mercredi 4 septembre 2024

L’importance du système cognitif pour l’apprentissage des mathématiques et l’entrée par l’attention

Un élément clé pour amélioration de l’efficacité des enseignants est de mieux aligner l’enseignement sur les preuves scientifiques. Nous pouvons privilégier les démarches les plus susceptibles d’être efficaces pour l’apprentissage des élèves. Suite du compte-rendu de l’analyse de Siobhan Merlo (2024) qui explore cette question.  

(Photographie : Jeremy Koreski)


Quatre concepts clés en sciences cognitives pour les apprentissages scolaires


L’attention, que nous allons détailler ici, joue le rôle de gardien des entrées sensorielles et de nos dérives mentales. Elle détermine quelles nouvelles informations entrent dans la mémoire de travail. Pour mener à bien une tâche, les individus doivent être capables de maintenir leur attention. Si des pensées parasites ou des informations non pertinentes entrent dans la mémoire de travail, une réflexion en mathématiques devient impossible à poursuivre.

Notre mémoire à long terme est une base de données formée de réseaux et de hiérarchies conceptuelles connues sous le nom de schémas. Elle stocke de grandes quantités d’informations et a une capacité pratiquement illimitée. La récupération d’informations de la mémoire à long terme vers la mémoire de travail se produit lorsque des stimuli ou notre pensée se connecte à des connaissances antérieures. Toute réflexion en mathématiques implique l’activation des connaissances antérieures dès lors directement en lien dans la mémoire à long terme.

L’anxiété survient lorsqu’une menace est perçue dans l’environnement. Elle peut détourner les ressources cognitives de la mémoire de travail, réduisant ainsi la capacité d’apprentissage. Le phénomène d’anxiété mathématique qui impacte négativement les résultats lors de tests en mathématiques chez certains élèves est bien documenté.

La mémoire de travail est la structure cognitive dans laquelle les informations sont traitées. Elle agit comme un goulet d’étranglement pour les informations entrantes. Elle peut contenir environ quatre éléments d’information à tout moment. Les informations contenues dans la mémoire de travail y subsistent entre 15 et 30 secondes, à moins qu’elles ne soient répétées. L’apprentissage se produit lorsque l’information est transférée de la mémoire de travail vers la mémoire à long terme.



Sept paramètres qui interfèrent avec les apprentissages scolaires


L’apprentissage ne peut avoir lieu si : 
  1. L’apprenant n’est pas attentif. Des données sensorielles concurrentes peuvent être plus saillantes que l’information à apprendre. 
  2. L’apprenant est anxieux. L’anxiété peut détourner des ressources nécessaires à l’apprentissage. 
  3. La capacité de la mémoire de travail de l’apprenant est dépassée. Seules de petites quantités d’informations nouvelles peuvent être traitées en même temps. 
  4. L’apprenant ne s’est pas suffisamment reposé entre les épisodes de répétition/pratique. Les ressources de la mémoire de travail s’épuisent, rendant peu efficace l’apprentissage. 
  5. L’apprenant ne dispose pas de suffisamment de connaissances préalables dans la mémoire à long terme. Il ne peut établir un lien avec les informations entrantes. Les informations à apprendre ne présentent pas suffisamment de familiarité pour faire sens.
  6. L’apprenant ne traite pas rapidement l’information reçue en lien avec ses connaissances préalables. Le transfert des connaissances vers la mémoire à long terme n’est pas assuré. 
  7. L’apprenant ne mobilise pas suffisamment les informations. Les connaissances ne sont pas consolidées dans sa mémoire à long terme et sont oubliées. 



Se concentrer sur une tâche et maintenir l’attention


L’engagement dans une tâche est la première étape critique du processus d’apprentissage (Turner, 2023). Sans engagement, il n’y a pas d’apprentissage possible. 

Cependant, cette situation est paradoxale. Sous l’influence de l’évolution, les êtres humains ont développé la capacité à se concentrer sur une tâche, tout en restant suffisamment conscients de ce qui se passe autour d’eux. En effet, ils doivent pouvoir être alertés en cas de danger.

En permanence, notre cerveau détecte et filtre les stimuli externes et internes. Il est prêt à recruter différents réseaux fonctionnels si le besoin s’en fait sentir. De fait, être distrait pour un élève en classe peut être considéré comme une réponse adaptative face à une situation environnementale. 

Toutefois, pour pouvoir se concentrer sur l’apprentissage d’une compétence particulière, le rapport entre l’accès aux informations pertinentes et l’attention aux éléments distractifs doit être suffisamment élevé. En d’autres termes :
  • L’information à apprendre doit être plus saillante que les données sensorielles concurrentes.
  • Les données sensorielles distractives doivent être minimisées dans l’environnement d’apprentissage



Impact de l’errance mentale sur l’apprentissage en classe


L’errance mentale se produit lorsque l’attention se détache du présent et s’oriente vers des pensées générées en interne. Ce phénomène est souvent associé à de moins bonnes performances dans des tâches importantes sur le plan éducatif.

Dans une étude menée par Cherry et ses collaborateurs (2023), des enfants âgés de 8 à 9 (N = 60) ont écouté des histoires audio accompagnées de sondages sur leurs pensées intermittentes. Ceux-ci ont été utilisés pour déterminer si les pensées des participants étaient ou non dans le cadre de la tâche. Les enfants ont déclaré être hors tâche en raison d’un vagabondage de l’esprit 24 % du temps. La plupart des épisodes d’inattention ont été classés comme des pensées non liées à la tâche.

Une fréquence plus élevée d’errance mentale était fortement associée à un moins bon rappel de mémoire. Les pensées non liées à la tâche prédisaient fortement la capacité des enfants à se rappeler des éléments de l’histoire audio, à la fois immédiatement après la tâche et après un délai d’une semaine. 

Cette recherche suggère également que les enfants de 8 à 9 ans sont capables de faire la distinction entre les pertes d’attention non liées à la tâche, et l’attention liée à la tâche. 

Il parait par conséquent utile de privilégier le développement de stratégies visant à doter les enfants des compétences nécessaires pour détecter et recentrer les pertes d’attention afin d’améliorer les résultats globaux de l’apprentissage.

Selon Hoyer et ses collaborateurs (2021), la capacité d’un enfant à s’orienter vers une tâche est mature à l’âge de six ans. Par contre, sa capacité à maintenir son attention pendant un certain temps se développe encore jusqu’à l’âge de 12 ans. Même à ce moment-là, l’attention peut rester fugace. 



Maintenir l’attention des élèves dans un cours de mathématiques


Obtenir et maintenir l’attention des élèves pose donc des défis uniques aux enseignants. 

L’attention est essentielle pour de nombreux aspects des mathématiques :
  • L’attention spécifique à une tâche pour l’apprentissage des connaissances mathématiques.
  • Le maintien de l’attention pour la résolution de problèmes en plusieurs étapes.
  • L’attention aux détails sous forme de structuration et de précision dans l’application de procédures, comme entre autres dans les problèmes d’addition, de soustraction, de multiplication et de division.
  • L’examen des productions pour en déceler les inexactitudes.
Pour que les élèves s’orientent et se concentrent sur une explication ou une tâche, l’importance et la mise en évidence des concepts clés doivent être optimisées. 

Cet objectif peut être atteint de plusieurs manières :


Augmenter la saillance des concepts cibles


Le principe est de choisir des pédagogies, des formats, des supports pédagogiques concrets qui attirent l’attention sur les concepts mathématiques enseignés, sans les en détourner :
  • Cela peut être aussi simple que de projeter la voix de manière adéquate ou de se rapprocher des élèves pendant l’enseignement.
  • Cela s’applique également à la manière dont les informations sont présentées.
Selon Ramani et ses collaborateurs (2019), plus la correspondance entre le contenu présenté et la représentation interne souhaitée est transparente, plus l’apprentissage de ces représentations est facilité :
  • Par exemple, un jeu de société linéaire dans la plage de 1 à 10 s’est avéré plus efficace pour améliorer la connaissance de la magnitude numérique des enfants d’âge préscolaire. Un jeu de société circulaire dans la même plage de nombres a été moins efficace. La raison suspectée était qu’il était probablement plus facile à traduire en une ligne de nombres mentale (Siegler & Ramani, 2009).
  • De même, il a été démontré que l’utilisation d’un code de couleurs pour élucider les relations sous-jacentes était préférable à la présentation des informations dans une seule couleur (Beege et coll., 2021).


Réduire les distractions visuelles en classe


Il peut s’agir :
  • De n’avoir que des affichages pertinents pour l’enseignement à l’avant de la classe 
  • De veiller à ce que la présentation des informations ne comporte pas d’images redondantes qui détournent l’attention de l’endroit où les enseignants veulent que leurs élèves se concentrent (Sweller et coll., 2011)
  • De s’assurer que les élèves n’ont pas d’appareils électroniques ouverts pendant les séances d’enseignement explicite
  • De placer les bureaux des élèves de manière à ce que tous les élèves aient une vue dégagée de l’enseignant.
Les distractions peuvent également être minimisées en choisissant des représentations et des supports pédagogiques qui contiennent le moins d’éléments distractifs possible.


Enseignez explicitement aux élèves comment être attentifs


Comme les enseignants sont chargés de guider les élèves vers l’endroit où ils doivent diriger leur attention, il est également nécessaire de leur enseigner explicitement comment être attentifs. Nous pouvons leur demander de déposer leur crayon et arrêter d’écrire lorsque l’enseignant va donner une explication, de faire face à l’avant, de regarder l’enseignant et de l’écouter. Une fois cette routine codifiée et enseignée, de même qu’un signal pour capter leur attention, elle doit être renforcée régulièrement (Dowley et Lovell, 2024).


Soutenir l’attention des élèves en vérifiant leur compréhension


 Nous voulons donnant à chaque élève des occasions régulières de répondre, ce qui nous permet de vérifier qu’ils écoutent et comprennent. Cette vérification de la compréhension a lieu pendant les explications données par l’enseignant lors de la phase d’enseignement explicite (modelage et pratique guidée). Elle est un moyen de maintenir l’attention des élèves et de favoriser la mémorisation (Barton, 2023 ; Macsuga-Gage et Simonsen, 2015).


Mis à jour le 05/09/2024

Bibliographie


Siobhan Merlo, The Science of Maths and How to Apply It, 2024, Analysis Paper 71, The Centre for Independent Studies

Turner, E. (2023). Initium: Cognitive science and research-informed primary practice, John Catt, Melton, Woodbridge.

Cherry, J., McCormack, T., & Graham, A. J. (2023). Listen up, kids! How mind wandering affects immediate and delayed memory in children. Memory & Cognition, 1-17.

Hoyer, R. S., Elshafei, H., Hemmerlin, J., Bouet, R., & Bidet-Caulet, A. (2021). Why are children so distractible? Development of attention and motor control from childhood to adulthood. Child development, 92(4), e716-e737.

Ramani, G., Daubert, E. & Scalise, N. (2019). Chapter 3: Role of Play and Games in Building Children’s Foundational Numerical Knowledge. In Geary, D. C., Berch, D. B., & Koepke, K. M. (Eds.). (2019). Cognitive foundations for improving mathematical learning. Elsevier Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-815952-1.00001-3

Siegler, R. S., & Ramani, G. B. (2009). Playing linear number board games – but not circular ones – improves low-income preschoolers’ numerical understanding. Journal of Educational Psychology, 101, 545–560.

Beege, M., Nebel, S., Schneider, S., & Rey, G. D. (2021). The effect of signaling in dependence on the extraneous cognitive load in learning environments. Cognitive Processing, 22(2), 209-225.

Sweller, J., Ayres, P., Kalyuga, S., Sweller, J., Ayres, P., & Kalyuga, S. (2011). The redundancy effect. Cognitive load theory, 141-154.

Dowley, M. & Lovell, O. (2024). The Classroom Management Handbook. John Catt, Melton, Woodbridge.

Barton, C. (2023). Tips for Teachers: 400+ ideas to improve your teaching. Hachette UK.

MacSuga-Gage, A. S., & Simonsen, B. (2015). Examining the effects of teacher-directed opportunities to respond on student outcomes: A systematic review of the literature. Education and Treatment of Children, 211-239.

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