Nous démarrons notre enseignement au départ d’un programme scolaire détaillé. Celui-ci qui décline les connaissances et les compétences que les élèves doivent apprendre. Le temps en classe étant par définition limité, le choix des pratiques pour parvenir à le couvrir en classe tout en soutenant l’apprentissage des élèves est dès lors crucial.
(Photographie : daniloz)
Deux étapes d’une démarche d’enseignement et d’apprentissage
Pour que des apprenants développent la maîtrise des connaissances, deux étapes sont particulièrement importantes :
- Le processus d’encodage et de stockage :
- La prise en compte de la charge cognitive lors de l’enseignement rend l’apprentissage plus probable.
- Le processus de récupération et de consolidation.
- La pratique de récupération distribuée qui permet de revoir ce qui a été appris précédemment rend l’apprentissage plus probable.
Valables pour les élèves, ces dimensions concernent également le développement de compétences pour l’enseignant. Plus particulièrement, un nouvel enseignant sera concerné par leur prise en compte.
Paradoxalement, il pourra mieux progresser comme enseignant s’il se conçoit comme apprenant. Il lui faudra également dépasser des conceptions erronées sur les actions de l’enseignant.
Comme le développe Mary Kennedy (2019), l’apprentissage de l’enseignement est différent de l’apprentissage de toute autre profession. Quelque part, cet apprentissage commence lorsque nous sommes enfants et se poursuit le long de notre adolescence. Finalement, nous aurons passé environ 12 000 heures à observer les enseignants avec nos yeux d’élèves.
Nous avons développé nos propres conceptions sur ce que le travail implique et sur ce qui fait que certains enseignants sont meilleurs que d’autres. Cependant, ces conceptions ignorent et laissent cachée, une grande part des actions cruciales de l’enseignant efficace en classe.
Gérer notre charge cognitive en classe pour mieux enseigner et progresser
La théorie de la charge cognitive décrit comment notre pensée consciente (la mémoire de travail) ne peut contenir qu’un petit nombre (trois à quatre) de nouveaux éléments à un moment donné.
Nous pouvons parfois nous trouver en surcharge cognitive, qui se traduit par une inhibition de l’apprentissage. Elle apparait lorsqu’à un moment donné la compréhension d’une situation ou d’une tâche implique un nombre trop élevé d’éléments nouveaux. La charge cognitive dépasse notre capacité à gérer et à traiter l’information et à en tirer des leçons.
Dès lors, la gestion de la charge cognitive consiste à s’assurer que nous pouvons faire face à toutes les nouvelles informations pertinentes qui nous parviennent. Dans un contexte de classe, elle concerne tout aussi bien les élèves que l’enseignant (particulièrement lorsqu’il est novice).
La seule manière de contourner et d’anticiper cette difficulté est d’accumuler des connaissances préalables dans le domaine concerné. Dès lors, le fait de s’assurer que les apprentissages deviennent durables est essentiel pour continuer à apprendre efficacement.
Acquérir des connaissances pour mieux enseigner en classe
Nos connaissances nous permettent de construire une variété de modèles mentaux. Nous avons des modèles mentaux pour la gestion des routines en classe, pour les contenus de la matière que nous enseignons, pour la vérification de la compréhension des élèves en classe, etc.
Nous mobilisons ces réseaux de connaissances et ces modèles lorsque nous agissions dans des situations complexes. Le fonctionnement normal de la classe l’est généralement.
Les nouveaux enseignants sont fréquemment confrontés à toute une série de difficultés ou de défis que Mary Kennedy (2015) a résumée de la façon suivante et qui reste présente tout au long de la carrière :
- L’enseignement du programme scolaire
- Le fait de susciter la participation des élèves
- La mise en évidence de la pensée des élèves
- La gestion du comportement des élèves
- La prise en compte des besoins personnels
La question est de savoir par quels éléments les plus urgents commencer. La bonne piste est de déterminer les connaissances qui aideront à résoudre les problèmes qui sont les plus urgents actuellement.
La démarche peut mener à des actions singulières telles que :
- Apprendre les noms et prénoms des élèves.
- Maîtriser parfaitement certains contenus à enseigner pour lesquels des déficiences personnelles sont possibles.
Une erreur à ne pas faire est de miser sur la bonne volonté et se dire que l’on pourrait mieux agir la fois prochaine, que ça ira naturellement mieux l’année prochaine. Nous devons dépasser les bonnes intentions et parvenir à une véritable amélioration.
Nous devons commencer par réduire notre champ d’action pour donner la priorité aux besoins immédiats. Si l’on veut changer plusieurs choses, on risque la surcharge cognitive qui se traduira en une absence d’amélioration.
Si de multiples éléments et dimensions doivent être améliorés, il est essentiel de se concentrer sur l’un d’entre eux à la fois pour éviter de se retrouver dans l’impasse. Une amélioration se fait progressivement en se fixant une priorité à la fois. Réduire son champ d’action signifie ignorer volontairement, quoique temporairement, certaines autres urgences moins brulantes.
Au départ, en tant que nouvel enseignant, pour établir des priorités de manière efficace, il est utile d’être aidé pour bien tenir compte de la réalité du contexte.
Segmenter, planifier et réfléchir dans une logique
Daniel Willingham (2009) a écrit que « la mémoire est le résidu de la pensée ». Pour développer des connaissances, nous devons y consacrer de la réflexion.
Toute approche superficielle ne mènera pas aux résultats escomptés. Il importe également de s’assurer que les démarches suivies correspondent bien au développement de l’objectif d’apprentissage professionnel. Réfléchir en profondeur ne génère de connaissances que lorsque nous nous sommes concentrés sur le contenu utile.
Une stratégie de gestion de l’amélioration et de maîtrise de la charge cognitive est la segmentation. La segmentation transforme un objectif d’amélioration en une liste granulaire d’éléments à apprendre. La segmentation du contenu à apprendre facilite une réflexion en profondeur.
Le type de réflexion importe également, il doit être centré sur les démarches, pratiques, interactions et routines qui seront mobilisées effectivement en classe.
Si nous passons beaucoup de temps à réfléchir et à développer des supports d’apprentissage, nous risquons de n’arriver en classe qu’avec une compréhension superficielle de la manière d’expliquer les contenus et de mobiliser les élèves.
La préparation des activités et des contenus d’enseignement est importante, mais la manière de les mettre en œuvre compte tout autant. Elle compte parfois plus, car nous pouvons nous égarer et perdre notre temps dans la conception de ressources inadéquates.
Répartir la pratique délibérée dans l’apprentissage professionnel
Une fois que nous avons décomposé le processus dans lequel nous souhaitons nous engager, nous devons nous assurer d’y consacrer du temps. Pour cela, il faut planifier des moments à y consacrer effectivement dans notre emploi du temps.
Le fait d’espacer l’étude d’une thématique ou d’un domaine dans le développement professionnel permet de mieux le mémoriser. L’opposé de la pratique distribuée est le bachotage. Le bachotage n’aboutira qu’à une connaissance déficiente, superficielle et temporaire. De plus, nous ne nous rendrons compte de l’étendue de nos lacunes concernant une pratique ou une stratégie que lorsque nous serons en classe devant les élèves. Il sera trop tard pour nous.
Le but est de développer une connaissance approfondie des contenus que nous comptons enseigner et des stratégies que nous voulons mobiliser. Une fois en classe, nous ne pouvons revenir en arrière. Nous ne pouvons plus agir sur notre connaissance des noms des élèves, sur la définition d’un concept ou sur des exemples de résolution de tâches ou encore sur la manière de soutenir un élève présentant des difficultés particulières.
La meilleure façon d’apprendre est de s’entrainer et de récupérer les contenus de mémoire, par exemple en s’expliquant les contenus à haute voix sans consulter nos notes. Dans un second temps, nous vérifions ensuite que nous avons inclus tout ce que nous voulions. Des flashcards ou une feuille d’autoévaluation peuvent nous être utiles. De fait, la frontière entre étudier comme ses élèves et se préparer à être leur enseignant peut sembler floue. Il y a de nombreux points communs. Nous partons tous avec le même bagage cognitif.
De nombreux nouveaux enseignants se rendent compte, en arrivant au tableau, qu’ils ne sont pas certains de l’orthographe ou de la définition d’un terme essentiel. Ou bien ils se rendent compte qu’ils ont oublié le nom d’un élève qui parle constamment au fond de la classe et leur stratégie pour y remédier s’effondre lamentablement.
La récupération et la pratique distribuée soutiennent notre mémoire et renforcent notre confiance en nous. Plus nous en savons, plus nous développons la sensation de maîtriser ce que nous faisons et la sensation est libératrice.
Toutefois, il peut toujours arriver qu’un élève nous pose une question dont la réponse se trouve dans des documents que nous avons imprimés et laissés chez nous. La charge cognitive pèse lourdement sur notre capacité à faire tout ce qui est exigé de nous dans une leçon. Cependant, en développant stratégiquement nos connaissances et nos compétences, nous nous facilitons largement la vie à long terme.
L’auto-explication comme outil de préparation à l’enseignement en classe
L’auto-explication est un autre outil pour se préparer à donner des explications en classe.
Lorsque des novices ne disposant pas des connaissances nécessaires dans un domaine spécifique tentent de s’auto-expliquer, cela peut conduire à une surcharge cognitive.
Lorsque les nouvelles connaissances apprises viennent combler nos lacunes, il est probable que l’auto-explication puisse contribuer positivement à l’aisance ultérieure des explications dans le contexte de la classe.
Nous nous employons à décrire les liens entre les éléments de connaissance et nous répondons à des questions sur le sujet. De cette manière, nous contribuons à la mémorisation de ces nouvelles informations qui deviendront aisément récupérables en classe.
L’auto-explication nous aide à construire la confiance dont nous avons besoin pour enseigner ces contenus aux élèves.
Nous ne vérifions pas que nous sommes capables d’enseigner un contenu en y réfléchissant simplement ou en relisant nos notes. Nous devons passer par l’auto-explication qui nous permet de vérifier la fluidité, les lacunes de compréhension et notre capacité à simplifier et à distiller ce qui est nécessaire à la compréhension des élèves.
Accepter et rechercher du soutien pour les supports de cours en début de carrière
En début de carrière, la capacité d’apprentissage et la bonne volonté de l’enseignant novice ne font généralement pas défaut, mais le temps disponible pour le faire est un facteur limitant.
Le premier réflexe est d’être pragmatique et d’agir pour gagner du temps. Cela impose parfois de faire confiance à des ressources disponibles (des manuels ou des notes de cours de collègues). Il n’est pas utile de chercher à tout personnaliser en y mettant son grain de sel pour être hypothétiquement plus à l’aise. Le temps nécessaire, souvent, n’est tout simplement pas disponible pour le faire correctement.
Les ressources mentales nécessaires pour s’engager dans toutes ces activités ne sont simplement pas disponibles. Malgré nos meilleures intentions, malgré notre volonté sans failles, la qualité de notre personnalisation ne sera pas au rendez-vous si nous nous concentrons sur trop d’aspects.
De plus, cette saturation ne permettra pas de développer des connaissances de qualité. Nous aurons probablement du mal à retenir ce sur quoi nous travaillons parce que nous essayons de travailler sur trop d’aspects.
Pour gérer la charge cognitive et notre temps, nous devons être capables de faire des compromis. La perfection n’est pas accessible. Ce n’est pas parce que nous travaillons dur et que nous nous épuisons à la tâche que nous fournirons un meilleur travail.
Il est bien plus intéressant de récupérer le résultat de la réflexion à ceux qui y ont déjà consacré du temps et veulent bien partager. Nous devons profiter de l’aide et du soutien qui nous sont offerts pour apprendre à établir des priorités.
Aborder efficacement son apprentissage professionnel en tant qu’enseignant
L’enseignement est une activité tellement prenante au jour le jour que nous avons l’impression d’avoir très peu de temps à consacrer au développement professionnel.
L’apprentissage professionnel n’a pas lieu uniquement lors de la formation initiale pour devenir enseignant. Il ne fait en réalité que s’amorcer à ce moment-là, le développement de l’expertise ne peut se faire que dans le cours de la carrière.
Nous ne pouvons pas échapper à l’apprentissage professionnel. Nous pouvons gérer notre réflexion pour obtenir un apprentissage génératif. Nous pouvons nous entrainer à récupérer des connaissances pour les rendre durables. Pour cela, espacer la pratique d’un sujet particulier et y revenir afin d’augmenter les chances de rétention.
Nous ne pouvons tout aborder en même temps. Pour être efficace, il nous faut nous donner des priorités et poursuivre un objectif à la fois.
Une fois un objectif déterminé, le processus peut s’enclencher :
- Décomposer l’objectif d’apprentissage en ses différents éléments :
- Considérer l’objectif d’apprentissage dans sa globalité peut être saturant et déroutant.
- Créer une checklist :
- Dès lors, nous prenons le pli de dresser une liste de ses constituants de la manière la plus granulaire possible. Cette segmentation favorise la mémorisation de la pratique complexe de l’enseignant et de ses modèles sous-jacents.
- Assimiler :
- La checklist permet d’orienter la réflexion. Nous veillons à ce que toutes les activités que nous entreprenons concentrent notre pensée à un moment donné vers ce dont nous voulons nous souvenir.
- Être capable de considérer chaque élément isolément, permet de se protéger des risques du multitâche qui nous ferait négliger certains éléments. En situation de classe, nous ne pouvons pas non plus tout faire en même temps.
- Intégrer la récupération à des fins de consolidation
- La pratique de récupération est ce qui permet un apprentissage durable. Par conséquent, nous devons la mobiliser pour divers éléments tels que les noms des élèves, l’orthographe de termes techniques, les processus, les formules, les définitions, etc. Tous les contenus que nous devons mobiliser en direct en enseignant peuvent bénéficier de la récupération.
Mis à jour le 07/09/2024
Bibliographie
Peter Foster, What do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023
Willingham, D. (2009). Why Don’t Students Like School? Jossey-Bass.
Kennedy M. (2015) Parsing the practice of teaching. Journal of Teacher Education. 67(1): 6–17.
Kennedy, M. (2019). How we learn about teacher learning. Review of Research in Education, 43, 138–162.
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