Thérèse Bouffard et ses collaborateurs (2023) ont réalisé une étude longitudinale pour suivre l’évolution de la perception de la considération parentale conditionnelle chez les enfants pendant cinq années consécutives, de la sixième à la onzième année. Leur étude commence par une revue de la littérature sur cette question, dont voici une synthèse.
(Photographie : David Inglesfield)
Le regard parental inconditionnel comme influence bénéfique
Pour un élève, se sentir aimé, apprécié et accepté par les autres, et plus encore par ses parents, est un besoin dont le caractère fondamental est largement reconnu.
La qualité des relations parents-enfants est un facteur important du développement harmonieux des enfants et de leur fonctionnement adaptatif à l’école (Makri-Botsari, 2015).
La perception qu’ont les enfants d’être aimés inconditionnellement par leurs parents dans n’importe quelle situation est une caractéristique importante d’une bonne relation parent-enfant.
Rogers (1959) a suggéré l’existence d’un regard :
- Inconditionnel lorsque certaines personnes se sentent acceptées et aimées pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles font.
- Conditionnel lorsque certaines personnes se sentent aimées et acceptées parce qu’elles parviennent à répondre aux attentes des autres à leur égard.
Le regard parental conditionnel comme contrôle psychologique
Harter (1999, 2012) définit le concept de conditionnalité comme la perception qu’ont les enfants d’être aimés et soutenus uniquement lorsqu’ils se comportent conformément aux attentes généralement élevées et parfois irréalistes de leurs parents.
Dans le cas d’un regard conditionnel :
- Les enfants ne pensent pas que l’amour et le soutien de leurs parents leur sont accordés en toute gratuité.
- Les enfants croient qu’ils doivent mériter l’amour et le soutien de leurs parents en répondant à leurs attentes et à leurs exigences :
- Lorsqu’ils y parviennent, ils ont l’impression que leurs parents leur témoignent plus de chaleur et d’affection.
- Lorsqu’ils échouent, ils ont l’impression qu’ils leur témoignent moins de chaleur et d’affection.
Le regard parental conditionnel joue le rôle d’un contrôle psychologique sur les enfants. Le sentiment de culpabilité des enfants et le retrait de l’affection de leurs parents lorsqu’ils n’agissent pas comme ils le souhaitent leur donnent l’impression d’être manipulés (Grolnick, 2003 ; Grolnick et Pomerantz, 2009).
Les pratiques de contrôle psychologique des parents sont néfastes :
- Elles minent la motivation intrinsèque des enfants et leur besoin d’autonomie.
- Elles entravent le développement de leur compétence scolaire perçue et de leur autorégulation comportementale.
- Elles suscitent la peur de l’échec, détériorent leurs notes et leurs performances scolaires.
- Elles leur donnent le sentiment de ne pas être respectés par leurs parents.
Impacts négatifs du regard conditionnel parental
Selon Assor (2018), le regard parental conditionnel reflète une forme de contrôle psychologique, mais il s’en distingue par la présence d’intrusions et de blâmes, auxquels les enfants ne peuvent échapper.
Il conduirait à une régulation introjetée des comportements. Pour gagner l’affection parentale ou éviter de la perdre, les enfants se sentent poussés à agir comme attendu (Brambilla et coll., 2015 ; Israeli-Halevi et coll., 2015). Ils en viennent à désavouer ou à nier les parties d’eux-mêmes qui sont différentes de celles valorisées par leurs parents. Ils manipulent leur image publique et adoptent des comportements en désaccord avec eux-mêmes et inauthentiques (Harter et coll., 1996 ; Harter, 2012).
Les attentes parentales sont ainsi transformées en normes d’autoévaluation contraignantes. Les enfants jugent que leur valeur personnelle est égale à leur capacité à répondre à ces normes (Assor et coll., 2004, 2009 ; Harter, 2012).
Le regard conditionnel conduirait au développement d’une estime de soi contingente à l’atteinte des standards fixés par autrui (Otterpohl et coll., 2021). Cette forme d’estime de soi est, selon différents auteurs, faible et instable (Leary et Baumeister, 2000 ; Crocker et Wolfe, 2001).
Les enfants peuvent interpréter la pression exercée par les parents pour qu’ils se comportent d’une certaine manière comme un manque de confiance dans leur capacité à se comporter correctement par eux-mêmes. Cela peut susciter des émotions négatives à l’égard des parents.
Caractéristiques du regard conditionnel parental
Le regard parental conditionnel peut se manifester dans divers domaines du fonctionnement de l’enfant, y compris le domaine scolaire.
Le regard parental conditionnel est généralement considéré comme spécifique à un domaine. Par exemple, il peut porter spécifiquement sur les résultats scolaires dans certaines matières.
Le concept de parentalité conditionnelle se réfère à la perception des enfants, et non à ce que les parents font réellement. La psychologie du développement a bien documenté le fait qu’avec l’âge et le développement cognitif, la conceptualisation d’un même phénomène par la personne change (Bouffard et coll., 1998).
Par exemple, un compliment d’un parent perçu comme une rétroaction positive par un jeune enfant peut être perçu des années plus tard comme une tentative de contrôle.
La perception qu’a un jeune du regard parental conditionnel peut évoluer dans le temps. Cela peut être particulièrement le cas à l’adolescence, période de développement où les jeunes affirment leur besoin croissant d’autonomie, ce qui nécessite de renégocier leurs relations avec leurs parents (Laursen et Collins, 2004).
Selon Grolnick (2012), tous les parents ne parviennent pas à répondre de manière adéquate aux nouveaux besoins de leur enfant lorsqu’il devient adolescent. Certains parents réagissent en utilisant des pratiques plus affirmatives et plus contrôlantes qui accordent moins d’autonomie et ne satisfont pas un besoin particulier de l’adolescent, mais se rapportent à la conformité et au contrôle des parents. Les adolescents peuvent faire la distinction entre l’autorité et le contrôle légitimes et illégitimes (Gingo et coll., 2017).
Regard parental inconditionnel et résultats scolaires
Il existe un consensus sur la valeur accordée à l’éducation en tant que voie sûre vers la réussite et le statut social. C’est donc l’un des domaines les plus importants pour les parents.
Il est utile pour les enfants de bénéficier d’une attitude d’acceptation, de chaleur et de respect en toutes circonstances de la part de leurs parents. Ils évoluent dans un environnement exempt de tout jugement extérieur. Ils peuvent vivre et réfléchir à leur expérience émotionnelle dans un espace sécurisé qui leur permet d’utiliser leurs ressources et de réaliser leur plein potentiel (Rogers, 1968 ; Harter, 2012 ; Assor, 2018 ; Proctor et coll., 2021).
Les difficultés et les erreurs sont inhérentes aux situations d’apprentissage scolaire, ce qui en fait un contexte qui nécessite un regard inconditionnel pour permettre aux enfants d’utiliser leurs capacités et de relever les défis.
Des chercheurs ont établi un lien entre le développement de l’autorégulation des enfants et les relations parent-enfant émotionnellement positives (Brody et Ge, 2001).
Regard parental conditionnel et résultats scolaires
Les résultats scolaires sont susceptibles de générer des conflits et des discordes entre des parents et leurs enfants (Smetana et coll., 2016). Ces situations peuvent amener les enfants à croire que l’amour parental dépend de leur réussite à l’école (Harter, 2012).
Cette croyance conduit les enfants à se sentir obligés de se comporter et de réussir aussi bien à l’école que leurs parents le souhaitent. Parallèlement, ils développent le sentiment permanent qu’ils risquent de s’aliéner le soutien de leurs parents s’ils n’y parviennent pas.
Un regard parental conditionnel lié à la réussite scolaire amènerait les enfants à s’impliquer dans leurs activités d’apprentissage sans un réel intérêt ou sans y accorder une importance personnelle. Ils le font parce qu’ils s’y sentent contraints (Roth et coll., 2009 ; Assor, 2018).
De plus, une partie des ressources mentales des enfants est détournée vers la peur de l’échec et donc de perdre l’amour de leurs parents. Cela peut les rendre moins disponibles cognitivement pour mobiliser leurs ressources cognitives et métacognitives et ainsi autoréguler leur apprentissage (Bartels et Magun-Jackson, 2009).
Selon différentes études, le regard parental conditionnel à la réussite scolaire serait en lien négatif avec les résultats scolaires des élèves. L’impact se manifeste notamment sur la motivation, l’autorégulation, l’anxiété liée aux tests et les attitudes face au décrochage (Bartels et Magun-Jackson, 2009 ; Roth et al., 2009 ; Assor et coll., 2014 ; Bouffard et coll., 2015).
La perception du regard parental conditionné à la réussite scolaire et au contrôle émotionnel est liée au ressentiment envers les parents. Ce ressentiment est associé à un moins bon contrôle des émotions négatives et à un désengagement scolaire chez les lycéens (Roth et coll., 2009).
D’autres chercheurs ont montré, également chez les lycéens, que le regard parental conditionnel était lié à des sentiments excessifs de fierté en cas de réussite scolaire et de culpabilité et de honte en cas d’échec. Ces sentiments excessifs étaient à leur tour associés à une tendance au surinvestissement dans l’école (Assor et Tal, 2012).
Les perceptions des élèves du secondaire quant au regard des parents et des enseignants conditionnellement à la réussite scolaire étaient négativement associées à leur motivation scolaire (Makri-Botsari, 2015). Cette motivation scolaire est considérée par plusieurs auteurs comme nécessaire à l’exercice d’une autorégulation active (Schunk et Usher, 2012 ; Schunk et coll., 2014).
Côté et coll. (2014) ont montré que la considération conditionnelle, qu’elle soit perçue par l’élève ou par les parents, était négativement liée à l’autorégulation des élèves telle qu’évaluée par leurs enseignants.
Liens potentiels entre regard parental conditionnel, anxiété scolaire et décrochage
Certains élèves perçoivent que l’amour de leurs parents dépend de leur capacité à faire aussi bien que ces derniers le souhaitent. Il est probable que ce regard conditionnel favorise la présence d’anxiété liée aux tests chez les élèves en raison de la peur de l’échec (Bouffard et coll., 2015 ; Otterpohl et coll., 2019).
L’anxiété liée aux tests survient lorsque :
- L’échec est perçu comme ayant des conséquences négatives pour l’individu.
- Les élèves perçoivent que les résultats des actions qu’ils pensent pouvoir entreprendre pour l’éviter sont incertains et hors de leur contrôle.
Certains élèves deviennent tellement anxieux et mal à l’aise à l’école qu’ils développent un sentiment d’aliénation scolaire et une attitude positive à l’égard du décrochage scolaire (Assor, 2012).
Le décrochage réel n’est généralement pas le résultat d’une impulsion ou d’une action irréfléchie (Christenson et Thurlow, 2004 ; Rumberger, 2011).
Il est précédé d’une période de désengagement plus ou moins longue. Au cours de celle-ci, l’élève éprouve des émotions et des dispositions négatives à l’égard de l’école. Il s’intéresse peu à ce qui s’y passe. Il a un faible sentiment d’appartenance à l’école et ne s’y sent pas à sa place (South et coll., 2007).
Envisager l’idée d’abandonner l’école comme une bouée de sauvetage, un moyen d’échapper à l’inconfort et à l’anxiété, est susceptible d’augmenter la probabilité de le faire (Janosz et coll., 2013).
Itzhaki et coll. (2018) ont montré que les garçons âgés de 14 à 21 ans ayant décroché précocement de l’école rapportaient des perceptions de regard parental conditionnel élevées. Elles étaient plus élevées que ceux ayant un mentor ou recevant de l’aide parce qu’ils risquent de décrocher de l’école et que ceux inscrits dans un programme pour élèves décrocheurs.
Côté et Bouffard (2011) ont montré que le regard parental conditionnel était associé à un biais d’autoévaluation négative des compétences scolaires et à une moindre réussite. Ce sont deux facteurs de risque de décrochage scolaire (Archambault et coll., 2009a,b).
Différentes études ont montré que le regard parental conditionnel sur la réussite scolaire est associé à de moins bons résultats scolaires et à un décrochage prématuré. Toutefois, la faiblesse de ces études vient du fait que l’élève en est généralement le seul informateur.
Mis à jour le 07/08/2024
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