lundi 5 août 2024

Importance du regard parental inconditionnel plutôt que conditionnel

Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023) ont réalisé une étude longitudinale pour suivre l’évolution de la perception de la considération parentale conditionnelle auprès d’élèves (N = 776) enfants. Celle-ci s’est déroulée pendant cinq années consécutives, de la sixième à la onzième année (avant-dernière année du secondaire). Voici une synthèse de leurs résultats.

(Photographie : bluebelly, sun, serpentine)




Dans l’étude de Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023), les résultats scolaires permettant d’évaluer le fonctionnement scolaire sont la motivation, l’autorégulation, l’anxiété liée aux tests et les attitudes positives à l’égard du décrochage. 

Leur évaluation a été faite sur base de déclaration des élèves, ainsi que sur base des rapports des enseignants sur la motivation, l’autorégulation et le rendement scolaire des élèves. 

Les enseignants qui ont participé étaient responsables d’un groupe d’élèves. Cet enseignant dispense généralement un enseignement dans l’une des matières principales et passe plus de temps en contact avec les élèves que les enseignants des disciplines spécialisées.



Une potentielle perception accrue du regard conditionnel à l’adolescence


Avant l’étude de Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023), peu de recherches longitudinales ont été menées sur l’évolution de la perception du regard parental conditionnel chez les élèves.

Hascoët (2016) a réalisé une étude de deux ans lors de la transition primaire-secondaire. La perception du regard parental conditionnel basé sur la réussite scolaire était faible et stable sur l’ensemble de la période. 

Dans l’étude transversale de Seidah (2004) auprès d’élèves de secondaire 1, 3 et 5, ceux de secondaire 1 percevaient moins le regard parental conditionnel que leurs pairs de secondaire 3 et 5, qui ne différaient pas.

L’adolescence apparait comme une période de développement où la quête d’autonomie des enfants peut les amener à interpréter à tort les comportements ou les attentes des parents comme des tentatives de les contrôler. 

Dès lors, l’importance accrue que certains parents accordent aux résultats scolaires lorsque leur enfant entre à l’école secondaire peut être contreproductive. Elle peut amener certains jeunes à percevoir une plus grande considération conditionnelle de la part de leurs parents (Midgley et coll., 1995 ; Anderman et Midgley, 1997 ; Bouffard et coll., 2001).



Des facteurs qui semblent favoriser la perception par les élèves d’une attention parentale conditionnelle


Des recherches ayant montré qu’une majorité de jeunes percevaient un faible contrôle psychologique parental tout au long de l’adolescence (Roth et coll., 2009 ; Assor et Tal, 2012 ; Rogers et coll., 2020 ; Steffgen et coll., 2022).

Cependant, certains parents accordent une importance croissante à la performance scolaire lorsque leur enfant entre au secondaire. La perception du regard parental conditionnel devrait par conséquent augmenter.

Les résultats de certaines études ont montré que les garçons perçoivent un regard parental conditionnel plus élevé que les filles (Côté et Bouffard, 2011 ; Bornstein, 2013 ; Côté et coll., 2014). D’autres chercheurs n’ont pas trouvé de différence entre les garçons et les filles (Israeli-Halevi et coll., 2015). 

Les élèves ayant des capacités intellectuelles plus faibles ont tendance à moins bien réussir à l’école. Leurs parents peuvent être enclins à utiliser davantage le contrôle psychologique comme regard conditionnel pour favoriser leur réussite (Gottfredson, 2002 ; Deary et coll., 2007 ; Laidra et coll., 2007). 

Certains auteurs signalent que le statut socio-économique, en particulier l’éducation des parents, est lié à un style parental plus contrôlant (Benner et coll., 2016) et au fonctionnement scolaire des élèves (Wiederkehr et coll., 2015). 

Dans l’ensemble, les études suggèrent que le fait d’avoir de moins bonnes aptitudes scolaires et des parents moins instruits peut contribuer à ce que les garçons perçoivent davantage le soutien conditionnel de leurs parents.



Modèles d’évolution de la perception du regard parental conditionnel


Dans le cadre de l’étude de Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023), trois sous-groupes d’élèves ont été mis en évidence. Ces groupes évoluent de manière différente selon les évaluations annuelles de la 6e à la 11e année :

Une première trajectoire concerne une majorité d’élèves (78,6 %). Ils suivent une trajectoire relativement stable dans laquelle ils perçoivent rarement que la réussite scolaire est une condition nécessaire pour mériter l’estime de leurs parents. Ce résultat est cohérent avec celui d’autres recherches antérieures. 

Une deuxième trajectoire dite croissante comprend une minorité d’élèves (12,4 %). Leur faible perception du regard parental conditionnel en 6e année augmente brusquement à leur arrivée au collège (secondaire inférieur), puis à nouveau légèrement les années suivantes.

Ces élèves pourraient avoir davantage de difficultés scolaires, ce qui amènerait leurs parents à insister sur l’importance d’obtenir de meilleurs résultats scolaires. En effet, des études ont montré que les parents d’enfants moins compétents utilisent davantage de stratégies de contrôle, ce qui nuit à leurs performances (Pomerantz et Eaton, 2001 ; Grolnick et coll., 2002 ; Grolnick, 2003). 

La perception croissante d’un regard parental conditionnel peut également refléter l’importance accrue que certains parents accordent aux résultats scolaires. Ce phénomène se manifeste plus clairement lorsque les élèves arrivent à l’école secondaire (Midgley et coll., 1995 ; Anderman et Midgley, 1997 ; Bouffard et coll., 2001). 

Certains enfants peuvent interpréter les attentes des parents en matière de résultats et d’objectifs de performance comme reflétant leur appréciation de leurs compétences. D’autres peuvent les interpréter comme une condition de leur amour et de leur acceptation. 

Une troisième trajectoire inattendue concerne 9 % des élèves. Ceux-ci perçoivent un regard parental conditionnel élevé dès la 6e année, qui diminue légèrement par la suite, tout en restant modéré. 

Trois hypothèses sont envisagées : 
  • Dès l’école primaire, certains élèves ont le sentiment que leur réussite scolaire fait partie des facteurs qui comptent pour l’approbation de leurs parents. Même si ce sentiment s’atténue légèrement par la suite, il reste présent tout au long de l’enseignement secondaire. 
  • Cette trajectoire peut aussi signaler que les élèves ont intériorisé les critères initialement fixés par leurs parents (Harter, 2012). Ils se concentrent alors davantage sur la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur monde émotionnel plutôt que sur le regard de leurs parents. 
  • Une troisième possibilité est que si les parents restent la source de soutien la plus importante pour les questions scolaires à l’adolescence (Harter, 1999), certains élèves font exception et recherchent plutôt ce soutien auprès de leurs pairs.
Toutefois, il ne faut pas oublier que le soutien conditionnel n’est pas une mesure objective, mais qu’il est perçu par le jeune. Certaines caractéristiques personnelles des élèves pourraient influencer la façon dont ils perçoivent les réactions des parents.

Otterpohl et ses collaborateurs (2021) ont rapporté que l’estime de soi conditionnelle des élèves prédisait leur perception de l’estime parentale conditionnelle, ce qui, selon eux, soutient leur hypothèse d’effets réciproques des construits. Les enfants agiraient de manière à amener leurs parents à montrer l’importance des efforts et des performances de l’enfant pour l’apprécier.

Des recherches antérieures suggèrent que la perception du regard parental conditionnel peut être liée au sexe de l’élève, à ses aptitudes scolaires ou au niveau d’éducation de ses parents.

Un élément intéressant de cette étude est que certains facteurs se sont révélés neutres. Le fait d’être un garçon ou une fille, d’avoir plus ou moins de capacités scolaires ou des parents plus ou moins éduqués ne modifiait pas la probabilité d’appartenir à une trajectoire de perception particulière.



Liens entre la trajectoire de perception de l’estime conditionnelle et le fonctionnement scolaire


Des études antérieures ont montré que le regard parental conditionnel lié à la réussite scolaire affecte le fonctionnement scolaire des élèves (Roth et al., 2009 ; Bouffard et coll., 2015). 

D’autres études ont rapporté une association entre la perception du regard parental conditionnel et l’anxiété liée aux tests (Bouffard et coll., 2015 ; Otterpohl et coll., 2019 ; Steffgen et coll., 2022).

Cependant, différentes limites existent dans ces études :
  • La mesure concomitante du regard conditionnel perçu et d’indicateurs de fonctionnement scolaire
  • Le fait que l’élève soit le seul informateur.
Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023) avaient fait l’hypothèse que les élèves ayant une faible perception du regard parental conditionnel tout au long des cinq années auraient de meilleurs résultats scolaires que ceux des autres trajectoires.

Cependant, cette hypothèse n’a pas été vérifiée. Il n’y avait pas de différence entre les trajectoires en ce qui concerne l’anxiété liée aux tests autodéclarée et les résultats scolaires tels que jugés par les enseignants.

Toutefois, leurs résultats montrent que les élèves exposés pendant plusieurs années au regard parental conditionnel rapportent des attitudes plus positives à l’égard du décrochage scolaire. Des élèves peuvent considérer le décrochage scolaire comme une échappatoire à la situation, ce qui réduit leur anxiété. 

Des études se sont intéressées aux choix d’études et de carrière qui requièrent des capacités inférieures à celles que l’individu possède ou de choisir d’abandonner l’école prématurément. Elles ont montré qu’il s’agit de stratégies de réduction d’un mal-être psychologique (Kahn et Nauta, 2001 ; Bonneville-Roussy et coll., 2017).

Toutefois, le fait d’avoir une perception faible et stable du regard parental conditionnel tout au long de l’étude est lié au modèle de résultats le plus positif. Par rapport aux élèves des deux autres groupes, ils ont des scores plus élevés en matière d’autorégulation et des scores plus faibles en matière d’attitudes positives à l’égard du décrochage. En outre, ils se disent plus motivés que ceux dont la perception de la considération conditionnelle augmente. Les enseignants corroborent ce jugement.

Ces résultats sont cohérents avec ceux de Steffgen et coll. (2022). Ces derniers rapportent que les élèves adolescents dont la perception de la considération conditionnelle parentale est faible présentent la configuration la plus adaptative en matière de résultats scolaires et psychologiques.

Les élèves dont la perception de la considération parentale conditionnelle diminue ont généralement des scores similaires à ceux des élèves dont la perception augmente. Ce résultat peut suggérer que le niveau d’estime parentale conditionnelle des élèves du groupe en déclin peut encore être suffisamment élevé pour contribuer à un fonctionnement scolaire adaptatif faible similaire à celui des élèves du groupe en augmentation. 

Cette absence de différence entre le groupe croissant et le groupe décroissant pourrait être due aux coûts éducatifs durables pour ces élèves. L’exposition passée à un soutien parental conditionnel élevé resterait en partie manifeste même lorsque l’aspect conditionnel diminue. Cela semble particulièrement vrai pour l’autorégulation et les attitudes à l’égard du décrochage, qui sont des résultats connus pour se développer tôt (Archambault et coll., 2009a,b ; Bowers et coll., 2011).

Dans l’ensemble, les résultats de cette étude reproduisent ceux d’études axées sur les variables qui rapportent que les élèves qui perçoivent un regard parental conditionnel élevé ont des résultats développementaux plus défavorables.

Le regard inconditionnel permet aux enfants de se considérer comme des personnes de valeur, quels que soient leurs résultats scolaires. Cela les aide à se sentir suffisamment en sécurité pour être attentifs à la tâche, intéressés par l’apprentissage, prendre des risques, être créatifs et rebondir en cas d’échec. Cette étude suggère que les jeunes qui bénéficient d’une telle considération de la part de leurs parents de manière continue font état d’un meilleur fonctionnement scolaire à long terme. 

Toutefois, il ne faut pas oublier que la considération conditionnelle n’est pas une mesure objective, mais qu’elle est perçue par le jeune. Cela peut amener à se demander à quel point les caractéristiques personnelles des élèves influencent la façon dont ils perçoivent les réactions des parents. 



Rôle des parents en matière de soutien face à la scolarité de leurs enfants


Trois trajectoires semblent donc exister dans la perception du regard parental conditionnel : 
  • Faible pour une majorité d’élèves
  • Croissant et devenant plus élevé au fil des années chez une minorité d’élèves
  • Plus élevé et décroissant au fil des années chez une minorité d’élèves 
Il apparait qu’une perception constante d’être aimé inconditionnellement semble le contexte le plus favorable au bon fonctionnement de l’école. Un regard parental conditionnel faible parait avantageux. 

La perception élevée et transitoire que le regard et l’amour des parents ne sont pas acquis, mais dépendent de la réalisation de leurs attentes est associée à un moins bon fonctionnement scolaire des élèves.

Les élèves qui ont le sentiment que le soutien de leurs parents dépend de leur réussite ont tendance à être moins motivés et à se réguler, et à cultiver l’idée d’abandonner l’école. 

Les parents veulent généralement le meilleur pour leurs enfants et veulent être de bons parents. Dans un contexte scolaire, ils veulent favoriser l’apprentissage et le développement intellectuel de leur enfant et lui offrir un environnement qui l’aidera à relever les défis de son aventure scolaire. 

Montrer de l’intérêt pour la réussite scolaire de l’enfant et lui faire savoir que nous pensons qu’il peut réussir n’est pas en soi préjudiciable. Ces attentes lui indiquent que nous pensons qu’il est compétent. 

Cependant, les parents doivent s’assurer que leurs enfants comprennent que l’importance qu’ils accordent à la réussite scolaire se veut bienveillante et dans l’intérêt de leur avenir. Elle n’est pas un moyen de les contrôler et elle n’est certainement pas une condition pour gagner leur amour.

Les parents peuvent contribuer au développement de l’autonomie de leur enfant de différentes manières : 
  • En mettant l’accent sur les processus d’apprentissage plutôt que sur les résultats
  • En soutenant l’enfant dans la définition et la réalisation de ses objectifs personnels
  • En valorisant ses choix et son engagement en faveur de ses intérêts.
Ce faisant, ils permettent à l’enfant de découvrir et de cultiver sa propre identité, et donc de s’épanouir et de développer tout son potentiel.


Mis à jour le 14/08/2024

Bibliographie


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