vendredi 2 août 2024

Traiter les conceptions erronées des élèves dans le cadre de l’enseignement

Comment anticiper, prévenir, diagnostiquer, traiter et atténuer les conceptions erronées des élèves en classe ?

(Photographie : Katie Barrish



Préparer le traitement des conceptions erronées


La théorie classique sur le conflit cognitif suggère que pour changer les croyances des élèves, il faut qu’ils reconnaissent une anomalie troublante et qu’ils souhaitent en éclaircir le sens. Les élèves doivent pouvoir considérer les idées alternatives comme intelligibles, plausibles et fructueuses (Posner et coll., 1982).

Pour que les élèves tirent des enseignements d’une anomalie, au lieu de l’ignorer, la contradiction entre leurs croyances et l’anomalie doit être claire. Il peut être utile d’opposer différents modèles mentaux et de créer de nouvelles catégories qui aident les élèves à reconstruire leurs modèles mentaux (Chi, 2008). 

Il peut être utile de montrer aux élèves l’éventail des conceptions concurrentes disponibles. L’exposition à une série de questions dans des contextes variés — avec des réponses erronées plausibles — semble être un moyen d’encourager les élèves à utiliser des conceptions correctes. 

Les conceptions erronées peuvent toujours rester dans les esprits et réapparaitre même après un enseignement efficace (Potvin, Sauriol et Riopel, 2015). Elles peuvent cependant être mises en concurrence et nous pouvons augmenter la probabilité de récupérer la bonne conception.

Dès lors, l’enjeu est d’inciter les élèves à envisager des conceptions différentes et à avoir la possibilité de modifier leurs modèles mentaux.

Pour l’enseignant, cela consiste à :
  • Planifier le traitement des conceptions erronées 
  • Rechercher des modèles
  • Mener des discussions autour des modèles pour inciter les élèves à reconsidérer leurs idées.



Planifier le traitement des conceptions erronées 


L’usage de questions charnières et de tickets de sortie peut permettre de diagnostiquer la présence de conceptions erronées parmi les élèves. 

Si nous pouvons anticiper l’occurrence de conceptions erronées, nous pouvons également prévoir, concevoir et planifier leur traitement dans le cadre de l’enseignement. 

Nous pouvons nous préparer à y faire face. Nous abordons les conceptions erronées les plus courantes et nous nous concentrons sur les idées clés. Parfois, des conceptions erronées, inattendues, profondes et compliquées apparaissent. Nous pouvons alors attendre le cours suivant pour nous y préparer. 

Si pour remettre en question les conceptions des élèves, il suffit parfois de répéter la bonne réponse, ce n’est généralement pas le cas. C’est souvent peu efficace si nous voulons un changement à long terme. 

En effet, nous pouvons être victimes du biais rétrospectif qui désigne la tendance qu’ont les individus à surestimer rétrospectivement le fait que les événements auraient pu être anticipés moyennant davantage de prévoyance ou de clairvoyance. Les élèves peuvent se persuader qu’ils ne feront certainement plus la faute par la prochaine fois, pour finalement la refaire quand même.

Pour changer les conceptions, il faut engager les élèves dans une démarche d’apprentissage génératif : 
  • Leur faire mettre en évidence et traiter les anomalies dans des réponses erronées.
  • Induire l’insatisfaction en mettant en évidence des aspects illogiques dans les réponses erronées et en les faisant réfléchir sur le sujet.
  • Proposer de nouvelles conceptions intelligibles à travers des exemples en leur demandant de les justifier et de les commenter.
Toutes ces pistes sont complexes à mettre en œuvre spontanément.



Utiliser la discussion guidée ou le dialogue formatif pour traiter les conceptions erronées


Nous commençons par mettre en évidence les conceptions erronées à traiter soit au tableau soit par un visualiseur, soit par l’intermédiaire d’un PowerPoint. 

Nous soutenons le raisonnement des élèves en : 
  • Mettant en évidence les points spécifiques à discuter.
  • En demandant aux élèves d’expliquer comment ils sont parvenus à leurs réponses.
  • En déconstruisant les erreurs dans le raisonnement.
  • En aidant les élèves à réfléchir aux pièges liés aux conceptions erronées pour parvenir à une réponse logique et correcte. 
Dans la démarche, il est important de ne pas enlever directement l’incertitude des élèves en évitant de leur donner d’emblée la bonne réponse. En procédant de la sorte, on peut passer à côté des causes de l’erreur.

Nous voulons faire réfléchir les élèves et les amener à un apprentissage génératif. 

Il n’est pas suffisant que les élèves se contentent de connaître la bonne réponse par cœur et se dispensent de réfléchir. Nous voulons les amener à analyser attentivement leur raisonnement.

Les élèves qui se sont trompés doivent comprendre où ils se sont trompés. Les élèves qui ont cru avoir raison doivent être en mesure d’expliquer exactement pourquoi ils se sont trompés et ne plus se tromper. Le risque est que, lorsque les élèves sont sûrs de leur réponse, ils ne prêtent guère attention au retour d’information (Kulhavy et Stock, 1989). 

Derek Muller (2011) a constaté que lorsqu’un élève est confronté à des exposés corrects de concepts scientifiques, il qu’il le sait déjà et ne prête pas vraiment attention.
  • L’élève peut ne pas se rendre pas compte que ce qui est présenté diffère de ses connaissances antérieures.
  • L’élève se contente d’être plus confiant dans ce qu’il pensait auparavant. 
Les élèves réfléchissent davantage lorsqu’ils sont encore incertains, après avoir choisi une réponse et avant de savoir si elle est correcte. Maintenir une certaine incertitude semble aider les élèves à se souvenir de la bonne réponse (D’Mello et coll., 2014).

Pour y parvenir, les conseils suivants sont utiles : 
  • Éviter de donner la réponse publiquement avant que les élèves aient raisonné pour la trouver :
    • Nous soutenons la poursuite du raisonnement des élèves en demandant des explications. 
    • Nous vérifions que les élèves suivent la discussion en les interrogeant.
  • Surveiller son non verbal en évitant les allusions subtiles et les expressions faciales qui permettraient aux élèves de deviner s’ils sont dans la bonne ou la mauvaise direction. 
    • Cela correspond à éviter de répondre à une mauvaise réponse par un froncement de sourcils et un « ça n’est pas tout à fait ça ». 
    • Il s’agit plutôt de répondre aux bonnes comme aux mauvaises réponses par un sourire et un visage impassible en demandant aux élèves s’ils ont d’autres propositions. 
    • Nous ne soulignons pas l’erreur immédiatement en espérant qu’un autre élève apportera sa contribution. 
  • Maintenir son enthousiasme et son intérêt. 
    • Nous montrons que nous voulons découvrir ce que pensent les élèves. 
    • Nous les écoutons de manière interprétative, pour apprendre des réponses des élèves, plutôt que de manière évaluative, en cherchant simplement la bonne réponse (Wiliam, 2011).
  • Lors des interactions en classe au départ d’une question, il est intéressant de commencer la discussion par une réponse incorrecte. 
    • Nous guidons alors les élèves vers sa correction. La démarche peut agir comme un révélateur. 
    • À l’inverse, commencer par une bonne réponse et demander ensuite aux élèves de la remettre en question en analysant des réponses erronées peut perdre leur intérêt. À quoi bon analyser des erreurs si l’on connaît la bonne réponse ?
  • Toujours revenir vers les élèves qui s’étaient trompés pour vérifier s’il a compris son erreur. Vérifier la compréhension de l’ensemble de la classe un peu plus tard dans le cours pour s’assurer qu’ils ont appris à ne plus commettre l’erreur. 



Varier les stratégies de traitement des conceptions erronées


En dehors de l’explication et du dialogue formatif, il existe d’autres pistes pour révéler et stimuler la pensée des élèves : 
  • Demander aux élèves d’identifier les similitudes et les différences entre différentes réponses (Stein et coll., 2008 ; Willingham, 2009).
  • Inviter les élèves à comparer leurs réponses avec celles de leurs camarades, et à éventuellement les modifier en retour, à condition d’expliquer pourquoi ils apportent des changements.
  • Demander aux élèves de mettre leurs réponses en commun par paires. S’ils ont des réponses différentes, ils doivent se persuader mutuellement du bien-fondé de leurs productions. Cette situation est particulièrement opportune si 40 % ou plus d’élèves répondent correctement dans un premier temps. Dans le cadre du processus, presque tous les élèves qui changent d’avis adoptent la bonne réponse (Crouch et coll., 2007). 
  • Conclure en demandant aux élèves de noter les points clés liés au dialogue formatif qui vient d’avoir lieu : qu’allez-vous vous rappeler de faire ou de ne pas faire ? 
  • Poser à nouveau la même question qui a posé problème un peu plus tard. La démarche peut sembler inutile, mais révèle souvent des conceptions erronées persistantes chez les élèves. Reposer une autre question, mais qui permet de vérifier leur maintien ou leur disparition. 
  • Proposer de nouvelles représentations et de nouveaux exemples pour aider les élèves à réfléchir aux limites de leurs réponses. Chaque représentation doit aider les élèves à comprendre comment des réponses superficiellement plausibles diffèrent, ce qui peut leur permettre de déterminer laquelle est correcte.
Révéler et stimuler la réflexion et les échanges sont des démarches essentielles pour que les élèves développent des modèles mentaux précis.

Toutefois, la démarche peut mobiliser du temps. Il peut parfois être nécessaire de passer à la suite alors que toutes les conceptions erronées n’ont pas été abordées au cours de la leçon.

Même dans le traitement des conceptions erronées, nous devons nous concentrer sur les principaux objectifs de la leçon. 

Les conceptions erronées peuvent également être expliquées des erreurs d’inattention ou à un manque de connaissances, ce qui n’implique pas le même traitement. De plus, si les questions difficiles et la confusion peuvent s’avérer bénéfiques pour l’apprentissage, elles peuvent aussi s’avérer décourageantes pour certains élèves. 

Nous devons nous assurer que les élèves sont habitués à ce genre de démarche, et qu’ils en reconnaissent l’utilité. 



Constituer des banques de questions charnières


S’il peut être complexe de rédiger et concevoir de bonnes questions charnières, une fois rédigées, elles peuvent être réutilisées dans le cadre du cours.

L’élaboration d’une banque de questions à choix multiples avec des collègues présente un énorme potentiel et pourrait être combinée à la planification d’unités d’enseignement.

Année après année, les élèves se succèdent, mais leurs conceptions erronées sont susceptibles de rester similaires lorsqu’ils abordent de nouveaux contenus. Les mêmes questions peuvent également être de nouveau mobilisées à d’autres moments de la séquence de cours.

Les questions charnières gagnent à alimenter des banques de questions, de manière à pouvoir être utilisées pour différentes fonctions : 
  • Dans une optique d’évaluation diagnostique pour vérifier les connaissances préalables au début d’une unité 
  • Pour promouvoir le dialogue formatif en classe
  • Dans le cadre de quiz dans une optique de pratique de récupération en classe
  • Pour vérifier l’apprentissage des élèves à la fin d’une leçon comme ticket de sortie.
  • Pour tester l’apprentissage à la fin d’un sujet dans le cadre d’une évaluation sommative ou formative. 
  • Pour les proposer aux élèves sous forme d’un outil d’auto-évaluation.
Une banque de question commune a comme intérêt que les différents enseignants qui y ont accès peuvent la compléter et l’améliorer. L’usage de certaines questions en classe peut en effet suggérer des améliorations dont tous peuvent ensuite profiter. 



Comprendre la valeur ajoutée des questions charnières


Chaque mauvaise réponse à une question charnière raconte une histoire et met souvent en évidence un apprentissage qui n’a pas eu lieu comme prévu. En ce sens, les questions charnières doivent faire partie intégrante et naturelle d’un cours.

Elles doivent être utilisées dans le but de développer l’apprentissage en classe et de mieux planifier l’enseignement afin de minimiser les conceptions erronées.

En ce sens, elles doivent être placées au cœur même du processus d’enseignement. Cela permet de mieux révéler leur compréhension et leurs modèles mentaux en construction. Elles sont au centre de la compréhension de l’enseignant de la manière dont les contenus qu’il enseigne s’apprennent. 

Leur intégration permet à l’enseignant de se concentrer sur ce que ses élèves pensent. Il peut ainsi rendre visible leur compréhension, ainsi que leur schéma interne de connaissances. En retour, cela lui permet d’approfondir sa connaissance du sujet, ce qui permet d’améliorer les questions charnières en retour.

L’utilisation réussie des questions charnières dans le cadre de l’enseignement en classe permet également de réduire la charge de travail en matière de retour d’information individuel à concevoir et à donner aux élèves. Il peut anticiper et résoudre les erreurs courantes. 

Dès lors, le retour d’information peut être davantage axé sur l’amélioration de la compréhension d’un concept par un élève. Il doit être moins directement ciblé sur la correction d’une erreur courante qui a fondamentalement sapé sa compréhension d’un concept.

Les questions charnières ne doivent pas permettre aux élèves de régurgiter des réponses toutes faites, mais doivent exercer leur réflexion. Elles doivent mettre l’accent sur la façon dont l’apprentissage actuel s’inscrit dans leurs connaissances antérieures.

L’apprentissage peut être invisible, mais l’évaluation formative, en particulier par les questions charnières, peut rendre leur pensée aussi visible que possible. 



Une liste de contrôle pour le traitement des conceptions erronées


  1. Les questions charnières portent sur les idées centrales d’une matière en lien avec les objectifs d’apprentissage traités. 
  2. Chaque idée centrale devrait être vérifiée à l’aide d’une question charnière.
  3. Les questions charnière sont conçues sous un format de choix multiples avec des réponses qui : 
    1. Sont plausibles
    2. Ne sont pas manifestement fausses et ne peuvent être devinées 
    3. Ne reflètent qu’une seule conception erronée 
    4. Sont succinctes 
  4. Les questions charnières doivent s’adresser à l’ensemble de la classe et permettre à l’enseignant d’avoir un aperçu de toutes les réponses. Elles ne doivent pas s’adresser uniquement à ceux qui sont sûrs d’eux pour répondre.
  5. Les questions charnières impliquent la mobilisation d’une routine propre à la vérification de l’enseignement. L’enseignant doit s’assurer que ses élèves répondent : 
    1. De manière lisible 
    2. Rapidement et de manière synchronisée
    3. De manière individuelle
    4. De manière respectueuse les uns des autres.
  6. Les élèves testent leur réflexion et leur raisonnement, et pas simplement ce qu’ils ont mémorisé. Il implique qu’elles soient préparées d’une telle manière qu’elles : 
    1. Font réfléchir les élèves 
    2. Suscitent un raisonnement
    3. Guident leur réflexion 
  7. Les réponses erronées à une question charnière donnent lieu à un retour d’information qui implique de vérifier ultérieurement à nouveau la compréhension.

Mis à jour le 13/08/2024

Bibliographie


Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018

Posner, G., Strike, K., Hewson, P. and Gertzog, W. (1982). Accommodation of a scientific conception: Toward a theory of conceptual change. Science Education, 66(2), pp. 211–227.

Chi, M. T. H. (2008). Three types of conceptual change: Belief revision, mental model transformation, and categorical shift. In Vosniadou, S. (ed.), Handbook of research on conceptual change. Hillsdale, NJ: Erlbaum, pp. 61–82.

Potvin, P., Sauriol, É. and Riopel, M. (2015). Experimental evidence of the superiority of the prevalence model of conceptual change over the classical models and repetition. Journal of Research in Science Teaching, 52(8), pp. 1082–1108.

Kulhavy, R. W., & Stock, W. A. (1989). Feedback in written instruction: The place of response certitude. Educational Psychology Review, 1(4), 279-308. https://doi.org/10.1007/BF01320096

Muller, D. (2011). The key to effective educational science videos. TED. https://tedxsydney.com/talk/ derek-muller-the-key-to-effective-educational-science-videos/ 

D’Mello, S., Lehman, B., Pekrun, R. and Graesser, A. (2014). Confusion can be beneficial for learning. Learning and Instruction, 29, pp. 153–170.

Wiliam, D. (2011). Embedded formative assessment. Bloomington, IN: Solution Tree

Willingham, D. (2009). Why don’t students like school? A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for the classroom. San Francisco, CA: Jossey-Bass.

Stein, M., Engle, R., Smith, M. and Hughes, E. (2008). Orchestrating productive mathematical discussions: Five practices for helping teachers move beyond show and tell. Mathematical Thinking and Learning, 10(4), pp. 313–340.

Crouch, C. H., Watkins, J., Fagen, A. P. and Mazur, E. (2007). Peer instruction: Engaging students one-on-one, all at once. Research-Based Reform of University Physics, 1(1), pp. 40–95.

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