Everything works somewhere; nothing works everywhere.” Aucune méthode n’est absolue et ne garantit le succès à coup sûr. De plus, il reste des zones d’ombre et certaines catégories d’élèves rencontreront toujours plus de difficultés que d’autres. Ces zones floues et ces imprécisions, de même que la difficulté de la mise en œuvre et la limitation des ressources disponibles sont réelles. Elles font que les enseignants peuvent parfois rencontrer des difficultés à transférer les apports de l’éducation fondée sur des données probantes au sein de leurs classes. Un accompagnement et un cadre collaboratif sont nécessaires dans le cadre d’un transfert et d’un développement d’expertise.

Toutefois, le principal apport de l’éducation fondée sur des données probantes est de montrer que toutes les pratiques ne se valent. De plus, certaines pratiques favorisent généralement les acquisitions des élèves.



L’émergence de l’enseignement explicite face à des vents contraires


Un exemple clair d’approche plébiscitée par l’éducation fondée sur des données probantes est l’enseignement explicite ou enseignement direct.

L’enseignement direct et explicite possède un faisceau de preuves qui mettent en avant son efficacité dans de nombreux contextes, pour de multiples disciplines et pour une large gamme de profils d’élèves. 

Une difficulté de l’enseignement direct et explicite est qu’il émerge dans un contexte idéologique contraire. Dans ce contexte, les approches centrées sur la construction par les élèves de leurs propres connaissances, et sur la mise en retrait du rôle de l’enseignant sont dominantes. 

L’enseignant y est vu souvent vu comme un simple facilitateur. L’immersion des élèves dans des activités complexes et authentiques est privilégiée. La fonction de transmission de connaissances jouée par l’enseignant y est dévalorisée. Le cadre de recherche auquel appartient l’enseignement explicite développe des modèles qui vont plutôt à l’opposé de ces conceptions.



L’inévitable opposition à l’émergence de l’enseignement explicite


Le socioconstructivisme appuie l’idée que les connaissances existantes sont utilisées pour construire de nouvelles connaissances au sein d’un contexte social. Des contextes authentiques et complexes sont à privilégier pour soutenir l’apprentissage.

Le danger de cette perspective (Bransford et coll., 2000) est qu’elle amène à confondre : 
  • La théorie de la pédagogie, liée à l’enseignement
  • La théorie de la connaissance, liée à l’apprentissage.
Une croyance vivace et abusive liée au socioconstructivisme est que les enseignants ne devraient rien transmettre directement aux élèves. Ils devraient plutôt leur permettre de construire des connaissances par eux-mêmes.

L’enseignement explicite prend le contrepied de cette croyance :
  • L’enseignant y joue un rôle éminemment actif, moteur, au centre du fonctionnement de la classe.
  • Il enseigne directement et sollicite en permanence la participation des élèves et stimule leur attention.
  • Plutôt que de confronter d’emblée les élèves à des activités complexes, il progresse du simple vers le complexe. Les compétences de haut niveau sont décomposées en habiletés spécifiques. Elles seront enseignées spécifiquement. Une fois acquises, elles seront réinvesties dans des activités peu à peu plus complexes.
  • Une construction autonome des connaissances des élèves par confrontation à un environnement adapté n’est pas un but en soi. Les notions à apprendre sont enseignées explicitement. L’enseignant montre comment faire (modelage) en vue de favoriser son appropriation par les élèves (pratique guidée puis autonome).
Une spécificité fondamentale de l’enseignement explicite est qu’il est à l’origine athéorique. L’enseignement explicite ne provient pas d’une conception a priori sur ce que devrait être un bon enseignement.

L’enseignement explicite est né de la convergence de résultats empiriques de très nombreuses études qui montraient que certaines pratiques étaient associées de manière systématique, par une preuve statistique, à de meilleures acquisitions pour les élèves.

Paradoxalement, dans un second temps, les caractéristiques établies scientifiquement pour l’enseignement explicite ont progressivement trouvé nombre de convergences avec celles issues de la psychologie cognitive. En particulier, de larges convergences de fond se sont révélées avec l’architecture cognitive humaine et plus particulièrement avec le rôle fondamental de la mémoire dans l’acquisition des connaissances.



L’enseignement explicite repose sur des données probantes


Avant de reposer sur une théorie, l’enseignement explicite repose sur ce qu’on appelle des données probantes. 

En sciences sociales et humaines, aucune méthodologie de recherche n’est à proscrire a priori. Les éléments mis en évidence par les unes et les autres peuvent être vus comme complémentaires, fournissant une vision plus large, plus nuancée et plus complète de l’objet d’analyse.

Un point essentiel à comprendre à ce stade est que toutes les méthodologies de recherche ne fournissent pas, en fonction de l’objet étudié, le même niveau et la même qualité de preuves.

Ainsi, on passe de simples témoignages jusqu’à la concordance des études expérimentales avec assignation aléatoire. À son sommet de qualité, les preuves permettent de mettre en évidence des corrélations et mieux encore d’établir des causalités.

Dès lors, nous pouvons montrer que certaines pratiques pédagogiques soutiennent mieux les apprentissages, les comportements ou les attitudes des élèves que d’autres. C’est ce type d’étude de haute qualité qui permet de valider l’enseignement explicite. 



Lien entre efficacité et finalités de l’éducation


Selon Bouchard et Plante (2002), l’efficacité se définit comme le lien de conformité entre les objectifs de l’organisme et les résultats effectivement obtenus.

Les objectifs de l’organisme correspondent ici aux finalités de l’éducation. Celles-ci sont fixées par le gouvernement et sont une décision politique. La réflexion sur l’efficacité est par conséquent indissociable des finalités de l’éducation.

Dès lors, la détermination des meilleurs moyens pour atteindre ces finalités nécessite un processus de détermination rigoureux qui permet d’échapper aux biais, au sens commun, aux habitudes et à l’idéologie. Il devient possible de prouver que certaines approches pédagogiques sont plus efficaces que d’autres pour atteindre les finalités.

L’efficacité se mesurant sur une population hétérogène d’élèves, il implique de préciser comment elle s’applique à celle-ci ce qui amène à interroger la question de l’égalité et de ses modèles :
  • Égalité des chances
  • Égalité de traitement
  • Égalité des acquis
Le modèle de l’égalité des acquis est en phase avec la volonté de chercher à élever de manière significative la moyenne des performances de la classe et à en diminuer la variance (Crahay, 2012). Cela correspond à la vision de la pédagogie de la maîtrise.

Dans ce cas, la notion d’enseignement efficace selon Bloom (1979) peut s’appliquer. Elle se caractérise par : 
  • Une élévation de la moyenne de l’ensemble des résultats des élèves de la classe.
  • Une réduction de la variance de l’ensemble des résultats.
  • Une diminution de la corrélation entre les caractéristiques initiales des élèves et leurs résultats.
Au sens de Bloom (1979), un enseignement efficace est également équitable.

L’équité peut être définie comme la capacité à réduire les écarts initiaux entre élèves. L’efficacité pédagogique porte principalement sur la capacité à faire progresser les élèves faibles, plus sensibles à la qualité de l’enseignement que les élèves forts (Bressoux, 1994).


Mis à jour le 29/09/2024

Bibliographie


Bocquillon, M., Baco, C., Derobertmasure, A., & Demeuse, M. (2024). Enseignement explicite : pratiques et stratégies. Quand l’enseignant fait la différence. De Boeck Supérieur.

Dylan Wiliam, Creating the Schools Our Children Need: Why What We're Doing Now Won't Help Much (And What We Can Do Instead) (Learning Sciences International, 2018).

Bressoux, Pascal. (1994). LES RECHERCHES SUR LES EFFETS-ECOLES ET LES EFFETS-MAITRES. Revue française de Pédagogie. 108. 91-137.

Bransford, J. D., Brown, A. L., & Cocking, R. R. (2000). How People Learn: Brain, Mind, Experience, and School. Washington DC : National Academy Press.

Bouchard, Chantal & Plante, Jacques. (2002). La qualité : mieux la définir pour mieux la mesurer. Cahiers du Service de Pédagogie Expérimentale. 11.

Crahay, M. (2012). Quelle justice pour l’école de base. In M. Crahay. L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité des acquis. (pp. 37-89). De Boeck.

Bloom B.(1979). Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires. Labor, Bruxelles.

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