lundi 29 juillet 2024

Le cadre du double adressage et de l’autorité en gestion de classe

Vanessa Joinel Alvarez et Valérie Lussi Borer (2023) ont filmé dix enseignants novices en Suisse, dans 24 groupes-classes différents (433 élèves de 12 à 15 ans concernés) sur la question de l’autorité. Elles ont ensuite analysé avec eux les interactions avec leurs élèves.
 
(Photographie : Vincent Glielmi)




Le concept d’autorité pédagogique


Dans le cadre de la perspective écologique sur la gestion de classe, dans le soutien au comportement positif ou dans l’apprentissage social et émotionnel, la question de l’autorité de l’enseignant est un thème peu abordé.

Les travaux de Wubbels (Wubbels & Brekelmans, 2005) ont plutôt mis en évidence les dimensions indépendantes de l’influence et de la proximité dans le cadre des relations entre un enseignant et ses élèves.

Cependant, les enseignants novices sont souvent concernés par les questions de gestion de la classe et sont particulièrement confrontés à la question de leur autorité (Emmer & Stough, 2001 ; Evertson & Weinstein, 2013). 

Dans leur étude, Joinel Alvarez et Lussi Borer (2023) ont considéré que l’enseignant exerce son autorité pédagogique pour rechercher un rapport de coopération avec ses élèves. Comme elles le rapportent, en sciences de l’éducation et en sciences sociales en général, l’autorité est synonyme de pouvoir légitime (Weber, 2019). Selon Reboul (2016), l’autorité est le pouvoir que quelqu’un a de faire faire aux autres, ce qu’il veut sans recourir à la violence […]. L’obéissance n’est jamais purement contrainte. Toute autorité repose sur une légitimité qui est d’un tout autre ordre que la force physique.

L’autorité pédagogique repose donc sur l’accord des élèves et implique une obéissance dans laquelle ils conservent leur liberté (Arendt, 2006). Interprétée dans ce sens, l’autorité n’asservit pas, mais autorise. 

Dans les situations d’enseignement et d’apprentissage, les enseignants cherchent à obtenir la reconnaissance et le consentement des élèves pour qu’ils fassent ce qu’ils demandent, plutôt que l’obéissance par la soumission. 



Des composantes multifactorielles à l’autorité pédagogique


Les enseignants peuvent s’appuyer sur une combinaison de différentes sources de légitimité. Une méta-analyse (Joinel Alvarez, 2023) de travaux de recherche issus de plusieurs champs disciplinaires a permis d’élaborer un modèle synthétique de l’autorité pédagogique basé sur cinq sources de légitimité. 

Trois sources principales sont liées à l’expertise professionnelle : 
  1. L’expertise didactique
  2. L’expertise dans la gestion d’un environnement d’apprentissage
  3. L’expertise relationnelle
Deux sources secondaires sont liées à l’expertise professionnelle :
  1. Le statut de l’enseignant
  2. Les qualités personnelles manifestées en classe
En fonction de la situation, l’enseignant s’appuiera sur une ou plusieurs de ces sources pour exercer son autorité dans la classe. 

Del Pilar Cox-Vial et ses collaborateurs (2022) ont montré que les enseignants novices du secondaire déploient six types de stratégies différentes pour établir leur autorité pédagogique. Ils utilisent des stratégies émotionnelles, de régulation du comportement, didactiques, de communication, de langage corporel et d’organisation.

Comme l’affirment Pace et Hemmings (2006), si l’autorité est effectivement une construction sociale entre les enseignants et les élèves, elle est également façonnée par des forces contextuelles locales et des facteurs sociaux, politiques et culturels plus larges. Les forces contextuelles locales comprennent les caractéristiques de l’élève, les antécédents familiaux et les caractéristiques du groupe classe (Joinel Alvarez, 2023).



Le groupe classe : un système social complexe 


Toutes les interactions au sein de la classe (c’est-à-dire les relations enseignant-élèves et les relations entre pairs) sont médiatisées par la présence du groupe. La classe n’est pas une simple juxtaposition d’élèves avec des caractéristiques individuelles, mais plutôt un groupe avec sa propre dynamique. Les élèves ne se comportent pas de la même manière dans une classe que lorsqu’ils sont seuls.

Des phénomènes d’influence sont à l’œuvre dans le groupe classe, par exemple des processus de normalisation, de conformisme et d’attraction (Schmuck & Schmuck, 2000) :
  • Le besoin d’être accepté est si fort que, sous la pression du groupe, les élèves peuvent adopter des comportements ou des croyances qu’ils désapprouvent intérieurement.
  • Des tensions entre les attentes de l’enseignant et celles du groupe-classe peuvent apparaître. Cette situation peut conduire les élèves à exprimer des attitudes indisciplinées afin d’être acceptés par le groupe.
  • Le groupe-classe exerce une influence profonde, proche du contrôle social, car il confère prestige et reconnaissance à ceux qui respectent les normes, et rejet et punition aux autres (Brechwald & Prinstein, 2011). 
Ce contrôle social est coercitif et d’autant plus efficace qu’il est insidieux, contrairement à l’autorité de l’enseignant qui est institutionnelle et donc contestable (Rey, 2009). 



La construction de l’autorité


L’autorité pédagogique est largement basée sur l’expertise de l’enseignant, mais aussi inhérente à la situation et à son contexte.

L’autorité étant avant tout attribuée par les membres du groupe classe, elle découle de la capacité de l’enseignant à percevoir et à comprendre les processus à l’œuvre au sein du groupe (Bossert, 1978). 

Dans un contexte socioculturel où les formes traditionnelles d’autorité s’érodent (Prairat, 2009), les enseignants novices sont particulièrement concernés par le problème de l’autorité. Dans la classe, l’autorité des enseignants n’est plus soutenue par l’institution et considérée comme acquise par les élèves. 

Dès leurs premières expériences, les enseignants novices réalisent également que leur statut ou leurs connaissances ne sont pas les seuls moyens par lesquels ils établissent leur autorité (Carra, Boxberger, Robbes, et Pesce, 2015). Ils sont donc tenus de découvrir et de construire de nouvelles significations et pratiques de l’autorité pédagogique qu’ils trouvent cohérentes et efficaces en classe (Zamora, Gil, Mendez, Galvis, et Tadeo, 2020). 



Modalités d’interaction impliquées dans les situations d’autorité 


Joinel Alvarez et Lussi Borer (2023) ont identifié quatre situations typiques d’autorité pédagogique :
  1. Les situations où les enseignants font face à des comportements inappropriés (par exemple, des élèves qui s’allongent sur leur bureau ou qui bavardent pendant le cours).
  2. Le début du cours et la mise au travail des élèves après une transition (par exemple, les élèves posent beaucoup de questions et ne se mettent pas au travail)
  3. Les situations d’enseignement/apprentissage problématiques (par exemple, les enseignants essaient d’obtenir le silence pour pouvoir expliquer l’exercice qu’ils sont en train de faire)
  4. Les situations d’enseignement/apprentissage réussies (par exemple, un travail de groupe qui se déroule bien). 

Les interactions des enseignants avec les élèves ont été classées selon six modalités d’interaction : 
  1. Adressage unique à un seul élève ; 
  2. Adressage unique à un ensemble d’élèves non identifiés
  3. Adressage unique au groupe classe reconnu comme une entité
  4. Adressage unique à un sous-groupe d’élèves identifiés
  5. Double adressage imposé à l’enseignant
  6. Double adressage choisi par l’enseignant.

Ces six modalités peuvent être regroupées en trois catégories générales d’adressage : 
a) Adressage unique à un élève
b) Adressage unique à plusieurs élèves
c) Double adressage.

Dans les interactions à double adressage, les enseignants novices décrivent qu’ils s’adressent aux élèves simultanément, en utilisant deux canaux de communication différents, verbalement ou non verbalement, directement ou indirectement. Ce double adressage est vécu soit comme une situation imposée, soit comme une circonstance choisie. 



Interactions d’adressage unique 


Dans les interactions d’adressage unique, le plus souvent observées dans les situations d’autorité, l’information circule directement entre les enseignants et leurs élèves. 

Si les interactions individuelles entre les enseignants et leurs destinataires semblent à première vue anodines, s’interroger sur l’influence de la présence du groupe en tant que tiers médiateur est essentiel. Comme le décrit Postic (2015), la présence du groupe classe, même silencieuse, exerce une influence sur chacun de ses membres. 

Si les enseignants n’ont pas l’intention de donner une information au groupe, celle-ci peut tout de même être perçue par les membres du groupe. De plus, la manière dont l’élève destinataire la reçoit peut être influencée par la présence des pairs (Gayet, 2014). 

Le groupe ne peut pas être ignoré par les enseignants lors de ces interventions. 
Joinel Alvarez et Lussi Borer (2023) montrent que la plupart des enseignants novices, lorsqu’ils utilisent une seule modalité d’interaction d’adressage, se concentrent sur cette interaction et négligent la présence des autres membres du groupe. 

Certains le font cependant. Cela peut se faire sous forme de sourires, d’interactions positives, de renforcement à l’ensemble du groupe. En considérant le groupe sous un jour positif et en l’exprimant explicitement, il permet à ses élèves de faire l’expérience de la reconnaissance, l’un des besoins fondamentaux identifiés par Bany et Johnson (1964). À cet égard, et comme le suggère Beretti (2019), une fois reconnus, les élèves peuvent à leur tour témoigner de la reconnaissance à leur enseignant. Établir une relation basée sur la reconnaissance mutuelle avec la classe permet d’intervenir individuellement auprès de ses élèves de manière discrète et efficace. Dans une situation opposée, lorsque la relation avec l’enseignant est mauvaise, le groupe peut devenir catalyseur de comportements inappropriés. Comme le rapporte Lewin (1947), les comportements des élèves, en particulier chez les adolescents, diffèrent de ceux qu’ils adopteraient s’ils étaient seuls.



Des situations de double adressage périphérique au contexte de classe


Trébert & Filliettaz, 2017, ont mis en évidence des interactions de double adressage à des moments où un stagiaire, observé par un formateur, s’adressait simultanément aux étudiants et à son formateur. 

Une étude s’appuyant sur l’analyse interactionnelle a mis en évidence des formes de double adressage chez des éducateurs de la petite enfance. Lors du feedback de fin de journée dans une crèche : l’éducateur s’adresse en même temps au parent et à l’enfant (Wolter, 2020). 

Selon les observations d’Amendola (et col., 2015), certains enseignants en début de carrière, au moment de leur intégration dans une équipe pédagogique, avouent s’adresser parfois autant à leur classe qu’à leurs collègues. C’est le cas, par exemple, lorsqu’ils demandent à leurs élèves de se taire dans les couloirs tandis qu’ils croisent un collègue. 



L’importance du double adressage en situation d’autorité


Les interactions de double adressage peuvent être soit imposées, soit choisies. Dans une interaction imposée, les enseignants sont confrontés à des dilemmes qu’ils doivent surmonter. Dans une interaction choisie, les enseignants utilisent la complexité de l’interaction pour exercer leur autorité. 

Joinel Alvarez et Lussi Borer (2023) ont mis en évidence dans leur étude que les enseignants novices pratiquent le double adressage dans près d’une interaction sur trois en situation d’autorité. En d’autres termes, dans les interactions impliquant deux destinataires, les enseignants s’adressent simultanément à plusieurs élèves ou sous-groupes d’élèves distincts. Ils le font par le biais de deux canaux de communication différents (verbaux ou non verbaux), d’une manière imposée ou choisie. 

Un large éventail de stratégies sont développées par les enseignants novices au cours de ces interactions.

La compréhension de ces stratégies permet de faire la différence entre autorité pédagogique et autoritarisme déguisé, ce qui ouvre une réflexion éthique.

Il est important de distinguer parmi les stratégies de double adressage celles qui sont efficaces et bénéfiques pour engager les élèves dans l’apprentissage, de celles qui comportent un risque d’ostracisme à l’égard des élèves. 

Il est important d’aider les enseignants novices à prendre conscience de l’impact de leurs propos dans une perspective relationnelle et éthique. Il s’agit de dépasser la question des bonnes pratiques et de la remplacer par celle d’un défi professionnel que les enseignants doivent relever et pour lequel ils seront souvent confrontés à des dilemmes relationnels et d’apprentissage. 

Dans les stratégies adoptées par les enseignants, il peut y avoir des adéquations et les décalages entre leurs attentes et la réalité.

Lorsque les enseignants novices se trouvent dans une modalité d’interaction à double adressage, ils sont le plus souvent confrontés à des dilemmes. Ils font l’expérience de situations contradictoires mettant en jeu simultanément plusieurs préoccupations considérées comme incompatibles. Dans ces situations particulières, ils se trouvent dépourvus de stratégies d’action et expriment des sentiments d’inconfort et d’incompétence.

Deux types de dilemmes peuvent être singularisés. Ils appellent à deux types de réponses distinctes :
  • Dans le premier cas, les enseignants novices tentent de gérer ce qui est considéré comme un comportement inapproprié tout en maintenant le groupe actif et au travail.
  • Dans le second cas, les enseignants novices se trouvent dans une situation contrainte, liée à l’organisation collective du groupe classe. Dans ce dernier cas, les enseignants tentent d’intervenir individuellement auprès de certains élèves tout en maintenant le groupe au travail. 



Faire face à un comportement inapproprié tout en maintenant le groupe au travail 


Le plus souvent, les enseignants novices résolvent le dilemme en se concentrant uniquement sur l’une des attentes qu’ils considèrent comme primordiale. C’est généralement faire cesser le comportement problématique le plus rapidement possible qui prime, afin de maintenir le groupe au travail. 

Ceux qui commencent par s’attaquer directement au comportement problématique peuvent négliger temporairement le groupe. Ils y reviennent une fois le problème individuel résolu.

Une erreur commune des enseignants novices est de s’occuper directement d’un comportement perturbateur. Ils se heurtent alors aux protestations des élèves concernés ou perdent le groupe, ce qui interrompt la dynamique de travail. 

Le danger est d’abandonner même temporairement leur espoir de faire travailler le groupe. Dans ce cas, ces enseignants peuvent perdre dans la foulée leur autorité pédagogique. Les élèves cessent de travailler et commencent souvent à parler entre eux.

La mise en œuvre de cette stratégie est susceptible de générer de nouveaux comportements perturbateurs chez certains élèves qui vont, par exemple, délibérément faire perdre du temps au reste du groupe en monopolisant l’attention de l’enseignant.

Une bien meilleure approche est de continuer à se concentrer principalement sur le groupe en ne négligeant pas leur autre attente qu’est le comportement problématique. En accordant leur attention à ceux qui travaillent, ils expliquent qu’ils s’attendent à ce que l’élève perturbateur interrompe son comportement perturbateur sans sollicitation externe explicite et qu’il se mette à son tour à travailler. Ce type d’approche correspond à l’idée d’un continuum de réaction face à un comportement perturbateur. Il est recommandé dans un premier temps d’adopter des stratégies de gestion du comportement qui permettent aux élèves de modifier leur comportement tout en préservant leur dignité. 

Ce faisant, les enseignants renforcent les comportements attendus, ce qui encourage les autres élèves à s’engager dans la même voie. Ce type de stratégie génère généralement pour l’enseignant un sentiment de satisfaction d’avoir surmonté une situation problématique. 



Individualiser les interventions durant la pratique autonome


Un deuxième dilemme courant pour les nouveaux enseignants concerne la manière de gérer les interventions individuelles de soutien aux élèves lors de la pratique autonome.

Cette problématique est en lien avec la différenciation pédagogique. Les enseignants se demandent comment gérer deux logiques apparemment inconciliables : 
  • D’une part, différencier l’apprentissage pour promouvoir la réussite individuelle.
  • D’autre part, maintenir une approche collective dans le processus d’apprentissage, garantissant ainsi le transfert des connaissances attendues à tous les élèves. 
Le groupe classe est un obstacle à un enseignement plus individualisé. L’hétérogénéité des groupes-classes soulève des tensions liées à sa gestion. Comment maintenir l’intérêt et la dynamique d’apprentissage des élèves en réussite tout en permettant néanmoins à ceux qui sont en difficulté de progresser ? 

L’enseignement explicite et le modèle de l’évaluation formative offrent des pistes pour sortir de ce dilemme qui peut alimenter chez l’enseignant un sentiment d’inefficacité et générer une forme d’exaspération ou de découragement. 



Des stratégies de double adressage s’adressant au groupe classe


Face à des comportements d’élèves perçus comme inappropriés, les enseignants peuvent utiliser des stratégies de double adressage pour transmettre une demande sans changer le cours de l’interaction. 

Différentes stratégies peuvent permettre aux enseignants d’obtenir des élèves qu’ils fassent ce qu’ils demandent en combinant l’adressage direct et indirect. Dans un format, ils s’adressent directement au groupe classe tout en transmettant une demande indirecte destinée à un élève en particulier.

Des demandes directement adressées au groupe peuvent signaler des difficultés de l’enseignant et s’adressent réellement au groupe classe : 
  • L’objectif de l’intervention peut-être d’empêcher les comportements inappropriés de se propager dans le groupe classe par peur de contagion plutôt que dans une volonté d’agir sur le comportement problématique. Le but est alors de transmettre un message d’avertissement (ou de dissuasion) au groupe. L’action est plus préventive au niveau du groupe que réellement effective indirectement auprès de l’élève considéré.
  • L’objectif de l’intervention peut-être pour l’enseignant, remis en cause par l’attitude d’un élève devant l’ensemble du groupe classe, de sauver la face. Dans ce cas, sa réponse s’accompagne donc d’une double intention : faire en sorte que le comportement perturbateur cesse, mais surtout ne pas perdre sa crédibilité et risquer de perdre à long terme le contrôle du groupe classe. Cette stratégie suggère que la demande est adressée indirectement à un destinataire explicite (l’élève perturbateur) alors que ce destinataire est secondaire. La demande s’adresse donc à un destinataire direct principal : le reste du groupe classe. 
Quand la situation est maîtrisée, l’enseignant s’adresse directement à l’ensemble de la classe en voulant s’adresser indirectement à un ou deux élèves qui sont ses réels destinataires. Il s’agit souvent de faire une demande sans nommer explicitement ces derniers et sans leur donner de l’attention.

Par exemple, l’enseignant ne va pas s’adresser directement à deux élèves qui bavardent parce qu’il ne veut pas les stigmatiser. Ainsi, en ne s’adressant pas directement aux élèves ayant un comportement inapproprié, il ne renforce pas le phénomène de comparaison sociale entre les élèves. C’est un comportement très courant dans les groupes de classe (Dijkstra, Kuyper, Van der Werf, Buunk, & van der Zee, 2008). Il évite ainsi une éventuelle influence négative sur la motivation et les performances de ces élèves. Ici, l’objectif d’Andrea est de sauver la face des élèves vis-à-vis de leurs pairs.

D’autres interventions indirectes s’appuient sur la pression de la conformité pour modifier les comportements des élèves. Le groupe peut être utilisé comme témoin pour modifier le comportement irrespectueux d’un élève. La pression du groupe classe peut être activée lorsqu’un élève est interpellé devant ses pairs. Le besoin d’être accepté dans un groupe de pairs étant particulièrement fort à l’adolescence, se démarquer au risque d’être rejeté n’est généralement pas une option (Emmer & Gerwels, 2013). Ainsi, une fois les normes établies, les élèves s’y conforment en adoptant les comportements et les opinions du groupe ou du sous-groupe de la classe auquel ils appartiennent ou cherchent à appartenir.

Le processus fonctionne bien lorsque les normes du groupe sont en accord avec les valeurs de l’école, ce qui leur permet de s’en inspirer. Parfois, lorsque les normes du groupe ne correspondent pas à celles de l’école. Dans ce cas, la pression pour se conformer aurait tendance à favoriser les comportements qui s’écartent des normes de l’école (Bany & Johnson, 1964 ; Peeters, 2009). Quoi qu’il en soit, en ne confrontant pas directement l’élève, ils évitent de s’engager dans un rapport de force avec lui et peuvent également permettre à l’élève de garder la tête haute devant ses pairs. Si l’on considère, par exemple, le cas d’un élève qui a développé un rôle de clown (Redl et Wattenberg, 1959), respecter l’autorité signifierait perdre la face et peut-être même sa place dans le groupe. 


 

L’utilisation de la régulation entre les élèves


L’enseignant peut utiliser le double adressage pour favoriser les échanges entre les élèves de manière à ce qu’ils s’influencent entre eux dans la direction attendue.

Ce type de stratégie  pourrait rappeler des pratiques issues des classes coopératives ou de la pédagogie institutionnelle. Dans ces classes, des instances formées par les élèves sont mises en place pour gérer principalement les aspects organisationnels et sociaux du groupe classe. En s’appuyant sur les propriétés intrinsèques de leur groupe, les enseignants remplacent la relation verticale enseignant-élève par une relation plus horizontale entre chaque membre du groupe, y compris eux-mêmes (Rey, 2009).

L’objectif des enseignants est ici de permettre aux élèves d’être confrontés à la communauté dont ils sont membres et de ne plus être soumis à la seule autorité de leur enseignant.

Les interventions peuvent également s’éloigner de ces dimensions en faisant le pari que  le pouvoir d’influence des pairs peut parfois être plus efficace que leurs propres interventions.

Cela revient à activer un contrôle social (Brechwald & Prinstein, 2011). Contrairement à l’autorité de l’enseignant, qui est lisible, institutionnelle et donc contestable, le contrôle exercé par le groupe est plus insidieux et souvent très coercitif. 

Cette démarche toutefois n’est pas sans danger. Pour Vasquez et Oury (1967), l’enseignant est et doit rester la personne qui assure le cadre de la classe. Les élèves n’ont pas à assumer tout le poids d’une autorité qui leur a été transférée. Le risque de se conformer à des pratiques beaucoup plus autoritaires que celles de l’adulte ne peut donc pas être exclu.


Mis à jour le 11/08/2024

Bibliographie


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