vendredi 19 juillet 2024

Vérifier la compréhension dans un enseignement explicite grâce aux questions charnières

Les questions charnières sont des questions qui permettent de valider à l’échelle de la classe la compréhension des points essentiels d’une matière. Elles aident l’enseignant à diagnostiquer les difficultés face auxquelles il peut réagir dans la foulée.

(Photographie : Dani Guindo)



Utilisation et format des questions charnières


Les questions charnières représentent un outil pratique de vérification de la compréhension. Elles sont conçues pour mettre rapidement le doigt sur les conceptions erronées et les erreurs typiques aux moments clés. 

Les questions charnières prennent la forme de questions à choix multiples où chaque option de réponse reflète une erreur ou un raisonnement différents, encourageant les élèves à démontrer leur (mauvaise) compréhension (Parkes et Zimmaro, 2016).

Face à une question charnière, dans l’idéal, les élèves devraient pouvoir établir leur réponse en moins d’une minute et l’enseignant devrait pouvoir les évaluer en quinze secondes (Wiliam, 2011). 

En prédisant et en anticipant d’éventuelles mauvaises réponses, les questions charnières offrent la richesse d’informations qu’un entretien individuel offrirait à l’ensemble de la classe (Bart et coll., 1994). L’utilisation d’une question charnière par leçon peut faire une différence significative.

Le format de question à choix multiple est idéal pour un diagnostic rapide, mais impose une conception exemplaire. Il doit mobiliser la réflexion des élèves et prévoir d’apporter des informations utiles à l’enseignant, une plus-value qui éclaire la compréhension de ses élèves (Smith, 2017). 

Il n’y a pas intérêt à remarquer que les élèves peuvent deviner que des réponses sont manifestement erronées. Nous voulons vérifier que les élèves puissent éviter des distracteurs plausibles. Par conséquent, les alternatives dans les questions à choix multiples doivent être des réponses qui semblent logiques, mais qui reflètent des conceptions erronées.

Les réponses incorrectes ne sont jamais des erreurs évidentes. Elles révèlent les connaissances, le raisonnement et les conceptions erronées des élèves. L’idée est également que répondre à de telles questions aide les élèves à affiner leur compréhension et à renforcer leurs apprentissages.

L’utilisation de questions charnières dans un cadre universitaire a conduit à des améliorations significatives de l’apprentissage des étudiants selon une série de mesures (Crouch et coll., 2007). 

En dehors d’un usage en classe dans le cadre de la vérification de la compréhension, les questions charnières peuvent être utilisées dans le cadre de tickets de sortie. 



Conception des questions charnières


Il est essentiel de concevoir les questions charnières avec soin et les pistes de réflexion suivantes justifient ne exploration :
  • Déterminer les points d’ancrage :
    • La préparation et l’exploitation d’une question charnière prennent du temps.
    • Elles doivent être réservées à l’idée la plus importante d’une leçon.
    • Elles doivent être placées à des moments charnières, lorsque les élèves passent d’un type d’activité à un autre. Un bon moment se situe par exemple, vers la fin d’une explication, car les élèves ne peuvent appliquer ce qu’elle recouvre que s’ils l’ont comprise. 
  • Concevoir chaque option de réponse de manière à ce qu’elle ne reflète qu’une seule conception erronée : 
    • L’objectif est d’identifier les conceptions erronées des élèves, c’est-à-dire les croyances qui vont à l’encontre de ce qu’il faut apprendre (Chi, 2008).
    • Pour identifier exactement ce que pensent les élèves, chaque choix de mauvaise réponse doit avoir un sens pour les élèves qui ont une — et une seule — conception erronée. Si les élèves choisissent cette réponse, l’enseignant sait quelle conception erronée ils ont (et comment y répondre). 
    • Les questions sont centrées autour des conceptions erronées communes. Elles peuvent venir de collections externes, de collègues expérimentés et des réponses et commentaires des élèves (Gierl et coll., 2017). 
  • Trouver un équilibre entre la brièveté et la couverture des conceptions erronées les plus probables : 
    • L’enjeu est d’inclure les conceptions erronées les plus probables tout en gardant les questions succinctes pour permettre aux élèves de répondre rapidement.
    • Trois réponses (une correcte, deux incorrectes) semblent être la meilleure solution. Il peut être utile d’ajouter des réponses plausibles supplémentaires en fonctions des cas analysés.
    • Ajouter des réponses invraisemblables ne met pas ses élèves au défi et ne fournit pas de retour d’information pertinent (Rodriguez, 2005).
    • Placer les informations dans la question, limite la longueur des options de réponse et facilitent le traitement par les élèves (Haladyna, Downing et Rodriguez, 2002 ; Parkes et Zimmaro, 2016). 
    • Randomiser l’ordre des réponses. 
    • Veiller à ce que les réponses soient similaires en matière de contenu, de structure et de longueur (Gierl et coll., 2017). 
Il est utile de rédiger et de tester ses questions charnières en collaboration avec des collègues. Cela permet de s’assurer que la formulation est parfaite, de partager les connaissances pédagogiques sur les conceptions erronées et de créer une banque de questions. En effet, la rédaction de questions charnières de qualité prend du temps. Parfois, certaines questions existantes dans un manuel peuvent servir de base.

Parfois, les conceptions erronées vont apparaitre au détour d’autres questions et réponses d’élèves. En entendant la réponse d’un élève, l’enseignant peut poser une question de suivi qui cherche à révéler le raisonnement sous-jacent auprès de l’élève ou même de la classe entière. Par exemple, l’enseignant peut demander aux élèves de lever la main s’ils sont d’accord avec la réponse d’un élève, ou à l’inverse s’ils ne sont pas d’accord. 



S’assurer que les élèves réfléchissent et ne devinent pas


L’un des problèmes des questions à choix multiples est que les élèves peuvent vouloir deviner la réponse. Dans certains cas, leurs suppositions peuvent s’accompagner d’une bonne probabilité de réponse.

Il est important que les enseignants puissent éviter que les élèves puissent deviner la réponse en s’assurant que la détermination de son caractère correct ou incorrect impose une réflexion.

Exemple de question (Wiliam, 2013) : 

Quels carrés vérifient la relation ?







Cette question contient deux réponses correctes à cette question (B et D). 

Si le nombre de questions correctes n’est pas précisé (donc il peut être de 0 à 6), les élèves doivent considérer les six triangles séparément.

Potentiellement, cela fait 6 ! = 720 réponses possibles. Ce processus limite les chances de deviner correctement (Wiliam, 2011).

Fournir de tels types d’exercices devrait permettre de donner aux élèves l’habitude de lire attentivement l’ensemble de l’énoncé. Si les élèves arrêtent de lire après avoir trouvé la première réponse, B, leur réponse est incorrecte. 

L’ajout de multiples options n’est pas recommandé en général. Toutefois, il semble justifié tant que toutes les réponses sont plausibles, comme c’est le cas ici (Rodriguez, 2005). 

Une question comme celle au-dessus permet de tester la compréhension conceptuelle.

Une manière d’aider les élèves à acquérir des connaissances plus flexibles est de leur demander de faire des comparaisons entre différents exemples, en identifiant les similitudes et les différences (Willingham, 2009). 

Les élèves connaissent très certainement l’expression de la relation dans le cadre du triangle rectangle comme étant l’expression du théorème de Pythagore. Une telle question à choix multiples permet de vérifier s’ils l’ont comprise.

Le développement et l’utilisation de telles questions permettent : 
  • De se concentrer sur une idée clé
  • De diagnostiquer la présence de conceptions erronées
  • Une réutilisation de la question en changeant les détails, mais en conservant la structure. 
  • La collaboration avec des collègues pour rédiger, tester et affiner les questions. 



Mettre en œuvre les questions charnières en classe


La rédaction d’une question charnière est un défi. Leur mise en œuvre en classe en est un autre. 

Les utiliser en classe suppose de pouvoir évaluer la compréhension de tous les élèves. Pour y arriver, il faut demander à tous les élèves de montrer leurs réponses simultanément, en utilisant des tableaux blancs ou en levant le doigt pour indiquer leur choix. 

Cela demande un enseignement explicite préalable de routines pour orchestrer le partage de réponses et la discussion qui s’ensuit. Tout cela nécessite une gestion efficace de la classe, et de ne pas prendre trop de temps.

Différents écueils sont à éviter :
  • Les réponses de tous les élèves doivent être visibles et lisibles afin que l’enseignant puisse voir et traiter rapidement la réponse de chaque élève :
    • Sur les ardoises effaçables : 
      • Les réponses doivent être notées de manière standardisée en ce qui concerne la taille, la couleur, la position et le format de la réponse.
      • Aucune information parasite et inutile ne doit y être inscrite.
      • Les élèves doivent montrer leurs réponses de la même manière et au même moment sans agiter leurs ardoises effaçables.
      • Il s’agit d’indiquer comment les élèves doivent tenir l’ardoise effaçable à hauteur des épaules.
    • Si les élèves lèvent les doigts : 
      • Pour une facilité de traitement, l’enseignant peut limiter et cadrer la manière de montrer leur réponse.
      • Le code de la réponse doit être bien précis (par exemple le nombre de doigts levés).
      • Les mains des élèves doivent être levées au même moment et à la même hauteur. 
      • Il s’agit d’indiquer comment les élèves doivent tenir leur main, à hauteur des épaules.
  • Les réponses sont individuelles et tout le monde participe :
    • Parallèlement, une routine à installer est que chaque élève doit donner une réponse. Le corollaire est que l’enseignant doit observer chacune des réponses.
    • Une autre routine importante est que les élèves doivent travailler en silence et donner leur réponse en même temps. Les élèves ne doivent pas se copier les uns les autres. Ils ne doivent pas non plus être tentés de modifier leurs réponses s’ils voient les réponses d’un camarade et s’ils pensent qu’elles sont correctes. Les élèves doivent assumer leur réponse et le traitement positif de l’erreur par l’enseignant a un rôle important à jouer pour installer cette culture. Une règle simple est de demander aux élèves de retourner leur ardoise effaçable après avoir écrit leur réponse et en attendant que l’enseignant donne le signal de la montrer. Le signal peut être : « Toutes les ardoises effaçables sont levées dans trois, deux, une secondes, voilà ! ». 
  • Tous les élèves doivent être attentifs et respectueux lors des interactions et de la mise en commun : 
    • Il est souhaitable que tous les élèves soient à l’écoute lors de la mise en commun des réponses et des discussions qui suivent. 
    • Les élèves interrogés doivent articuler leur raisonnement. Ceux qui se sont trompés doivent comprendre pourquoi ils se sont trompés, et ne pas se contenter de dire qu’ils ont corrigé leur réponse.
    • Le manque de respect et la dérision à propos de réponses erronées doivent être proscrits. En effet, si de tels comportements se manifestent, il devient peu probable que les élèves en erreurs s’expriment oralement sereinement. Il s’agit d’une règle en gestion de classe à exprimer clairement dès le début de l’année. L’objectif de ces mises en commun doit être défini comme le fait de parvenir à une compréhension commune et améliorée de la question et des erreurs à éviter. C’est l’occasion également d’enseigner aux élèves de bonnes habitudes de discussion, telles que la manière d’exprimer son désaccord de manière polie et constructive. 
  • Les questions charnières viennent s’inscrire dans un alignement curriculaire
    • Poser un diagnostic avec une question charnière impose l’existence d’un alignement curriculaire, d’un enseignement efficace et adaptatif, et de pratiques d’évaluation formative et de soutien à l’apprentissage. 
    • Les attentes doivent être explicitées dès le départ par le biais du partage d’objectifs d’apprentissage correspondants. 
    • L’enseignement doit être adaptatif au sein d’une culture de l’apprentissage dans laquelle chacun a sa place.
    • Lors de l’introduction des questions charnières, leur importance doit être exprimée pour les élèves de manière à ce qu’ils y répondent avec effort et honnêteté. L’enseignant a besoin de diagnostiquer leurs connaissances et leur raisonnement pour mieux piloter l’enseignement à leur bénéfice :
      • Ainsi, il est important que les élèves travaillent individuellement et ne s’inspirent pas des réponses de leurs condisciples.
      • Il est également important qu’ils soient attentifs et respectueux lorsque les réponses sont partagées collectivement et que des erreurs sont rectifiées. 
    • Si une erreur est décelée en classe et que l’enseignant apporte une correction, il est important de donner immédiatement à tous les élèves l’occasion de réaliser un exercice similaire avec succès pour les habituer à la réussite. 
  • Faire un bon usage de la technologie : 
    • Bien pilotée, la technologie présente de nombreux intérêts et simplifie le travail des enseignants. Il peut devenir plus facile de collecter, de corriger et d’évaluer les réponses, même si tous les contenus et toutes les compétences ne se prêtent pas toujours aussi bien.
    • L’enseignant peut ainsi planifier des autoévaluations à faire en dehors du cours, consulter ensuite les réponses des élèves et diagnostiquer les erreurs typiques. Cela permet de préserver l’anonymat et dissuader le fait de copier sur son voisin. Cela permet également de disposer d’une trace écrite de la pensée de ses élèves. 
    • La technologie n’est pas non plus sans risques. L’introduction de téléphones, de tablettes ou de portables en classe est également une source potentielle de distraction.



Assurer la rétroaction autour des erreurs liées aux questions charnières

 
Les questions charnières vont mettre en évidence le niveau de connaissance des élèves, leurs lacunes et leurs erreurs typiques ou inattendues.

Dans son processus de diagnostic, il est important pour l’enseignant de les classer par ordre de priorité et de fréquence et d’y répondre en conséquence.

Ces réponses amènent à adapter l’enseignement. Certaines conceptions erronées sont tellement bloquantes pour la compréhension d’un sujet qu’il vaut la peine de les traiter immédiatement.

Si les tickets de sortie laissent à l’enseignant le temps de planifier, les questions charnières à l’intérieur d’un cours exigent une réponse immédiate, ce qui impose d’avoir planifié des actions à mener le cas échéant.

Si la difficulté vient d’un manque de connaissances, l’action à mener est plus simple, car il s’agit de revenir sur ce qui a été précédemment enseigné. À l’opposé, il sera plus difficile de changer les conceptions erronées, car elles sont souvent solidement ancrées.

Les conceptions erronées (par exemple le fait de penser que tous les vaisseaux sanguins ont des valves) changent avec l’exposition à des informations contradictoires. Cependant, les modèles mentaux (comme le fait de voir la Terre comme un disque aplati) et les erreurs de catégorie (voir la chaleur comme une entité plutôt que comme un processus) sont remarquablement résistants au changement (Chi, 2008).

Face à des idées nouvelles et contradictoires, il est beaucoup plus facile de conserver les modèles mentaux existants et d’y intégrer les nouvelles idées (ou d’ignorer les idées contradictoires) que de les modifier. 

Nuthall (2007) donne l’exemple d’une élève qui interprète mal une expérience consistant à examiner un crayon dans un bocal d’eau. Ce qu’elle remarque en premier, c’est que le crayon est agrandi par l’eau, et non la réfraction. Pendant tout le reste de l’unité, elle continue à se concentrer sur le grossissement. Elle ignore les informations et les observations qui vont à l’encontre de cette idée. 


Mis à jour le 06/08/2024

Bibliographie


Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018

Parkes, J. and Zimmaro, D. (2016). Learning and assessing with multiple-choice questions in college class- rooms. New York: Routledge. 

Wiliam, D. (2011). Embedded formative assessment. Bloomington, IN: Solution Tree.

Bart, W. M., Post, T., Behr, M. J. and Lesh, R. (1994). A diagnostic analysis of a proportional reasoning test item: An introduction to the properties of a semi-dense item. Focus on Learning Problems in Mathematics, 16(3), pp. 1–11. 

Smith, M. (2017). Cognitive validity: Can multiple-choice items tap historical thinking processes? American Educational Research Journal, 54(5), pp. 1256–1287. DOI: 10.3102/0002831217717949. 

Crouch, C. H., Watkins, J., Fagen, A. P. and Mazur, E. (2007). Peer instruction : Engaging students one-on-one, all at once. Research-Based Reform of University Physics, 1(1), pp. 40–95.

Chi, M. T. H. (2008). Three types of conceptual change: Belief revision, mental model transformation, and categorical shift. In Vosniadou, S. (ed.), Handbook of research on conceptual change. Hillsdale, NJ: Erlbaum, pp. 61–82.

Gierl, M., Bulut, O., Guo, Q. and Zhang, X. (2017). Developing, analyzing, and using distractors for multiple-choice tests in education: A comprehensive review. Review of Educational Research, 87(6), pp. 1082–1116.

Rodriguez, M. (2005). Three options are optimal for multiple-choice items: A meta-analysis of 80 years of research. Educational Measurement: Issues and Practice, 24(2), pp. 3–13.

Haladyna, T., Downing, S. and Rodriguez, M. (2002). A review of multiple-choice item-writing guidelines for classroom assessment. Applied Measurement in Education, 15(3), pp. 309–333. 

Wiliam, D. (2013). Formative assessment in mathematics: Opportunities and challenges, presented to Teachers College, Columbia University, New York, October 2013. www.dylanwiliam.org/ Dylan_Wiliams_website/Presentations.html

Willingham, D. (2009). Why don’t students like school? A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for the classroom. San Francisco, CA : Jossey-Bass.

Nuthall, G. (2007). The hidden lives of learners. Wellington, NZ: New Zealand Council for Educational Research. 

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